Chapitre 7: Nourritures Impies.
Alcibiade prit ses responsabilités aussitôt qu’il me chassa de son royaume intérieur et commença son espionnage. A l’époque, je ne savais pas ce qu’il avait fait mais au fil du temps, il finit par avouer. Je ne suis pas sûr, sachant ce qu’il allait faire, que j’aurais autorisé ce massacre. Je suppose qu’il m’avait tu son plan pour éviter mes crises de conscience.
Connaissant l’adresse de la clinique de Fairview, il s’y rendit le plus naturellement du monde et se fit arrêter par la standardiste. Contrairement à moi et à Karl, Alcibiade n’avait aucun respect pour la loi et pour l’humanité, encore moins pour les personnes qui l’empêchaient de passer là où il avait décidé. La standardiste ne se demanda même pas ce qu’il lui arriva et sortit pour se jeter sous une voiture. Les deux médecins, qui le croisèrent dans le couloir et l’ayant arrêté parce qu’ils ne le reconnaissaient pas, finirent par boire un litre de formol chacun. Etrangement, ils ne sentirent même pas mourir.
Je ne devrais pas énerver mon démon plus que je n’en ai le droit. Ça le rend… Comment dire… exceptionnellement efficace. Efficace dans le genre psychopathe et tueur de masse. C’est pour ça que je ne prends jamais Alcibiade dans les équipes d’intervention… J’ai besoin de témoins, moi. Pas d’un amoncellement de cadavres.
Ce que j’ignorais quand j’avais demandé au démon d’intervenir, c’est qu’Alcibiade ne pouvait opérer une transe de mémoire qu’après avoir possédé sa victime. Et… une possession démoniaque ne se fait qu’avec un nombre suffisant de sacrifices. Pourquoi ? Simplement qu’en déchirant le plus de connections possibles dans le monde des esprits, y inclure les siennes dans le corps d’un autre devenait enfantin. Enfin… Pour ceux qui savaient le faire…
Alcibiade a donc décidé de sacrifier une bonne partie de l’hôpital. Contrairement à la majorité des Tisseurs de Contrat, il ne se salit pas les mains et préfère amener ses proies à se tuer seules. La police et les médias s’interrogèrent longtemps sur le suicide collectif de Fairview et nous n’avons jamais demandé l’affaire, surtout quand Alcibiade m’avoua ce qu’il avait fait, sans éprouver autre chose qu’un peu de lassitude. Oui, je l’ai protégé. Oui, j’ai couvert une cinquantaine de meurtres surnaturels. Parce que c’était de ma faute et que je n’ai pas réfléchi aux conséquences.
Arrivé à la chambre de Jimmy Potts, Alcibiade relâcha sa malédiction de Désespoir et enclencha celle de la Frayeur. Il était moins doué pour celle-là mais les survivants étaient peu nombreux et ça suffirait à les faire partir. Ce qu’ils firent avec force cris, aidés dans leur peur par la vision des suicidés. Le Démon s’assit sur le lit de Jimmy et se concentra pour repérer les bribes de la conscience de celui-ci. J’avais eu raison, il ne restait pas grand-chose et mes griffes n’y étaient pour rien. Contrairement à moi, Alcibiade n’avait aucune compassion pour ce pauvre étudiant et trifouilla dans sa conscience sans aucune délicatesse. Il faut dire qu’il avait compris ce que je n’avais pas voulu croire : Jimmy Potts était déjà mort, son corps n’était pas loin de suivre. D’ailleurs, depuis mon passage, il y avait eu de nouvelles machines qui maintenaient cette pauvre carcasse dans un mouvement faible mais suffisant.
Il songea qu’il faudrait vite lui retirer les organes si on voulait faire quelques transplantations… Et puis, il se dit qu’il s’en foutait et arracha les tubes et les aiguilles. De toute façon, il ne souhaita pas qu’il reste quelque chose dont un collègue à lui puisse trouver la même chose que lui. Pas que ça l’importe mais il ne souhaitait pas communiquer avec les autres démons de New York, qui d’ailleurs n’étaient ni nombreux ni remarquables, surtout vu la manière dont il avait claqué la porte des Enfers.
Il commença par l’œil gauche, qu’il arracha de l’orbite comme s’il cueillait une cerise, et le plaça entre ses dents. D’une seule pression de la mâchoire, l’œil répandit son humeur vitrée sur sa langue. Alcibiade se força à mâcher malgré le fait qu’il détestait le goût. Contrairement à moi, il ne pouvait pas se contenter des auras et des effluves. Il lui fallait de la chair fraiche.
La vision de l’œil gauche était trouble comme il s’en doutait mais il avait espéré ne pas avoir à ingurgiter l’œil droit. Il le fit cependant en gémissant de dégout. Il réussit à avoir plusieurs images fixes, complètement griffée par la terreur et la folie. Il lui fallait des heures pour les nettoyer mais il les glissa tout de même dans sa Bibliothèque. Pour en avoir plus, il lui fallait opérer la possession et ça ne l’enchantait pas du tout. Alcibiade aimait le corps de Ben Whitehall, il aimait être le gardien d’un tombeau, celui de l’homme que j’avais effacé mais plus encore le tombeau du Fils de la Bête, son seul amour. De plus, la mémoire de Ben était distrayante, à sa façon.
Il fit donc pire, il consuma Potts.
Alcibiade ne sortit pas de la Clinique et préféra pénétrer dans son royaume intérieur sans plus attendre. Il avait beaucoup de travail.
Le lendemain, on trouva donc une cinquantaine de cadavres. On ne s’arrêta pas à celui d’un jeune étudiant qui avait été à moitié dévoré vivant puisque, malheureusement, il ne fut pas le seul. De ce jour, on chercha un tueur en série, un psychopathe hargneux, un monstre cannibale. Pas une seule fois on ne pensa à un surnaturel et après qu’Alcibiade m’ait avoué la vérité, plus personne n’en parla.
Par des voies détournées, j’ai payé les enterrements de tout le monde. En mon nom, je présentais mes condoléances aux parents de Jimmy Potts. Ils me demandèrent pourquoi leur fils s’était retrouvé dans cette clinique et je n’ai pas eu de réponses à leur donner.
Deux jours plus tard, le New York Times insinuait que Potts avait été déplacé pour cacher un témoin et que suite à l’enquête du Sicarius et du FBI, les vrais responsables de Columbia avaient tenté de nous impliquer en maquillant l’élimination du témoin en un massacre qui y ressemblait, mais moins bon. Après avoir passé des semaines à nous cracher au visage, New York nous adulait et jurait de nous protéger.
Le Docteur Taylor n’était pas mort. Pas même blessé mais il ne savait pas pourquoi. Sa faim s’était éteinte, il supposait puisque son ventre ne grognait plus ni ne se tordait dans tous les sens. Cependant il ignorait comment il avait réussi à calmer ce qui lui avait semblé être devenu un gouffre sans fond. Il avait repris connaissance en marchant dans la rue, du moins, c’était ce qu’il lui avait semblé puisqu’il était dehors et que le soleil lui caressait le visage. Normalement, il ne sortait que la nuit pour éviter les militaires mais aussi bizarre que ça puisse paraitre, le Bronx était étonnamment calme, si calme que les oiseaux revenaient, ce qu’ils n’avaient pas fait depuis le début de l’épidémie. La journée aurait pu être belle s’il n’y avait pas une curieuse absence, celle des habitants, de leurs voix, de leurs voitures, de leurs pas sur l’asphalte, de la musique… Non, il n’y avait que le chant des oiseaux et le bruit de ses propres pas.
Il se frotta la joue et la trouva poisseuse. Il avait dû se rouler dans un tas d’ordures à un moment mais impossible de se souvenir quand. Peut-être lors de son black-out mais impossible d’en être sûr. Ses vêtements aussi étaient poisseux, ce qui était normal… Non ?
Il avait faim, encore. Encore et toujours… Au final, sa faim ne s’était pas calmée, elle avait juste décidé d’être moins présente de temps en temps et de lui tordre le ventre le plus souvent. En voyant un café dont la devanture avait été brisée depuis longtemps, il se demanda s’il restait quelques petits trucs. Au moins des petits paquets de sucre ? Ou de moutarde ? N’importe quoi qui se mange, par pitié… Même un peu de farine avec un peu d’eau, c’est toujours de la bouffe après tout. Il enjamba la vitrine brisée et laissa à ses yeux le temps de s’accommoder à l’obscurité. Evidemment, tout était brisé et poussiéreux mais c’était mieux que rien. Avec un peu de chance, il restait même une bière en bouteille, certes chaude puisque les frigos ne marchaient plus, mais… C’était toujours ça ? Depuis combien de temps n’avait-il pas pu boire une bonne petite bière et prendre un peu de repos ? Aucune idée. La notion du temps était devenue un concept très flou depuis peu.
Il y avait quelques buchettes de sucre oubliées dans un placard, quelques cacahuètes dans un sachet derrière une armoire et un peu d’eau qui goutait du toit dans un bol. Il avala le tout, espérant calmer un peu le monstre qui grandissait dans son estomac. Malheureusement, la faim ne se contenta pas de ce chiche apéritif et exigea d’en avoir bien plus.
Une femme entra dans le café. Elle était débraillée et couverte de sang séché. Le tailleur-jupe qu’elle portait n’était plus en état pour la faire passer pour la secrétaire qu’elle avait été dans une autre vie. Elle avait la même faim dévorante qui brillait dans ses yeux mais une fois qu’elle avait vu Taylor, elle ne bougea plus.
Vu la faim qui lui tordait les entrailles, James Taylor envisagea l’anthropophagie. Et puis il n’envisagea plus et se jeta sur la femme, les mains en avant et les dents prêtes à déchiqueter la moindre part de cette folle qui avait osé le regarder. La première chose qu’il dévora fut le foie. C’était le meilleur morceau quand il n’était pas malade et le foie de cette femme était bon. Un foie, c’est plein de vitamines, plein de nutriments, c’est le grenier du corps. S’il avait pu trouver un moyen d’opérer quelqu’un pour lui ôter la moitié de son foie pour le manger sans tuer, il l’aurait fait, vu que le foie repousse… Mais non, c’était stupide. Il fallait manger pour ça et, à moins de s’opérer mutuellement, il n’y avait aucune chance que ça marche. A moins de ne pas bouger ? A moins de réduire son activité au maximum afin de préserver le plus possible de nutriments ? Non… Impossible.
Il venait de manger une femme. Le Docteur Taylor se demanda quand le monde était devenu fou ? Ou s’il était en enfer, ce qui était plus plausible. En enfer, on ne peut pas rationaliser ce qui nous arrive, tout arrive sans raison, il n’y aucune échappatoire. Il hurla… Il ne pouvait rien faire d’autre.
Et puis, un jour, j’en ai eu marre. J’attendais qu’Alcibiade veuille bien me faire part de ses découvertes, j’attendais que le Sénat Américain daigne se rappeler qu’il y avait un énorme problème surnaturel dans le Bronx… J’attendais qu’on puisse enfin bouger.
Tous les jours, je recevais des tas de coups de fil de la part d’Elena et tout autant de messages et de mails. Dan avait raison, je ne pouvais pas me permettre de laisser trainer la situation plus longtemps. J’ai enfilé mon manteau et j’ai pris mon casque pour me rendre à son bar. Tant qu’à faire, autant la confronter en public et provoquer un scandale avec tout plein de monde autour. Le bar où elle travaillait était un nid à hipsters et à cadres supérieurs, le genre de bar ou j’aurais refusé de mettre un pied il y a encore quelques années. Aucun intérêt, aucune personnalité et beaucoup de fric. En somme, puant.
La première chose qu’Elena fit en me voyant approcher fut de vérifier si je n’amenais pas quelque chose avec moi, que j’aurais pu cacher dans mon dos et dont les feuilles auraient trahi le bouquet de fleurs ou une main dans la poche aurait trahi l’écrin. Manque de bol, mes mains étaient le long de mes cuisses et j’arborais ma tête des mauvais jours. De ce fait, elle commença à fulminer et lâcha son comptoir en jetant son torchon sur la cafetière derrière elle. J’allais parler mais elle m’a arrêté avant que je puisse en placer une.
- Qu’est-ce que tu viens faire ici ?
- Te parler.
- Le téléphone, ça existe.
- Je sais mais je préfère faire ça en personne.
Pour le coup, ça l’a calmé immédiatement. Elle a regardé autour d’elle et les quelques clients qui étaient là ne perdaient pas une miette de notre échange. Pour une fois qu’il se passait quelque chose ici… Je me demandais quelle allait être sa réponse et si elle oserait continuer la scène en public. Sa confusion était tellement palpable que je pouvais sentir les volutes mentholées s’échapper de son col blanc.
- Tu ne vas pas me faire ça ? Pas ici ?
- C’est pourtant ce que je suis en train de faire.
J’admets que je peux être parfois un immense connard sans cœur. A ma décharge, cette situation me fatiguait et j’avais envie que ça se termine au plus vite, même si ça devait se terminer dans le sang. J’ai soupiré :
- Je crois… Non, j’en suis sûr. On devrait arrêter là. Enfin… Je vais arrêter là pour ma part.
- Et je peux savoir pourquoi ?
Étonnant… J’aurais cru qu’elle voulait éviter le scandale public mais sa curiosité l’emportait sur son sens de l’honneur. J’aurais pu me retourner et arrêter le massacre mais j’ai pensé qu’elle méritait la vérité.
- Fallait que je choisisse entre toi et ma meute. Désolé mais c’est toi qui ne convient pas.
Un peu sec. Je l’admets bien volontiers… A ma décharge, le « c’est pas toi, c’est moi » aurait été perçu pour ce que c’était : Une excuse débile. Cela dit, vu que le sang avait déserté son visage avant de revenir en force, j’avais dû forcer un peu l’honnêteté.
- Tu te fous de moi ? tu choisis tes potes plutôt que moi ?
J’aurais dû continuer dans cette voie et passer pour un immonde salopard pour qu’elle puisse s’en sortir avec l’image de la femme bafouée mais le fait qu’elle dénigre les autres membres de ma meute m’a fait voir rouge. Surtout qu’elle a commencé avec sa grande ennemie, Yuna. J’admets facilement que Yuna n’a strictement pas besoin qu’on la défende mais qu’Elena la traite de salope sans aucun fondement m’a donné envie de l’encastrer dans le mur. Oui, celui-là même où le propriétaire avait installé l’écran plat qui passait les clips à la mode. Je me suis retenu parce que je savais que l’ombre du procès deviendrait très vite solide si je levais la main sur elle. Donc… mes mains sont parties dans mes poches et j’ai encaissé.
Pour les quelques clients du bar qui connaissaient les métamorphes et mon statut dans New York, mon comportement était des plus étonnants. J’en voyais même un qui s’était levé et qui attendait que je pète les plombs pour s’enfuir le plus vite possible. Et je voyais son voisin qui se demandait pourquoi la Barmaid avait trouvé intelligent de gueuler sur un loup Alpha, sans oublier qu’il n’en loupait pas une miette grâce à son smartphone.
Oui. Je l’ai fait exprès. Je savais pertinemment que cette charmante petite vidéo finirait sur les réseaux sociaux et deviendrait viral. Autant que j’y paraisse à mon avantage, non ? Désolé, Elena, tu n’auras été qu’une péripétie dans mon plan de remonter la réputation des gentils loups-garous. Et voilà pourquoi je la quittais : Dès le moment où je me suis dit que me servir de ma rupture pour un petit coup de pub serait une bonne chose, j’ai su que je ne l’appréciais plus assez pour rester avec elle. Cela dit, je la remercie pour une chose, elle m’a aidée à comprendre la relation que Victor entretenait avec Clara. Jamais, même au pire de sa réputation, mon Papa Vampire n’a utilisé Clara. Au contraire, il a tendance, dès que ça chauffe un peu trop, à la mettre à l’abri, si possible le plus loin de sa personne pour qu’elle ne se fasse pas éclabousser.
J’ai donc encaissé jusqu’à la nausée, le visage le plus inexpressif possible et buvant chaque insulte jusqu’à la lie. Pas une seconde je n’ai regretté d’être venu seul. Pas une seconde je n’aurais pu imaginer qu’elle avait un tel arriéré de haine envers la Meute et qu’elle se faisait un plaisir de détailler, provoquant la joie malsaine de ses clients. Je me doutais bien qu’elle essayait de mettre le bar de son côté et/ou de me forcer à la faute mais je la laissais faire. Etrangement, Dan fut le grand absent de son ire vengeresse mais j’ai compris après coup qu’être la femme trompée par son petit copain avec un autre homme n’était pas un rôle qu’elle voulait endosser. Dommage… Les tabloïds du lendemain auraient été encore plus croustillants.
Je l’ai laissée déverser sa bile pas loin d’un quart d’heure et je dois avouer qu’au final, je ne l’entendais plus. Sur l’écran géant, il y avait les résultats d’un match de baseball avec le résumé vidéo des meilleurs moments. Même si je n’avais aucun son qui me parvenait, ça me distrayait de mon envie de hurler en réponse aux cris d’Elena. J’aurais pu tout arrêter en me retirant et en la laissant à ses aigreurs mais quelque part, je me sentais coupable. Coupable de lui avoir donné un peu d’espoir, coupable d’avoir voulu donner une chance à une histoire qui n’aurait pas dû exister. Et enfin… coupable de l’avoir entrainée dans mes espoirs et d’y mettre fin aussi brutalement.
Et puis, la mesure des insultes fut comble et je me suis penché sur elle.
- Tu as fini ?
Quelque chose dans mes yeux dut la convaincre d’arrêter là la représentation car elle bredouilla quelques mots incohérents et recula de deux pas.
- Bien. Je te souhaite donc une bonne journée.
Avant que j’ai pu me retourner, elle m’a contourné pour courir dehors et sans doute hurler sa peine loin des habitués du bar. Au même moment, ma poche vibra et j’attrapais mon portable y voir un message d’un numéro inconnu. J’ouvris et la photo d’un Bobby torse nu et portant une paire de cornes rouges sur la tête. Il avait un sourcil froncé, l’air faussement sévère et un carton qu’il portait devant lui proclamait : « Prêt à chasser la vilaine ex ! ».
Je me suis mordu l’intérieur de la joue pour ne pas sourire. J’ai supposé, à raison, que l’Engeance du Diable lui avait donné mon numéro et que Bobby avait préféré m’annoncer à sa manière qu’il arrivait. Je lui répondis que c’était adorable de sa part mais que la situation venait d’arriver à sa conclusion. Avant que j’ai pu ouvrir sa réponse, un grand bruit de tôle froissée au dehors m’a presque fait sauter au plafond. Un instant, j’ai craint qu’Elena ne se soit jetée sous les roues d’une voiture mais quand je suis sorti, j’ai compris qu’elle avait, assez péniblement, tiré ma moto sur la route et l’avait jeté au sol avant qu’un taxi ne passe dessus.
Le taxi s’était arrêté et son conducteur s’approchait du massacre alors qu’Elena rentrait dans le bar après avoir essayé de me bousculer. J’aurais pu l’arrêter et lui crier quelques injures bien senties mais en fait, j’étais fatigué… Hunt aussi. Nous avons soupiré tous les deux et j’ai donné ma carte au chauffeur de taxi en lui disant que mon assurance prendrait tout en charge. Puis, d’une main, j’ai soulevé ma pauvre Buell et je l’ai calé sur mon épaule pour rentrer au Sicarius à pied.
Je suppose que ma ballade, moto sur l’épaule, a du bien faire marrer mes new-yorkais. A un moment, j’ai repris mon téléphone pour voir ce que Bobby m’avait écrit. C’était encore une photo de lui mais son expression était aussi mignonne que suppliante. En dessous, il était marqué : « Pour une fois que j’ai droit à un WE gratos à NY… C’est trop injuste… ». J’ai éclaté de rire et je lui ai répondu qu’il était toujours invité mais qu’on aurait rien de pénible à faire. C’était déjà ça, non ?
J’ai gardé longtemps ces deux photos dans mon téléphone. Quand j’avais un coup de blues, je les regardais et je me rappelais que quelqu’un m’avait offert son aide sans contrepartie.
Au bout de quelques jours passés à nettoyer les parcelles de la mémoire d’un mort, Alcibiade fit une découverte des plus étranges. Malheureusement, sans autre témoin, il ne pouvait pas corroborer ces images. Du reste, il savait et je le savais aussi, ces souvenirs n’étaient pas des preuves. Le Tisseur de Contrats fit donc ce qu’il savait faire, il chercha et il espéra trouver.
D’abord, il prit la liste des victimes de Columbia, toutes les photos qu’il avait pu trouver et il compara. Ce travail de fourmi ne le rebuta pas un seul instant. En fait, il adorait ça, il adorait comparer, supputer, échafauder les théories les plus folles et les démolir à coups de preuves et de démonstrations. Il adorait avoir raison mais pour avoir raison, il fallait que son raisonnement soit sans faille. Avec une fièvre qu’il ne s’était pas connu depuis plusieurs millénaires, il acheva son travail en à peine quelques heures et s’extirpa de son royaume intérieur pour m’assommer avec la révélation.
Malheureusement pour lui, son corps chuta au sol et lui avec. Pendant une bonne heure qui lui parut être une eternité, il ne put pas bouger un muscle, devant se contenter de remarquer que le ménage dans son bureau n’était pas correctement fait et que le dessous de son armoire était devenu l’étable d’un troupeau de moutons de poussière. Par acquis de conscience, il vérifia si les connections de possession n’avaient pas été endommagées… et puis de toute façon, il n’avait rien de mieux à faire. A son grand soulagement, aucune des connections ne manquait ni ne semblait faible. C’était sans doute un problème avec le corps lui-même, peut-être une hypoglycémie ?
Ce fut moins fier que prévu qu’il arriva dans mon bureau pour m’exposer sa folle théorie. Je trouvais qu’il avait une sale gueule mais je me suis abstenu de lui dire. Quelque chose dans son regard m’a dissuadé de le faire, surtout qu’il m’avait dit qu’un démon acculé était imprévisible et particulièrement dangereux.
- Tu as quelque chose pour moi ? ais-je demandé avec une pointe d’inquiétude.
- J’ai la liste de tes assassins.
J’ai avidement tendu la main et vu les tremblements de sa main, j’ai su qu’il n’allait pas bien mais encore une fois, je n’ai pas relevé. J’ai préféré parcourir la liste aussi vite que j’ai pu et, à force de les avoir lu maintes et maintes fois, je reconnus une centaine de victimes de Columbia.
- Euh… tu t’es trompé de feuille ? marmonnais-je en essayant de ne pas provoquer sa colère
- Oh non… Ils se sont entre-tués. Enfin… Ceux-là ont d’abord attaqué les autres étudiants, qui ont réagi en étudiants normaux, avant de s’attaquer entre eux.
- Pourquoi ?
- Aucune idée. A-t-il soupiré avant de frissonner. Le pire étant qu’ils n’avaient pas d’armes. Ils ont attaqué à l’aide de leurs dents et de leurs ongles.
Je suis resté muet pendant presqu’une minute en me demandant pourquoi certains étudiants avaient attaqué et pas d’autres, et surtout pourquoi les premiers avaient attaqué. C’est à ce moment-là qu’Alcibiade décida de m’achever.
- Comportement de loups-garous enragés, hurlements, chasse en meute… Ils étaient tous contaminés. Mais aucun ne s’est transformé.