De Charybde en Scylla
La
porte ouverte en grand et butant contre le mur le tira de sa torpeur où il
reposait dans un lit chaud et qui embaumait l’orange, le chocolat et le sexe…
et un soupçon de son propre parfum. Il regrettait vraiment de devoir quitter ce
cocon mais il passait déjà une demi-minute à essayer de se calmer pour ne pas
sauter à la gorge du premier venu. C’était le problème des lève-tard. Même si
le soleil était déjà couché, il restait facilement encore facilement une bonne
heure à comater dans sa torpeur. Aussi ses réveils ressemblaient à ceux d’un
ours sortant d’hibernation. Et ce n’était agréable pour personne. Il referma
les yeux tout en essayant de contenir cette rage aveugle qui menaçait de
poindre et de s’abattre sur la personne qui venait d’ouvrir… et qui n’était
autre que la propriétaire. Sa fureur redescendue, il consentit alors à bouger,
s’étirant lentement sous la couette et baillant comme un animal, c'est-à-dire
en montrant les crocs.
Petit point d’achoppement entre la propriétaire et lui d’ailleurs… les crocs. Bon, ça ne les avait pas empêché de passer d’excellents moments au lit mais elle avait refusé catégoriquement qu’il la morde. Même s’il ne pouvait pas dire que le simple fait de la mordre et de sentir son sang chaud lui toucher la langue au point de lui donner au mieux des sueurs froides et au pire des nausées, il avait du mal à lui faire comprendre qu’il ne la mordrait pas sans son consentement. Du reste, mordre un humain sans son consentement était catégorisé dans les crimes au même titre qu’une agression, voire un viol. La seule morsure sans consentement acceptable était celle due à la faim mais il y avait tellement de paramètres qui invalidaient la permission, comme le fait que la victime soit encore en vie… alors que le vampire était tellement assoiffé qu’il ne distinguait même plus amis ou ennemis… que les vampires préféraient s’en sentir au « pas de morsure sans consentement » point final. On évitait les arguties juridiques à n’en plus finir pour le même résultat : Au mieux l’emprisonnement au centre de détention surnaturelle de Lancry, au pire, un membre de la toute nouvelle brigade surnaturelle qui ne se contentait pas de vous immobiliser mais bien de vous achever. Cependant, son amante, qui n’était pourtant pas une oie blanche, éprouvait toujours une petite appréhension devant ses quatre jolies canines pointues.
Bah… Ce n’était comme si il comptait vivre avec… Même si ça faisait maintenant deux semaines qu’il avait emménagé chez elle, parce qu’il vivait depuis trois semaines à l’hôtel en attendant de trouver un appartement qu’il ne trouvait pas parce qu’il ne cherchait pas vraiment et parce que la location pour vampires n’était pas vraiment attractive à Seattle. Soit on tombait dans le taudis, soit on avait une cave vampirique du style Dracula, décorée par des fans extatiques. Et puis bon… Il ne souhaitait pas rester à Seattle plus que de raison. Il espérait que sa mission touche à sa fin et n’en déplaise à sa propriétaire, il ne resterait pas pour elle. Non qu’il ne l’aimait pas, bien sûr que c’était chouette de passer du temps avec elle mais… Il n’y avait pas ce qu’il attendait d’une relation suivie avec quelqu’un : le sentiment de sécurité. Elle n’y était pour rien, il n’y était pour rien, ils n’étaient juste pas les bonnes personnes à mettre en couple. Ce qui était presque dommage vu leur entente sexuelle. Il fit rouler ses épaules sans se préoccuper du bruit dans le salon et dans la cuisine. Une véritable course-poursuite à entendre les bruits de pas. Peut-être avait-elle oublié quelque chose avant d’aller au travail ? Un regard sur le réveil lui apprit que le soleil était couché, certes, mais pas depuis longtemps. D’où son envie de déchiqueter ce qui passerait à sa portée. Il le savait : Sa maitresse ne travaillait pas après le coucher du soleil. Pas par peur, mais selon les conventions de son travail, il lui était interdit de l’exercer la nuit. Donc… Elle ne cherchait pas quelque chose qu’elle avait oublié pour le boulot et sa panique n’était pas très compréhensible. Néanmoins, il se leva pour prendre une douche mais fut intercepté par Azul qui ouvrit la porte en grand.
Il se frotta les yeux pour cacher les reflets saphir de ses prunelles.
- Il faut qu’on se taille. Ce soir.
- Salut, beauté. Ta journée s’est bien passée ?
Elle n’écouta pas et commença à fourrer pêle-mêle des vêtements dans un sac de sport, pillant méthodiquement ses tiroirs. Reniflant, il sentit l’odeur acide de la panique profonde, une peur qui était ancrée en elle depuis suffisamment longtemps pour qu’elle réagisse avec autant de reflexes conditionnés. Elle avait déjà prévu sa fuite depuis longtemps et ne perdait pas de temps à se poser des questions sur comment elle allait partir. Elle partait. Point barre. Il n’insista donc pas.
- Tu pars où ?
- Je sais pas… Loin. Tu dois partir aussi. S’ils te retrouvent… Putain, ils vont te mettre en morceaux… T’as toujours une possibilité de retourner à New York ?
- Ouais, bien sur…Pourquoi je devrais partir ?
Il avait envie de bailler mais il se contraignit à ne pas le faire. Avec sa terreur, elle risquait de très mal prendre la vision des crocs.
- Parce que s’ils te retrouvent, ils sentiront mon odeur sur toi, ils sauront qu’on couche ensemble et ils te mettront en pièces à cause de ça.
- Et pourquoi ?
- Parce qu’ils croiront que… tu as voulu me voler à lui…
Intérieurement, Vince maudit celui qui lui avait demandé de partir à Seattle et d’établir le contact avec la faune locale. Encore un léger reniflement alors qu’il récupérait un jean dans sa valise et il confirma qu’elle ne sentait pas le métamorphe. Mais oui, elle avait connu des loups-garous, oui, elle en avait souffert.
- L’ex dont tu ne veux pas parler…
- Ouais… Ce que je t’ai pas dit c’est que…
Azul s’arrêta de ranger ses affaires et serra contre elle un simple pull en laine bleu. Ses mains tremblaient mais pas de peur. C’était une rage contenue et il l’avait déjà vu avoir ces petits accès de rage. Rien de grave mais ça ressemblait au comportement d’un jeune animal qui n’est pas à l’aise. Sans doute avait-elle été un peu contaminée par la façon de vivre d’une meute.
- Ce que je ne t’ai pas dit… Mon ex… est un Loup-garou Alpha. Il dirige une meute pas très loin de la Nouvelle-Orléans…
- Là où tu vivais avant…
- Ouais… Je ne suis pas devenue nécromancienne par hasard… Quand mon père a commencé à voir mes capacités, il a préféré déménager à la capitale américaine du Vaudou. Au moins, je pourrais me fondre dans la masse et faire fortune dans la magie pour touristes. Enfin… Tout ça pour dire que j’ai rencontré un type… Que je pensais que c’était un type bien et en fait, c’était un connard de la pire espèce. Depuis, je cours pour lui échapper.
- Je croyais que les loups comprenaient quand on disait non…
- Pas lui.
- Et sa meute… ?
- Est persuadée que je suis la compagne de l’Alpha. Maintenant, range tes affaires…
Elle soupira et le regarda droit dans les yeux avec une petite moue adorable.
- Je suis désolée de t’imposer ça… Mais, tout vampire que tu sois, tu ne résisteras pas à toute une meute.
C’était donc ça cette petite lueur d’instinct qui lui avait fait cacher son autre nature…
Joli, Louveteau…
Va falloir vraiment que tu me trouves un meilleur nom, Petit Singe…
- Donc… Si j’ai bien compris, il faut que je m’enfuie loin, très loin et que je te laisse partir seule avec une meute de loups-garous aux trousses ? (Elle hocha la tête vigoureusement.) Sauf que tu oublies un truc, Azul… Tu viens de te taper une journée entière avec un zombie et je sais à quel point ça te crève… Tu vas prendre ta voiture et un platane au bout de deux heures.
Azul soupira et croisa les bras en oubliant de continuer à remplir son sac.
- Et tu veux que je fasse quoi ? Si je reste ici même pour une sieste de deux heures, je suis sure de me faire chopper…
- Stop. Je prends ta voiture, je conduis toute la nuit et toi tu dors pendant ce temps-là.
Elle s’apprêta à répondre mais referma la bouche, hésitant devant le choix qui s’offrait à elle. Il est vrai que l’alternative qu’il lui offrait lui permettait de doubler la distance de fuite était très séduisante mais elle devrait continuer seule pendant la journée, l’abandonnant quelque part… Merde, il ne méritait pas ça surtout en se montrant aussi gentil.
- Mais et toi ?
- Moi, je m’enterre dans le premier motel qu’on trouve dès que l’aube arrive et toi tu continues ta route.
- Mais s’ils te retrouvent ?
- Il faudrait déjà qu’ils y arrivent. Et puis, vu que les loups se basent sur leur odorat, ils auront deux pistes à suivre. Ca les perdra.
- Et s’ils te suivent et te retrouvent, ils te tueront ! Bon Dieu, Vince… C’est une meute de malades… Je le sais, j’ai été parmi eux !
- C’est justement pour ça qu’on va brouiller les pistes…
Vince prit la jeune femme dans ses bras, ignorant son loup qui grognait parce qu’il détestait le contact avec quelqu’un qu’il n’avait pas choisi. Et ce loup en particulier était extrêmement difficile sur le choix des personnes qu’il acceptait dans son cercle intérieur. Pour le moment, seules deux personnes, peut-être trois mais la troisième c’était plus par pitié pour le moment, avaient le droit aux câlins du loup. Quand on savait que les loups garous en général et les Cœurs de Meute en particulier étaient très portés sur le contact, ce loup passait pour un asocial. On s’en inquiétait… Pas Vince. Bien au contraire. Lui-même se forçait à ces contacts, ne les trouvant plus aussi agréables qu’avant sa double transformation. Un paradoxe pour lui.
- Azul… Arrêtes d’avoir peur pour moi et continues à te préoccuper de toi. Tu sais ce que je suis et j’ai des appuis. Ils ont beau être une meute de malades, ils n’attaqueront pas un vampire parmi les siens. Et j’aurais le temps de me mettre à l’abri.
Il lui embrassa le front, ignorant encore une fois son loup que ces démonstrations de tendresse écœuraient un peu.
- J’ai juste pas envie que tu ais des problèmes à cause de moi…
- Je n’en aurais pas… Merde, Gamine, Je n’ai pas survécu jusque là sans quelques atouts, hum ?
- Ouais… Je sais toujours pas ton âge, d’ailleurs.
Il avait volontairement été vague sur ses années vampiriques. De toute façon, tout le monde lui disait qu’il ne se comportait pas du tout comme un dent de lait alors pourquoi ne pas jouer avec ? De toute façon, personne ne lui aurait donné quatre ans… et le fait qu’il partageait son âme avec un loup qui avait un peu moins d’un siècle n’aidait pas à le faire paraître aussi jeune qu’il l’était… pour un surnaturel. Physiquement, bien sur, il restait à ses vingt neuf ans.
- J’ai arrêté de compter… Je suis très féminin à ce sujet.
Elle se mit à rire et à se détendre. C’était le but. Il lui tapota gentiment le dos et lui sourit sans montrer les dents.
- Allez, ma grande… Va finir tes sacs, je m’habille, je jette quelques trucs dans mon propre sac et on part.
Azul hocha la tête et se remit à courir dans tous les sens pour attraper ce qui lui tenait le plus à cœur. Vince, lui, se contenta d’attraper ses propres vêtements et les fourrer dans un sac de sport tout en faisant un inventaire rapide de qu’il laissait dans sa chambre d’hôtel. Réponse ? Rien qui ne soit remplaçable très facilement. Il vérifia quand même s’il avait bien son sac avec son PC portable et tout son matériel. Rien ne manquait et il plaça le tout sur son sac de sport. Et il lui restait à s’habiller… Il attrapa son jean de la veille et le T-shirt qui avait été jeté à coté. Il avait toujours détesté s’habiller sans prendre une douche mais comme il dégageait moins d’odeur corporelle que les humains, ça ne gênerait que lui. Même son loup ne partageait pas son amour de la douche. Il soupira en se disant qu’il n’était pas aidé quand même…
Azul avait préparé trois sacs différents. L’un pour ses vêtements dont elle aurait besoin, le deuxième pour ses papiers et le dernier pour les choses personnelles qu’elle ne voulait pas laisser ici. Elle savait pertinemment que le dernier sac serait celui qu’elle abandonnerait le plus facilement. Les deux autres… Ses vêtements affineraient la piste olfactive qu’ils avaient déjà, quant à ses papiers, ils leur donneraient une idée de comment elle arrivait à se fondre dans la masse à chaque fois… Cela dit, elle ne pensait pas qu’elle arriverait encore à s’enfuir cette fois. Mark l’avait menacé de lui trancher une jambe ou deux. Il ne le ferait peut-être pas mais lui briser une rotule, ça oui. Il ferait tout pour la garder, cette fois. C’était une question d’honneur… Pour la deuxième fois de la journée, elle sentit la rage lui bloquer la gorge et lui brûler les veines. Sa respiration se fit hachée et elle posa la main sur le mur pour essayer de calmer son cœur et sa respiration. Voir Vince s’habiller la calma. C’était étonnant mais dés leur première rencontre, le vampire l’avait calmé rien qu’en étant présent. Elle s’était arrêtée dans un bar pour prendre un verre et calmer l’une de ses crises d’angoisse et il était là, à contempler un café noir qui refroidissait entre ses mains. Il était tout seul puisque les vampires n’étaient pas trop appréciés en dehors des établissements pour Révélés. Le reste du bar le regardait avec suspicion mais pas elle. Ne serait-ce qu’admirer son profil avait chassé ses idées noires. Et c’est comme ça que tout avait commencé.
Vince se tourna vers Azul et la regarda reprendre son souffle.
- Ca va, ma grande ?
- Ouais, ouais…
- On y va ?
- Oui. De toute façon, on a pas le choix.
Comme Vince était bien élevé, il prit l’un des sacs de sa compagne et cala le sien contre sa hanche avant de tendre la main pour en prendre un second mais Azul refusa. Ils descendirent au garage souterrain pour prendre la vieille voiture d’Azul et partirent sans un regard en arrière. Tout en conduisant dans la ville, Vince caressa les cheveux de la nécromancienne.
- Dors, Azul… Ta journée va être longue.
Le meilleur moyen d’échapper à une meute restait quand même de se mettre dans les pattes d’une autre. Même si un Alpha était taré, il avait quand même du mal à pénétrer sur le territoire d’une autre meute sans en ressentir un certain inconfort surtout quand la meute était puissante. Si Vince avait pu, il aurait amené Azul à Londres et l’aurait confié à Jones. Sans nul doute, la jeune femme n’aurait pas apprécié mais la Meute de Londres aurait réussi à la protéger. Mais aux Etats-Unis… Même si L’Alpha des Alphas avait élu domicile dans les Appalaches, sa localisation devait rester secrète et aucun humain hors-meute n’était admis.
Il y avait un autre moyen, la mettre dans les pattes d’une cour vampirique… Sauf que politiquement parlant, c’était très moyen. Autant impliquer deux meutes l’une contre l’autre était courant et admis mais les vampires contre les loups ? L’inimitié séculaire était morte depuis seulement quelques années mais elle pouvait renaitre de ses cendres à la moindre étincelle. Aucun des dirigeants n’aurait admis un nouveau conflit surtout sous le regard des humains. La paix mondiale était à ce prix.
Vince avait conduit en direction de San Francisco. De là, Azul pourrait partir pour Los Angeles et se fondre dans la communauté surnaturelle de la ville. La Cour vampirique était toujours en restructuration après sa décapitation, trois ans plus tôt, et personne ne voulait prendre le pouvoir sans avoir l’appui de Sigur ou de Menorath, les deux Grands qui avaient ordonné la décapitation. Le résultat ? Simple, la communauté surnaturelle était en pleine anarchie mais vivait correctement sans emmerder personne. La magie de Los Angeles…
Azul dormait, comme une souche. Il valait mieux. Un coup d’œil sur le tableau de bord informa le vampire que le soleil se lèverait dans une petite demi-heure. Même si lui-même supportait de mieux en mieux la lumière du soleil, il n’était pas sur qu’Azul comprenne pourquoi sans lui révéler son autre moitié. Il chercha sur le GPS le motel le plus proche qui était à une quinzaine de minutes de sa position et se modifia sa trajectoire. S’arrêtant sur le parking, il tapa un message sur son téléphone et secoua l’épaule d’Azul qui papillonna des yeux.
- Salut, ma Belle… Tu veux prendre un petit déjeuner avant de repartir ?
- On est où ?
- A une centaine de kilomètres de Cisco. Je te conseille de pousser jusqu’à L.A. et… soit de te noyer dans la masse soit de prendre un avion pour l’Europe ou même New York.
- Et toi, tu vas aller ou ?
- Soit Las Vegas… Pour mon plus grand malheur ou je file au Mexique… Ce qui n’est pas beaucoup mieux.
- Pourquoi ?
- Je suis un Sieg, Chérie… Las Vegas et le Mexique n’aiment pas du tout ma lignée depuis… depuis avant la Grande Révélation.
- Je crois que je ne vais pas dire non à un petit café…
Vince sourit et sortit de la voiture en direction du petit bar à coté du motel, laissant le soin à Azul de fermer la voiture après avoir pris son sac.
- Je suppose que c’est à moi de payer le café ?
- Eh, Beauté ! Je t’ai servi de chauffeur, ça mérite bien un peu de caféine gratuite, non ?
- Une caféine que tu ne vas pas boire…
- C’est pour l’odeur et la chaleur, tu peux pas comprendre…
- En fait, t’es un lézard.
- Comme tous les vampires, Chérie.
Il reprit sa marche en faisant craquer sa nuque mais quelque chose dans l’air lui déplaisait fortement. Et ce n’était pas parce que l’aube était dangereusement proche, il y a avait bien une petite année qu’il avait réussi à passer au-delà de la peur du soleil mais quelque chose n’allait pas. Une impression due sans doute à la sirène de police qui s’approchait. Il marmonna entre ses dents, de manière à ce qu’Azul ne comprenne pas ses paroles.
- Ce n’est que moi ou tu sens quelque chose ?
L’impression d’être une proie.
- Génial…
Le sentiment d’insécurité se mua en certitude quand la voiture de police tourna dans le parking du motel et dérapa jusqu’à eux. Vince s’arréta et se laissa dépasser par Azul de manière à s’interposer entre elle et les flics qui sortaient de la voiture, l’arme au poing et l’air de vraiment vouloir s’en servir. Ce qui était fort étonnant.
- Zu ? T’as fait des conneries en Californie récemment ?
- Non… Je ne suis jamais venue…
La voix de la jeune femme tremblait et elle se glissa sagement dans le dos de son amant.
- Alors, c’est encore pire que ce que je pensais. Reste en alerte.
Sa remarque ne visait pas Azul mais elle acquiesça quand même. Quant au loup dans sa tête, il était parfaitement réveillé et commençait à calculer les opportunités. En général, les moitiés louves étaient portées sur l’instinct, son loup était plutôt logique. Un ordinateur qui se consacrait à la prédation, du moins quand il ne faisait pas de crises d’hyper émotivité qui déteignaient sur son hôte.
Les deux flics se mirent en joue, pointant le couple de leurs canons.
- Azul Rosario, vous êtes en état d’arrestation !
- Ô joie…
- Vince… ? Il se passe quoi ?
Vince continuait de s’interposer entre la jeune femme et les forces de l’ordre, sans doute parce les balles, même si elles restaient douloureuses, ne le tueraient pas. Elle par contre… Fort heureusement, un amendement fédéral avait interdit les balles spéciales anti-révélés aux forces de police à travers tout le pays.
- Je dirais qu’un crétin t’a mis un mandat d’arrêt sur la tête. Ton ex peut-être ?
- La meute de la Nouvelle-Orléans faisant pression en Californie pour me faire arrêter ?
- Non, tu as raison, c’est même trop rapide pour un mandat fédéral.
Il soupira et composa son plus beau sourire en levant les mains, utilisant une partie de son pouvoir pour se rendre encore plus attractif. Une petite capacité qu’il s’était découvert totalement par hasard et… que malheureusement, il ne maitrisait pas bien. Néanmoins, c’était la seule facette de ses pouvoirs qui ne risquaient pas de laisser des traces de sang partout. Et tuer des flics… ? Très mauvais pour l’image de marque… Victor l’avait suffisamment prévenu à ce sujet : Ne fais pas de vagues, nous avons besoin de l’opinion publique et surtout, surtout ! Sois gentil avec les gentils policiers qui nous protègent, d’accord ?
Sauf que les gentils policiers n’avaient pas l’air de vouloir se calmer ni même de quitter leur mine particulièrement agressive et surtout, ils n’avaient strictement rien dit depuis l’arrestation.
- Et ça marche pas…
- Vince ? Il se passe quoi , merde ?
Tu veux qu’on tente MA version du changement d’attitude?
- Sans vouloir te manquer de respect, louveteau, c’est vraiment pas le moment…
Azul avait crispé ses mains sur le dos du T-shirt de Vince et sa respiration était devenue rauque. Ses doigts qui s’entortillaient dans le tissu tremblaient.
Danger.
- Où ?
Derrière.
Vince tourna légèrement la tête et laissa glisser son regard sur la silhouette qui se recroquevillait contre lui. Le tremblement était général, le souffle rauque était ponctué de gémissements presque animaux… et il ne voyait pas ses yeux.
- Zu… ? Est-ce que tu te transformes, par hasard ?
Mais tu es stupide ou quoi ? Elle ne sent pas le métamorphe !
- Alors pourquoi j’ai l’impression qu’elle est en train de faire une crise, là ?
Parce que… Elle est en train de faire une crise. . ? Je ne comprends pas… Oh, et danger, droit devant.
Se retournant à nouveau, Vince aperçut les deux loups à la fourrure sombre qui approchaient, ventre à terre, des deux agents de police. Si ces deux-là avaient travaillé pour lui, il les aurait félicité pour leur débrouillardise avant de leur passer un savon pour leur connerie ! Manifestement, les deux loups les avaient suivi à l’odeur depuis Seattle, ce qui était déjà un exploit, et, sans doute durant une pause, avaient dominé deux membres des forces de l’ordre pour les ralentir… Deux policiers ! Sitôt que l’Alpha des alphas en aurait vent, leur meute allait s’en prendre plein les dents. Qu’est-ce qui n’allait pas chez eux ? Quel était le terme qu’ils n’avaient pas compris dans « Merci de ne pas faire de vagues » ? Le vampire soupira. Le loup en lui avait envie de se taper la tête contre les murs ou plutôt le bitume puisque le mur le plus proche était à une vingtaine de mètres. Quant à la demoiselle derrière lui, elle venait de lui planter ses ongles dans les côtes.
Petit singe, j’ai un problème… Je ne reconnais absolument pas l’odeur…
- Ouais ben, j’ai un autre souci, là…
Les policiers avaient enlevé la sécurité et les loups étaient tous crocs dehors, prêts à bondir. S’il n’avait pas eu Azul dans le dos, il aurait pu s’occuper des quatre menaces sans problèmes. Nul doute que les humains étaient encore contrôlés par les loups et sitôt qu’il se serait montré en tant que Cœur de la Meute, ils se seraient arrêtés. Encore fallait-il qu’il ait le temps de se transformer et que la demoiselle ne soit pas phobique des loups. Et c’était peut-être ça le problème en fait, une simple crise de panique parce qu’elle les avait sentis avant lui, ce qui était possible après tout, pourquoi pas…
C’est quand il sentit que les ongles qui lui éraflaient les côtes devenaient de plus en plus pointues, comme des griffes. Ce n’était décidément pas une crise de panique.
Je pense que tu l’as senti, Petit Singe, mais tout le monde est dans une tension assez palpable…
- Non, sans rire ?
Mis à part nous.
- Quand tu auras fini avec les évidences…
Oui, oui… J’ai compris. Nous manquons de temps pour une transformation. Cela dit, les quatre tarés devant nous sont focalisés sur nous. La demoiselle ne risque rien. Mais… La demoiselle se transforme en… Je ne sais pas quoi, je ne reconnais pas du tout l’odeur qu’elle dégage, son parfum de nécromancienne ne m’aidant pas du tout.
- Et tu préconises ?
De ne pas rester entre les deux ? Dans un premier temps, bien sûr.
- Je te laisse la stratégie cette fois.
Le grondement du loup se répercuta dans tout son crâne mais pas comme un avertissement ou comme la manifestation de son énervement. Plutôt une anticipation plaisante. Les années dans la Cage n’avaient pas émoussé sa capacité à trouver de l’amusement dans un combat ou dans une traque. En fait, n’importe quelle activité provoquant une poussée d’adrénaline le rendait joyeux. Il en fallait peu pour le rendre heureux, celui-là.
Les deux loups bruns avaient ralenti leur course pour se poster à côté des policiers. Si les loups étaient calmes, enfin relativement calmes pour des loups en chasse, les deux humains commençaient à suer plus qu’il n’était permis et à trembler : l’instinct primaire de conservation se braquant contre le conditionnement lupin. On pouvait être quasiment sûr qu’ils allaient tirer bientôt, ne serait-ce que pour soulager une partie de leur pression. Comme à chaque fois que son esprit loup prenait les rênes, Vince eut l’impression d’assister à un arrêt sur image. Il pouvait même se balader dans la scène pour en voir chaque détail tandis que son loup énumérait les possibilités et les points d’intérêt. Plusieurs fois, Vince s’était demandé comment une telle chose était possible. Il faut dire qu’avec la Grande Révélation, il avait fini par croiser de plus en plus de créatures étranges aux pouvoirs très divers. Et c’est sans doute ces rencontres qui l’avaient amené à considérer que peut-être il avait une petite influence sur le temps. Mais non, après enquête, il n’arrêtait ni ne ralentissait le temps. Il s’agissait juste de deux cerveaux de prédateurs qui réfléchissaient en même temps sur le même problème mais au lieu de se neutraliser par des avis différents, leurs réflexions poussaient encore plus loin. En moins d’un an, Vince était devenu un traqueur exceptionnel.
Les policiers allaient tirer ? C’était évident.
Les loups garous allaient lui sauter dessus ? Sans doute. S’ils étaient intelligents, ils le feraient après que les policiers aient tiré mais étaient-ils vraiment intelligents ? Ou même capable de réfléchir ? Un loup-garou ne se transforme que s’il est sur de combattre ou de chasser ou de faire une quelconque activité nécessitant de résoudre une équation à trois inconnues. Avec un peu de chance, la détonation les surprendrait et les ferait sursauter.
Azul finirait-elle bientôt sa transformation ? Rien n’était moins sûr. Comme il était impossible de savoir en quoi elle se transformait, peut-être une abomination nécromantique pour ce qu’il en savait, le délai pouvait varier de cinq minutes à trente-trois heures. Autant ne pas la compter.
Vince pouvait-il les vaincre ? Oh, oui…
Avec un léger sourire en coin, il commença à bouger, plaçant dans son dos sa main droite pour attraper le bras d’Azul et la pousser sur le côté, pile au moment où les deux canons crachèrent leurs balles. Par chance, les deux projectiles passèrent entre eux sans blesser personne. Vince lâcha la jeune femme qui s’écroula au sol mais il ne pouvait pas la garder avec lui. Elle serait un poids mort en plus d’être en danger. Les policiers paniquèrent complètement et entreprirent de vider leur chargeur sur le vampire, les loups ne les tenant plus, trop occupés à sauter sur leur proie. Se baissant pour esquiver la majorité des balles et espérant que les forces de police continueraient à lui tirer dessus, il laissa les loups s’interposer entre lui et le plomb. Certes, ces balles ne leur feraient rien de définitif mais peut-être que la surprise et la douleur les forceraient à se retourner les uns contre les autres. De toute façon, les deux policiers, toujours en pleine panique, allaient commencer à tirer sur tout ce qui bougeait. Fort heureusement, il vit qu’Azul essayait péniblement de ramper vers un abri. Un ennui en moins. Vince regrettait juste de ne pas pouvoir se changer en loup. La transformation lupine était un processus trop long pour être déclenché en plein milieu d’un combat. Oh, bien sur, il pouvait la commencer et profiter des quelques armes supplémentaires d’une forme incomplète mais la douleur résiduelle sans oublier qu’on ne pouvait interrompre la transformation risquait plutôt de la pénaliser. Le loup et le vampire en étaient parfaitement conscients.
Alors que le premier loup se jetait sur lui, griffes et crocs sortis, Vince se précipita sous lui pour le soulever en se relevant, profitant de la force de son adversaire pour le mettre à terre. Il lui restait à attraper l’autre loup par les babines, les tordre pour exposer le cou et mordre violement. De toute façon, il n’avait jamais su mordre autrement… sauf… Mais son loup lui interdit de s’en souvenir. Les canines d’un vampire avaient la même létalité qu’une arme en argent pour un loup-garou : les blessures ne guériraient pas tout de suite et Vince avait frappé au niveau de la carotide. Arrachant la peau et la chair, il laissa le sang du loup jaillir en geyser. Il ignorait si le loup allait continuer à se battre avec une telle plaie mais ce n’était pas très important. Soit il était déjà hors combat, soit il le serait d’ici peu à cause de la perte de sang. Pour les deux flics, il suffisait de les assommer. Un coup de poing sur la tempe pour l’un et un coup de talon dans la mâchoire pour l’autre. De quoi les envoyer au tapis pour au moins une heure.
Trois adversaires en moins, il restait un loup. Que ce soit le Loup ou le Vampire, aucun des deux ne pensait que ce serait difficile. Et si son adversaire avait une lueur d’intelligence, il se mettrait à courir ventre à terre pour échapper à la mort.
Il n’eut même pas l’occasion de se poser la question. La voiture d’Azul vola entre le vampire et le loup pour s’arrêter un peu plus loin dans une protestation des amortisseurs. Même si c’était fortement déconseillé, les deux adversaires tournèrent les yeux vers ce qui avait envoyé valser prés d’une tonne de métal et de plastique. Et la surprise prévalut sur toute considération de prudence. Le museau triangulaire, les écailles oscillant entre le turquoise et le vert d’eau, les yeux de serpent aussi jaunes qu’une citrine… et les quatre pattes ! Les pattes antérieures étaient relativement fines comme celles d’un cerf ou d’une antilope mais les pattes arrière étaient aussi larges qu’une roue de trente-trois tonnes. Que ce soit le loup-garou brun ou Vince, ils regardèrent tous les deux l’un ses griffes et l’autre ses ongles, ne pouvant que faire une comparaison défavorable en face des véritables lames de roto broyeuse du troisième concurrent.
Là, je sèche, Petit Singe.
- Pas mieux.
La « bête » hurla en dévoilant ses crocs qui étaient à peine moins impressionnants que les griffes et le son de ce cri rappela Godzilla. On était très loin de la discrétion souhaitée mais parfois, la discrétion s’efface devant l’urgence. Vince recula jusqu’aux policiers et les prit chacun par la ceinture pour les éloigner du champ de bataille. Fort heureusement, la créature préféra sauter sur le loup survivant pour le mettre en pièces.
Je n’ai jamais vu cette chose.
- Moi non plus.
On fuit ?
- Euh… Elle ne nous attaque pas…
Oui, mais elle peut le faire.
- On a le temps…
Ignorant les grommellements de mécontentement de son loup intérieur, Vince cala les deux policiers contre leur propre voiture et sortit son téléphone de sa poche pour composer un numéro. Il n’eut à attendre que deux sonneries avant que son interlocuteur ne décroche.
- Ouais, salut Fenris… Je voulais te demander une chose : C’est normal que la demoiselle que tu m’as demandé de surveiller se transforme en dragon ?
Petit point d’achoppement entre la propriétaire et lui d’ailleurs… les crocs. Bon, ça ne les avait pas empêché de passer d’excellents moments au lit mais elle avait refusé catégoriquement qu’il la morde. Même s’il ne pouvait pas dire que le simple fait de la mordre et de sentir son sang chaud lui toucher la langue au point de lui donner au mieux des sueurs froides et au pire des nausées, il avait du mal à lui faire comprendre qu’il ne la mordrait pas sans son consentement. Du reste, mordre un humain sans son consentement était catégorisé dans les crimes au même titre qu’une agression, voire un viol. La seule morsure sans consentement acceptable était celle due à la faim mais il y avait tellement de paramètres qui invalidaient la permission, comme le fait que la victime soit encore en vie… alors que le vampire était tellement assoiffé qu’il ne distinguait même plus amis ou ennemis… que les vampires préféraient s’en sentir au « pas de morsure sans consentement » point final. On évitait les arguties juridiques à n’en plus finir pour le même résultat : Au mieux l’emprisonnement au centre de détention surnaturelle de Lancry, au pire, un membre de la toute nouvelle brigade surnaturelle qui ne se contentait pas de vous immobiliser mais bien de vous achever. Cependant, son amante, qui n’était pourtant pas une oie blanche, éprouvait toujours une petite appréhension devant ses quatre jolies canines pointues.
Bah… Ce n’était comme si il comptait vivre avec… Même si ça faisait maintenant deux semaines qu’il avait emménagé chez elle, parce qu’il vivait depuis trois semaines à l’hôtel en attendant de trouver un appartement qu’il ne trouvait pas parce qu’il ne cherchait pas vraiment et parce que la location pour vampires n’était pas vraiment attractive à Seattle. Soit on tombait dans le taudis, soit on avait une cave vampirique du style Dracula, décorée par des fans extatiques. Et puis bon… Il ne souhaitait pas rester à Seattle plus que de raison. Il espérait que sa mission touche à sa fin et n’en déplaise à sa propriétaire, il ne resterait pas pour elle. Non qu’il ne l’aimait pas, bien sûr que c’était chouette de passer du temps avec elle mais… Il n’y avait pas ce qu’il attendait d’une relation suivie avec quelqu’un : le sentiment de sécurité. Elle n’y était pour rien, il n’y était pour rien, ils n’étaient juste pas les bonnes personnes à mettre en couple. Ce qui était presque dommage vu leur entente sexuelle. Il fit rouler ses épaules sans se préoccuper du bruit dans le salon et dans la cuisine. Une véritable course-poursuite à entendre les bruits de pas. Peut-être avait-elle oublié quelque chose avant d’aller au travail ? Un regard sur le réveil lui apprit que le soleil était couché, certes, mais pas depuis longtemps. D’où son envie de déchiqueter ce qui passerait à sa portée. Il le savait : Sa maitresse ne travaillait pas après le coucher du soleil. Pas par peur, mais selon les conventions de son travail, il lui était interdit de l’exercer la nuit. Donc… Elle ne cherchait pas quelque chose qu’elle avait oublié pour le boulot et sa panique n’était pas très compréhensible. Néanmoins, il se leva pour prendre une douche mais fut intercepté par Azul qui ouvrit la porte en grand.
Il se frotta les yeux pour cacher les reflets saphir de ses prunelles.
- Il faut qu’on se taille. Ce soir.
- Salut, beauté. Ta journée s’est bien passée ?
Elle n’écouta pas et commença à fourrer pêle-mêle des vêtements dans un sac de sport, pillant méthodiquement ses tiroirs. Reniflant, il sentit l’odeur acide de la panique profonde, une peur qui était ancrée en elle depuis suffisamment longtemps pour qu’elle réagisse avec autant de reflexes conditionnés. Elle avait déjà prévu sa fuite depuis longtemps et ne perdait pas de temps à se poser des questions sur comment elle allait partir. Elle partait. Point barre. Il n’insista donc pas.
- Tu pars où ?
- Je sais pas… Loin. Tu dois partir aussi. S’ils te retrouvent… Putain, ils vont te mettre en morceaux… T’as toujours une possibilité de retourner à New York ?
- Ouais, bien sur…Pourquoi je devrais partir ?
Il avait envie de bailler mais il se contraignit à ne pas le faire. Avec sa terreur, elle risquait de très mal prendre la vision des crocs.
- Parce que s’ils te retrouvent, ils sentiront mon odeur sur toi, ils sauront qu’on couche ensemble et ils te mettront en pièces à cause de ça.
- Et pourquoi ?
- Parce qu’ils croiront que… tu as voulu me voler à lui…
Intérieurement, Vince maudit celui qui lui avait demandé de partir à Seattle et d’établir le contact avec la faune locale. Encore un léger reniflement alors qu’il récupérait un jean dans sa valise et il confirma qu’elle ne sentait pas le métamorphe. Mais oui, elle avait connu des loups-garous, oui, elle en avait souffert.
- L’ex dont tu ne veux pas parler…
- Ouais… Ce que je t’ai pas dit c’est que…
Azul s’arrêta de ranger ses affaires et serra contre elle un simple pull en laine bleu. Ses mains tremblaient mais pas de peur. C’était une rage contenue et il l’avait déjà vu avoir ces petits accès de rage. Rien de grave mais ça ressemblait au comportement d’un jeune animal qui n’est pas à l’aise. Sans doute avait-elle été un peu contaminée par la façon de vivre d’une meute.
- Ce que je ne t’ai pas dit… Mon ex… est un Loup-garou Alpha. Il dirige une meute pas très loin de la Nouvelle-Orléans…
- Là où tu vivais avant…
- Ouais… Je ne suis pas devenue nécromancienne par hasard… Quand mon père a commencé à voir mes capacités, il a préféré déménager à la capitale américaine du Vaudou. Au moins, je pourrais me fondre dans la masse et faire fortune dans la magie pour touristes. Enfin… Tout ça pour dire que j’ai rencontré un type… Que je pensais que c’était un type bien et en fait, c’était un connard de la pire espèce. Depuis, je cours pour lui échapper.
- Je croyais que les loups comprenaient quand on disait non…
- Pas lui.
- Et sa meute… ?
- Est persuadée que je suis la compagne de l’Alpha. Maintenant, range tes affaires…
Elle soupira et le regarda droit dans les yeux avec une petite moue adorable.
- Je suis désolée de t’imposer ça… Mais, tout vampire que tu sois, tu ne résisteras pas à toute une meute.
C’était donc ça cette petite lueur d’instinct qui lui avait fait cacher son autre nature…
Joli, Louveteau…
Va falloir vraiment que tu me trouves un meilleur nom, Petit Singe…
- Donc… Si j’ai bien compris, il faut que je m’enfuie loin, très loin et que je te laisse partir seule avec une meute de loups-garous aux trousses ? (Elle hocha la tête vigoureusement.) Sauf que tu oublies un truc, Azul… Tu viens de te taper une journée entière avec un zombie et je sais à quel point ça te crève… Tu vas prendre ta voiture et un platane au bout de deux heures.
Azul soupira et croisa les bras en oubliant de continuer à remplir son sac.
- Et tu veux que je fasse quoi ? Si je reste ici même pour une sieste de deux heures, je suis sure de me faire chopper…
- Stop. Je prends ta voiture, je conduis toute la nuit et toi tu dors pendant ce temps-là.
Elle s’apprêta à répondre mais referma la bouche, hésitant devant le choix qui s’offrait à elle. Il est vrai que l’alternative qu’il lui offrait lui permettait de doubler la distance de fuite était très séduisante mais elle devrait continuer seule pendant la journée, l’abandonnant quelque part… Merde, il ne méritait pas ça surtout en se montrant aussi gentil.
- Mais et toi ?
- Moi, je m’enterre dans le premier motel qu’on trouve dès que l’aube arrive et toi tu continues ta route.
- Mais s’ils te retrouvent ?
- Il faudrait déjà qu’ils y arrivent. Et puis, vu que les loups se basent sur leur odorat, ils auront deux pistes à suivre. Ca les perdra.
- Et s’ils te suivent et te retrouvent, ils te tueront ! Bon Dieu, Vince… C’est une meute de malades… Je le sais, j’ai été parmi eux !
- C’est justement pour ça qu’on va brouiller les pistes…
Vince prit la jeune femme dans ses bras, ignorant son loup qui grognait parce qu’il détestait le contact avec quelqu’un qu’il n’avait pas choisi. Et ce loup en particulier était extrêmement difficile sur le choix des personnes qu’il acceptait dans son cercle intérieur. Pour le moment, seules deux personnes, peut-être trois mais la troisième c’était plus par pitié pour le moment, avaient le droit aux câlins du loup. Quand on savait que les loups garous en général et les Cœurs de Meute en particulier étaient très portés sur le contact, ce loup passait pour un asocial. On s’en inquiétait… Pas Vince. Bien au contraire. Lui-même se forçait à ces contacts, ne les trouvant plus aussi agréables qu’avant sa double transformation. Un paradoxe pour lui.
- Azul… Arrêtes d’avoir peur pour moi et continues à te préoccuper de toi. Tu sais ce que je suis et j’ai des appuis. Ils ont beau être une meute de malades, ils n’attaqueront pas un vampire parmi les siens. Et j’aurais le temps de me mettre à l’abri.
Il lui embrassa le front, ignorant encore une fois son loup que ces démonstrations de tendresse écœuraient un peu.
- J’ai juste pas envie que tu ais des problèmes à cause de moi…
- Je n’en aurais pas… Merde, Gamine, Je n’ai pas survécu jusque là sans quelques atouts, hum ?
- Ouais… Je sais toujours pas ton âge, d’ailleurs.
Il avait volontairement été vague sur ses années vampiriques. De toute façon, tout le monde lui disait qu’il ne se comportait pas du tout comme un dent de lait alors pourquoi ne pas jouer avec ? De toute façon, personne ne lui aurait donné quatre ans… et le fait qu’il partageait son âme avec un loup qui avait un peu moins d’un siècle n’aidait pas à le faire paraître aussi jeune qu’il l’était… pour un surnaturel. Physiquement, bien sur, il restait à ses vingt neuf ans.
- J’ai arrêté de compter… Je suis très féminin à ce sujet.
Elle se mit à rire et à se détendre. C’était le but. Il lui tapota gentiment le dos et lui sourit sans montrer les dents.
- Allez, ma grande… Va finir tes sacs, je m’habille, je jette quelques trucs dans mon propre sac et on part.
Azul hocha la tête et se remit à courir dans tous les sens pour attraper ce qui lui tenait le plus à cœur. Vince, lui, se contenta d’attraper ses propres vêtements et les fourrer dans un sac de sport tout en faisant un inventaire rapide de qu’il laissait dans sa chambre d’hôtel. Réponse ? Rien qui ne soit remplaçable très facilement. Il vérifia quand même s’il avait bien son sac avec son PC portable et tout son matériel. Rien ne manquait et il plaça le tout sur son sac de sport. Et il lui restait à s’habiller… Il attrapa son jean de la veille et le T-shirt qui avait été jeté à coté. Il avait toujours détesté s’habiller sans prendre une douche mais comme il dégageait moins d’odeur corporelle que les humains, ça ne gênerait que lui. Même son loup ne partageait pas son amour de la douche. Il soupira en se disant qu’il n’était pas aidé quand même…
Azul avait préparé trois sacs différents. L’un pour ses vêtements dont elle aurait besoin, le deuxième pour ses papiers et le dernier pour les choses personnelles qu’elle ne voulait pas laisser ici. Elle savait pertinemment que le dernier sac serait celui qu’elle abandonnerait le plus facilement. Les deux autres… Ses vêtements affineraient la piste olfactive qu’ils avaient déjà, quant à ses papiers, ils leur donneraient une idée de comment elle arrivait à se fondre dans la masse à chaque fois… Cela dit, elle ne pensait pas qu’elle arriverait encore à s’enfuir cette fois. Mark l’avait menacé de lui trancher une jambe ou deux. Il ne le ferait peut-être pas mais lui briser une rotule, ça oui. Il ferait tout pour la garder, cette fois. C’était une question d’honneur… Pour la deuxième fois de la journée, elle sentit la rage lui bloquer la gorge et lui brûler les veines. Sa respiration se fit hachée et elle posa la main sur le mur pour essayer de calmer son cœur et sa respiration. Voir Vince s’habiller la calma. C’était étonnant mais dés leur première rencontre, le vampire l’avait calmé rien qu’en étant présent. Elle s’était arrêtée dans un bar pour prendre un verre et calmer l’une de ses crises d’angoisse et il était là, à contempler un café noir qui refroidissait entre ses mains. Il était tout seul puisque les vampires n’étaient pas trop appréciés en dehors des établissements pour Révélés. Le reste du bar le regardait avec suspicion mais pas elle. Ne serait-ce qu’admirer son profil avait chassé ses idées noires. Et c’est comme ça que tout avait commencé.
Vince se tourna vers Azul et la regarda reprendre son souffle.
- Ca va, ma grande ?
- Ouais, ouais…
- On y va ?
- Oui. De toute façon, on a pas le choix.
Comme Vince était bien élevé, il prit l’un des sacs de sa compagne et cala le sien contre sa hanche avant de tendre la main pour en prendre un second mais Azul refusa. Ils descendirent au garage souterrain pour prendre la vieille voiture d’Azul et partirent sans un regard en arrière. Tout en conduisant dans la ville, Vince caressa les cheveux de la nécromancienne.
- Dors, Azul… Ta journée va être longue.
Le meilleur moyen d’échapper à une meute restait quand même de se mettre dans les pattes d’une autre. Même si un Alpha était taré, il avait quand même du mal à pénétrer sur le territoire d’une autre meute sans en ressentir un certain inconfort surtout quand la meute était puissante. Si Vince avait pu, il aurait amené Azul à Londres et l’aurait confié à Jones. Sans nul doute, la jeune femme n’aurait pas apprécié mais la Meute de Londres aurait réussi à la protéger. Mais aux Etats-Unis… Même si L’Alpha des Alphas avait élu domicile dans les Appalaches, sa localisation devait rester secrète et aucun humain hors-meute n’était admis.
Il y avait un autre moyen, la mettre dans les pattes d’une cour vampirique… Sauf que politiquement parlant, c’était très moyen. Autant impliquer deux meutes l’une contre l’autre était courant et admis mais les vampires contre les loups ? L’inimitié séculaire était morte depuis seulement quelques années mais elle pouvait renaitre de ses cendres à la moindre étincelle. Aucun des dirigeants n’aurait admis un nouveau conflit surtout sous le regard des humains. La paix mondiale était à ce prix.
Vince avait conduit en direction de San Francisco. De là, Azul pourrait partir pour Los Angeles et se fondre dans la communauté surnaturelle de la ville. La Cour vampirique était toujours en restructuration après sa décapitation, trois ans plus tôt, et personne ne voulait prendre le pouvoir sans avoir l’appui de Sigur ou de Menorath, les deux Grands qui avaient ordonné la décapitation. Le résultat ? Simple, la communauté surnaturelle était en pleine anarchie mais vivait correctement sans emmerder personne. La magie de Los Angeles…
Azul dormait, comme une souche. Il valait mieux. Un coup d’œil sur le tableau de bord informa le vampire que le soleil se lèverait dans une petite demi-heure. Même si lui-même supportait de mieux en mieux la lumière du soleil, il n’était pas sur qu’Azul comprenne pourquoi sans lui révéler son autre moitié. Il chercha sur le GPS le motel le plus proche qui était à une quinzaine de minutes de sa position et se modifia sa trajectoire. S’arrêtant sur le parking, il tapa un message sur son téléphone et secoua l’épaule d’Azul qui papillonna des yeux.
- Salut, ma Belle… Tu veux prendre un petit déjeuner avant de repartir ?
- On est où ?
- A une centaine de kilomètres de Cisco. Je te conseille de pousser jusqu’à L.A. et… soit de te noyer dans la masse soit de prendre un avion pour l’Europe ou même New York.
- Et toi, tu vas aller ou ?
- Soit Las Vegas… Pour mon plus grand malheur ou je file au Mexique… Ce qui n’est pas beaucoup mieux.
- Pourquoi ?
- Je suis un Sieg, Chérie… Las Vegas et le Mexique n’aiment pas du tout ma lignée depuis… depuis avant la Grande Révélation.
- Je crois que je ne vais pas dire non à un petit café…
Vince sourit et sortit de la voiture en direction du petit bar à coté du motel, laissant le soin à Azul de fermer la voiture après avoir pris son sac.
- Je suppose que c’est à moi de payer le café ?
- Eh, Beauté ! Je t’ai servi de chauffeur, ça mérite bien un peu de caféine gratuite, non ?
- Une caféine que tu ne vas pas boire…
- C’est pour l’odeur et la chaleur, tu peux pas comprendre…
- En fait, t’es un lézard.
- Comme tous les vampires, Chérie.
Il reprit sa marche en faisant craquer sa nuque mais quelque chose dans l’air lui déplaisait fortement. Et ce n’était pas parce que l’aube était dangereusement proche, il y a avait bien une petite année qu’il avait réussi à passer au-delà de la peur du soleil mais quelque chose n’allait pas. Une impression due sans doute à la sirène de police qui s’approchait. Il marmonna entre ses dents, de manière à ce qu’Azul ne comprenne pas ses paroles.
- Ce n’est que moi ou tu sens quelque chose ?
L’impression d’être une proie.
- Génial…
Le sentiment d’insécurité se mua en certitude quand la voiture de police tourna dans le parking du motel et dérapa jusqu’à eux. Vince s’arréta et se laissa dépasser par Azul de manière à s’interposer entre elle et les flics qui sortaient de la voiture, l’arme au poing et l’air de vraiment vouloir s’en servir. Ce qui était fort étonnant.
- Zu ? T’as fait des conneries en Californie récemment ?
- Non… Je ne suis jamais venue…
La voix de la jeune femme tremblait et elle se glissa sagement dans le dos de son amant.
- Alors, c’est encore pire que ce que je pensais. Reste en alerte.
Sa remarque ne visait pas Azul mais elle acquiesça quand même. Quant au loup dans sa tête, il était parfaitement réveillé et commençait à calculer les opportunités. En général, les moitiés louves étaient portées sur l’instinct, son loup était plutôt logique. Un ordinateur qui se consacrait à la prédation, du moins quand il ne faisait pas de crises d’hyper émotivité qui déteignaient sur son hôte.
Les deux flics se mirent en joue, pointant le couple de leurs canons.
- Azul Rosario, vous êtes en état d’arrestation !
- Ô joie…
- Vince… ? Il se passe quoi ?
Vince continuait de s’interposer entre la jeune femme et les forces de l’ordre, sans doute parce les balles, même si elles restaient douloureuses, ne le tueraient pas. Elle par contre… Fort heureusement, un amendement fédéral avait interdit les balles spéciales anti-révélés aux forces de police à travers tout le pays.
- Je dirais qu’un crétin t’a mis un mandat d’arrêt sur la tête. Ton ex peut-être ?
- La meute de la Nouvelle-Orléans faisant pression en Californie pour me faire arrêter ?
- Non, tu as raison, c’est même trop rapide pour un mandat fédéral.
Il soupira et composa son plus beau sourire en levant les mains, utilisant une partie de son pouvoir pour se rendre encore plus attractif. Une petite capacité qu’il s’était découvert totalement par hasard et… que malheureusement, il ne maitrisait pas bien. Néanmoins, c’était la seule facette de ses pouvoirs qui ne risquaient pas de laisser des traces de sang partout. Et tuer des flics… ? Très mauvais pour l’image de marque… Victor l’avait suffisamment prévenu à ce sujet : Ne fais pas de vagues, nous avons besoin de l’opinion publique et surtout, surtout ! Sois gentil avec les gentils policiers qui nous protègent, d’accord ?
Sauf que les gentils policiers n’avaient pas l’air de vouloir se calmer ni même de quitter leur mine particulièrement agressive et surtout, ils n’avaient strictement rien dit depuis l’arrestation.
- Et ça marche pas…
- Vince ? Il se passe quoi , merde ?
Tu veux qu’on tente MA version du changement d’attitude?
- Sans vouloir te manquer de respect, louveteau, c’est vraiment pas le moment…
Azul avait crispé ses mains sur le dos du T-shirt de Vince et sa respiration était devenue rauque. Ses doigts qui s’entortillaient dans le tissu tremblaient.
Danger.
- Où ?
Derrière.
Vince tourna légèrement la tête et laissa glisser son regard sur la silhouette qui se recroquevillait contre lui. Le tremblement était général, le souffle rauque était ponctué de gémissements presque animaux… et il ne voyait pas ses yeux.
- Zu… ? Est-ce que tu te transformes, par hasard ?
Mais tu es stupide ou quoi ? Elle ne sent pas le métamorphe !
- Alors pourquoi j’ai l’impression qu’elle est en train de faire une crise, là ?
Parce que… Elle est en train de faire une crise. . ? Je ne comprends pas… Oh, et danger, droit devant.
Se retournant à nouveau, Vince aperçut les deux loups à la fourrure sombre qui approchaient, ventre à terre, des deux agents de police. Si ces deux-là avaient travaillé pour lui, il les aurait félicité pour leur débrouillardise avant de leur passer un savon pour leur connerie ! Manifestement, les deux loups les avaient suivi à l’odeur depuis Seattle, ce qui était déjà un exploit, et, sans doute durant une pause, avaient dominé deux membres des forces de l’ordre pour les ralentir… Deux policiers ! Sitôt que l’Alpha des alphas en aurait vent, leur meute allait s’en prendre plein les dents. Qu’est-ce qui n’allait pas chez eux ? Quel était le terme qu’ils n’avaient pas compris dans « Merci de ne pas faire de vagues » ? Le vampire soupira. Le loup en lui avait envie de se taper la tête contre les murs ou plutôt le bitume puisque le mur le plus proche était à une vingtaine de mètres. Quant à la demoiselle derrière lui, elle venait de lui planter ses ongles dans les côtes.
Petit singe, j’ai un problème… Je ne reconnais absolument pas l’odeur…
- Ouais ben, j’ai un autre souci, là…
Les policiers avaient enlevé la sécurité et les loups étaient tous crocs dehors, prêts à bondir. S’il n’avait pas eu Azul dans le dos, il aurait pu s’occuper des quatre menaces sans problèmes. Nul doute que les humains étaient encore contrôlés par les loups et sitôt qu’il se serait montré en tant que Cœur de la Meute, ils se seraient arrêtés. Encore fallait-il qu’il ait le temps de se transformer et que la demoiselle ne soit pas phobique des loups. Et c’était peut-être ça le problème en fait, une simple crise de panique parce qu’elle les avait sentis avant lui, ce qui était possible après tout, pourquoi pas…
C’est quand il sentit que les ongles qui lui éraflaient les côtes devenaient de plus en plus pointues, comme des griffes. Ce n’était décidément pas une crise de panique.
Je pense que tu l’as senti, Petit Singe, mais tout le monde est dans une tension assez palpable…
- Non, sans rire ?
Mis à part nous.
- Quand tu auras fini avec les évidences…
Oui, oui… J’ai compris. Nous manquons de temps pour une transformation. Cela dit, les quatre tarés devant nous sont focalisés sur nous. La demoiselle ne risque rien. Mais… La demoiselle se transforme en… Je ne sais pas quoi, je ne reconnais pas du tout l’odeur qu’elle dégage, son parfum de nécromancienne ne m’aidant pas du tout.
- Et tu préconises ?
De ne pas rester entre les deux ? Dans un premier temps, bien sûr.
- Je te laisse la stratégie cette fois.
Le grondement du loup se répercuta dans tout son crâne mais pas comme un avertissement ou comme la manifestation de son énervement. Plutôt une anticipation plaisante. Les années dans la Cage n’avaient pas émoussé sa capacité à trouver de l’amusement dans un combat ou dans une traque. En fait, n’importe quelle activité provoquant une poussée d’adrénaline le rendait joyeux. Il en fallait peu pour le rendre heureux, celui-là.
Les deux loups bruns avaient ralenti leur course pour se poster à côté des policiers. Si les loups étaient calmes, enfin relativement calmes pour des loups en chasse, les deux humains commençaient à suer plus qu’il n’était permis et à trembler : l’instinct primaire de conservation se braquant contre le conditionnement lupin. On pouvait être quasiment sûr qu’ils allaient tirer bientôt, ne serait-ce que pour soulager une partie de leur pression. Comme à chaque fois que son esprit loup prenait les rênes, Vince eut l’impression d’assister à un arrêt sur image. Il pouvait même se balader dans la scène pour en voir chaque détail tandis que son loup énumérait les possibilités et les points d’intérêt. Plusieurs fois, Vince s’était demandé comment une telle chose était possible. Il faut dire qu’avec la Grande Révélation, il avait fini par croiser de plus en plus de créatures étranges aux pouvoirs très divers. Et c’est sans doute ces rencontres qui l’avaient amené à considérer que peut-être il avait une petite influence sur le temps. Mais non, après enquête, il n’arrêtait ni ne ralentissait le temps. Il s’agissait juste de deux cerveaux de prédateurs qui réfléchissaient en même temps sur le même problème mais au lieu de se neutraliser par des avis différents, leurs réflexions poussaient encore plus loin. En moins d’un an, Vince était devenu un traqueur exceptionnel.
Les policiers allaient tirer ? C’était évident.
Les loups garous allaient lui sauter dessus ? Sans doute. S’ils étaient intelligents, ils le feraient après que les policiers aient tiré mais étaient-ils vraiment intelligents ? Ou même capable de réfléchir ? Un loup-garou ne se transforme que s’il est sur de combattre ou de chasser ou de faire une quelconque activité nécessitant de résoudre une équation à trois inconnues. Avec un peu de chance, la détonation les surprendrait et les ferait sursauter.
Azul finirait-elle bientôt sa transformation ? Rien n’était moins sûr. Comme il était impossible de savoir en quoi elle se transformait, peut-être une abomination nécromantique pour ce qu’il en savait, le délai pouvait varier de cinq minutes à trente-trois heures. Autant ne pas la compter.
Vince pouvait-il les vaincre ? Oh, oui…
Avec un léger sourire en coin, il commença à bouger, plaçant dans son dos sa main droite pour attraper le bras d’Azul et la pousser sur le côté, pile au moment où les deux canons crachèrent leurs balles. Par chance, les deux projectiles passèrent entre eux sans blesser personne. Vince lâcha la jeune femme qui s’écroula au sol mais il ne pouvait pas la garder avec lui. Elle serait un poids mort en plus d’être en danger. Les policiers paniquèrent complètement et entreprirent de vider leur chargeur sur le vampire, les loups ne les tenant plus, trop occupés à sauter sur leur proie. Se baissant pour esquiver la majorité des balles et espérant que les forces de police continueraient à lui tirer dessus, il laissa les loups s’interposer entre lui et le plomb. Certes, ces balles ne leur feraient rien de définitif mais peut-être que la surprise et la douleur les forceraient à se retourner les uns contre les autres. De toute façon, les deux policiers, toujours en pleine panique, allaient commencer à tirer sur tout ce qui bougeait. Fort heureusement, il vit qu’Azul essayait péniblement de ramper vers un abri. Un ennui en moins. Vince regrettait juste de ne pas pouvoir se changer en loup. La transformation lupine était un processus trop long pour être déclenché en plein milieu d’un combat. Oh, bien sur, il pouvait la commencer et profiter des quelques armes supplémentaires d’une forme incomplète mais la douleur résiduelle sans oublier qu’on ne pouvait interrompre la transformation risquait plutôt de la pénaliser. Le loup et le vampire en étaient parfaitement conscients.
Alors que le premier loup se jetait sur lui, griffes et crocs sortis, Vince se précipita sous lui pour le soulever en se relevant, profitant de la force de son adversaire pour le mettre à terre. Il lui restait à attraper l’autre loup par les babines, les tordre pour exposer le cou et mordre violement. De toute façon, il n’avait jamais su mordre autrement… sauf… Mais son loup lui interdit de s’en souvenir. Les canines d’un vampire avaient la même létalité qu’une arme en argent pour un loup-garou : les blessures ne guériraient pas tout de suite et Vince avait frappé au niveau de la carotide. Arrachant la peau et la chair, il laissa le sang du loup jaillir en geyser. Il ignorait si le loup allait continuer à se battre avec une telle plaie mais ce n’était pas très important. Soit il était déjà hors combat, soit il le serait d’ici peu à cause de la perte de sang. Pour les deux flics, il suffisait de les assommer. Un coup de poing sur la tempe pour l’un et un coup de talon dans la mâchoire pour l’autre. De quoi les envoyer au tapis pour au moins une heure.
Trois adversaires en moins, il restait un loup. Que ce soit le Loup ou le Vampire, aucun des deux ne pensait que ce serait difficile. Et si son adversaire avait une lueur d’intelligence, il se mettrait à courir ventre à terre pour échapper à la mort.
Il n’eut même pas l’occasion de se poser la question. La voiture d’Azul vola entre le vampire et le loup pour s’arrêter un peu plus loin dans une protestation des amortisseurs. Même si c’était fortement déconseillé, les deux adversaires tournèrent les yeux vers ce qui avait envoyé valser prés d’une tonne de métal et de plastique. Et la surprise prévalut sur toute considération de prudence. Le museau triangulaire, les écailles oscillant entre le turquoise et le vert d’eau, les yeux de serpent aussi jaunes qu’une citrine… et les quatre pattes ! Les pattes antérieures étaient relativement fines comme celles d’un cerf ou d’une antilope mais les pattes arrière étaient aussi larges qu’une roue de trente-trois tonnes. Que ce soit le loup-garou brun ou Vince, ils regardèrent tous les deux l’un ses griffes et l’autre ses ongles, ne pouvant que faire une comparaison défavorable en face des véritables lames de roto broyeuse du troisième concurrent.
Là, je sèche, Petit Singe.
- Pas mieux.
La « bête » hurla en dévoilant ses crocs qui étaient à peine moins impressionnants que les griffes et le son de ce cri rappela Godzilla. On était très loin de la discrétion souhaitée mais parfois, la discrétion s’efface devant l’urgence. Vince recula jusqu’aux policiers et les prit chacun par la ceinture pour les éloigner du champ de bataille. Fort heureusement, la créature préféra sauter sur le loup survivant pour le mettre en pièces.
Je n’ai jamais vu cette chose.
- Moi non plus.
On fuit ?
- Euh… Elle ne nous attaque pas…
Oui, mais elle peut le faire.
- On a le temps…
Ignorant les grommellements de mécontentement de son loup intérieur, Vince cala les deux policiers contre leur propre voiture et sortit son téléphone de sa poche pour composer un numéro. Il n’eut à attendre que deux sonneries avant que son interlocuteur ne décroche.
- Ouais, salut Fenris… Je voulais te demander une chose : C’est normal que la demoiselle que tu m’as demandé de surveiller se transforme en dragon ?