Prologue
Le 17 Mai 2017, à l’université de Columbia, l’entreprise pharmaceutique Astella lança une grande campagne de recrutement de cobayes pour un nouveau vaccin. En l’espace de deux ans, Astella était devenu le leader mondial de la recherche de soins pour les maladies surnaturelles, s’appuyant sur la notoriété d’un de leurs jeunes épidémiologistes dont le principal fait d’armes était d’avoir trouvé le remède au virus Ebola en s’appuyant sur certains allèles génétiques provenant du Virus V, le virus vampirique. Depuis deux ans, Astella s’attachait à trouver un moyen de renverser les mutations génétiques des Virus V et W pour les personnes qui n’avaient pas été consentants pour leurs transformations. En 2017, ils étaient encore loin d’y arriver, n’ayant réussi qu’à mettre en place un anticorps qui empêchait l’infection par le Virus W. Cependant, et malgré une campagne des plus documentées, on estima que cet anticorps n’existait pas et que les résultats n’étaient du qu’à la perte possible dû à la méthode d’inoculation du Virus W, la morsure puis l’arrêt cardiaque du sujet. De plus, l’Anticorps CZ –W6 présentait de nombreux problèmes à long terme et les quarante cobayes finirent en hôpital psychiatrique, victimes d’hallucinations. Cette partie de l’histoire ne fut pas immédiatement connue du grand public, sans doute parce que les cobayes étaient tous des vétérans de la Guerre du Golfe et qu’on mit leurs hallucinations sur le compte du syndrome post-traumatique.
Néanmoins, Astella avait un besoin urgent de se refaire une bonne réputation puisque les budgets de la recherche allaient être votés par le congrès américain en septembre et que la Défense cherchait toujours un moyen de pallier à la défection des métamorphes alors que la Russie les avaient acceptés, y compris à un haut niveau de responsabilité. Si la Guerre Froide n’était qu’un loin souvenir, les Etats-Unis ne souhaitaient pas paraitre en retard en matière militaire. Astella conçut donc un nouveau virus, le Virus W-T, qui devait être la réponse : Ce Virus permettait, selon les plaquettes qui furent distribuées aux grands pontes de la Défense, de reproduire les effets intéressants du Virus W, comme une force accrue et une régénération, y compris des tissus amputés, des plus acceptables. A terme, le W-T devait servir à la recherche médicale pour tous pour permettre la repousse de membres perdus et même d’organes endommagés. Comme il s’agissait de régénération « naturelle » et non pas de clonage, on esquivait les problèmes d’éthiques et on rendait l’espoir à ceux qui avaient perdu une partie d’eux. De plus, le W-T était présenté comme peu cher à produire et étant éliminé naturellement du corps en l’espace de deux mois. Certes, on s’inquiétait d’une possible mutation du Virus, le rendant sans contrôle et plus dangereux mais le Docteur Taylor, celui-là même qui avait vaincu Ebola se faisait fort de créer un gène autodestructeur activable par simple injection d’une séquence d’acides aminés dans la moelle épinière.
Cependant, le Docteur James Alexander Taylor fut remercié en Mars 2017 à cause, officiellement de problèmes de boisson nuisant à la bonne entente au sein de son labo, officieusement parce qu’il avait posé son veto sur toute expérience sur des êtres vivants avant qu’il ait pu finir son gène suicide dans les paramètres qu’il considérait comme acceptables. Le directoire d’Astella estima que Taylor était un emmerdeur trop tatillon et que la Science avait besoin de visionnaires et non pas de pisse-froids.
Oui, vous la sentez arriver la catastrophe, hein ?
Le 17 mai, donc, Astella lança sa campagne et reçut la candidature de plus de trois-cents étudiants de Columbia, de toutes classes sociales, de tout poids et de toutes tailles. On remarqua qu’il avait à peine 18% de femmes dans les potentiels cobayes et pour éviter les problèmes de non-égalité, ces 18% furent acceptés et ont tria davantage pour les hommes afin de n’en garder que 18% supplémentaires. On garda donc 112 étudiants entre 18 et 27 ans et on leur inocula une version soi-disant altérée du W-T qui devait s’éliminer au bout de deux mois. Fort de leur compensation de 1 000 Dollars par semaine pour simplement être présents à trois rendez-vous médicaux durant cette même semaine, les étudiants signèrent, avec plaisir, clause de confidentialité, de non concurrence, interdiction de consommer alcool et drogues, mise en réserve des traitements médicaux, etc…
Le 23 Juin 2017 sonna le premier mois sous W-T et les étudiants se comportaient admirablement. Seule déception de la part d’Astella, mis à part une capacité de nos chers étudiants à ne dormir que deux heures par nuit et à enchainer sans éprouver beaucoup de fatigue leurs heures de cours, leurs activités sportives ou autres activités qui ne regardaient qu’eux, ceux-ci ne semblaient ni plus forts, ni plus intelligents ni plus résilients. Les chercheurs d’Astella se demandèrent s’ils n’avaient pas loupé quelque chose et s’ils avaient lu les notes du Docteur Taylor, ils auraient su quoi. Avant de se mettre dans cette aventure, Taylor avait étudié les métamorphes autant qu’il l’avait pu et avait émis l’hypothèse, devant les pics de présence de dominants ou de soumis dans une zone donnée, que le Virus W s’adaptait à l’environnement et transformait son hôte selon ses besoins. En voyant les étudiants à peine se sentir groggy après une semaine intensive d’examens et de révision de dernière minute, Taylor aurait fait remarquer que W-T se comportait comme son grand frère et donnait à ses hôtes une plus grande résistance à la fatigue.
Malheureusement pour le monde entier, les chercheurs d’Astella étaient des imbéciles avides et peu scrupuleux. Ils injectèrent, sans leur accord, une dose de sang de loup-garou à nos cobayes, histoire de réveiller un peu W-T. Dans les premiers temps, les résultats furent identiques, mis à part un accroissement musculaire très léger chez une frange de la population des cobayes qui étaient adeptes d’un sport. Plutôt déçu, Astella frappa plus fort et rajouta dans ses clauses une interdiction pure et simple de toute médication. Un des cobayes, une étudiante en économie, fut privé de son traitement contre l’asthme et quand elle fit remarquer que ça pouvait être dangereux pour sa vie, Astella lui rétorqua qu’elle était libre de quitter le programme mais qu’elle devrait restituer l’intégralité de ses émoluments. Elle resta. On les priva de sommeil en les appelant à des heures impossibles, on leur interdit toute relation sexuelle, on les mit dans des situations de stress assez léger mais éprouvant quand même. W-T resta identique.
Et puis, lassée de tout ce merdier, Marcellina Torres, une étudiante en chimie organique, décida que ça suffisait et que les cobayes avaient besoin de décompresser un grand coup avant que les cours ne recommencent. Le 16 septembre 2017, elle organisa, avec sa sororité, une fête d’intégration où étaient conviés, entre autres, tous les cobayes et une bonne moitié des amis de ceux-ci.
Le 17 Septembre, les chaines d’information de tout le pays diffusèrent en boucle des morceaux choisis de la soirée afin de montrer l’horreur la plus pure. Des sept cents personnes présentes, il y eu 24 survivants, dont deux cobayes. Pour la faire courte, la fête avait plutôt bien commencée, un peu d’alcool, beaucoup de musique, encore plus d’hormones en cru. On ignore quel a été l’élément déclencheur mais une bagarre entre deux étudiants dégénéra en bataille ouverte entre les Cobayes qui avaient décidé de tuer et/ou de violer tout le monde et les autres étudiants qui avaient juste essayé de s’enfuir.
Résultat des courses : 724 morts en l’espace de 5 heures et 2 survivants. Et 12 disparus.
Les deux survivants étaient des cobayes et on les avait récupérés prostrés dans un coin. Par « on », j’entends le Sicarius. Pourquoi nous ? Parce que les secours ont entendu de la part des quelques personnes qui ont commencé à appeler que des loups garous complètement furieux faisaient un massacre. Malheureusement, nous avons été prévenus très tard, merci la Police de New York, et nous sommes arrivés le lendemain matin pour voir le carnage.
Vous savez le pire ? On s’est fait huer. Je me suis même pris un truc dans la tête et je crois que c’était une cannette de bière par une mère qui hurlait que les loups avaient pris sa fille. Normalement, n’importe qui aurait pété les plombs ou se serait recroquevillé sous l’insulte. J’ai préféré avancer comme un prince et ignorer superbement la foule. Etrangement, ça a calmé tout le monde… Mais en toute honnêteté, je me suis juste contenté de retenir Hunt qui aurait bien voulu bouffer tout le monde.
A ce moment, nous n’avions pas la moindre idée de ce qui avait causé ce massacre et j’essayais de repasser dans ma tête tous les rapports sur des métamorphes violents mais aucun n’aurait pu être l’origine d’un tel carnage. Même tous ensemble, ils n’auraient pas pu provoquer autant de morts en si peu de temps. En fait, la seule créature qui en aurait été capable en moins d’une nuit, c’était la Bête. Et la Bête, c’était moi. Même si je n’avais eu aucun souvenir de la nuit en question, je suis sûr que le reste de la Meute m’aurait empêché de faire de vraies conneries. De plus, les odeurs étaient perturbantes parce que je ne sentais aucun loup, ni même aucun animal qui était affilié aux métamorphes et je ne comprenais pas pourquoi.
D’un geste de la main, j’ai indiqué à Simon et à Yuna, ainsi qu’aux trois métamorphes de la Traque qui nous accompagnaient, deux félins et un autre loup, de commencer à faire une topographie olfactive de la zone mais ils revinrent tous vers moi avec une mine désolée et confuse. J’aurais préféré que ce soit moi qui aie eu un défaut de truffe à ce moment-là plutôt que la vérité mais nous n’en n’étions pas encore là… Quand on m’amena devant l’un des deux survivants qui était prostré sous une table et tenu en joue par une dizaine de policiers, j’ai compris où était le problème. Même si le survivant n’avait pas été l’un des cobayes, j’aurais été très surpris par le fait qu’il était couvert de morsures et de griffures en cours de cicatrisation et que malgré ces preuves d’attaques animales, il n’y avait pas la moindre odeur de l’animal en question. Comme le jeune homme se régénérait, il était évident que c’était lui le métamorphe et j’ai tenté de faire usage de mes pouvoirs de Cœur de Meute sur lui pour le calmer et l’amener à me raconter ce qu’il s’était passé. Normalement, depuis que j’étais devenu la Bête, ces pouvoirs étaient devenus encore plus forts si bien que je n’avais plus à toucher les autres métamorphes pour les calmer. Mais cette fois-ci, ça n’a pas suffi, pas plus que le fait que je m’approche suffisamment pour lui toucher le genou alors qu’il tentait de se rencogner le plus loin possible de moi.
Mais rien. En règle générale, je laissais Hunt discuter avec son homologue, surtout qu’il était évident que la dissociation n’avait pas pu se résoudre aussi vite. Un loup associé est calme ou, tout du moins, il ne regarde pas tout le monde comme une menace mortelle potentielle. Hunt était aussi perdu que moi parce qu’il ne pouvait se raccrocher à rien : Il n’y avait pas de loup dans cet homme et en fait, il n’y avait eu aucun loup cette nuit.
Astella avait compris que ce merdier allait lui retomber dessus et commençait son travail de camouflage et de déplacement de la culpabilité. Le lendemain, le Lundi 18 Septembre 2017, le Docteur James Alexander Taylor se prit une balle dans la tête.