Chapitre 6
- C’était pas du citron vert… ?
Si, si c’était bien du citron vert qui venait de la citronnade que Dan avait bu tout en travaillant sur la bécane. Mais les mots refusaient de sortir, ce qu’il avait pris pour un jeu, une manière de taquiner le pompier, s’était retourné contre son investigateur. Dan pour la première fois de sa vie comprenait l’expression « the boot’s on the other foot* » .
Il n’arrivait pas à ignorer la sensation de la langue de Tray qui avait méticuleusement fouillé sa cavité buccale et il s’en rendait compte aussi, du peu d’érotisme de la chose. Cela avait été plutôt une fouille, une invasion, sans aucun partage. Il avait rarement subi les décisions des autres et surtout pas lorsque ça concernait une partie de son corps. Et ce baiser… le laissait autant amer qu’avide. Car qu’on se le dise, la sensation des deux grandes mains entourant son visage, de la proximité du corps de l’autre homme, n’avait pas laissé Dan de marbre.
Non, il était debout, estomaqué, mal à l’aise au niveau de son jean et les oreilles écarlates. Sa peau de roux avait tendance à rougir plus vite que la lumière et il détestait ça.
Plusieurs minutes passèrent sans qu’un mot ne soit échangé et il voyait bien son collègue, être de plus en plus gêné. Il ne pouvait comprendre que le cerveau de Dan avait connu l’équivalence d’un « blue screen of death » et qu’il lui fallait du temps pour que la machine redémarre. Si à l’extérieur tout se déroulait lentement, il en était tout autre à l’intérieur. Devait-il se venger de ce baiser indélicat en lui démontrant comment on se servait d’une langue ou bien devait-il lui proposer un verre de cette citronnade qui avait semblé interloquer son palais ou bien…
Le regard de Dan se focalisa sur la bouteille de lait malmenée qui était posée sur sa table basse. Première interrogation : pourquoi avait-il du lait alors qu’il n’en consommait jamais, non pas qu’il soit intolérant au lactose, mais il le digérait mal. Il se souvint qu’il devait s’en servir avec des pêches pour faire un smoothie maison qu’il voulait faire goûter au pompier. Non pas que Tray avait l’habitude d’abuser des sodas, au contraire Dan ne l’avait jamais vu un verre de poison à la main. Mais avant tout, comment avait-il laissé le pompier boire à même la bouteille, bouteille qui était posée sur sa table basse en bois massif sans dessous de verre ! Ils étaient toujours debout, Tray face à lui qui se décomposait de seconde en seconde.
Comprenant que quelque chose était arrivé et que ce n’était pas normal, Tray eut la première réaction de se demander ce qu’il avait fait de mal avant de se dire que ce n’était pas très important et que la retraite stratégique semblait être une bonne idée. Toujours en face de Dan qui regardait la bouteille de lait d’un œil critique, le pompier étudia les possibilités avec la célérité d’un combattant du feu face à un possible retour de flamme. Son blouson était toujours posé sur son sac, lui-même négligemment affalé contre le mur à côté de la porte. D’un simple mouvement du bras, il pouvait espérer se saisir du tout alors qu’il ouvrirait la porte et piquerait le sprint le plus rapide de sa vie. Cependant, il devait attendre le bon moment et commença à bouger lentement, pour ne pas indiquer à l’urgentiste qu’il prenait la fuite.
Dan toujours concentré sur sa bouteille de lait vit presque trop tard les mouvements du blond, plutôt que réfléchir, il laissa la place à ses réflexes. Il rattrapa du bout du bras le jeune homme pour le retenir. Il ouvrit une première fois la bouche, rien ne sortit. Il déglutit puis s’y réessaya, Bingo, il était débuggué.
- Oui du citron vert et un soupçon de gingembre. C’est la recette de ma maman.
Dan ne comprenait pas pourquoi il avait utilisé le terme de maman au lieu de mère, il ne se reconnaissait pas lui même, ce n’était pas dans ses habitudes de perdre contenance. Que diable, il conduisait une moto à 300 km/h sans aucune difficulté, il avait déjà participé à des conférences de presse où il s’était adressé à des centaines de personnes, il gardait son calme dans les situations de crise et il n’arrivait pas à réagir à un baiser qui n’en était même pas un. Même lors de sa première pipe, Dan ne s’était pas senti aussi mal à l’aise. Il fallait qu’il bouge, qu’il agisse et arrête de se comporter comme un gamin. Il avança droit vers la cuisine lâchant le bras de Tray pour attraper un grand verre à jus de fruits et deux dessous de verre à la gloire du championnat de vitesse américain. Retournant au salon, mécaniquement il vida le reste de lait dans le verre et plaça sa propre bière et le verre sur les petits carrés en carton. Il alla jeter la bouteille dans la poubelle à recycler et repartit s’asseoir.
Il inspira profondément.
- Mec, c’était foutrement bizarre là … Et si tu embrasses ainsi, je comprends pourquoi malgré ça, il montra de la main l’ensemble de Tray, tu ne choppes pas.
Alors que son esprit était toujours focalisé sur la porte et qu’il s’était rendu compte que ce passage ne menait non pas à une sortie, mais à un monte-charge, Tray reçut la pique de plein fouet et oublia toute idée de fuite. Comment ça, s’il embrassait ainsi ? Ca voulait dire quoi, ça ? Le pompier n’avait pas cherché à l’embrasser, juste à mettre la langue sur un goût qu’il ne reconnaissait pas.
- Mais, j’embrasse très bien, fit remarquer le blond heurté dans sa fierté.
La moue de Dan fut éloquente. Il n’en croyait pas un mot et se permit même un petit sourire en accompagnant son murmure :
- Permets-moi d’en douter, vu la démonstration…
Si ça n’avait pas été sa fierté qui avait été attaquée sans raison, Tray aurait peut-être pu flairer le piège et ne pas tomber dedans comme un bleu. Mais s’il y avait une chose que le pompier ne supportait pas, après le fait qu’on puisse gâcher de la nourriture, c’est qu’on mette en doute sa capacité à faire chavirer quelqu’un d’un baiser. Merde, quoi ! Il y avait eu suffisamment de lycéennes qui n’avaient demandé que ça ! C’est pour cette raison, laver son honneur, qu’il avança et reprit le visage de l’urgentiste pour lui donner un aperçu de ses compétences.
Dan se retrouva sur ses deux pieds, de nouveau, son visage proche de celui du pompier, avec la rapidité de l’action, Tray n’avait pu voir le sourire de victoire qu’arborait l’urgentiste avant que leurs lèvres se trouvent. Et cette fois-ci, ça lui plaisait, car ce n’était plus un baiser aseptisé, mais bel et bien un choc des titans. Il fut happé par la violence des sentiments que Tray mettait dans ce baiser. Dan n’était qu’un homme et il se rendit compte que quand il s’agissait d’un mec séduisant, il était faible.
Il laissa Tray diriger le baiser quelque temps, mais ça ne dura pas. Son instinct prit le dessus, ses dents ripèrent contre la lèvre inférieure du blond, la mordant légèrement et prenant appui sur ses jambes il poussa Tray, en arrière, jusqu'à que celui-ci finisse le cul sur le fauteuil ou le canapé. Là, maintenant, de suite, il n’en avait strictement rien à foutre.
Profitant de la surprise du pompier, il l’enjamba pour s’installer sur ses cuisses, rapprochant dangereusement son entrejambe douloureux, car à l’étroit, de celui du blond. Une main sur le ventre du pompier, l’autre accroché au niveau du col, il repartit à l’assaut des lèvres rosées d’avoir été mordu. Entamant un ballet variant du plus lentement au plus rapide, sa main libre se faufilant sous le teeshirt de Tray. Il savait au fond de lui, que ce qu’il faisait était mal et que le blond n’était sans doute pas si consentant. Mais son camarade de jeu le coupa dans ses pérégrinations mentales alors qu’il sentit deux grandes mains prendre place sur son cul pour le tirer tout contre son collègue, qui finalement n’était pas si indifférent qu’il aurait pensé, en vue de la protubérance que son entrejambe rencontra. Il ne put retenir un grognement noyé dans le ballet de langues et de dents. Sa main remonta le long du flanc, sous sa paume il pouvait sentir la peau chaude et les muscles d’acier qui constituaient le torse du pompier. Sa main droite quitta le col de Tray pour sa nuque. Il stoppa le baiser pour reprendre son souffle et, partir à la découverte du creux du cou du blond, le goutant des lèvres et des dents. Chose qui ne déplut pas à son partenaire au regard des gémissements qu’il poussait. C’était fini, son cerveau et sa raison n’étaient plus, les bruits partagés par le blond et ses mains qui serait délicieusement son cul avait mis fin à tout doute sur la situation. Sa main continua son exploration, redescendant, suivant les monts et vallons des abdominaux de l’homme face à lui. Il reprit sa bouche tandis que sa main descendait toujours plus bas, curieuse de rencontrer ce qui était à cet instant, le centre de son attention.
C’est à ce moment-là que Dan maudit son four et son envie d’apprendre à manger sainement à Tray. Celui-ci venait de sonner la fin du temps de cuisson des lasagnes. Et il put voir au visage du blond que celui-ci venait de sortir de sa transe, tant ses yeux montraient à quel point il était perdu.
La sonnerie du four retentissait toujours alors que Tray regardait l’urgentiste dans les yeux. Et ça n’allait vraiment pas. C’était un jeu, n’est-ce pas, rien qu’un jeu ? Manifestement pas puisqu’il avait les mains agrippées aux fesses du rouquin… là, ça devenait dangereux et mettait en péril toute sa belle stratégie de simplement rester amis. Et puis… merde, non, ce n’était juste pas possible. Avant que ça ne dérape complètement et que Dan finisse par croire que Tray le draguait alors que c’était juste… un jeu, le pompier saisit la taille de Dan et le souleva pour le poser plus loin, à côté du fauteuil. Quelque part, Tray aurait voulu dire quelque chose, qu’il était désolé, qu’il ne voulait pas lui donner de faux espoirs… Mais rien n’arrivait à dépasser ses lèvres. D’abord, il se leva et réajusta son jean avant de remettre son T-shirt en place. Encore une fois, il essaya de parler et de dire à l’urgentiste combien il était désolé que ça ait dérapé à ce point, mais encore une fois, les mots refusèrent de sortir. Il paniqua et fit la seule chose que son esprit accepta comme situation normale : fuir le lieu du crime et à toute vitesse. Comme prévu, il n’eut qu’à tendre la main pour récupérer ses affaires et remercia le ciel que Dan fut trop choqué pour le poursuivre tandis que le monte-charge descendait.
Le bol de lait tournait sur lui-même dans le micro-ondes, attendant que le liquide ait atteint la bonne température pour recevoir les trois cuillères de miel nécessaires au sommeil. La soirée avait été horrible pour Tray qui regardait la danse du bol avec une fébrilité étonnante pour lui. On l’avait expulsé de sa zone de confort et c’était passablement désagréable. Le bol de lait au miel ? Une façon de revenir aux fondamentaux et de se réfugier dans les moments agréables de son enfance. C’était le minimum nécessaire pour pouvoir réfléchir à la situation.
S’asseyant sur son canapé avec le bol à la main, le pompier pensa qu’il était temps de faire face. S’il avait pu sortir pour courir jusqu’à l’épuisement, il l’aurait fait, mais la garde de demain risquait d’en être pénible, surtout que la confrontation serait épique.
Non… Pas de confrontation. Ce serait mieux pour tout le monde de laisser mourir le problème tout seul. Tray éclusa le bol entier et s’allongea sur le canapé pour le poser au sol. Il avait besoin de dormir. La journée avait été crevante, surtout du point de vue du mental et pour quelqu’un comme lui, les tensions, de quelque nature qu’elles soient, étaient épuisantes. Du bout des doigts, il ramena la couverture qui trainait par terre et l’oreiller qui était dessus. Ce soir, il était impossible qu’il puisse dormir par terre, dans son monticule de coussins, il lui fallait quelque chose qui le protégeait, le canapé serait très bien. S’enroulant dans la couverture et plaçant l’oreiller derrière sa tête, Tray fronça les sourcils en repensant au diner raté.
À quel moment tout avait commencé à vriller ? C’était sans doute parce que depuis trop longtemps, le pompier ne se sociabilisait pas. Enfin, pas de cette manière-là… À force d’entendre les collègues parler de sexe, il avait dû, inconsciemment, développer une forme de frustration, lui qui ne souhaitait pas qu’une femme puisse l’approcher de cette manière. Plus depuis Lina.
Voilà, ce n’était que ça. Son corps réclamait sa dose d’endorphine et il n’avait plus rien fait depuis trop longtemps. Manque de bol, sa frustration était tombée sur Dan, qui n’avait pas dû en demander tant. Surtout après lui avoir assuré qu’il ne tenterait rien à ce niveau.
Tray gémit, les yeux fermés. Il en avait fait une belle et n’avait même pas eu le courage de s’excuser. Il ne l’aurait jamais, de toute façon. Les conflits le terrifiaient quand ça le concernait.
Bon… Il était inutile de se repasser la scène en boucle, rien ne changerait la réalité. Il avait perdu un ami parce qu’il avait été incapable de se contrôler. Fin de l’histoire. Se retournant contre le dossier du canapé, il se prépara à s’endormir et sombra rapidement.
Ses rêves avaient toujours été très simples, peu d’envie, peu de besoins. Sa psyché avait toujours été facile à comprendre. Tu es frustré, petit ? Bien, alors faisons en sorte que tu te sentes mieux. Tray se mit à sourire dans son sommeil quand il sentit son subconscient créer les caresses sur son dos. Le pompier adorait qu’on le touche, qu’on promène les mains sur son corps, doucement, comme si on voulait tester la texture de sa peau. Sa nuque, tout d’abord, puis les épaules, le milieu du dos pour ensuite remonter sur son ventre et ses pectoraux. Un petit rire lui échappa quand les mains lui taquinèrent le cou et qu’il se sentit se cabrer sous la caresse. Il pouvait passer des heures à se faire caresser… dommage qu’il n’y avait personne pour lui rendre ce service, sauf ses pauvres rêves… Et lui –même.
Incapable de résister à un peu de réconfort, il laissa ses propres mains parcourir son ventre jusqu’à son entrejambe. Il poussa un soupir de soulagement quand il rentra en contact avec sa verge, déjà dressée comme pour réclamer son attention. Ce qu’il lui accorda avec plaisir.
Les mains oniriques avaient quitté son ventre pour lui masser les pectoraux tandis qu’un autre rêve mordillait et suçait la peau sensible de son cou. Décidément, son subconscient le connaissait bien, lui et ses petits plaisirs, pour lui accorder ce qui le faisait le plus vibrer.
Au bout de quelques caresses, son rêve s’enhardit jusqu’à lui planter ses doigts dans le muscle des épaules et à le morde à la jointure de son cou et de sa mâchoire. Tray laissa échapper un halètement de plaisir avant de serrer son sexe dans son poing et d’imprimer un mouvement plus rapide. Il était de toute façon tellement proche, qu’il ne lui fallut pas longtemps pour se cabrer sous le plaisir qui le dévasta un instant avant que la fatigue ne revienne en force et le plaçant dans un cocon de bien-être.
Mais son subconscient avait encore une petite surprise pour lui et lui susurra au creux de l’oreille :
- Alors… ? Qu’est-ce que ça fait d’être avec un homme ?
La voix était masculine, rauque et… c’était celle de Dan. Tray se réveilla en sursaut et repoussa la couverture. Ça n’avait beau qu’être un rêve, son pénis finissait de reprendre une taille plus petite et ses mains étaient poisseuses. Une sueur glacée lui coula le long du dos et il se mit à hurler dans le noir :
- PUTAIN DE BORDEL DE MERDE !
Ça ne servait à rien. Mais ça l’avait soulagé environ cinq secondes.
*équivalent américain de l'arroseur arrosé.