Chapitre 13: Fuck. This. Shit...
J’aurais voulu pouvoir revenir en arrière, au début de la nuit et avoir pris la décision de rester à nager dans ma couette démesurée. Et puis, je me suis souvenu que, sans moi, Sokol ne serait peut-être plus de ce monde… Donc, peut-être qu’au lieu de m’arrêter dans ce parc, j’aurais dû amener Sokol avec moi, l’entrainer dans un plan à trois avec Azul et enfin profiter de cette ville de merde. Voilà ! C’est ce que j’aurais du faire !
Au lieu de ça, l’Alpha de la Meute de la Bête du Bayou, que par commodité je vais appeler l’autre Con, était devant moi avec la lueur de meurtre la plus magnifique que j’avais vu depuis longtemps… Et une haleine de poney, ça me semblait important de le signaler.
- L’un de mes loups est mort, Frère… Gronda t’il en montrant les crocs.
- Je sais.
- Comment tu sais ça ?!
- Oh, c’est très simple, c’est moi qui lui ai arraché la tête.
Il a sorti les griffes avec un hurlement de rage. Ce loup n’avait vraiment aucune maitrise de soi. Il devait bien se douter, quelque part, que je faisais exprès de le provoquer, non ? Le problème étant qu’il allait m’attaquer trop tôt. J’ai donc essayé de calmer le jeu :
- Bon Dieu, Frère… Le Bayou est ton territoire, la Ville est le mien. Ton loup a attaqué un de mes vampires, il en a payé le prix. Tu connais les règles.
- La Ville est notre terrain de jeu !
- Plus maintenant. Si un de mes vampires s’aventurait sur le Bayou, tu le tuerais. C’est la règle… Frère.
C’était un jeu dangereux, je l’admets bien volontiers, mais s’il y a bien une leçon que Charles et Victor avaient réussi à me faire comprendre, c’est qu’il faut s’adapter à son public. Son loup le dominait complètement et il n’était pas très fin de base. Je ne pouvais pas me permettre la moindre subtilité, ça lui passerait complètement au dessus de la tête. J’ai continué en le pointant du doigt.
- Un de tes loups foutant le bordel sur MON territoire et je lui arrache la tête. C’est aussi simple que ça et tu le sais !
- Tu aurais dû m’en parler !
- Après que mon vampire se soit fait tailler en pièces ? Tu n’as peut-être aucun respect pour tes prétoriens, mais moi, oui.
Avec le recul, j’ai conscience que cela faisait partie du top 5 des phrases à ne pas dire mais je commençais à avoir la moutarde qui me montait au nez et j’en avais un peu marre de retenir Louveteau par le col alors que je pensais la même chose que lui. Cependant… Ma nature de Cœur donnait une toute autre signification à mes paroles, une signification qui rendait Mark furieux. Le pire étant que ses deux loups devaient avoir entendu la même chose et le doute se lisait dans leurs yeux. Je venais de me présenter comme un meilleur alpha que le leur et l’espace d’un instant, ils y ont cru. C’est dévastateur dans la psyché d’une meute, un tel sentiment. Durant une toute petite seconde, l’Alpha est seul. C’est comme si vous vous preniez une décharge électrique sur la nuque. Pendant une effrayante poignée de secondes, vous êtes sourd, aveugle et incapable de bouger. Vous pensez être inconscient, vous ne l’êtes pas : Vous êtes juste en train d’expérimenter ce qui se rapproche le plus de la mort.
Et ça fait super mal…
Résultat des courses, j’ai évité un coup de griffes de justesse… Et je vous prie de me croire que j’ai cru que mon nez allait y passer, mes joues avec. J’ai un joli visage, j’y tiens un peu.
En tout et pour tout, j’avais gagné trente deux secondes. Il n’était clairement pas possible, selon les lois admises de la physique que Sokol ait eu le temps d’arriver à la villa, expliquer en trois mots au reste de la Meute qu’elle était ma situation et que tout le monde arrive. Avec les meilleures conditions, il leur aurait fallu une dizaine de minutes pour arriver. Ce qui faisait que je devais survivre un peu plus de neuf minutes… En toute honnêteté, je me préparais mentalement à perdre un membre ou deux, tandis que me mordais les doigts pour laisser mon sang couler et en faire des griffes. Sans transformation en loup, c’était le mieux que je pouvais faire. Mais ne nous plaignons pas, les griffes de sang sont quand même très dangereuses même si elles ne permettent pas de parer.
Trois loups-garous contre moi dont un Alpha ? Dur… Surtout que je n’étais pas transformé, j’avais toujours faim… J’étais en très mauvaise posture. A moins que… Pour une fois, Louveteau ne faisait pas dans la stratégie mais essayait d’accrocher les esprits des deux prétoriens. S’il était possible de les retourner contre leur maitre, tant mieux, mais je pense que Louveteau essayait simplement de les amener à ne pas se battre. Ce serait déjà beaucoup et ça me donnerait une véritable chance. Dommage pour nous, Louveteau semblait avoir un réel mal à les toucher. Deux raisons à cela : L’Alpha resserrait le collier pour ne pas les perdre et ils étaient de toute façon trop stupides pour comprendre la subtilité de mon loup. Louveteau abandonna toute subtilité et frappa comme un sourd, martelant selon le hurlement de la Mère. J’en avais les larmes aux yeux. Le Hurlement de la Mère est un hurlement mental absolument déchirant pour ceux qui ne le connaissent pas et qui reste déroutant pour ceux qui en ont déjà été la cible. C’est un cri qui exprime la perte, la trahison mais aussi l’appel à la tendresse et l’assurance d’être bien accueilli et protégé. C’est un cri qui vous frappe en plein cœur.
Si l’autre Con ne sembla même pas entendre le hurlement de la Mère, les deux prétoriens s’écroulèrent au sol comme frappés en plein vol, cherchant du regard le moindre refuge pour échapper à la tristesse de la Mère. Je parais l’Alpha comme Victor me l’avait appris, en attrapant son poignet alors qu’il frappait pour le dévier de ma trajectoire, quitte à ce que je me dévie de sa trajectoire… Comme j’étais un combattant léger et Mark un véritable tank, je volais autour de lui plus souvent que je n’encaissais ses coups. Je sais que ça l’énervait profondément, l’amenant à faire des erreurs. Je lui avais déjà tranché une oreille et labouré le dos quand il me laissa une ouverture sur son cou. J’en ais profité pour lui planter mes canines dans la carotide. J’avais dans l’idée de faire une belle morsure et d’arracher un gros morceau de chair et le laisser pisser le sang pendant quelques secondes. L’une de mes frappes favorites car elle affaiblissait grandement mon ennemi, quelque soit sa nature. De plus, c’était un parfait raccourci entre la morsure fine mais profonde du vampire et l’arrachage des crocs de loups. Ma morsure est un peu ma signature. Et c’est ce qui m’a perdu sans doute…
Mark avait du se renseigner sur moi et avoir des informations sur ma technique puisque je senti l’une de ses griffes pénétrer ma joue, brisant l’os du ma mâchoire supérieure et déboitant l’inférieure. Si je n’avais pas été le menton sur son épaule, il m’aurait arraché le bas du visage. Et pour répondre à votre question informulée, oui, ça fait super mal…
Me propulsant en avant, alors que je tenais son bras pour éviter qu’il arrache tout, il m’a enchainé avec le poing qui lui restait, me brisant le nez, les pommettes et les arcades sourcilières à de multiples reprises. J’entendais mes os craquer à chaque passage, le bruit de branches brisées devenant brindilles jusqu’au son spongieux qui m’indiquait que plus rien ne restait à briser. Je suis sur que même le cerveau a été secoué dans la boite crânienne parce que je commençais à entendre des trucs qui n’existaient pas, comme un chaton qui miaulait mon nom, sans que je sache pourquoi cette hallucination m’est parvenue à ce moment là.
J’ai planté mes griffes dans son coude, espérant lui sectionner les tendons, ce qui a eu lieu. Voilà à quoi ressemble un combat de surnaturels : Taper comme des bourrins sur les points faibles de l’autre en espérant que ça l’immobilise suffisamment pour pouvoir l’achever avant qu’il ne puisse se régénérer. C’est douloureux, c’est moche et ça a tendance à envoyer de la barbaque un peu partout. Décidément, il n’y a que Dom pour faire un combat de manière classe…
Il m’a mordu à la gorge alors qu’il était toujours à moitié transformé et j’ai senti mon os hyoïde céder sous sa pression. Je suppose qu’il essayait de m’étouffer, oubliant qu’un vampire ne respire que quand il le souhaite, en général pour pouvoir parler. Je n’avais plus envie de parler et j’avais la tête démolie. Mes chances étaient vraiment minces. Cela dit, si les prétoriens n’avaient pas été mis en position latérale de sécurité par Louveteau, je serais déjà en train de leur servir de repas. Ou pire. Je sentais quelque chose qui émanait de Mark qui était vraiment puant même si je n’arrivais pas à comprendre ce que c’était. Il fallait absolument que je me dégage de sa morsure avant qu’il ne tente de me trancher la tête avec la pression de sa mâchoire… Dans ces cas-là, Mesdames, Messieurs, une seule alternative s’offre à vous, surtout quand votre agresseur est aussi proche, c’est d’attraper, avec votre main libre, ses couilles et serrer et tirer le plus violement possible. Oui, je sais, c’est vil et bas. Oui, je sais, s’il ne s’était pas régénéré, je l’aurais castré… et vous n’imaginez pas comme ça m’aurait fait plaisir… J’aurais voulu pouvoir lui éclater de rire au visage, me foutre de lui mais j’avais une mâchoire à remettre en place ainsi que la plupart des os de mon visage. Ce qui réduisait ma capacité à émettre un son cohérent à zéro, soyons honnêtes.
Il y avait un autre souci auquel je n’avais pas du tout pensé. Comme je l’avais déjà dit, j’avais une soif de sang vampirique démentielle, dépassant les arrêts de jeu depuis trop longtemps pour que ce combat soit une bonne idée. Ce je n’avais pas prévu, c’est que mon propre sang tomberait sur ma langue et me rende… comment dire… J’hésite entre légèrement chafouin et carrément fou de rage et prêt à tout pour saigner à blanc une victime. Sans doute la seconde proposition puisque j’ai arrêté de penser. Je ne voyais plus que Mark qui tentait lui aussi de remettre ses bouts en place, je ne voyais que son sang couler sur la fourrure qui était en train de pousser, signe que sa transformation allait rentrer dans sa phase finale et qu’il allait devoir ne plus bouger pour laisser ses organes prendre leur place. Sans doute avait-il cru qu’il aurait le temps de me mettre à terre pour finir sa métamorphose en paix. Manque de bol, j’étais debout et très énervé. Sans oublier que j’avais la dalle et que Mark allait être mon repas involontaire, quand bien même j’allais vomir ma bile et son sang juste après, à cause de la chaleur.
J’ai foncé sur lui pour le lacérer de mes ongles puisque mes griffes de sang s’étaient délitées dans ma colère. J’ai mordu et arraché des bouts de sa chair avec mes canines de vampire, sans comprendre que les crocs de loup les avaient remplacés. Le sang qui me tombait sur la langue ne me contentait pas, je trouvais qu’il avait mauvais goût, je le trouvais brûlant mais je ne pouvais pas m’empêcher de mordre et de mordre encore, quand bien même je me suis ébréché les dents contre ses os. Mes coups et mes morsures ont considérablement amoindri sa transformation mais il a fini par l’achever et à me renverser pour me mordre avec la même folie que la mienne. Même avec le brouillard que ma démence de sang avait jeté sur mon esprit, je savais que la bataille était perdue. Ma folie m’avait couté la seule arme que je pouvais encore avoir et Louveteau n’arrivait même pas à se faire entendre par la rage de l’Alpha du Bayou. J’étais incapable d’abandonner, incapable de réfléchir à une retraite, je ne faisais que mordre et frapper du poing sur sa gueule, espérant lui casser les crocs, donner des coups de pied et des ruades pour me dégager, mais rien… Son poids m’avait cloué au sol et j’attendais de retrouver suffisamment mes esprits pour me rendre compte de ma mort imminente. Mais non. Le Cannibale ne voulait pas se rendormir et glisser avec moi dans la mort. Je suppose qu’il voulait mourir au combat, au détour d’une morsure plus fatale que les autres et quelque part, je ne pouvais pas lui en vouloir.
Et puis, j’ai entendu Mark hurler de douleur, un son qui m’a rempli d’une joie sauvage et j’ai tourné ce que j’avais dans la main pour lui détruire le foie avec un sourire carnassier, du moins ce que j’ai réussi à produire avec un visage amoché comme le mien. Avec ma seule jambe à peu prés intacte, je l’ai repoussé pour me lever et l’achever. Manque de bol, ma mauvaise jambe n’a pas tenu le coup assez longtemps pour me maintenir debout et stable. Je me suis effondré au sol en plantant ce que j’avais dans la main dans le sol humide par la rosée du parc. C’était une lame, une lame effilée et couverte de sang, comme la garde et le pommeau, une dague dont je n’arrivais pas à voir la forme mais je ne pouvais pas la lâcher. C’est comme si elle faisait partie de moi et je me doutais que je la laissais échapper de ma main, elle disparaitrait. Aucune idée de comment je savais ça mais j’en étais persuadé. Malheureusement pour moi et malgré ce petit et très court renversement de situation, j’étais encore sur de perdre. Tant pis, me suis-je dit, toujours embrumé dans ma rage de sang, je ne partirais pas tout seul et je le viderais entièrement.
C’est une balle qui a sifflé à mon oreille qui m’a réveillé de ma rage et manifestement, ça a réveillé Mark aussi puisqu’il acheva de se relever et boitilla vers ses prétoriens pour fuir. Je me suis retourné pour savoir ce qu’il se passait mais ce n’était que ma cour, Simon en tête et arme à la main. De tous les loups-garous que je connaissais, Simon était le seul qui conservait ses armes à feu. Le bruit est affreux pour nous mais il reste un très bon tireur. Et je ne l’ai jamais entendu se plaindre.
Allegro a couru vers moi avec un grand sourire, autant dire que c’était Sonatine, et s’est fait chopé par le col et aboyé dessus par Simon. Oui, j’ai bien dit « Aboyé » et je le maintiens.
- Tu ne l’approches pas !
Je suppose que durant le trajet, ils avaient dû se douter de mon état et déployer les équipes selon : A savoir, les loups en première ligne pour me calmer et les vampires plus loin pour s’occuper des éventuels ennemis. C’était plus qu’intelligent parce que je ne voyais que les vampires et surtout leurs cous… Leurs cous qui craqueraient sous mes crocs et dont je me ferais un plaisir énorme d’arracher la chair pour boire à même leurs veines…
Simon m’a attrapé par le menton et a plongé son regard dans le mien. J’ai grogné de douleur vu l’état de ma mâchoire mais il n’a eu aucune pitié.
- Arrêtes de râler, Boss… Je me suis déjà pris le poing de Dom en pleine face et j’étais encore humain. Cesse de faire ta pucelle.
J’ai entendu Ash rire et je me doutais que Dom arborait maintenant une jolie couleur pivoine.
- Maintenant, tu m’écoutes. Tu te calmes… Tu n’écoutes que moi et tu ne regardes que moi, compris ?
J’étais prêt à acquiescer à n’importe quoi pourvu qu’il me lâche…
- Lâches ce que tu as dans la main.
J’ai froncé les sourcils. Comme je l’ai déjà dit, j’étais sur que si j’écartais les doigts, la lame serait perdue. Et je voulais la garder avec moi, cette dague.
- Lâches-la… a-t-il répété plus lentement tout en appuyant sur mon cou.
J’ai grogné mais je me suis contraint à entrouvrir les doigts et la laisser glisser au sol. Il n’y eut aucun bruit alors qu’elle aurait dû chuter au sol mais je me suis senti un peu mieux, un peu moins assoiffé de sang. Ce qui était très étrange quand on y pensait…
- Très bien. Maintenant, il faut que tu reprennes ta respiration. Le plus lentement possible.
J’ai donc empli mes poumons, regrettant que j’aie suffisamment de côtes cassées pour rendre la manœuvre aussi douloureuse que de respirer de l’acide. Pourtant, au bout d’un moment, la douleur diminua et je sentis la voix de mon Louveteau essayer de m’apaiser, ses hurlements plaintifs soignant les blessures les plus graves, les réduisant à quelque chose de supportable. Même ma vue redevint plus claire, se débarrassant du voile de l’aura et se reconcentrant sur la réalité.
Tu m’as fait peur…
- Je me suis fait peur, tout seul… Ais-je marmonné d’une voix rauque et en tentant d’économiser le bas de mon visage.
- Ravi de te revoir parmi nous, Boss.
- Je… J’ai trop faim pour continuer…
- Je sais. On va te trouver une proie. (Voyant que je faisais la moue à l’idée qu’on me livre mes repas, il continua : ) Que tu le veuilles ou non.
- Le… Nouveau… Sokol, il a une liste…
- On sait. Ash lui a ordonné d’aller chez le premier d’entre eux pour préparer l’attaque.
- Lequel ?
Ash s’est approché d’à peine deux pas, sans doute estimait-il que la distance de sécurité s’arrêtait là, et a susurré d’une voix suave :
- On s’en fout, mon chou, on se fait les cinq.
- Un seul me suffira…
- Non. Et même si cinq, c’est vraiment beaucoup, ça donnera une image assez forte de ton règne.
J’ai fermé les yeux un instant, pour me reposer la tête qui me bourdonnait et Simon m’a tapoté gentiment la joue.
- Quoi ?
- Tu dormais.
- J’ai à peine fermé les yeux…
- Non, tu dormais. Ca fait cinq minutes que tu ne dis plus rien et que tu respires lentement.
- Vraiment ?
Tu en avais besoin. Grand besoin.
J’ai levé un doigt sur les trois de ma main gauche, tiens, encore, pour signifier aux autres que je parlais avec Louveteau. Les prévenir évitait les quiproquos et les situations gênantes.
- Tu vas me demander d’attendre demain pour me nourrir ?
Non. Quand bien même j’en meure d’envie, tu as tellement faim qu’une journée supplémentaire va finir par te tuer.
- Mais il reste peu de temps…
Justement. Je t’ai fait dormir juste le temps pour avoir suffisamment de force pour arriver à ta première proie. Ne gaspille pas ces quelques minutes.
- Oui… Merci… (J’ai regardé Simon.) On y va.
A l’aube, nous étions en route pour la Villa sur Elysean Fields, en voiture. J’étais dans une douce torpeur suite à mes cinq repas et je reposais contre l’épaule de Sokol qui était dans une tension assez importante, sans doute parce qu’un Cannibale se servait de lui comme oreiller.
- Vous pourriez être les veines ouvertes devant moi que je ne vous toucherais pas, Levant… ais-je marmonné en ouvrant un œil glauque. J’ai mangé pour l’année entière et peut-être même pour la suivante…
- Il n’empêche que vous restez un danger potentiel.
- Câlinez-moi et vous verrez que je suis un chaton.
- Même pas en rêve, sauf votre respect.
J’ai ricané et je me suis redressé un peu.
- Je ne cherche pas à vous faire peur, Sokol. Je suis juste complètement parti…
- J’avais entendu des rumeurs sur l’Extase des Cannibales… Mais en vous rencontrant, je pensais que c’était une rumeur : Vous ne la cherchez pas en permanence.
- Non. Elle s’accompagne d’une bonne dose de regret et de dégout pour moi… Voilà pourquoi je suis le meilleur Cannibale au monde… Je n’aime pas tuer.
- Donc, vous ne le faites que quand c’est nécessaire. Je comprends.
Je me suis mis à bailler et à frissonner, comme à l’orée d’une bonne nuit de sommeil. Ce qui n’était pas arrivé depuis quelques années mais je suppose que Louveteau estimait que nous étions suffisamment en sécurité pour forcer la dose.
- Vous avez remarqué ? a murmuré Sokol, reprenant une voix à la limite de l’audible.
- Oui. Il est arrivé très vite.
- Il a été prévenu très vite, mais le loup qui m’a attaqué était seul et je ne pense pas qu’un autre loup était dans le coin…
- Ce qui nous laisse deux options…
- Soit la Meute du Bayou a des humains sous son contrôle…
- Ce qui est peu probable vu leur comportement de base.
- Soit ils ont des alliées. Les sorcières du Carré.
- Qui ont choisi leur camp…
J’ai fermé les yeux pour lutter contre une vague de colère même si je comprenais parfaitement ces crétines de sorcières. J’étais un nouveau joueur, elles n’avaient aucune idée de ma puissance et ont préféré tabler sur une variable connue : Mark. A posteriori, c’était stupide mais je pouvais comprendre.
Simon a ralenti la voiture et a légèrement tourné la tête vers nous.
- On règle ça diplomatiquement ou définitivement ? a-t-il grondé sans laisser la moindre équivoque sur sa préférence.
J’y ai sincèrement réfléchi et même si j’étais d’accord avec Simon, modifier radicalement la « faune » surnaturelle de la Nouvelle- Orléans n’était pas un acte à prendre à la légère. Oh, évidement, j’aurais pu inclure Menorath dans la décision et je n’avais aucun doute que ça lui aurait plu mais on parlait de l’éradication d’une tradition séculaire. De plus, je me suis souvenu de Cassy, de sa soumission chancelante envers les Ainées du Carré et tout simplement de sa gentillesse. Les sorcières n’étaient pas toutes comme les Ainées et, en toute honnêteté, avais-je le droit de les condamner parce qu’elles étaient sur mon chemin ?
J’ai croisé les bras en soupirant, ignorant la tension qui avait émané d’Allegro et de Simon à ce simple son et j’ai regardé par la fenêtre de la voiture la ville défiler devant nous. A quoi allait ressembler cette ville sans les Sorcières et sans la Meute du Bayou ? Je voulais espérer que ce serait en mieux que cette ville allait changer mais je ne me leurrais pas un seul instant. En déstabilisant le fragile écosystème de la région, je la livrais toute entière à une influence vampire que je refusais d’exercer et dont d’autres profiteraient. Et ce n’était que la version la plus calme du futur possible. La réaction pouvait être tout autre et démarrer une guerre surnaturelle pour reprendre la région. Contrairement aux guerres précédentes, celle-ci ne passerait pas inaperçu aux yeux des humains.
Tant de raisons qui me poussaient à passer outre ma nature de prédateur et à devenir conciliant… Comme si, par miracle, j’allais pouvoir ménager la chèvre et le chou…. Moi ! On m’a éduqué, en tant que vampire, à être une arme, pas un diplomate.
J’ai donc donné la réponse du Maître de la Ville de la Nouvelle- Orléans.
- Définitivement.