Chapitre 14: Effets lunaires.
Parmi les choses que je n’avais aucune envie de faire, passer un dîner avec le gratin de la Nouvelle- Orléans, Mark non compris, était en tête de liste. Je m’étais déjà ennuyé comme un rat mort lors de la petite fiesta des sorcières et je sentais poindre une folle envie de faire quelque chose de vraiment stupide comme me mettre à mordre tout le monde. Cependant, ce dîner avait été offert par l’un de mes vampires et je devais donc, pour éviter toute rumeur, faire bonne figure. Antoine était l’un des rares vampires de la Ville à avoir un certain standing et même un certain pouvoir. Cela, sans le devoir aux sorcières mais sans les gêner pour autant. Antoine représentait l’alternative ou plutôt un complément à leurs influences. Azul et lui s’étaient retrouvés comme de vieux amis, ce qui avait achevé de me convaincre de bien me conduire.
Mais, encore une fois, je devais me taper les chevaliers d’industrie de la ville et je rongeais mon frein. Mais que cherchaient-ils en venant m’ennuyer en m’exposant leur vie et leurs réussites ? Certes, j’étais quelqu’un d’assez riche mais comme tout bon fils à papa, merci Victor, mais mon influence était limitée. Non… ? Peut-être que j’en avais une petite mais pas de quoi me lécher les pompes en public. De plus, mon influence en tant que Maître de la Ville était inexistante auprès des autorités humaines. Du moins, elles devaient l’être. Néanmoins, ils devaient croire que j’en avais beaucoup parce que je n’ai jamais autant entendu de conneries sur l’économie régionale. Attention, ce n’est pas que je m’en fous… C’est juste que ça ne m’intéresse pas du tout.
J’en étais là, avec un verre de vin à la main, à prier le ciel pour qu’on me libère… En fait, l’enfer est dans la répétition. Les plus grands péchés lavés par la boucle sans fin du moment où vous vous sentez le plus inutile et le plus barbé… CE moment-là. Je me suis demandé si, rien qu’une fois, j’avais le droit d’en tuer un pour me calmer. Et ce fut Antoine qui sauva Hartley Woodworth d’une mort affreuse en prétextant qu’il devait me transmettre certaines informations.
- Formulez un vœu, Mortel, et je l’exaucerais…
Il a eu le bon goût de rire à ma blague et de m’entrainer un peu plus loin dans le salon.
- Aucun vœu pour le moment, Votre Grâce, mais j’ai réellement des informations à vous communiquer.
- Diable, ce serait donc sérieux… Moi qui espérais une soirée de libre.
- Sokol est un très bon espion mais il n’a pas accès à certaines sphères : son pouvoir rend méfiant le haut du panier.
- Et c’est là que vous intervenez.
- Exactement. Je fais pratiquement partie des meubles dans cette ville et tout le monde me connait.
Un léger doute m’a assailli :
- Pourquoi n’avez-vous jamais tenté d’être Maitre de la Ville ?
- Je l’ai fait. Je n’avais pas la bonne couleur de peau à l’époque.
- Sérieusement ?
- Il y a plus de trois siècles, être un esclave noir vous disqualifiait immédiatement pour avoir le poste. Ça vous disqualifiait même pour être un hiérarte.
- Époque de merde…
Il a souri et a posé son verre sur une commode. Antoine était quand même un spécimen étrange. Si nous autres, blancs, avions rapidement un teint de marbre, les noirs, eux, tiraient sur l’obsidienne quand ils ne se nourrissaient pas assez.
- C’est votre père qui m’a convaincu d’être un VRP à domicile. Tous les avantages des hiérartes sans les inconvénients. Et puis, je suppose qu’il souhaitait garder un œil sur l’un des fiefs inébranlables de ses concurrents.
- Vous savez que la Nouvelle-Orléans est un fief de Menorath ?
- Bien sûr.
- Alors vous savez aussi que mon règne n’est pas légitime…
- Évidemment. Cela dit, je ne serais pas celui qui l’apprendra aux autres. Je tiens trop à ma tête.
- Et si je vous demandais de le faire ?
- Je me demanderais ce qu’il se passe dans la vôtre… a-t-il répondu en me regardant de côté.
Cette fois-ci, seul Allegro était là pour ma protection. Les trois autres se baladaient en ville et tuaient les loups à vue afin de donner une image claire de ma position quant à la Meute du Bayou. Malgré les rumeurs qui n’avaient pas manqué de se répandre, les sorcières n’avaient pas fait un seul mouvement. Je trouvais ça un peu étonnant mais je suppose qu’il devait y avoir une bonne raison.
- Il faut bien que je me ménage une porte de sortie et vos paroles auront du poids en tant qu’Ancien de la Ville.
- Je vois. Vous n’aimez pas notre ville ?
- Pas autant que je le devrais et ça me navre… Vous disiez avoir quelque chose pour moi ?
- Plusieurs. Votre petit combat est déjà passé dans les légendes de la ville et les sorcières ont énormément reculé.
- Je n’ai pas gagné.
- Vous n’avez pas perdu non plus et vous avez tenu tête à un loup Alpha et à ses deux prétoriens. Qui plus est, l’histoire du « Frère » a semé pas mal de doutes. Elles ignorent si c’est littéral et dans ce cas, vous auriez la moitié d’un millénaire ou s’il reconnaissait déjà votre puissance avant que vous arriviez. Le fait aussi que vous ayez résisté au sort qu’elles ont placé dans le sang de leur joli appât blond les intrigue au plus haut point. Toutes mes félicitations, Votre Grâce, vous avez réussi à épaissir votre mystère.
J’ai poussé un petit soupir de soulagement.
- Cassy ne m’a pas trahi… ais-je murmuré.
- C’est une triste petite, vous savez… Annabelle Moreau l’a privée de toute chance de s’élever dans le cercle. C’est la véritable héritière du Carré, vous le saviez ?
- Non, je n’en savais rien. Elles m’ont envoyé leur héritière comme taupe ?
- L’ex-héritière. La nouvelle héritière est la fille d’Annabelle, Jeannette. Beaucoup moins de potentiel mais c’est la fille de la Maitresse du Cercle. Cassandra cherche donc sa place tout en sachant pertinemment qu’on ne lui en laissera pas.
- Alliée potentielle ?
- Elle n’attend que ça.
En promenant mon regard sur la salle, je me suis rendu compte que le seul vampire de la Ville, hors Ash qui devait s’éclater comme un pendu, qui manquait était Sokol. Le seul Ménorathian de la Nouvelle-Orléans n’avait pas été invité en raison de ses pouvoirs. Trop indiscret, merci, mais on n’invite pas le paparazzi à la Garden Party.
- Faites en sorte de me l’amener.
- Ça ne devrait pas poser de souci. Vous comptez la mettre à la tête du Carré ?
- Possible… Je ne cherche pas à instaurer le chaos mais à éliminer ce qui me déplait. Et y’en a un peu trop pour ma santé mentale. Les sorcières sont alliées à la Meute du Bayou ?
- Oui. Enfin… Disons qu’elles se posent la question de la validité de cette alliance. Tout ça grâce à vous.
- Il y a quelques jours, j’aurais été ravi d’avoir fait vaciller cette alliance mais maintenant, ça a tendance à me conforter dans mon idée d’une purge.
- Leur manque de loyauté ?
- Leur opportunisme. Je n’ai rien contre le besoin de survivre mais j’estime qu’il y a d’autres moyens que le renversement d’alliances quand ça arrange. Si elles avaient été intelligentes, elles n’auraient jamais conclu cette alliance.
- D’après ce que j’ai pu apprendre, elles l’ont conclu contraintes et forcées. Pour éviter de se faire dévorer par la meute qui arrivait.
Et encore un doute qui vint frapper à la porte de mon esprit. Je savais depuis combien de temps la Meute du Bayou existait mais était-ce bien la meute actuelle ? Je posais la question à Antoine.
- Mark Manahan est arrivé à la Nouvelle-Orléans au début des années 80, avec une dizaine de loups. Deux ans plus tard, il devenait l’Alpha.
- Ce n’est pas à ce moment-là qu’Annabelle a commencé à avoir des idées de grandeur ?
- Si. Vous l’auriez vu à cette époque… Un vilain petit canard. Oh, pas au niveau physique, elle avait déjà ce coté aussi piquant qu’un piment mariné dans l’huile mais au niveau de son pouvoir… Elle en avait autant que moi, c'est-à-dire très peu.
- Mais elle n’est pas une vampire. A peine plus qu’un humain normal.
- Je vous laisse imaginer le complexe d’infériorité qui en a suivi. Annabelle a commencé sa carrière de sorcière du Carré parmi les marchandes. C’est le grade le plus bas et c’est comme ça que notre chère Azul devait faire toute sa carrière. Normalement, une vraie sorcière y passe environ deux ans avant de passer initiée, puis devineresse et enfin Hougan ou Bokor, selon leur orientation. Annabelle entamait sa cinquième année quand la dernière sorcière de sa génération est passée devineresse. Elle écumait de rage.
- Comment est-elle devenue plus puissante ?
- Aucune idée. Quoiqu’il en soit, l’alliance a commencé quelques mois après qu’Annabelle soit devenue une initiée. La Meute du Bayou assurait la sécurité et ne faisait aucun mal aux sorcières. Pour la sécurité, ça consistait surtout à ce qu’aucun autre groupe de sorcières ou de métamorphes ou même de vampires, mis à part ceux qui étaient déjà présents, puissent s’installer dans le coin.
J’ai froncé les sourcils en essayant de mettre tout ça en corrélation avec la géopolitique surnaturelle mondiale et j’ai trouvé que tout ça était bien stupide.
- Mais… Puisque la ville était un fief inébranlable et qu’une meute était déjà présente, il était impossible qu’un de ces deux groupes se pointent… Bon, je ne connais pas les magiciens…
- En règle générale, ils s’en foutent et préfèrent ne pas interférer avec le reste. C’est ce qu’on appelle le principe de la tour d’Ivoire. Seules les sorcières du Vieux Carré sont un véritable groupe construit avec des vraies règles et une vraie hiérarchie. La plupart des autres groupes se sont fait exterminer lors de la grande inquisition et aucun sorcier ni aucun magicien n’a souhaité, depuis lors, se mettre en avant de cette façon. Jusqu’à Marie Laveau.
- Vous la connaissiez ?
- Un peu. Même si la Nouvelle-Orléans était une petite ville à l’époque, la Veuve Paris ne se commettait pas avec n’importe qui. La faible présence vampirique ne nous a jamais vraiment permis d’être influents ici mais les sorcières nous aimaient bien. Nous étions utiles et elles l’étaient pour nous. Pas de vagues ni de leur coté, ni du nôtre et encore moins des loups du Bayou.
- Et puis Mark est venu.
- La Veuve Paris l’aurait détesté. Il représente tout ce qu’elle haïssait chez un homme, particulièrement ce besoin d’étendre son pouvoir. Marie était une femme que l’on pouvait qualifier de morale et de bonne mais attaquez-vous à ce qu’elle possède et c’est un serpent qui vous mordra la main. J’ignore ce que donne Mark à Annabelle pour qu’elle ai appuyé l’Alliance mais l’un de deux a fait un marché de dupes. Et ce n’est peut-être pas celui ou celle qu’on croit.
J’ai baissé les yeux sur le vieux plancher du salon. Antoine pouvait s’enorgueillir d’avoir l’une des plus vieilles demeures de la ville hors du Vieux Carré et je supposais que cette charmante villa avait du appartenir à un propriétaire de plantation de sucre, de tabac ou d’indigo de l’époque… et qu’Antoine avait tout fait pour cette famille d’esclavagistes lui donne leurs biens.
- Autre chose ?
- L’Alpha du Bayou essaye de réunir un nombre impressionnant d’informations sur vous. D’après ce que j’ai entendu, quelqu’un s’ingénie à faire dans le grandiloquent et le magnifique.
- C'est-à-dire ?
- Vous seriez le premier de tous les Cannibales et vous auriez mangé la première fille du Fenris, héritant de son pouvoir. Vous avoisineriez les mille ans et si Sigur vous avait caché depuis si longtemps, c’est parce qu’il avait peur de vos capacités et qu’il attendait que vous soyez un peu moins… barbare.
J’ai souri. Deux doses de vérité, une dose de mensonge, servez frais et ça passe tout seul, me disait Victor. Je me demandais lequel, entre lui et le Fenris, avait décidé qu’on balancerait des idioties pareilles… Et puis j’ai compris que ça venait surement des deux.
- Et il y croit ?
- Vous lui avez donné des raisons de le croire.
Mais je n’ai jamais été la fille du Fenris…
Je me suis retenu de rire devant l’indignation de mon loup et je me suis consciencieusement mordu l’intérieur de la joue pendant qu’il poussait les haut-cris de l’indignation masculine à l’idée d’être devenue une fille.
- Ce qui a amené la Meute du Bayou à repenser sa stratégie. Ils ne souhaitent plus vous tuer ou vous faire peur mais vous capturer.
- Sérieusement ?
J’ai regardé Antoine dans les yeux en fronçant le sourcil. Si je n’avais pas déjà été persuadé que la Meute du Bayou était constituée d’abrutis, j’en aurais eu la preuve à ce moment-là.
- Vous les avez impressionné, et durablement. Ils doivent estimer que vous feriez un très bon Prétorien ou certains loups ont eu une lueur de lucidité et se sont dit que vous faire rentrer dans la Meute du Bayou leur donnerait, à terme, l’occasion d’avoir un meilleur Alpha.
- Dieu nous préserve que ce soit pour cette raison…
Je n’avais strictement aucune envie de devenir le suivant d’un salopard comme Mark, surtout pour maintenir sa meute sous son contrôle exclusif. Je n’avais pas non plus envie de soigner sa fureur et de le rendre un peu moins imbuvable, je voulais juste le retirer de la circulation une bonne fois pour toute.
- Il y a peut-être une autre raison. Vous êtes déjà le Maitre, vous pourriez devenir l’Alpha.
Durant toute la conversation, je m’étais forcé à garder un visage presqu’inexpressif mais là, j’ai ouvert les yeux en grand et ai affiché la plus belle tronche d’ahuri dont j’étais capable.
- Vous êtes sérieux, là ?
- Certains vous considèrent déjà comme un loup à part entière.
- Misère…
- Les sorcières se demandent si elles n’ont pas misé sur le mauvais loup. Enfin… Celles qui estiment qu’Annabelle Moreau n’est peut-être pas la meilleure maitresse du Cercle qui soit.
- Là, ça va peut-être un peu loin.
Antoine a sourit et s’est éloigné vers ses autres invités. En jetant un coup d’œil vers la grande horloge au dessus de la cheminée, je me suis aperçu que j’avais passé le temps réglementaire pour être suffisamment sympa et avoir marqué la soirée. J’ai fait un petit signe de la main à Allegro qui s’approcha de moi.
- Ne me dis pas qu’on va partir bientôt… Y’a la femme de l’industriel du textile qui me fait de l’œil depuis le début de la soirée et ce serait impoli de ma part de…
- Petit Chat.
Allegro s’arrêta immédiatement et quitta la moue de chaton triste qu’il avait arboré pour m’apitoyer. On pouvait dire beaucoup de choses sur l’Assassin mais certainement pas qu’il manquait de professionnalisme. Il avait quitté son rôle de chien de manchon pour être à nouveau sous mes ordres. Je me suis penché sur lui, comme pour lui embrasser la tempe, et je lui ai murmuré :
- Nous n’avons plus rien à faire ici et je crois que tu apprécierais de rejoindre l’équipe de nettoyage…
Du coin de l’œil, je l’ai vu sourire. C’était tellement facile de lui faire plaisir. Il s’est éloigné de moi et ai allé chercher mon manteau pendant que je saluais de la tête tout le monde pour signifier mon départ et que je serrais la main d’Antoine, comme si je disais au revoir à un vieil ami. Il a tout de suite compris mon intention et m’a remercié de la tête. Je me suis demandé un instant si ça valait le coup d’en faire un Levant mais comme il l’avait dit, il était un VRP à domicile et je doute qu’il aurait apprécié de perdre ce statut pour un autre qui était faux et temporaire.
En rentrant, je me suis enfermé dans le manoir avec une console et des jeux vidéo. Je commençais à en avoir marre de ne plus avoir ma liberté.
Dés le lendemain, Antoine tint sa promesse et Cassy demanda à être reçu par le Maitre de la Ville. Dans le ton de Simon qui m’annonça cette grande nouvelle, je sentais qu’il désapprouvait grandement que je la reçoive assis par terre dans le salon, torse nu, et jouant toujours à la console. Mais j’avais une flemme noire d’aller me changer alors que je savais pertinemment qu’Allegro devait déjà piller mon armoire pour chercher une tenue coordonnée que je n’avais jamais encore portée.
- Tu l’amènes ici ? Avec du jus de pommes et des cookies, steplait…
- Tu nous la joue sale con, aujourd’hui, Boss ?
- Ouais. Ça me va bien, non ?
- Divinement…
Quelques secondes plus tard, la petite Cassy entrait dans le salon, vêtu d’une petite robe rouge et sans manches, ce qui était plutôt bien vu la température extérieure mais je savais que ses copines du Cercle l’avaient habillée comme ça pour servir de repas. J’en avais un peu marre de leur décoration d’assiette. Je lui ai tendu une manette qu’elle a refusée avec un petit geste.
- Merci mais je joue très mal.
- Cette génération me tue… Les jeux-vidéo, c’est la vie.
- Je n’ai pas le temps de jouer. Si je veux être une bonne sorcière, je dois étudier la magie en plus d’être une bonne élève au lycée.
J’ai levé les yeux de mon écran et je l’ai regardé.
- Le meilleur moyen de ne pas être vue est encore de ne pas faire de vagues. Contrairement aux autres sorcières, le principe de l’ombre est primordial pour moi.
- C’est quoi le principe de l’ombre ?
- Le quatrième principe du Cercle : «L’anonymat et l’ombre sont les meilleures protections qui soient. » La Grande Révélation n’a pas eu que des bonnes répercussions et la plupart de mes sœurs et de mes ainées pensent qu’elles peuvent s’afficher au grand jour alors que c’est très dangereux comme attitude.
- Hum…
Elle s’est assise dans le grand canapé qui l’a presque englouti alors qu’Allegro arrivait avec deux verres de jus de pommes et une assiette de cookies au chocolat.
- Je suppose que vous ne m’avez pas fait venir pour faire une après-midi jeu-vidéo ? A-t-elle reprit en prenant un cookie dans l’assiette.
- Non, mais si vous aviez eu envie, on aurait pu… Si je vous ai fait venir, c’est pour discuter des affaires du Cercle.
- Je n’ai pas le droit d’en parler avec un non-initié.
- Techniquement, je ne devrais pas non plus parler à un non-vampire…
- Est-ce que nous commençons un échange d’informations symétrique ?
- Non plus. Vous avez besoin de moi, Cassy, pas l’inverse. Mais… Disons que j’aime bien foutre le bordel dans ce que je ne possède pas. Une révolution de palais me semble être un bon début, non ?
- Vous voulez renverser Annabelle ?
J’ai mis mon jeu en pause et je me suis retourné.
- Possiblement. Vous en penseriez quoi ?
Elle s’est recroquevillée dans le canapé et a reposé le cookie qu’elle avait à peine entamé. Elle croisa les doigts et devait regretter d’être en robe courte pour ne pas pouvoir s’asseoir en tailleur et grignoter son gouter comme une petite fille. Ce qu’elle était encore, ne nous leurrons pas à ce sujet.
- J’en penserais qu’il faudrait trouver une nouvelle Maitresse du Cercle… Jeannette sera une mauvaise candidate mais Tania, par ex…
- Je pensais à vous.
La foudre tombant à ses pieds n’aurait pas fait plus d’effet. J’ignorais ce qu’Annabelle lui avait fait subir, à elle et à toutes les potentielles héritières du Cercle, mais ce devait être assez salé… Aucune d’entre elles ne devaient pas avoir conscience de sa valeur et se laissaient piétiner sans réagir. Victor aurait trouvé ça à la fois merveilleux et particulièrement ennuyant. Il ne l’aurait jamais fait tout simplement parce que sans opposition, Papa se fait chier.
- Non ? Vous ne voulez pas devenir le Grand Manitou de cette ville ?
- Sous votre contrôle, bien sur.
-Qui suis-je pour donner des ordres à des sorcières ? Et même les gérer ? Non, je ne contrôle pas le Cercle et je n’ai jamais eu l’intention de le faire. C’est simplement qu’Annabelle m’emmerde.
- Pourtant, elle cherche à avoir votre soutien…
- Non, je ne crois pas. Elle cherche à m’endormir pour soit me tuer, soit faire en sorte que je ne la gêne pas. Quoiqu’il en soit, elle s’y prend très mal. Je ne sais pas si elle me croit stupide ou si elle est stupide mais je ne peux pas laisser passer ça. Cela dit… Je ne suis déjà pas le vampire pour gérer des sorcières, je ne serais pas non plus celui qui vous tuerait toutes ou vous laisserait crever… Non, je tiens à ce que le Vieux Carré ait un Cercle. Mais un Cercle qui ne me prenne pas pour une poire. Vous pensez pouvoir faire ça ?
Elle a réfléchi de longues minutes, pesant sans doute le pour et le contre de sa prise de contrôle mais je la voyais hésiter à cause de l’opinion qu’elle avait d’elle-même, ce qui devait être assez peu reluisant. Et puis, je suppose qu’elle en avait marre de n’être qu’une petite chose qui n’aurait aucune importance quoiqu’il arrive.
- Oui.
J’aime les gens qui savent ce qu’ils veulent et j’avoue que si Cassy avait eu quelques années de plus, genre une dizaine, j’aurais pu envisager de la draguer. Pas Louveteau qui l’avait déjà cataloguée dans la catégorie non importante… C’est à ce moment-là que je me suis dit que j’allais vraiment devoir discuter avec Louveteau de mes options en matière de vie amoureuse. S’il m’avait laissé approcher Azul et même au-delà, il avait été très clair sur le fait que ça ne serait plus possible. Pour quelqu’un qui n’avait pas eu beaucoup de câlins durant un siècle, je le trouvais vraiment prude… Mais moi, je ne l’étais pas ! Et je me demandais quel genre de personnes pouvait l’amener à s’ouvrir à un peu plus de sexualité…
- Et bien… Commençons ! Pourquoi Annabelle voudrait mon soutien ?
- D’après ce que j’ai compris, vous seriez une valeur ajoutée pour certains rituels.
-Encore faudrait-il que j’accepte…
J’avais entendu le sang de vampire avait des capacités intéressantes pour les magiciens puisqu’il permettait d’augmenter la durée d’effet des sorts, sans compter qu’il pouvait régénérer La volonté d’un magicien. Mais… Les effets du sang de Cannibale étaient inconnus. Quant aux effets du sang d’un hybride…
- C’est pour ça qu’elle a besoin de votre soutien ou du moins d’une neutralité bienveillante.
- Enfin, merde… votre Cercle a plusieurs années d’expérience sur les rituels, quel besoin d’un vampire ?
- Aucune idée mais ça semble assez pressé.
- C'est-à-dire ?
- Elle vous veut pour la Syzygie de Vénus.
- Ouais, j’en ai entendu… Un rituel de renaissance de vos pouvoirs, c’est ça ?
Je l’ai vu hésiter et triturer le tissu de sa robe trop courte. Et oui, bande de pervers, elle avait une culotte en dentelle.
- Ce… n’est pas tout à fait ça… En effet, c’est en conjonction avec nos pouvoirs mais le rituel qui va être effectué ne sera pas pour apaiser les mères nourricières mais pour ajouter une nouvelle tombe d’une de nos Saintes.
- Alors, en quoi on a besoin de moi ? Ce sont juste des funérailles.
- Non plus. La Sainte n’est pas encore morte et ce n’est qu’à son décès que nous bénéficierons de son pouvoir. Mais pour l’érection d’une nouvelle tombe, la Syzygie n’est pas vraiment nécessaire, une simple nouvelle lune suffit.
- Alors, encore une fois, pourquoi un vampire et pourquoi la Syzygie ? Surtout pourquoi moi ?
- Aucune idée…
- Ce serait intéressant de le savoir. Pour le reste… Mon but est de foutre en l’air l’alliance d’Annabelle avec l’Alpha du Bayou.
- C’est assez bien parti, les loups du Bayou sont assez réticents à rentrer en ville. Merci d’ailleurs.
- C’était avec plaisir.
Nous avons passé le reste de la soirée à discuter de tout et de rien et surtout de chats. J’ai découvert une gamine que j’aurais aimé avoir dans ma classe de lycée… en oubliant que malgré sa tournure qui était plus que gironde, elle aurait été classée parmi les geeks… Tant pis. Je suis sur que j’en aurais fait une reine du bal et peut-être même de la promo. Elle méritait tout ça, elle méritait bien plus , elle méritait une vie de rêve… Elle n’était que l’esclave de vieilles folles qui la prostituaient à un vampire dont elles entendaient les pires horreurs.
Après l’avoir raccompagné, j’ai eu une folle envie de faire un carnage. Je ne l’ai pas fait parce que je suis passé en plein milieu du Vieux Carré alors que tout le monde faisait la fête. Les pauvres fous. Ou plutôt, les pauvres innocents…