It 's the End ...
Assis sur un banc du parc de
Pharo, à Marseille, Vince faisait la gueule et tapotait des doigts sur le bois
de l’accoudoir. Il était deux heures du matin et il y avait encore des crétins
pour venir l’ennuyer en pensant pourvoir lui voler son portable, lui taxer une
clope, voire le portefeuille. Vince faisait son air aimable et les regardait
dans les yeux jusqu’à ce que ces imbéciles bafouillent, baissent le regard et
se retournent pour aller plus loin. Et à chaque fois, Vince se retenait de
grogner un « Lapin » dégoulinant de mépris. Mais ce n’était pas à
cause de ça qu’il était énervé. Il y avait un truc qui lui trottait dans la
tête et il était incapable de continuer la mélodie. En règle générale, il était
obligé de dormir et de se réveiller en sursaut avec la chanson complète… Mais,
là… Mis à part le faire crever de frustration, rien du tout. De ce fait, il
prit le paquet de cigarettes dans la poche de son jeans et s’en alluma une. Sa
partie louve désapprouvait en silence, mais aussi étrange que cela paraisse,
fumer calmait la douleur de sa poitrine.
Bon, On se recentre…
- It’s the end of the world as we know it…
Non, non… Ça ne voulait pas venir. Impossible de trouver la suite de cette fichue chanson. Peut-être en essayant de retrouver là où il l’avait entendu la première fois ? Non, ce devait être lors d’une soirée bien arrosée… Peut-être avec Cassy ou Stephen ? Ces deux-là adoraient mettre la musique à fond dans la voiture en allant au bar. Généralement, c’était la radio, car ils aimaient avoir la surprise et se mettre à chanter à tue-tête les pires chansons possibles… le nombre de fois où ils s’étaient fait arrêter par les flics pour conduite en état d’ivresse alors que les deux seules personnes qui étaient bien torchés, c’étaient Stephen et Kendra qui étaient toujours à l’arrière tandis que lui était sur le siège du mort, un peu saoul, mais encore à peu prêt conscient de ses actes. Cassy, elle, ne buvait jamais.
Bon dieu… il avait l’impression que c’était il y’a une vie ou deux. Pas deux ans. Avec la révélation, il s’était posé des tas de questions sur cette vie d’avant. Quand les Créatures de la Nuit n’étaient pas encore les Révélés, il estimait que c’aurait été horrible d’imposer à ses parents et à ses amis le secret sur ce qu’il était et l’horreur de ce qu’il avait subi. Mais maintenant ? Bon, il ne voulait toujours pas ennuyer ses proches avec son expérience, mais juste leur dire : c’est bon, je suis vivant (enfin presque…) alors arrêtez de pleurer. Le lendemain de la résolution 2112, de nombreuses associations de famille de disparus avaient lancés un appel pour savoir si certains Révélés n’étaient pas d’anciens disparus. Il avait vu son père dans une émission de télé qui leur était consacré et… Il avait hésité. Il était évident que ni lui ni sa mère n’avaient fait leur deuil, mais… Il n’était pas persuadé que ses parents acceptent ce qu’il était maintenant. Ils en avaient déjà tellement accepté de sa part.
Deuxième clope.
- It’s the end of the world as we know it…
Non, la note sur le dernier mot n’était pas la bonne… Une tonalité au-dessus peut-être ?
Normalement, elle serait venue avec des chaussures un peu plus discrètes que celles-là, mais elle profitait de sa liberté alors que Victor cuvait sa cuite. Et puis, elle était tombée amoureuse de ses new rock qui donnaient un côté totalement décalé à sa jupe en dentelle noir et à sa veste de tailleur stricte. Et puis, pour ce soir, elle n’avait aucun besoin d’être invisible. Bien au contraire. Elle s’assit sur le banc, à côté de Vince, et posa le sac à dos devant lui.
- T’as l’air grognon.
- J’ai une chanson dans la tête et j’arrive pas à retrouver les paroles… Bah, laisses tomber…
- Tu sais… Je ne pensais pas que ça finirait comme ça.
- Comme quoi ?
- Comme ça… Toi et moi vampires… enfin presque. Et le monde sait… Je ne sais pas si c’est un happy end ou pas.
- Bof… Ca dépend de quel point de vue on se place. Moi… Je ne sais pas non plus.
- Nous avons changé.
- Ouais… Et pas en mieux.
- En pire ?
- Je ne sais pas. C’est autre chose.
Il soupira et s’étira sur le banc. Depuis qu’il recommençait à dormir, il se retrouvait dans des positions improbables et se réveillait avec des courbatures.
- Nous n’avons plus rien en commun avec ce que nous étions avant. Cela étant dit, je trouve que niveau évolution on s’est plutôt tapé la version mutation suite à une bombe nucléaire. Mais bon. On fait avec et je trouve qu’on s’en sort pas si mal. Mais t’imaginais quoi comme fin ?
- Je ne sais pas trop… Déjà, je ne me voyais pas survivre. Je pensais que Victor finirait par me tuer et qu’on n’en parlerait plus. Je pensais que Ben finirait par te tuer, me demande pas pourquoi.
- Tu savais qu’il allait me trahir ?
- Non, j’en savais rien… Y’avait juste un truc qui clochait et je n’arrivais pas à mettre le doigt dessus. L’impression que ça allait très mal finir… Mais sincèrement, j’aurais préféré qu’il te fiche la paix.
- Tu n’es pas la seule… Marmonna-t-il.
- Je peux te poser une question ?
- Vas-y.
- Pourquoi tu le laisses à l’hôpital en assistance respiratoire ? Y’a plus personne dans sa tête, il est mort… Pourquoi laisser le corps vivre ?
Lui-même s’était posé la question un bon nombre de fois. Était-ce de la culpabilité ? Étrangement, non. Certes, il continuait à se sentir mal à cause de l’acte, mais la victime… Les trois fois qu’il était allé le visiter dans la clinique privée où il l’avait installé, il n’avait ressenti qu’une flambée de colère destructrice qui avait même alerté Allegro qui était venu garder la porte. De la vengeance, alors ? Il savait pertinemment que Ben, ou plutôt Willhem, n’existait plus du tout mis à part l’enveloppe charnelle. S’acharner sur ce corps était totalement inutile et même sa partie louve qui ne s’embarrassait pas autant que lui de la logique n’éprouvait aucun attrait à l’idée de le déchiqueter. Alors, quoi ?
- Pour ne pas oublier. Un jour, il mourra définitivement et là je pourrais faire une croix dessus. Pour le moment, je n’y tiens pas.
- Mon dieu ce que tu es compliqué…
- Je sais. Et sa mort ne sera pas de ma faute donc je pourrais le vivre mieux.
Clara préféra changer de sujet.
- Et sinon… T’as fait quoi pour la fin du monde ?
- Bah, j’ai attendu.
- Décevant, hein ?
- Oulah, oui… Pas d’épidémie de zombies, pas de réveil des dragons, pas de Cthullu avec qui prendre le thé… Juste la Grande Révélation.
- Ouais, pareil. C’est la fin du monde et rien ne change. Ou presque. Disons que ce n’est pas pire qu’avant.
- Ils auraient pu quand même faire un effort pour les effets spéciaux.
- C’est quand la prochaine ?
- Euh…
Vince sortit son smartphone de sa poche et consulta rapidement une page internet.
- 10 avril 2014 selon la kabbale.
- Et c’est sensé être quoi ?
- Le déchainement des forces du mal.
- Oh, c’est tellement classique… maugréa Clara en roulant des yeux.
- It’s the end of the world as we know it… Chantonna Vince.
- And I feel fine…
Voilà. Enfin il avait le reste de la mélodie. Et il se mit à sourire. C’était exactement ça. C’était la fin du monde, mais on survivait. Et c’était officiellement la fin de sa dépression.
- Merci.
- De quoi ?
- C’était la chanson que je cherchais. Tu m’évites une journée à me retourner dans mon lit parce que je ne trouvais pas la suite.
- T’es un grand malade.
- Autant que toi, chérie !
Elle poussa du pied le sac à dos.
- Et c’est pour quoi, ça ?
- Oh, j’avais envie de me dégourdir les pattounes, ce soir. Mais un loup en jeans, c’est ridicule.
- Te… « Dégourdir les pattounes »… Je crois que tu viens d’insulter tous les loups garous du monde avec trois mots…
- Que tu crois ! Nous autres loups avons peut-être un humour raffiné, mais de temps en temps, nous apprécions d’être affreusement gamins.
- Gamins, hein ?
- Complétement puérils.
- Seigneur…
Elle se retourna le temps qu’il enlève le T-shirt, mais ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil quand retentit le cri de la braguette.
- Pas de sous-vêtements ?
- Tu sais, y’a cent fois plus ridicule que le loup en jeans : Y’a le loup en caleçon. Détourne le regard, vicieuse !
- Et fière de l’être !
Clara consentit tout de même à reprendre sa position initiale avec un petit rire, mais elle savait que Vince n’avait aucun problème avec sa nudité. C’était la transformation qu’il ne voulait pas partager. En entendant les craquements des os et les torsions des cartilages, elle se dit qu’elle n’était pas encore prête pour regarder ça. De toute façon, voir Vince souffrir la dégoutait au plus haut point. Sentant une fourrure contre sa main ainsi que le bout d’une langue humide contre sa main, elle le regarda et ne put s’empêcher de penser que Vince, loup, humain ou vampire, était une magnifique créature.
- On y va ? D’après Allegro et Simon, ils se terrent dans le vieux port, un entrepôt à un petit kilomètre d’ici.
Le loup noir jappa son assentiment et ouvrit la marche d’un pas élastique alors qu’elle s’équipait du sac à dos contenant ses vêtements.
Bip. Bip.
On oubliait très souvent que les hôpitaux étaient extrêmement bruyants. Elle, en tout cas, l’oubliait régulièrement et ce n’était que pendant ses gardes de nuit qu’elle comprenait à quel point c’était bruyant. Et nécessaire. Le silence signifiait que quelque chose n’allait pas et que personne ne pouvait dire à quel point c’était dangereux. C’était… Comme le chant des oiseaux dans une forêt, voilà ! Quand on entendait plus les oiseaux, c’était qu’il y avait du danger.
Enfin… pour le patient de la chambre 203, il n’y avait plus trop de danger possible. Le corps fonctionnait bien, mais les ondes cérébrales étaient toutes absentes. Le médecin qui le suivait était sûr que le coma était irréversible et même que le patient n’était même pas enfermé dans son propre corps. Pourtant, la famille avait exigé qu’ils continuent à le maintenir en vie au mépris des avis médicaux de trois docteurs de la clinique. Ils paieraient, l’argent n’est pas un problème, mais ne le débranchez pas.
Au vu de cette volonté aussi farouche, le professeur Amin qui se chargeait de la gestion des transplantations d’organe n’avait même pas tenté de leur demandé s’ils voulaient sauver des vies. La réponse serait sans doute non. Si elle comprenait l’attachement d’une famille pour l’un des leurs, elle comprenait mal qu’on encombre un lit et qu’on monopolise des soins médicaux pour une personne sans espoir. C’était terrible, mais elles en avaient discuté, au restaurant, et toutes s’étaient dit qu’un coup de pied dans la prise serait un tragique accident, mais que ça aiderait peut-être la famille à le laisser partir. Alors qu’elle regardait les constantes et les notait sur bloc prévu à cet effet, elle songeait très fortement à tomber sur le moniteur et d’entraîner la prise avec elle… Un simple accident… Elle reposa le bloc. Non, elle ne pourrait pas faire ça. Ce n’était pas pour ça qu’elle était infirmière, pas pour tuer des gens même s’il n’était plus possible de les sauver.
En sortant, elle laissa la porte ouverte, comme pour tous les patients dans le coma. S’il y avait le moindre problème, elle devait pouvoir entrer rapidement sans avoir à ouvrir la porte en plus. Mais elle était tellement concentrée qu’elle ne vit pas l’autre patient qui rampait dans le couloir. C’était un homme qui était arrivé la semaine dernière avec des brûlures au troisième degré sur plus des trois-quarts du corps. Il était resté conscient tout du long et même gavé de tranquillisants et d’opiacés. Mais il n’avait pas dit un mot. Personne ne savait ce qu’il lui était arrivé. Personne ne venait le voir et personne n’avait répondu au numéro d’urgence.
Et là, il rampait dans le couloir des comas dépassés.
Une heure plus tard, l’infirmière le retrouvait dans la chambre 203, la main agrippée au poignet du patient. Il était mort. Le patient de la chambre 203 n’avait pas bougé. Ses constantes avaient juste eu un petit pic, mais rien d’alarmant. Deux infirmiers vinrent prendre le corps du grand brûlé et le professeur Amin ausculta complètement son patient. Aucun changement. Il allait bien si ce n’était que son encéphalogramme était plat. On ferma la porte. C’était un accident isolé.
Et Ben Whitehall ouvrit les yeux.
- Bon… C’aurait pu être pire.
Et il bailla avant de se rendormir.
FIN DU TOME 1.
Bon, On se recentre…
- It’s the end of the world as we know it…
Non, non… Ça ne voulait pas venir. Impossible de trouver la suite de cette fichue chanson. Peut-être en essayant de retrouver là où il l’avait entendu la première fois ? Non, ce devait être lors d’une soirée bien arrosée… Peut-être avec Cassy ou Stephen ? Ces deux-là adoraient mettre la musique à fond dans la voiture en allant au bar. Généralement, c’était la radio, car ils aimaient avoir la surprise et se mettre à chanter à tue-tête les pires chansons possibles… le nombre de fois où ils s’étaient fait arrêter par les flics pour conduite en état d’ivresse alors que les deux seules personnes qui étaient bien torchés, c’étaient Stephen et Kendra qui étaient toujours à l’arrière tandis que lui était sur le siège du mort, un peu saoul, mais encore à peu prêt conscient de ses actes. Cassy, elle, ne buvait jamais.
Bon dieu… il avait l’impression que c’était il y’a une vie ou deux. Pas deux ans. Avec la révélation, il s’était posé des tas de questions sur cette vie d’avant. Quand les Créatures de la Nuit n’étaient pas encore les Révélés, il estimait que c’aurait été horrible d’imposer à ses parents et à ses amis le secret sur ce qu’il était et l’horreur de ce qu’il avait subi. Mais maintenant ? Bon, il ne voulait toujours pas ennuyer ses proches avec son expérience, mais juste leur dire : c’est bon, je suis vivant (enfin presque…) alors arrêtez de pleurer. Le lendemain de la résolution 2112, de nombreuses associations de famille de disparus avaient lancés un appel pour savoir si certains Révélés n’étaient pas d’anciens disparus. Il avait vu son père dans une émission de télé qui leur était consacré et… Il avait hésité. Il était évident que ni lui ni sa mère n’avaient fait leur deuil, mais… Il n’était pas persuadé que ses parents acceptent ce qu’il était maintenant. Ils en avaient déjà tellement accepté de sa part.
Deuxième clope.
- It’s the end of the world as we know it…
Non, la note sur le dernier mot n’était pas la bonne… Une tonalité au-dessus peut-être ?
Normalement, elle serait venue avec des chaussures un peu plus discrètes que celles-là, mais elle profitait de sa liberté alors que Victor cuvait sa cuite. Et puis, elle était tombée amoureuse de ses new rock qui donnaient un côté totalement décalé à sa jupe en dentelle noir et à sa veste de tailleur stricte. Et puis, pour ce soir, elle n’avait aucun besoin d’être invisible. Bien au contraire. Elle s’assit sur le banc, à côté de Vince, et posa le sac à dos devant lui.
- T’as l’air grognon.
- J’ai une chanson dans la tête et j’arrive pas à retrouver les paroles… Bah, laisses tomber…
- Tu sais… Je ne pensais pas que ça finirait comme ça.
- Comme quoi ?
- Comme ça… Toi et moi vampires… enfin presque. Et le monde sait… Je ne sais pas si c’est un happy end ou pas.
- Bof… Ca dépend de quel point de vue on se place. Moi… Je ne sais pas non plus.
- Nous avons changé.
- Ouais… Et pas en mieux.
- En pire ?
- Je ne sais pas. C’est autre chose.
Il soupira et s’étira sur le banc. Depuis qu’il recommençait à dormir, il se retrouvait dans des positions improbables et se réveillait avec des courbatures.
- Nous n’avons plus rien en commun avec ce que nous étions avant. Cela étant dit, je trouve que niveau évolution on s’est plutôt tapé la version mutation suite à une bombe nucléaire. Mais bon. On fait avec et je trouve qu’on s’en sort pas si mal. Mais t’imaginais quoi comme fin ?
- Je ne sais pas trop… Déjà, je ne me voyais pas survivre. Je pensais que Victor finirait par me tuer et qu’on n’en parlerait plus. Je pensais que Ben finirait par te tuer, me demande pas pourquoi.
- Tu savais qu’il allait me trahir ?
- Non, j’en savais rien… Y’avait juste un truc qui clochait et je n’arrivais pas à mettre le doigt dessus. L’impression que ça allait très mal finir… Mais sincèrement, j’aurais préféré qu’il te fiche la paix.
- Tu n’es pas la seule… Marmonna-t-il.
- Je peux te poser une question ?
- Vas-y.
- Pourquoi tu le laisses à l’hôpital en assistance respiratoire ? Y’a plus personne dans sa tête, il est mort… Pourquoi laisser le corps vivre ?
Lui-même s’était posé la question un bon nombre de fois. Était-ce de la culpabilité ? Étrangement, non. Certes, il continuait à se sentir mal à cause de l’acte, mais la victime… Les trois fois qu’il était allé le visiter dans la clinique privée où il l’avait installé, il n’avait ressenti qu’une flambée de colère destructrice qui avait même alerté Allegro qui était venu garder la porte. De la vengeance, alors ? Il savait pertinemment que Ben, ou plutôt Willhem, n’existait plus du tout mis à part l’enveloppe charnelle. S’acharner sur ce corps était totalement inutile et même sa partie louve qui ne s’embarrassait pas autant que lui de la logique n’éprouvait aucun attrait à l’idée de le déchiqueter. Alors, quoi ?
- Pour ne pas oublier. Un jour, il mourra définitivement et là je pourrais faire une croix dessus. Pour le moment, je n’y tiens pas.
- Mon dieu ce que tu es compliqué…
- Je sais. Et sa mort ne sera pas de ma faute donc je pourrais le vivre mieux.
Clara préféra changer de sujet.
- Et sinon… T’as fait quoi pour la fin du monde ?
- Bah, j’ai attendu.
- Décevant, hein ?
- Oulah, oui… Pas d’épidémie de zombies, pas de réveil des dragons, pas de Cthullu avec qui prendre le thé… Juste la Grande Révélation.
- Ouais, pareil. C’est la fin du monde et rien ne change. Ou presque. Disons que ce n’est pas pire qu’avant.
- Ils auraient pu quand même faire un effort pour les effets spéciaux.
- C’est quand la prochaine ?
- Euh…
Vince sortit son smartphone de sa poche et consulta rapidement une page internet.
- 10 avril 2014 selon la kabbale.
- Et c’est sensé être quoi ?
- Le déchainement des forces du mal.
- Oh, c’est tellement classique… maugréa Clara en roulant des yeux.
- It’s the end of the world as we know it… Chantonna Vince.
- And I feel fine…
Voilà. Enfin il avait le reste de la mélodie. Et il se mit à sourire. C’était exactement ça. C’était la fin du monde, mais on survivait. Et c’était officiellement la fin de sa dépression.
- Merci.
- De quoi ?
- C’était la chanson que je cherchais. Tu m’évites une journée à me retourner dans mon lit parce que je ne trouvais pas la suite.
- T’es un grand malade.
- Autant que toi, chérie !
Elle poussa du pied le sac à dos.
- Et c’est pour quoi, ça ?
- Oh, j’avais envie de me dégourdir les pattounes, ce soir. Mais un loup en jeans, c’est ridicule.
- Te… « Dégourdir les pattounes »… Je crois que tu viens d’insulter tous les loups garous du monde avec trois mots…
- Que tu crois ! Nous autres loups avons peut-être un humour raffiné, mais de temps en temps, nous apprécions d’être affreusement gamins.
- Gamins, hein ?
- Complétement puérils.
- Seigneur…
Elle se retourna le temps qu’il enlève le T-shirt, mais ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil quand retentit le cri de la braguette.
- Pas de sous-vêtements ?
- Tu sais, y’a cent fois plus ridicule que le loup en jeans : Y’a le loup en caleçon. Détourne le regard, vicieuse !
- Et fière de l’être !
Clara consentit tout de même à reprendre sa position initiale avec un petit rire, mais elle savait que Vince n’avait aucun problème avec sa nudité. C’était la transformation qu’il ne voulait pas partager. En entendant les craquements des os et les torsions des cartilages, elle se dit qu’elle n’était pas encore prête pour regarder ça. De toute façon, voir Vince souffrir la dégoutait au plus haut point. Sentant une fourrure contre sa main ainsi que le bout d’une langue humide contre sa main, elle le regarda et ne put s’empêcher de penser que Vince, loup, humain ou vampire, était une magnifique créature.
- On y va ? D’après Allegro et Simon, ils se terrent dans le vieux port, un entrepôt à un petit kilomètre d’ici.
Le loup noir jappa son assentiment et ouvrit la marche d’un pas élastique alors qu’elle s’équipait du sac à dos contenant ses vêtements.
Bip. Bip.
On oubliait très souvent que les hôpitaux étaient extrêmement bruyants. Elle, en tout cas, l’oubliait régulièrement et ce n’était que pendant ses gardes de nuit qu’elle comprenait à quel point c’était bruyant. Et nécessaire. Le silence signifiait que quelque chose n’allait pas et que personne ne pouvait dire à quel point c’était dangereux. C’était… Comme le chant des oiseaux dans une forêt, voilà ! Quand on entendait plus les oiseaux, c’était qu’il y avait du danger.
Enfin… pour le patient de la chambre 203, il n’y avait plus trop de danger possible. Le corps fonctionnait bien, mais les ondes cérébrales étaient toutes absentes. Le médecin qui le suivait était sûr que le coma était irréversible et même que le patient n’était même pas enfermé dans son propre corps. Pourtant, la famille avait exigé qu’ils continuent à le maintenir en vie au mépris des avis médicaux de trois docteurs de la clinique. Ils paieraient, l’argent n’est pas un problème, mais ne le débranchez pas.
Au vu de cette volonté aussi farouche, le professeur Amin qui se chargeait de la gestion des transplantations d’organe n’avait même pas tenté de leur demandé s’ils voulaient sauver des vies. La réponse serait sans doute non. Si elle comprenait l’attachement d’une famille pour l’un des leurs, elle comprenait mal qu’on encombre un lit et qu’on monopolise des soins médicaux pour une personne sans espoir. C’était terrible, mais elles en avaient discuté, au restaurant, et toutes s’étaient dit qu’un coup de pied dans la prise serait un tragique accident, mais que ça aiderait peut-être la famille à le laisser partir. Alors qu’elle regardait les constantes et les notait sur bloc prévu à cet effet, elle songeait très fortement à tomber sur le moniteur et d’entraîner la prise avec elle… Un simple accident… Elle reposa le bloc. Non, elle ne pourrait pas faire ça. Ce n’était pas pour ça qu’elle était infirmière, pas pour tuer des gens même s’il n’était plus possible de les sauver.
En sortant, elle laissa la porte ouverte, comme pour tous les patients dans le coma. S’il y avait le moindre problème, elle devait pouvoir entrer rapidement sans avoir à ouvrir la porte en plus. Mais elle était tellement concentrée qu’elle ne vit pas l’autre patient qui rampait dans le couloir. C’était un homme qui était arrivé la semaine dernière avec des brûlures au troisième degré sur plus des trois-quarts du corps. Il était resté conscient tout du long et même gavé de tranquillisants et d’opiacés. Mais il n’avait pas dit un mot. Personne ne savait ce qu’il lui était arrivé. Personne ne venait le voir et personne n’avait répondu au numéro d’urgence.
Et là, il rampait dans le couloir des comas dépassés.
Une heure plus tard, l’infirmière le retrouvait dans la chambre 203, la main agrippée au poignet du patient. Il était mort. Le patient de la chambre 203 n’avait pas bougé. Ses constantes avaient juste eu un petit pic, mais rien d’alarmant. Deux infirmiers vinrent prendre le corps du grand brûlé et le professeur Amin ausculta complètement son patient. Aucun changement. Il allait bien si ce n’était que son encéphalogramme était plat. On ferma la porte. C’était un accident isolé.
Et Ben Whitehall ouvrit les yeux.
- Bon… C’aurait pu être pire.
Et il bailla avant de se rendormir.
FIN DU TOME 1.