Chapitre 11: Champagne et Envies de meurtre.
Il y a une chose qui me permettait de trouver la soirée à peu prés supportable, c’était la musique. A chaque fois qu’un invité me parlait de quelque chose qui ne m’intéressait absolument pas, je tournais le regard vers le groupe de Jazz qui jouait en sourdine et qui, de temps en temps, s’éclatait à briser les codes de la soirée et à improviser un bœuf particulièrement génial. Vu que je n’aimais pas le Jazz, c’était, j’en suis sur, une très grande performance de leur part. Comme je ne devais pas rester avec ma cour pour ne pas décourager la sociabilisation auprès de moi, je m’ennuyais comme un rat mort. Chacun des invités des sorcières pensait pouvoir se faire une réputation en essayant de m’en mettre plein la vue. Dans mon théâtre intérieur, je les étranglais avant de balancer leurs tripes à Allegro qui s’en faisait des écharpes.
De l’autre coté de la salle, Simon et Dom étaient immobiles comme des statues, à faire partie de la sécurité comme il se doit. Allegro jouait les jolis imbéciles et charmait tout le monde par une fausse candeur. Quant à Ash, il n’était pas venu à la fête puisqu’il chassait. Je l’enviais tellement…
Un homme essayait de me tuer en me noyant sous son bla-bla insupportable :
- Évidemment, Katrina a porté un rude coup à l’économie de la région mais avec un peu de talent et beaucoup de culot, j’ai réussi à me maintenir à flot et même à faire des bénéfices…
Je commençais à prier pour qu’on me tue et qu’on me délivre de ce verbiage. Ou qu’on le tue, lui. Ou que le qui servait de lieu pour la réception s’écroule sur nous. N’importe quoi…
- Allons, Monsieur Barnett, vous n’allez pas monopoliser notre invité spécial toute la soirée ?
Je levais mentalement les yeux et remerciait Dieu pour sa bonté envers moi.
- Oh, il est tellement rare de pouvoir discuter avec un maitre vampire que j’en profite un peu. Répondit le dénommé Barnett à une charmante jeune fille blonde.
- Soyez un peu gentil et laissez-moi en profiter aussi de ce charmant monsieur. Susurra-t-elle avec un soupçon de magie.
Barnett se leva et me dit bonsoir avant d’aller ennuyer quelqu’un d’autre tandis que ma sauveuse s’installa à sa place et pris la coupe de champagne pour la porter à ses lèvres.
- Je croyais qu’utiliser la magie pour contraindre quelqu’un était interdit.
- Vous ne me remerciez pas ?
Mon remerciement prendra la forme de mon silence aux autorités.
- Que puis-je pour vous, Mademoiselle… ?
- Jones. Cassy Jones Laveau. J’avais juste envie de discuter avec un vrai vampire… Vous savez que depuis la fondation de la Ville, aucun vampire n’a eu l’idée de la prendre… Sauf vous.
- J’ai vu, j’ai voulu, j’ai pris. Laveau… Seriez-vous une descendante de Marie ?
- Comme tant d’autres, ici. Je ne suis ni unique ni remarquable.
- Et pourtant, vous êtes venue me voir.
- La curiosité. Vous êtes le principal sujet de conversation du Cercle depuis votre arrivée et je me demandais ce qui inquiétait tant mes sœurs.
Je reposais ma propre coupe de champagne à laquelle je n’avais pas touché. Mon odorat de loup m’empêchait de boire le moindre truc à bulles puisque ça me piquait le nez atrocement.
- L’émergence d’un nouveau pouvoir, je suppose. La nouveauté a toujours un coté effrayant.
- Pour les vampires, peut-être. Vous ne ressemblez pas vraiment au cliché du vampire.
- Mince… Moi qui pensais avoir fait des efforts dans ce sens.
Elle eut un petit rire charmant qui la rendit particulièrement attractive. Je décidais de la regarder un peu mieux et vis qu’on l’avait magnifiquement apprêtée pour un vampire, du moins, pour l’idée qu’on en avait. Une robe bustier qui restait malgré tout assez sage, pas de boucles d’oreille ou de collier afin que le cou soit en total libre accès, les cheveux relevés en chignon serré et quelques perles glissées entre les mèches. La robe était rouge pour qu’on ne puisse pas voir le sang couler et son maquillage soulignait délicatement les veines bleues de son teint de porcelaine.
- Mon dieu… Elles vous ont envoyée à moi… Je ne pensais pas que ce serait aussi rapide. Qu’aviez-vous ordre de faire ?
Elle se frotta le cou avec la main droite et je souris devant son petit air gêné.
- Vous donner mon sang dans un premier temps. Vous séduire ou vous contrôler si je le pouvais.
- Merci de votre franchise.
- Dés le moment où vous m’aviez grillée, je ne pouvais pas continuer à faire semblant.
- Vous avez quel âge ?
- Dix sept ans.
- Trop jeune pour moi.
Elle glissa un regard vers Allegro qui avait réussi à subjuguer deux femmes et un homme pour leur faire faire tout et n’importe quoi.
- Vous savez que ce n’est qu’une apparence. Il pourrait être votre grand-père.
- Dois-je signifier à mon cercle que j’ai échoué ?
- Quelle sera votre punition ?
- Je l’ignore.
- Alors considérez que vous me devez un service.
Elle écarquilla les yeux puis se mit à sourire.
- Allez-vous boire mon sang ?
- Non, vous n’êtes pas mon type. Allons danser, je ne supporterais pas une seconde de plus de devoir écouter un autre industriel me vanter ses qualités…
Je lui pris sa coupe des mains et la posait sur la table, puis je levais la demoiselle pour une valse que le groupe de Jazz improvisait avec une certaine maestria. Je profitais de ce moment pour regarder la foule qui évoluait autour de nous. Annabelle Moreau n’avait pas encore daigné apparaitre à cette soirée, sans doute parce qu’elle n’était pas à l’origine de mon invitation ni même de la fête. Elle devait se préparer à une entrée flamboyante pour éclipser la mienne, ce qui était une grosse erreur si elle voulait mon soutien. Lors d’un passage encore plus calme, Cassy se colla à moi dans une danse plus sensuelle et nous faisions sensation. Je me penchais sur elle pour lui murmurer à l’oreille :
- Je suppose que c’est une façon de leur montrer que vous êtes au mieux dans mes grâces ?
- Exactement. J’en fais trop ?
- Un peu. Mais elles s’en contenteront aisément vu ce qu’elles pensent de moi…
- Vous lisez dans les pensées ?
- Pas vous ?
Elle me regarda avec de grands yeux et son visage se teinta de confusion. C’était adorable… Pas besoin de véritablement lire ses pensées pour savoir qu’elle avait accepté sa mission dés qu’elle m’avait vu en photo et qu’elle m’avait déjà déshabillé en pensée un bon nombre de fois. Je savais ce que je provoquais chez les gens qui me regardaient, encore plus depuis que d’autres personnes s’occupaient de m’habiller. A croire que mes stylistes faisaient exprès dans le style « Vous voulez arracher ses vêtements à cet homme et tout de suite avant de lui faire sauvagement l’amour».
- Du calme, Petite Fille… J’ai l’habitude.
- Je… Ne voulais pas être inconvenante.
Je fis exprès de dévoiler mes crocs quand je me suis mis à rire. Toute cette comédie m’épuisait… J’avais passé des années à cacher, ou au moins à atténuer, ma nature et j’étais maintenant obligé de forcer un peu le trait. C’était un peu déprimant vu tous les efforts faits auparavant.
- Inconvenante, non… Vos fantasmes sont encore assez légers. Et j’adore le sang qui colore vos joues.
Avant que j’ai pu faire en sorte de la faire rougir des pieds au sommet du crâne, la foule autour de nous changea de cible et regarda vers l’entrée ou apparurent Moreau et un homme assez grand à côté d’elle. Je l’ai détesté d’emblée et Louveteau s’était tapi dans mon crâne, prêt à bondir. Il aurait pu être bel homme s’il n’y avait pas cette lueur de folie dans son regard brun et qu’il ne faisait pas exprès de démontrer sa puissance, pas très subtilement pour quelqu’un comme moi ou mes loups qui pouvions sentir la dominance à des kilomètres. Un coup d’œil à mes servants métamorphes et je vis qu’ils étaient tous deux sur le qui-vive et qu’il ne leur faudrait qu’une toute petite étincelle pour déclencher un carnage. Vu ma nature, je sentais la dominance mais elle ne m’affectait pas. Simon et Dom devaient quant à eux nager dans une piscine remplie de glaçons et espérer ne pas péter les plombs. D’un simple geste de la main, je leur intimais de ne pas s’approcher. C’était déjà assez dur pour eux d’être dans la même pièce sans en rajouter en faisant cohabiter trois loups dominants dans un espace restreint.
Moreau s’approcha avec un grand sourire, au bras de son cavalier loup-garou et une envie manifeste de me mettre mal à l’aise avec un être aussi puissant que moi, voire plus. Elle ignorait que son Alpha des marais ne provoquait en moins ni gêne ni peur, tout au plus une bonne dose de mépris. Elle me tendit la main pour que je lui fasse le baisemain mais je la retournais pour la serrer simplement. Devant un Alpha, il ne fallait jamais plier l’échine, surtout quand celui-ci venait de sentir que quelque chose n’allait pas chez moi, qu’en dessous de mon parfum de cendres, il y avait l’odeur rassurante d’un Cœur de Meute. La confusion se lisait dans ses yeux puisqu’il se demandait si j’avais bouffé un loup-garou ou autre chose. J’ai volontairement laissé planer le doute avec un sourire qui dévoilait mes crocs de vampire. Voilà, mes agneaux, comment on déstabilise un adversaire : on ne lui apporte aucune réponse.
Nom de Dieu, je commence à réfléchir comme Victor… Achevez-moi tout de suite.
Après quelques mots à Annabelle Moreau et avoir serré la pauvre Cassy contre moi pour la protéger, je regardais enfin l’Alpha concurrent dans les yeux. J’avais un peur que Louveteau n’ait une crise de panique en voyant le fils de la Bête, notre frère en somme, d’aussi près mais, en fait, il se contentait d’un mépris assez violent. Si Maman le terrifiait au-delà du concevable, celui-ci n’avait pas le mérite d’être effrayant pour lui et même pire puisqu’il n’avait pas gardé sa santé mentale. Et oui… Toutes les haines et les préjugés dont j’ai été affligé durant toutes ces années avec mon loup intérieur me viennent de mon Louveteau qui était parfaitement conscient de sa supériorité. Et qui l’affiche sans honte, en plus. Mais déjà, mon ennemi avait résolu son paradoxe :
- Frère.
C’était intelligent, venant de sa part. C’était admettre ma nature sans la trahir, c’était reconnaitre le lien qui nous unissait sans qu’on sache lequel exactement ; « Frère » voulant dire tellement de choses…
- Frère, ais-je répondu en accentuant mon sourire. Je ne pensais pas te voir au milieu de ces mondanités.
- C’est plutôt ton domaine, en effet. Mais Annabelle m’avait assuré que je trouverais ici une surprise.
- Et me voici. Surpris ?
- Au-delà de ce que j’espérais.
Quelque chose m’inquiétait, malgré tout. La surprise passée, j’avais pensé qu’il aurait plutôt peur ou qu’il serait en colère mais en fait, il paraissait intéressé par ma personne. Et le Fenris qui avait parfois du mal à croire que le pragmatisme des Alphas l’emporterait sur leur méfiance… J’ai préféré esquiver :
- Alors, soyons de bons voisins.
On le bouffe ?
Ah, mon Louveteau et sa subtilité…
Le reste de la soirée a été atroce, dans le sens où après la venue de Mark Manahan et surtout son départ, j’ai rongé mon frein. Plus que jamais, je voulais me changer en loup et courir. Ou même déchiqueter quelque chose… Il parait que le crocodile n’est pas si mauvais que ça… Mais je devais rester dans ce théâtre à sourire comme un imbécile et à écouter la longue, trop longue, litanie des compliments venant des plus gros faux-culs de Louisiane.
J’ai glissé à l’oreille d’Allegro que si tout le monde gardait sa tête avant la fin de la soirée, ce serait un putain de miracle. Ce à quoi il m’a répondu qu’il serait absolument ravi de s’en charger, et Simon m’a fait comprendre par un geste qu’il était, lui aussi sur le point de se mettre à éparpiller les membres de personnes aléatoirement choisies dans l’assistance. Nous sommes partis avec panache après avoir superbement ignoré Moreau et ses questions sur mes liens fraternels avec l’Alpha du Bayou.
Je me suis réfugié dans ma chambre pour essayer de me calmer mais mis à part à sauter et rebondir sur mon matelas ou faire les cent pas, je n’arrivais à rien. C’est à ce moment que j’ai pris l’une des décisions qui me coutaient le plus : J’ai appelé Victor.
Est-ce que vous savez à quel point c’est humiliant pour moi ? Non, vous ne pouvez pas le savoir. Malgré le fait que je l’aime, et je vous prie de me croire que je me retiens de vomir en disant ça, je n’arrive pas à rester à coté de lui sans avoir envie de lui faire du mal. Comme lui ne peut pas rester à coté de moi sans avoir envie de m’humilier. C’est viscéral et Clara, qui se charge d’être notre intermédiaire, ne comprend pas un seul instant comment nous ne pouvons pas dépasser ces petits problèmes puisque quand nous n’étions pas dans la même pièce, tout allait assez bien.
- Salut, Papa.
- Ça va si mal que ça ?
- Et me dire bonjour, ça t’écorcherait la gueule ?
Vous voyez ce que je veux dire ? Quoiqu’il en soit, je l’ai entendu éclater de rire et je l’ai laissé épuiser son hilarité pour attendre qu’il reprenne.
- Finalement, ça ne va pas si mal que ça. Je suppose que tu t’ennuies ?
- Comme un rat mort. Mais c’est loin d’être le seul problème.
- Pour ton ennui, va chasser un peu, ça te calmera.
- En tant que Maitre de la Ville, je ne suis pas censé me promener sans une escorte.
- Oui… A ce propos… Je t’offre New York et tu te proclames Maitre de la Nouvelle-Orléans. Je dois dire que je suis un peu déçu.
- Oh, ça va…
- Je pensais t’avoir fait un beau cadeau et tu l’as rejeté aussi facilement… Pour la Nouvelle-Orléans. J’ai toujours détesté cette ville.
- Tu sais très bien que c’est du flan…
- Je sais, je sais… Menorath m’en rabat les oreilles depuis des jours… Tu es sur son territoire, tu le sais, ça ?
Je suis resté silencieux un petit moment. Évidement que je savais que Menorath avait le continent américain sous sa coupe mais j’ignorais que mon petit jeu de rôles l’avait énervé… Et je me demandais si ma présence à New York le rendait furieux.
- Et tu m’as donné New York… ?
- New York a toujours été à moi, il n’avait rien à y redire. Mais la Nouvelle-Orléans… C’était SA ville restreinte. J’ai réussi à le calmer, sans doute parce qu’Atra m’a soutenu mais il ne faudrait pas que la supercherie dure trop longtemps.
- Elle durera aussi longtemps que nécessaire pour que la Bête aille voir ses abominations qui s’appellent ses fils. Et c’est quoi cette histoire de ville restreinte ?
- Chaque Grand a une ville qu’il a construite et aimée plus que tout autre. Les Oracles avaient pour ordre de signifier que ces villes ne devaient être prises par aucun maître. Certains Oracles ont prétendu que c’était pour maintenir des pôles de bétail au cas où… C’est malheureusement beaucoup plus simple : Personne ne doit prendre nos jouets. Je vais essayer de faire comprendre à Menorath que sa précieuse Nouvelle- Orléans lui sera rendue en bon état.
- Et peut-être même débarrassée de certains de ses parasites.
- Je suppose que tu ne parles pas uniquement des boules de poil.
- Non, certaines sorcières me hérissent le poil.
- Tue-les.
J’ai soupiré avant de me laisser tomber sur le lit. C’était une très mauvaise idée puisque j’ai disparu dans la couette, sauf mes bottes.
- Est-ce que tu règles tout par la violence ?
- Bien sur que non mais il va bien falloir que tu te mettes à penser comme un Maitre. Les Maitres tuent leurs ennemis et se font craindre de la populace. Pour l’instant, ils ne te craignent pas encore. Bon Dieu, Vincent… Tu as Allegro et le Firenze avec toi, utilises-les… Sans oublier tes deux loups qui doivent aussi pouvoir faire du bon boulot.
- Mais…
- La moralité ne te sauvera pas et tu le sais. Tu as voulu faire de la politique, et bien voilà à quoi nous jouons : A celui qui bouffera l’autre en premier. Je détesterais que ce soit toi. Et pour ton ennui, sors. Va dehors, chasse, amuses-toi avec les noctambules de ta cité et surtout… surtout ne rumines pas ! Tu deviens extrêmement mauvais quand tu rumines.
Nous avons laissé tous les deux le silence s’installer pendant de longues minutes. J’entendais le tic-tac d’une horloge que j’avais déjà vu au Bagis et je savais que Victor se laissait bercer par ma respiration. Voilà les moments où nous nous entendions parfaitement, quand nous ne disions rien. J’ai toujours aimé ces moments de silence entre nous car ce sont les seuls moments où il ne me ment pas et n’essaye pas de me manipuler. Ce sont aussi les seuls moments où je n’ai pas envie de l’égorger ou de lui arracher un bras.
Et… oui, je sais ce que vous allez dire.
C’est une relation totalement perverse. Et je vous emmerde.
De l’autre coté de la salle, Simon et Dom étaient immobiles comme des statues, à faire partie de la sécurité comme il se doit. Allegro jouait les jolis imbéciles et charmait tout le monde par une fausse candeur. Quant à Ash, il n’était pas venu à la fête puisqu’il chassait. Je l’enviais tellement…
Un homme essayait de me tuer en me noyant sous son bla-bla insupportable :
- Évidemment, Katrina a porté un rude coup à l’économie de la région mais avec un peu de talent et beaucoup de culot, j’ai réussi à me maintenir à flot et même à faire des bénéfices…
Je commençais à prier pour qu’on me tue et qu’on me délivre de ce verbiage. Ou qu’on le tue, lui. Ou que le qui servait de lieu pour la réception s’écroule sur nous. N’importe quoi…
- Allons, Monsieur Barnett, vous n’allez pas monopoliser notre invité spécial toute la soirée ?
Je levais mentalement les yeux et remerciait Dieu pour sa bonté envers moi.
- Oh, il est tellement rare de pouvoir discuter avec un maitre vampire que j’en profite un peu. Répondit le dénommé Barnett à une charmante jeune fille blonde.
- Soyez un peu gentil et laissez-moi en profiter aussi de ce charmant monsieur. Susurra-t-elle avec un soupçon de magie.
Barnett se leva et me dit bonsoir avant d’aller ennuyer quelqu’un d’autre tandis que ma sauveuse s’installa à sa place et pris la coupe de champagne pour la porter à ses lèvres.
- Je croyais qu’utiliser la magie pour contraindre quelqu’un était interdit.
- Vous ne me remerciez pas ?
Mon remerciement prendra la forme de mon silence aux autorités.
- Que puis-je pour vous, Mademoiselle… ?
- Jones. Cassy Jones Laveau. J’avais juste envie de discuter avec un vrai vampire… Vous savez que depuis la fondation de la Ville, aucun vampire n’a eu l’idée de la prendre… Sauf vous.
- J’ai vu, j’ai voulu, j’ai pris. Laveau… Seriez-vous une descendante de Marie ?
- Comme tant d’autres, ici. Je ne suis ni unique ni remarquable.
- Et pourtant, vous êtes venue me voir.
- La curiosité. Vous êtes le principal sujet de conversation du Cercle depuis votre arrivée et je me demandais ce qui inquiétait tant mes sœurs.
Je reposais ma propre coupe de champagne à laquelle je n’avais pas touché. Mon odorat de loup m’empêchait de boire le moindre truc à bulles puisque ça me piquait le nez atrocement.
- L’émergence d’un nouveau pouvoir, je suppose. La nouveauté a toujours un coté effrayant.
- Pour les vampires, peut-être. Vous ne ressemblez pas vraiment au cliché du vampire.
- Mince… Moi qui pensais avoir fait des efforts dans ce sens.
Elle eut un petit rire charmant qui la rendit particulièrement attractive. Je décidais de la regarder un peu mieux et vis qu’on l’avait magnifiquement apprêtée pour un vampire, du moins, pour l’idée qu’on en avait. Une robe bustier qui restait malgré tout assez sage, pas de boucles d’oreille ou de collier afin que le cou soit en total libre accès, les cheveux relevés en chignon serré et quelques perles glissées entre les mèches. La robe était rouge pour qu’on ne puisse pas voir le sang couler et son maquillage soulignait délicatement les veines bleues de son teint de porcelaine.
- Mon dieu… Elles vous ont envoyée à moi… Je ne pensais pas que ce serait aussi rapide. Qu’aviez-vous ordre de faire ?
Elle se frotta le cou avec la main droite et je souris devant son petit air gêné.
- Vous donner mon sang dans un premier temps. Vous séduire ou vous contrôler si je le pouvais.
- Merci de votre franchise.
- Dés le moment où vous m’aviez grillée, je ne pouvais pas continuer à faire semblant.
- Vous avez quel âge ?
- Dix sept ans.
- Trop jeune pour moi.
Elle glissa un regard vers Allegro qui avait réussi à subjuguer deux femmes et un homme pour leur faire faire tout et n’importe quoi.
- Vous savez que ce n’est qu’une apparence. Il pourrait être votre grand-père.
- Dois-je signifier à mon cercle que j’ai échoué ?
- Quelle sera votre punition ?
- Je l’ignore.
- Alors considérez que vous me devez un service.
Elle écarquilla les yeux puis se mit à sourire.
- Allez-vous boire mon sang ?
- Non, vous n’êtes pas mon type. Allons danser, je ne supporterais pas une seconde de plus de devoir écouter un autre industriel me vanter ses qualités…
Je lui pris sa coupe des mains et la posait sur la table, puis je levais la demoiselle pour une valse que le groupe de Jazz improvisait avec une certaine maestria. Je profitais de ce moment pour regarder la foule qui évoluait autour de nous. Annabelle Moreau n’avait pas encore daigné apparaitre à cette soirée, sans doute parce qu’elle n’était pas à l’origine de mon invitation ni même de la fête. Elle devait se préparer à une entrée flamboyante pour éclipser la mienne, ce qui était une grosse erreur si elle voulait mon soutien. Lors d’un passage encore plus calme, Cassy se colla à moi dans une danse plus sensuelle et nous faisions sensation. Je me penchais sur elle pour lui murmurer à l’oreille :
- Je suppose que c’est une façon de leur montrer que vous êtes au mieux dans mes grâces ?
- Exactement. J’en fais trop ?
- Un peu. Mais elles s’en contenteront aisément vu ce qu’elles pensent de moi…
- Vous lisez dans les pensées ?
- Pas vous ?
Elle me regarda avec de grands yeux et son visage se teinta de confusion. C’était adorable… Pas besoin de véritablement lire ses pensées pour savoir qu’elle avait accepté sa mission dés qu’elle m’avait vu en photo et qu’elle m’avait déjà déshabillé en pensée un bon nombre de fois. Je savais ce que je provoquais chez les gens qui me regardaient, encore plus depuis que d’autres personnes s’occupaient de m’habiller. A croire que mes stylistes faisaient exprès dans le style « Vous voulez arracher ses vêtements à cet homme et tout de suite avant de lui faire sauvagement l’amour».
- Du calme, Petite Fille… J’ai l’habitude.
- Je… Ne voulais pas être inconvenante.
Je fis exprès de dévoiler mes crocs quand je me suis mis à rire. Toute cette comédie m’épuisait… J’avais passé des années à cacher, ou au moins à atténuer, ma nature et j’étais maintenant obligé de forcer un peu le trait. C’était un peu déprimant vu tous les efforts faits auparavant.
- Inconvenante, non… Vos fantasmes sont encore assez légers. Et j’adore le sang qui colore vos joues.
Avant que j’ai pu faire en sorte de la faire rougir des pieds au sommet du crâne, la foule autour de nous changea de cible et regarda vers l’entrée ou apparurent Moreau et un homme assez grand à côté d’elle. Je l’ai détesté d’emblée et Louveteau s’était tapi dans mon crâne, prêt à bondir. Il aurait pu être bel homme s’il n’y avait pas cette lueur de folie dans son regard brun et qu’il ne faisait pas exprès de démontrer sa puissance, pas très subtilement pour quelqu’un comme moi ou mes loups qui pouvions sentir la dominance à des kilomètres. Un coup d’œil à mes servants métamorphes et je vis qu’ils étaient tous deux sur le qui-vive et qu’il ne leur faudrait qu’une toute petite étincelle pour déclencher un carnage. Vu ma nature, je sentais la dominance mais elle ne m’affectait pas. Simon et Dom devaient quant à eux nager dans une piscine remplie de glaçons et espérer ne pas péter les plombs. D’un simple geste de la main, je leur intimais de ne pas s’approcher. C’était déjà assez dur pour eux d’être dans la même pièce sans en rajouter en faisant cohabiter trois loups dominants dans un espace restreint.
Moreau s’approcha avec un grand sourire, au bras de son cavalier loup-garou et une envie manifeste de me mettre mal à l’aise avec un être aussi puissant que moi, voire plus. Elle ignorait que son Alpha des marais ne provoquait en moins ni gêne ni peur, tout au plus une bonne dose de mépris. Elle me tendit la main pour que je lui fasse le baisemain mais je la retournais pour la serrer simplement. Devant un Alpha, il ne fallait jamais plier l’échine, surtout quand celui-ci venait de sentir que quelque chose n’allait pas chez moi, qu’en dessous de mon parfum de cendres, il y avait l’odeur rassurante d’un Cœur de Meute. La confusion se lisait dans ses yeux puisqu’il se demandait si j’avais bouffé un loup-garou ou autre chose. J’ai volontairement laissé planer le doute avec un sourire qui dévoilait mes crocs de vampire. Voilà, mes agneaux, comment on déstabilise un adversaire : on ne lui apporte aucune réponse.
Nom de Dieu, je commence à réfléchir comme Victor… Achevez-moi tout de suite.
Après quelques mots à Annabelle Moreau et avoir serré la pauvre Cassy contre moi pour la protéger, je regardais enfin l’Alpha concurrent dans les yeux. J’avais un peur que Louveteau n’ait une crise de panique en voyant le fils de la Bête, notre frère en somme, d’aussi près mais, en fait, il se contentait d’un mépris assez violent. Si Maman le terrifiait au-delà du concevable, celui-ci n’avait pas le mérite d’être effrayant pour lui et même pire puisqu’il n’avait pas gardé sa santé mentale. Et oui… Toutes les haines et les préjugés dont j’ai été affligé durant toutes ces années avec mon loup intérieur me viennent de mon Louveteau qui était parfaitement conscient de sa supériorité. Et qui l’affiche sans honte, en plus. Mais déjà, mon ennemi avait résolu son paradoxe :
- Frère.
C’était intelligent, venant de sa part. C’était admettre ma nature sans la trahir, c’était reconnaitre le lien qui nous unissait sans qu’on sache lequel exactement ; « Frère » voulant dire tellement de choses…
- Frère, ais-je répondu en accentuant mon sourire. Je ne pensais pas te voir au milieu de ces mondanités.
- C’est plutôt ton domaine, en effet. Mais Annabelle m’avait assuré que je trouverais ici une surprise.
- Et me voici. Surpris ?
- Au-delà de ce que j’espérais.
Quelque chose m’inquiétait, malgré tout. La surprise passée, j’avais pensé qu’il aurait plutôt peur ou qu’il serait en colère mais en fait, il paraissait intéressé par ma personne. Et le Fenris qui avait parfois du mal à croire que le pragmatisme des Alphas l’emporterait sur leur méfiance… J’ai préféré esquiver :
- Alors, soyons de bons voisins.
On le bouffe ?
Ah, mon Louveteau et sa subtilité…
Le reste de la soirée a été atroce, dans le sens où après la venue de Mark Manahan et surtout son départ, j’ai rongé mon frein. Plus que jamais, je voulais me changer en loup et courir. Ou même déchiqueter quelque chose… Il parait que le crocodile n’est pas si mauvais que ça… Mais je devais rester dans ce théâtre à sourire comme un imbécile et à écouter la longue, trop longue, litanie des compliments venant des plus gros faux-culs de Louisiane.
J’ai glissé à l’oreille d’Allegro que si tout le monde gardait sa tête avant la fin de la soirée, ce serait un putain de miracle. Ce à quoi il m’a répondu qu’il serait absolument ravi de s’en charger, et Simon m’a fait comprendre par un geste qu’il était, lui aussi sur le point de se mettre à éparpiller les membres de personnes aléatoirement choisies dans l’assistance. Nous sommes partis avec panache après avoir superbement ignoré Moreau et ses questions sur mes liens fraternels avec l’Alpha du Bayou.
Je me suis réfugié dans ma chambre pour essayer de me calmer mais mis à part à sauter et rebondir sur mon matelas ou faire les cent pas, je n’arrivais à rien. C’est à ce moment que j’ai pris l’une des décisions qui me coutaient le plus : J’ai appelé Victor.
Est-ce que vous savez à quel point c’est humiliant pour moi ? Non, vous ne pouvez pas le savoir. Malgré le fait que je l’aime, et je vous prie de me croire que je me retiens de vomir en disant ça, je n’arrive pas à rester à coté de lui sans avoir envie de lui faire du mal. Comme lui ne peut pas rester à coté de moi sans avoir envie de m’humilier. C’est viscéral et Clara, qui se charge d’être notre intermédiaire, ne comprend pas un seul instant comment nous ne pouvons pas dépasser ces petits problèmes puisque quand nous n’étions pas dans la même pièce, tout allait assez bien.
- Salut, Papa.
- Ça va si mal que ça ?
- Et me dire bonjour, ça t’écorcherait la gueule ?
Vous voyez ce que je veux dire ? Quoiqu’il en soit, je l’ai entendu éclater de rire et je l’ai laissé épuiser son hilarité pour attendre qu’il reprenne.
- Finalement, ça ne va pas si mal que ça. Je suppose que tu t’ennuies ?
- Comme un rat mort. Mais c’est loin d’être le seul problème.
- Pour ton ennui, va chasser un peu, ça te calmera.
- En tant que Maitre de la Ville, je ne suis pas censé me promener sans une escorte.
- Oui… A ce propos… Je t’offre New York et tu te proclames Maitre de la Nouvelle-Orléans. Je dois dire que je suis un peu déçu.
- Oh, ça va…
- Je pensais t’avoir fait un beau cadeau et tu l’as rejeté aussi facilement… Pour la Nouvelle-Orléans. J’ai toujours détesté cette ville.
- Tu sais très bien que c’est du flan…
- Je sais, je sais… Menorath m’en rabat les oreilles depuis des jours… Tu es sur son territoire, tu le sais, ça ?
Je suis resté silencieux un petit moment. Évidement que je savais que Menorath avait le continent américain sous sa coupe mais j’ignorais que mon petit jeu de rôles l’avait énervé… Et je me demandais si ma présence à New York le rendait furieux.
- Et tu m’as donné New York… ?
- New York a toujours été à moi, il n’avait rien à y redire. Mais la Nouvelle-Orléans… C’était SA ville restreinte. J’ai réussi à le calmer, sans doute parce qu’Atra m’a soutenu mais il ne faudrait pas que la supercherie dure trop longtemps.
- Elle durera aussi longtemps que nécessaire pour que la Bête aille voir ses abominations qui s’appellent ses fils. Et c’est quoi cette histoire de ville restreinte ?
- Chaque Grand a une ville qu’il a construite et aimée plus que tout autre. Les Oracles avaient pour ordre de signifier que ces villes ne devaient être prises par aucun maître. Certains Oracles ont prétendu que c’était pour maintenir des pôles de bétail au cas où… C’est malheureusement beaucoup plus simple : Personne ne doit prendre nos jouets. Je vais essayer de faire comprendre à Menorath que sa précieuse Nouvelle- Orléans lui sera rendue en bon état.
- Et peut-être même débarrassée de certains de ses parasites.
- Je suppose que tu ne parles pas uniquement des boules de poil.
- Non, certaines sorcières me hérissent le poil.
- Tue-les.
J’ai soupiré avant de me laisser tomber sur le lit. C’était une très mauvaise idée puisque j’ai disparu dans la couette, sauf mes bottes.
- Est-ce que tu règles tout par la violence ?
- Bien sur que non mais il va bien falloir que tu te mettes à penser comme un Maitre. Les Maitres tuent leurs ennemis et se font craindre de la populace. Pour l’instant, ils ne te craignent pas encore. Bon Dieu, Vincent… Tu as Allegro et le Firenze avec toi, utilises-les… Sans oublier tes deux loups qui doivent aussi pouvoir faire du bon boulot.
- Mais…
- La moralité ne te sauvera pas et tu le sais. Tu as voulu faire de la politique, et bien voilà à quoi nous jouons : A celui qui bouffera l’autre en premier. Je détesterais que ce soit toi. Et pour ton ennui, sors. Va dehors, chasse, amuses-toi avec les noctambules de ta cité et surtout… surtout ne rumines pas ! Tu deviens extrêmement mauvais quand tu rumines.
Nous avons laissé tous les deux le silence s’installer pendant de longues minutes. J’entendais le tic-tac d’une horloge que j’avais déjà vu au Bagis et je savais que Victor se laissait bercer par ma respiration. Voilà les moments où nous nous entendions parfaitement, quand nous ne disions rien. J’ai toujours aimé ces moments de silence entre nous car ce sont les seuls moments où il ne me ment pas et n’essaye pas de me manipuler. Ce sont aussi les seuls moments où je n’ai pas envie de l’égorger ou de lui arracher un bras.
Et… oui, je sais ce que vous allez dire.
C’est une relation totalement perverse. Et je vous emmerde.