Chapitre 15: Mother
Tout ce bazar avec la Syzygie de Vénus a beaucoup inquiété deux personnes dans mon entourage : Ash parce qu’il ne comprenait pas ce que la Syzygie venait faire dans la choucroute et que ça l’énervait profondément, et son frère, Dom, parce que ça lui rappelait quelque chose sans qu’il arrive le doigt dessus. Quant à Azul, ses pauvres connaissances en vaudou, car elle était une intuitive et non pas une scolaire, ne lui permettaient pas de nous aider d’avantage. Normalement, nous nous serions tournés vers un spécialiste mais en termes de vaudou et même de magie de la Nouvelle-Orléans, les sorcières du Carré avaient tout verrouillé. Je ne pouvais décemment pas leur en vouloir… Bon, je le faisais quand même mais je rappelle que je suis un sale gosse.
Il nous restait donc l’immense somme des connaissances humaines sur tout et n’importe quoi dont la non-moindre immense majorité ne nous servirait à rien. J’ai donc fait des litres et des litres de café en me plongeant dans la Symbolique à travers les siècles et dans quelques ouvrages sur la base du Vaudou, histoire de trouver un point de départ. Techniquement, tout le monde s’accordait à dire que le Vaudou était un mélange entre une antique croyance africaine et la religion catholique inculquée de force aux esclaves noirs. De plus, les influences des indigènes de ce qui sera plus tard la Louisiane avaient amené à une religion métissée de tout et de n’importe quoi cachant les pouvoirs de vraies sorcières. Par acquis de conscience, j’avais jeté un œil sur le paganisme celte, la plus ancienne tradition magique du Vieux Monde, pour essayer de la rapprocher des sorcières Vaudous. Peine perdue… De toutes les magies existantes, seul le Vaudou s’était approprié une religion qui la haïssait de base, comme toute forme de magie, d’ailleurs. Étrangement, cela avait marché, les autorités chrétiennes foutant une paix royale à la religion Vaudou.
Opportunisme ? Véritables croyances ? Volonté de paix amenant à faire de leurs dieux des saints de l’église catholique ? Impossible à savoir. Quoiqu’il en soit, en trois volumes, je n’étais toujours pas arrivé à trouver une corrélation avec la Lune et Vénus.
C’est à ce moment-là que Dom s’est assis à côté de moi avec une assiette de mini pizzas.
- Est-ce qu’il est possible qu’on se trompe ? a-t-il demandé alors que je lui piquais une mini pizza.
- C’est-à-dire ?
- Ce n’est peut-être pas de la magie vaudou.
- Ce serait… logique, pourtant, vu qu’on parle de sorcières Vaudou…
- Je ne dis pas le contraire mais tu ne trouves pas bizarre qu’on ne trouve rien dans ces livres sur la Syzygie de Vénus ? que même la petite sorcière n’a pas l’air de trouver ça étonnant ?
- Peut-être que ça ne l’est pas puisque ce sont juste des funérailles anticipées… ?
- Moreau n’en ferait pas tout un plat pour t’avoir, dans ce cas. Quand bien même elle essayerait de faire de toi un allié en te faisant participer à l’un de leurs rituels, C’est se donner beaucoup de mal alors qu’une parodie serait largement suffisante.
Je ne voulais déjà pas assister à la grande Messe de la Syzygie alors une parodie…
- Donc… Selon toi, ce serait un autre style de magie.
- Peut-être pas de magie, je n’y connais pas grand-chose, mais de façon de la voir. Tu sais d’où je viens ?
- De Florence, en Italie…
- Oui, à une époque où on dépoussiérait les antiques mythes de la Grèce et de Rome pour les remettre au goût du jour.
- Je m’étonne qu’on t’ait enseigné tout ça dans ton monastère.
- Beaucoup plus que tu ne le crois. Le Père Prieur aimait beaucoup les anciens textes de philosophie et nous disait qu’on ne pouvait pas contrer le paganisme sans en connaitre les arguments. Quoiqu’il en soit, je me suis beaucoup documenté sur les religions de l’époque et le symbolisme qui en découle.
- Et donc… ?
- Tu connais la Trinité Lunaire ?
En toute honnêteté, mes connaissances en mythologie antique étaient très limitées à l’époque, à peine plus que ce que j’en avais vu dans les films, séries et jeux vidéos, autant dire beaucoup de conneries.
- Non.
- Artémis, Hécate et Sélénée. Une seule de ces déesses est véritablement bonne puisqu’elle représente la naissance mais les deux autres sont la traque et la mort… en gros. Quant à Vénus, ou plutôt Aphrodite, elle est la Femme, le Désir, le Plaisir… et la seule Déesse majeure à avoir eu beaucoup d’enfants. De différents hommes mais là n’est pas la question. Qui plus est, la planète Vénus était aussi l’étoile du Berger, l’étoile vers qui on se tournait quand on était perdu, la nuit. Le Père Prieur de mon monastère pensait que les gens y voyaient une recherche vers un endroit qui les rassurait et qu’on pouvait rapprocher ça de la parabole du fils prodigue. Cependant, si cette parabole montre un père aimant, je pense que c’est une mère qui a accueilli le fils enfui.
- Pourquoi ?
- Parce que la plupart des paraboles et des petites légendes qui ont été incluses dans la bible sont sans doute des plagiats d’autres histoires venant d’ailleurs.
J’ai haussé un sourcil tout en le regardant, assez étonné de ce que j’entendais.
- Tu sais ce qui me perturbe le plus ? Pas le fait que tu en saches autant mais que tu admettes que la bible est un plagiat…
- Pas en sa totalité. Ni même dans sa grande majorité. Mais je sais bien que la bible a été réécrite par des hommes pour faire plaisir au plus grand nombre. Y inclure des éléments dans lesquelles les gens se reconnaitraient était une idée intelligente. Pas très chrétienne mais politiquement intelligente…
- Tu as l’air de désapprouver.
- Je désapprouve. Mais ça a marché alors je suis mal placé pour critiquer.
- Ce n’est pas parce que ça a marché qu’on doit accepter ! Regardes-moi, je désapprouve complètement les actions de Sigur.
Dom a soupiré et m’a regardé avec une once de lassitude dans le regard.
- Non, tu le désapprouves uniquement parce que c’est ton père et que tu es un sale gosse.
Je suis tellement transparent, parfois…
- Peut-être…
- Un de ses jours, il va falloir que tu t’interroges sur la raison de cette animosité constante.
- Pas envie…
Et ce qui devait arriver arriva, Dom m’a foutu une taloche derrière la tête. Dom est un loup qui n’aime pas les conflits et encore moins le fait que Victor et moi nous entendions comme chien et chat. Au départ, cette volonté de nous réconcilier m’énervait grandement mais j’ai compris que c’était une manière de réparer une injustice qui le concernait personnellement.
A force de l’interroger, lui et son frère, sur la raison de deux éducations différentes, Dom m’avait avoué que leur père les avait vendu tous les deux en échange de quelques piécettes afin de pouvoir survivre. Ash, quant à lui, pensait qu’ils avaient été vendus parce que leur père n’en avait rien à foutre de deux gamins de 7 et 2 ans qui ne lui rapporteraient rien, aux champs, avant quelques années. Sitôt qu’Ash fut rentré dans la Famille Firenze, il enterra son père dans sa mémoire et ne voulut plus jamais en entendre parler. Malheureusement pour lui, Dom n’oublia pas sa famille. Il essaya, dès qu’on le donna aux moines, de retrouver son père et de reconstruire une relation. Il ne put sortir du monastère avant ses dix-sept ans, pour une quelconque course, je crois, mais il ne retrouva jamais sa famille.
Deux ans plus tard, alors qu’il avait menti au père prieur pour obtenir une journée entière afin de pousser plus loin ses recherches, un Loup lui tombait dessus et le blessait à mort, le changeant à jamais. Comme il estimait ne plus être humain, il ne revint jamais ni au monastère, ni vers sa famille, ce qui lui creva le cœur puisqu’il avait enfin une piste. Si Dom a réussi à se remettre, c’est tout simplement parce qu’il retrouva son frère et qu’il le protégea contre les Cannibales qui décapitèrent Florence. Il essaya bien d’amener Ash à rechercher leur famille disparue mais le vampire répondit que le vieux était mort de maladie et que s’il ne l’était pas, il avait dû crever à cause d’une dette de jeu.
Voilà. Dom ne s’étant jamais réconcilié avec son père, les tensions entre un fils et son père le rendaient malade.
- Tu veux vraiment que je fasse des efforts dans ce sens ? Lui demandais-je avec une petite pointe d’amertume.
- S’il te plait.
Si je lui promettais de faire des efforts, il faudrait que j’en fasse et j’en étais incapable. Voilà bien le problème, je n’aime pas revenir sur mes résolutions… Alors j’ai fait la seule chose qui était possible : Je lui ai dit la vérité.
- C’est notre façon de nous apprécier.
- Quoi ?
- Je peux pas lui dire je t’aime parce que ce n’est pas nous. Il en est incapable aussi… Alors, on s’engueule, on se fait des crasses, on se vanne… Parce que sinon, ça signifierait que Clara n’est plus nécessaire, qu’il n’y aurait que nous deux… Et qu’on changerait.
- Je ne comprends pas bien…
- Je me mettrais à tuer pour lui et il se mettrait à voir le voir le monde comme je le vois. Et là, on se haïrait vraiment. Faire semblant de ne pas s’entendre, c’est juste notre moyen pour rester nous-mêmes. Qu’il ne m’écrase pas et que je ne le fasse pas changer.
Et la manière dont il m’a regardé après toute cette tirade me conforta dans l’idée que j’étais complètement cinglé. Attention, Dom n’a jamais été méprisant ni même particulièrement horrifié… du moins en apparence, mais sachant qu’il ne montrait rien d’habitude et qu’à cet instant, il avait l’air un peu étonné, je pouvais deviner la tempête intérieure sous son crâne. Ce qui se traduisit par :
- Oh.
- C’est tordu, je sais.
- Je ne dirais pas ça…
- Mais tu le penses.
- … Oui… Désolé.
- Tu n’as pas à l’être. Je sais que c’est tordu. Je sais que c’est complètement fou mais c’est comme ça.
- Est-ce que ça signifie que si Clara n’avait pas été là, tu… serais avec Victor comme j’ai peur de l’imaginer.
- Je crois, oui. Une sorte de complexe d’Œdipe où j’ai autant envie de faire sauter mon père que de le sauter.
Ça sonnait beaucoup moins sale dans ma tête…
En regardant une nouvelle fois Dom, j’ai compris que j’étais allé beaucoup trop loin pour la sauvegarde de sa santé mentale. Il était blanc, les yeux écarquillés et fixés devant lui, sans oublier sa pomme d’Adam qui montait et descendait un peu trop vite pour que ce soit naturel.
- Too much informations [1]?
- Définitivement. Je… Par tous les saints, Vince… Je voudrais pouvoir t’aider mais je ne sais même pas si c’est un vrai problème ou si je suis trop déconnecté de ce siècle pour ne serait-ce qu’appréhender ce concept !
- Si ça peut te rassurer, l’inceste est toujours un tabou et est punissable légalement.
- Merci mon Dieu !
- Enfin… pas vu, pas pris, pas pendu…
C’est tout moi, ça… Y’a un type adorable qui vient pour m’aider sur un sujet qui me retourne le cerveau et qui me donne envie de mâchouiller les meubles, et moi, je lui pourris sa bonne humeur et ses convictions… Dom, mon pauvre petit Dom, mon innocent petit moine de cinq siècles… était vert et semblait avoir envie de vomir. Ce qui est excessivement rare pour un loup-garou.
- On… passe à un autre sujet ? proposais-je avant qu’il ne comprenne que le seul moyen de retirer ces images à cauchemar de sa tête, c’était de m’étrangler.
- Par pitié, oui…
- C’est quoi ta théorie avec la trinité lunaire et Vénus ?
- Euh… un instant.
Il s’est levé et a pris la bouteille d’eau pour s’asperger le visage, achevant de me convaincre de ne plus jamais lui parler de mes pathologies mentales.
- En résumant, je pense que la tombe est pour une figure maternelle d’importance et que c’est cette puissance maternelle qu’elles veulent conserver.
- Ce qui ne nous aide pas beaucoup… Une puissance maternelle… Une protection accrue, peut-être ? Mais de quoi elles ont si peur ? Et pourquoi elles m’invitent ?
- Sérieusement, tu te poses la question ?
- Et je te la pose.
- Ça ne t’étonne pas un seul instant que l’Alpha du Bayou te cherche et a essayé de rentrer dans tes bonnes grâces ?
- Mon charme naturel…
- Surnaturel, plutôt. Un Cœur de Meute est un atout démentiel pour n’importe quelle meute et les loups le sentent de loin.
- Je sais ça… Ça me saoule mais je n’y peux rien.
- Parce que le Cœur de Meute et c’est vers lui qu’on se tourne quand on est perdu…
Ah, oui… Dom a UN défaut. Un seul mais quand ça vous tombe dessus, c’est extrêmement pénible. Il ne peut pas dire les choses clairement quand il les a compris, il faut absolument qu’il vous amène à les deviner en suivant le même chemin de pensée que lui. En oubliant que nous ne pensons pas tous comme lui… Au départ, vu qu’il le faisait à son frère, j’étais de son côté, surtout quand Ash pétait les plombs et lui hurlait dessus en jurant comme un charretier. Maintenant, je comprends Ash…
- Tu veux pas me prendre pour un imbécile et me donner la solution, plutôt ?
- Toi.
Je suppose que je l’ai mérité, celle-là…
- Ok, reprend ton raisonnement…
- Mais, c’est simple ! Normalement, les Cœurs de Meute sont des femmes et ce sont à elles qu’on confie les jeunes loups, voire les enfants humains de la Meute. Ces femelles étaient aussi les compagnes de l’Alpha… Parce que… ? Ce sont… ?
- Les heureuses récipiendaires d’un vagin ? C’est extrêmement sexiste comme remarque. Surtout de ta part.
- DES MÈRES !
Intérieurement, j’ai levé le poing de la Victoire. Faire perdre son calme à Dom relève de l’exploit et j’avais réussi à le faire crier sur moi. Je regrettais juste de ne pas avoir lancé l’enregistrement vidéo de mon portable parce que j’allais avoir du mal à prouver mon petit tour de force.
Et puis, j’ai compris que les sorcières voulaient me sacrifier.
Salopes…
Cette fois-ci, le Jazz Band ne nous servait pas une soupe insipide de soirée mondaine mais bien les rythmes africains qui vous donnent envie de bouger bras et jambes en cadence et de participer à la liesse générale, quitte à laisser derrière vous tous ces nœuds qui vous étranglent et qui s’appellent Bienséance, Étiquette et Haute Conscience de Soi. J’ai toujours aimé danser, j’ai toujours aimé bouger dans tous les sens et mon seul regret est que je ne suis pas assez souple pour avoir fait une carrière de danseur Hip-Hop. Cependant, alors que je suivais le corbillard vide avec la foule autour de moi qui oscillait entre la joie de danser et les lamentations dues à la Défunte sans nom, je restais aussi raide et froid qu’une statue de marbre, affichant une mine de circonstance.
C’était la Syzygie de Vénus et j’avais tenu à y assister en partie parce que je ne voulais pas montrer que j’avais compris leur manège et surtout ne pas montrer que je les craignais. Et puis, il y avait une partie de moi qui était assez curieuse pour voir comment elles allaient me tuer en plein milieu d’une foule et une toute petite partie qui espérait qu’elles réussissent.
Mais vraiment une toute petite… la plus grande partie refusait de se faire égorger comme un agneau pascal et que mon âme, y compris celle de Louveteau, alimente un générateur mortuaire de magie.
Tout le Cercle du Vieux Carré était là, en grande pompe, y compris les pleureuses qui venaient me serrer la main en me présentant leurs condoléances, ce qui m’amenait à serrer dans ma main le couteau que j’avais planqué dans ma veste de costume. J’étais sûr qu’à un moment une de ces idiotes allait suffisamment me surprendre pour que je lui tranche la gorge sans préavis. Ce qui me confortait dans la paranoïa, c’est que Mark était aussi présent, aussi bien sapé que moi, et à l’exact opposé de moi par rapport au corbillard. Nous étions de chaque côté de la route et ni lui ni moi ne pouvions nous empêcher de nous jeter des regards noirs, absolument persuadés que l’autre allait attaquer sous peu.
Et c’est bien ce qui me dérangeait. Louveteau avait décidé de rester en détection constante, c’est-à-dire qu’il analysait les émotions de ceux et celles qui m’approchaient à moins de cinq mètres. Mais il ne ressentait rien de négatif pour moi, au contraire : de la compassion, de la fierté, de la curiosité et rien d’autre. Ce furent sans doute les impressions de Louveteau qui m’empêchèrent de faire un massacre sur les pleureuses.
Après une heure de cortège dans les rues du Vieux Carré avec un corbillard qui avait manifestement décidé qu’il serait plus économique de laisser le fossoyeur pédaler plutôt que d’utiliser son moteur à essence, nous entrâmes enfin dans le cimetière Lafayette, le plus vieux de la Nouvelle-Orléans, et, je l’avais appris avant, là où toutes les sorcières du Carré étaient enterrées. La plupart du cortège n’entra pas, sans doute parce qu’il n’y avait pas assez de place pour tout le monde et que les Sorcières ne souhaitaient pas officier avec trop de public. Les pleureuses avaient cessé de pleurer, le corbillard s’était arrêté et les fossoyeurs descendaient le cercueil pour le poser auprès du tout nouveau sépulcre blanc, quant aux officiantes, elles s’étaient tues et formaient un demi-cercle en plaçant diverses offrandes devant elles.
Mark et moi étions en face du sépulcre, à peine à un mètre de distance… Louveteau grognait et je me doutais que Mark faisait la même chose intérieurement. Il se fendit d’un simple :
- Frère…
- Frère. Lui retournais-je, pensant que c’était au final le seul mot que nous pouvions prononcer l’un envers l’autre sans nous sauter à la gorge.
Étrangement, il n’avait aucune arme et ne semblait même pas vouloir entamer sa transformation. De plus, Louveteau ne sentait aucune menace de meurtre émaner de lui. Je commençais à trouver tout ça très bizarre. Cela dit, peut-être que ce n’était pas son rôle de m’abattre…
Je jetais rapidement un coup d’œil aux alentours, me rassurant en apercevant rapidement Simon qui était en position de tir sur le toit d’un immeuble, Dom qui était au milieu de la foule, Allegro de l’autre côté et Azul prête à lancer tous les contre sorts qu’elle connaissait. Ça m’a permis de contrôler ma respiration alors qu’elles commençaient à psalmodier dans un dialecte mélangeant le créole et une langue plus gutturale et agressive. J’aurais du apprendre le créole… Ne pas comprendre ce qu’elles disaient avait tendance à accélérer les battements de mon cœur, ce qui était particulièrement douloureux à cause des deux balles en argent qui étaient toujours coincé dans le ventricule droit. Me concentrer sur la douleur m’aida un peu à oublier la terreur qui menaçait de prendre le dessus, surtout quand Moreau prit un serpent dans un panier et lui éclata la tête contre le mur du Sépulcre. Le sang du serpent laissa une longue trainée rougeâtre sur le plâtre blanc et elle inscrivit trois croix dans le sang.
J’ai arrêté de comprendre. D’après ce que j’avais lu, Avo do nu mé, le rite funéraire vaudou, ne comprenait pas de sacrifice d’animaux, qui n’étaient utilisés que pour les divinations et le Macumba, la magie de malédiction. Pourquoi tuaient-elles un serpent, en plus ? Le vaudou se servait de poulets, pas de reptiles. Je sentais cependant la magie commencer à tisser ses lianes de puissance autour de la tombe. Jetant un regard furtif sur Mark, je vis qu’il ne comprenait pas plus que moi, voire moins, mais ça ne l’inquiétait pas du tout. Lui, il savait à quoi menait ce rituel, même s’il ignorait ce qu’il se passait.
La mélopée s’enfla, une cacophonie de voix de femmes qui du chant passa au hurlement, alors que deux officiantes, le visage couvert d’un maquillage mortuaire, s’avançaient vers nous avec un poignard ornementé de têtes de mort rouges. Je serrais ma propre lame dans ma main, en regardant l’officiante droit dans les yeux. Elles pensaient vraiment que j’allais me faire égorger sans rien dire ? Je testais mes muscles pour savoir si elles m’avaient lancé un sort pour me paralyser, mais non… Je bougeais parfaitement. Et pourquoi Mark avait son propre assassin ? Pourquoi n’avait-il pas peur ?
La réponse était simple : Parce que ce n’était pas pour nous tuer. Elles nous tendirent les poignards et Mark prit le sien et trancha l’une de ses mèches de cheveux. Je fis de même et le hurlement cessa aussitôt.
La cérémonie était terminée. Et il ne s’était rien passé.
- Sincères condoléances, Frère… Marmonna Mark en se retournant et en quittant le cimetière.
Il ne s’était rien passé du tout.
Je m’étais trompé…
[1] Trop d’informations. (NDA)