Non... Rien de rien... Non, je ne regrette rien
-
Sincèrement… Si j’avais cru que ça finirait comme ça,
je ne t’aurais jamais autorisé à mener tout ça. C’était parfaitement… cruel.
La créature en face de lui allongea le bras et prit le verre contenant un liquide ambré qui projetait ses couleurs dans la lumière du club. Malgré son allure générale, il n’était pas humain, sans doute parce que sa peau d’un gris sombre tirant sur le bleu nuit ne pouvait être humaine comme ses yeux violets qui semblaient éclairés de l’intérieur, sans oublier les oreilles en pointe cachés sous une chevelure qui semblait faite d’argent liquide.
- Cruel ? Et comment crois-tu que tu aurais pu m’empêcher de faire quoi que ce soit, mon Ange ? La nécessité est cruelle, mais c’est la nécessité. C’était ce qui devait être fait.
- De cette manière ?
La créature prit une gorgée de whisky et le garda en bouche de longues secondes, sans doute pour en épuiser les saveurs avant d’avaler et reposa sa jambe sur le bras du canapé. Il s’étirait comme un chat et darda son regard d’améthyste sur l’ange de l’autre côté du bureau qui reposait la bouteille de vin rouge.
- Il n’y a pas de méthode idéale, Daniel… Si ça existait, je ne serais pas là à jouer les méchants… Et tu aurais fait tout ce bordel tout seul.
- Dites-moi que je rêve… Tu essayes de me culpabiliser ? Parce que je suis du bon côté ?
- Tu n’es pas du bon côté. Personne ne l’est. Parce qu’il n’y a pas de bon côté. Quant à comment c’est arrivé, Je te rappelle que je m’occupe juste de la finalité. Ce qu’il se passe entre le début et la fin… Pas de mon fait. Et ça s’appelle le libre arbitre, mon chou.
Daniel Bow se leva de son bureau et fit craquer son cou avant de se retourner vers la baie vitrée qui le séparait de la piste de danse presque trois étages plus bas. Personne, de la piste de danse, ne pouvait voir cette vitre qui était presque complètement entourée par des spots de couleurs, cachant dans la lumière le bureau du propriétaire. La pièce était suffisamment bien insonorisée pour que la musique tonitruante en contrebas ne parvienne qu’en murmure rythmé.
- Néanmoins… Il sera utile ?
- Ça dépendra de la trempe.
- Sérieux… Je déteste quand tu parles avec des métaphores issues de la forge.
- C’est pour ça que je les utilise. Plus sérieusement, On est rentré dans la phase la plus délicate. Trop chaud… Elle se déforme, trop froid, la lame se casse. Dans les deux cas, c’est foutu.
- Et on serait reparti pour une nouvelle élaboration de la Lame…
- Yep… Même si j’avoue totalement kiffer faire mon travail… recommencer depuis le début ?
- Oh non, pas deux fois…
- Si ça arrive, je me pends avec mes propres tripes.
Daniel se retourna et considéra le Faë qui mimait sa propre sa pendaison en tirant la langue et en révulsant ses yeux.
- T’es prié de pas faire ça dans mon bureau, alors.
- Quelle sollicitude…
- Oh ça va… Au fait. On m’a chargé de t’engueuler pour avoir prévenu les quenottes.
- Et qui a prévenu les peluches ?
- À ce sujet… J’ai un peu menti aux autorités supérieures qui me contrôlent… en disant que c’était pour restaurer l’équilibre…
- Tu te fous de moi ??
Le Faë s’était levé en furie et même s’il faisait une tête de moins que Daniel et qu’il flotterait dans un de ses pantalons, il restait plutôt impressionnant, sans doute parce que l’Ange savait pertinemment de quoi il était capable et qu’il suintait la magie par tous les pores.
- C’est à cause de toi que j’ai dû reprendre contact avec le vampire ! Pour restaurer…
- Je sais ! Mais… Destin… J’ai déjà vu ce que donnait une révélation sans préparation. Ça va être un bordel sans nom et les principales victimes seront… (Daniel jeta un regard par la baie vitrée) les humains, encore une fois. Autant que tout le monde soit prévenu et commence à faire des plans pour que tout se passe bien. Ça nous changerait pour une fois…
Le Faë s’approcha de la baie vitrée et commença à regarder la foule. L’ange leva les yeux au ciel, car il savait parfaitement ce que faisait la créature la plus puissante des Faë. Il chassait. Tous les jours, le Faë ramenait au moins un humain dans son royaume et l’en renvoyait au matin avec la mémoire en moins. Du moins pour la nuit. Et parfois, il s’amusait à leur implanter de faux souvenirs totalement délirants. À une époque, c’était l’enlèvement par les extraterrestres…
- Helloooo, vous… ronronna Destin en plaquant ses mains sur la vitre. Joli fessier… J’adorerais remplir mes mains d’honnête homme avec…
- Oh pitié…
- Ne fais pas ton ange prude, s’il te plait. J’ai encore le souvenir de ces jumelles que nous avons partagé… Des rousses… Elles avaient toutes deux ce charmant petit nez retroussé… Et des langues très agiles.
- Mais pas dans mon club ! Il y a des règles et j’entends que tu les respectes !
- Pourquoi ?
- Parce que si tu ne suis pas les règles, personne ne lui suivra en disant « Je m’en fous ! Le Prince d’Equilibre ne les suit pas non plus ! »
Le Faë fit la moue et retourna à sa contemplation de la femme vêtue d’une robe rouge qui se déhanchait au rythme de la musique.
- Et si… Je suivais les règles ? Je l’invite juste à une partie de sexe sans lendemain…
- Pas avec ton apparence actuelle.
- Evidement !
Sa peau commença à s’éclaircir à se parer d’une couleur largement plus classique de ce coté ci du Paradoxe. Peut-être un peu trop dorée, mais sous les spots, ça ne se verrait pas trop. Pareil pour ses oreilles qui devinrent plus rondes et ses yeux devenaient brun chocolat.
- Une idée pour les cheveux ?
- Hum… (Daniel regarda la jeune femme) Je dirais que c’est une femme à Blonds.
- Tellement classique…
- Ça a beau être une boite, tu dragueras beaucoup moins bien avec les cheveux rose fuchsia.
- Je n’ai fait ça qu’une seule fois…
- Au Canada… Et au XVIIIème siècle…
- C’était fun… murmura Destin en secouant ses cheveux d’une main pour qu’ils prennent une teinte blond platine.
- C’était stupide.
- Mais fun. Vous autres manquez cruellement de folie. Toi, peut-être moins que les autres, mais tu restes un indécrottable angelot tout plein de règles et d’interdits.
- Et toi non, peut-être ?
- Mon chou, les seules chaines acceptables sont celles que tu acceptes de te mettre tout seul autour du cou. Je choisis en quoi j’ai envie de croire et pour quoi je veux me battre.
- Venant de toi, ça me fait doucement rire…
- Bref ! Aurais-tu l’obligeance de me prêter l’une des salles de repos expressément faites pour qui se trouvent au quatrième étage ? Si je dois suivre tes méchantes petites règles, autant que je n’emmène pas cette petite douceur dans mon boudoir, hein ?
- Troisième porte de droite… soupira l’Ange.
- Tu es bien urbain. Pour cela, je te pardonne ton petit mensonge.
Le temps que Daniel se retourne, son invité d’un soir était déjà parti et il n’avait pas besoin de regarder par la baie vitrée pour le voir en train d’aborder sa proie d’un soir. Fort heureusement, il savait aussi qu’il suivrait la loi du tout nouveau sanctuaire : Tout le monde sort dans l’état dans lequel il est rentré. Aucune transformation n’est permise. Tout le monde est le bienvenu tant qu’il suit les règles. Il soupira et se passa les mains sur le visage.
- Faust.
Etre un Trône du Seigneur avait de gros avantages comme celui de pouvoir convoquer l’un de ses congénères rien qu’en prononçant leurs noms avec l’intention de les avoir à côté de lui. Pourtant… Faust était sans doute l’ange qui était le plus pénible et le plus enclin à ne pas répondre aux convocations. La dernière fois que Daniel avait eu besoin de lui, Faust avait mis deux siècles à répondre. Et à répondre qu’il ne voulait pas venir. Aussi, Daniel fut presque étonné de voir l’ange consentir à apparaitre. En tout temps, en tout lieu, Faust avait toujours détonné. Il n’allait pas dans le décor. Là encore, il aurait pu être magnifique si ce n’était sa manche droite qui flottait contre son flanc, vide. Faust avait perdu le bras avant de devenir ange et même s’il avait gagné le droit de se faire repousser le membre manquant, il se montrait toujours manchot, ne régénérant son bras que quand c’était plus que nécessaire.
À savoir presque jamais.
Comme d’habitude, Faust avait l’air de s’ennuyer ferme. Et comme d’habitude, il avait l’air de ne pas vouloir obéir. La soirée allait être longue.
- Bon, j’ai besoin de toi pour vérifier quelque chose.
- Ça concerne la Lame ?
- Euh ouais… J’ai besoin que tu…
- Je t’arrête tout de suite. Je ne ferais rien.
- Je te demande pardon ?
- Vous ne m’avez rien demandé sur l’élaboration de la Lame, je ne vois pas pourquoi j’aiderais maintenant !
- Tu te fous de moi, là ?
- C’est qui le spécialiste des trucs occultes et ce depuis le début de ce cycle ? C’est moi ! Et vous m’avez évincé de la conception de la Lame ! Pourquoi je bougerais mon cul pour t’aider à ce niveau ?
- Parce que… Je te le demande ?
- Daniel… va te faire voir. On se revoit à l’anniversaire d’Erza ?
Et Faust disparut sans rien dire de plus. Ce qui était une bonne chose pour lui. Parce que Daniel avait très sérieusement envisagé de lui arracher l’autre bras.
Ils n’étaient que trois à ne pas courir partout, à ranger, à transporter des caisses, à nettoyer et panser les plaies de ceux qui continuaient à courir partout, mais qui n’étaient pas encore tout à fait soignés. Certes, ils n’étaient pas moins efficaces que les autres et c’était un exploit puisque moins d’une heure avant, ils se faisaient arracher la peau… pour les plus chanceux. Ils savaient qu’ils revenaient tous de très loin. Ils savaient que sans l’intervention d’un inconnu, ils ne seraient plus là à déménager la tanière. Dans un coin, l’Alpha, le vampire et un troisième à l’odeur de loup, mais inconnu restaient à parler à voix basse. Personne n’allait leur dire quoi que ce soit. Parce que c’était l’Alpha. Parce que c’était celui qui les avait sauvés et avait fait battre leurs cœurs. Parce que le troisième maintenant l’autre en vie et qu’il ne laisserait pas mourir.
Jones ne regardait pas le nouveau venu, qu’il avait pourtant perçu comme un très vieux loup. Ils étaient rares à passer les deux siècles, puisque la folie les rattrapait presque toujours. Et parfois non. Le Fenris était aussi un très vieux loup. Il y avait une douzaine d’Alphas à travers le monde qui étaient des vieux loups et à peine le tiers qui étaient presque aussi vieux que le Fenris. Et il avait devant lui un loup paria qui avait le regard sage et usé. Et Jones n’arrivait pas à le regarder au-delà du cou. Il était un loup dominant, ce qui était obligatoire pour un alpha, mais c’était la première fois qu’un loup qui ne faisait pas partie d’une haute meute était plus dominant que lui. En général, les parias n’étaient pas contents d’être sous les ordres d’autres loups, mais n’étaient pas des dominants plus que ça. Il en savait quelque chose, la meute de Londres était presque exclusivement des anciens parias. La meute de Londres avait été un refuge… et une bande de chasseurs d’Hommes avaient foutu en l’air un demi-siècle de patience et de construction. Si les humains n’avaient pas déjà été tous tués, il serait parti en chasse dès maintenant pour les faire souffrir. La sécurité était essentielle pour ses loups… et tout avait été remis en question. Cela étant posé, il devait admettre que toute sa meute faisait un travail exceptionnel lors du déménagement. Personne ne s’était écroulé, tout le monde avait suivi ses ordres avec efficacité et rapidité. Pas un n’avait craqué. Et c’était grâce au loup dans le vampire. Mais était-ce encore un loup dans un vampire ? Et si ce n’était plus ça, c’était quoi ?
Impossible à dire… Il regrettait de ne pas avoir plus de contacts avec les autres meutes… Et puis il y avait le vieux loup qui continuait à tenir le Cœur de Meute contre lui, l’entourant de ses bras et le berçant doucement. Jones posa sa main sur le genou de Vince, pour rétablir le contact.
- Tu n’es pas obligé de continuer à nous apaiser… Cela nous fait plaisir, bien sur, mais ça te met en danger.
Vince ne répondit pas, continuant à trembler et à marmonner en se tordant les mains.
- Je ne suis pas sur qu’il vous entende. Intervint le loup paria.
- J’aurais essayé. Qu’est-ce que tu fais, toi ?
- Je le bloque, je crois… Pour qu’il se régénère. Mais je n’arrive pas à le bloquer au niveau des émotions. Il se laisse complètement déborder.
Jones soupira et retira sa main.
- Il peut se soigner ? Il me semblait que ces salopards utilisaient de l’argent.
- Au bruit que j’entends… son cœur manque des battements. Ça… Ce n’est pas bon. Mais peut-être que son côté vampire aide… Je ne sais pas.
- Tu sais que c’est un vampire.
Le vieux Loup sourit légèrement, toujours sans regarder Jones. C’était le seul moyen pour que l’Alpha ne se sente pas dominé. C’était mieux pour lui et sa meute qu’un autre dominant ne vienne pas ficher en l’air le fragile équilibre de la hiérarchie.
- Je l’ai rencontré il y a … un peu plus d’une semaine.
- Avec son loup ?
- Non. Je l’aurais senti. Il n’y avait que la cendre.
- La cendre ?
- La cendre humaine. L’odeur des Cannibales. On est ce qu’on mange, parait-il. Vous n’avez jamais remarqué ? Si les Cannibales sentent la cendre humaine, c’est parce qu’il ne reste que ça quand un vampire meurt... Memento homo quia pulvis es et in pulverem reverteris.
- Une longue histoire avec les Cannibales ?
- Une vieille histoire.
Vince gémit sourdement en fermant les yeux et en se recroquevillant dans les bras de Dom. Celui-ci le serra plus fort contre lui et tâta rapidement les deux blessures à la poitrine.
- C’est refermé. Mais il n’a pas expulsé les balles.
Jones se tourna vers le reste de la Meute de Londres et siffla un coup sec entre ses dents. Les dix-sept membres s’arrêtèrent tous dans leurs activités, reposèrent ce qu’ils portaient et avancèrent vers le trio, les yeux baissés pour ne pas défier les deux dominants. Sans un mot, ils entourèrent Vince qui essayait de souffrir en silence et le touchèrent, certains assis tout contre lui, d’autre du bout des doigts, selon leur position.
Le message était unanime.
Ne meurs pas.
Il était assis devant l’obscurité, à attendre que celle-ci le recouvre et lui fasse tout oublier. C’était la deuxième fois qu’il abandonnait tout espoir. C’était de la lâcheté, il le savait, mais pour une fois que son instinct de survie ne le faisait pas reculer, autant en profiter, non ? Mais il n’était pas tout seul. Il n’osait pas tourner le regard pour ne pas voir celui qu’il entraînait avec lui. Sa résolution vacillerait et…
Il tourna le regard pour se voir lui-même. Une version plus sauvage de lui-même. Les épaules tombantes, le regard encore droit et franc qui fixait l’obscurité sans faiblir. Il y avait bien de la tristesse dans sa moue un peu enfantine, mais il restait calme.
- Je comprends, tu sais…
- Quoi ?
- Le besoin de se reposer.
- Tu ne m’en veux pas ?
L’autre se tourna vers lui, le dévisageant de ses yeux entièrement noirs, qui pourtant n’étaient pas effrayants du tout.
- Non. Pourquoi je t’en voudrais ?
- Je finis nos vies…
- Je n’ai pas eu une belle vie… Mais j’ai eu une vie. Quand c’est fini, c’est fini. Je ne t’en veux pas et… Je suis content que tu ne partes pas tout seul, même si avec moi. On ne devrait pas mourir tout seul…
- Pourquoi ?
- Parce que c’est triste. C’est froid.
- Mais c’est triste que toi tu meurs !
- C’est la vie…
Et là… Il sut qu’il ne mourrait pas. Pas cette fois en tout cas. On avait beau avoir un fond d’égoïsme, la souffrance des autres ne laisse pas vraiment indifférent. On peut passer au-dessus. On peut détourner les yeux, on peut oublier. Mais on a mal. Même s’il voulait que tout s’arrête, qu’il ne soit plus trahi, qu’il ne souffre plus, il ne souhaitait pas vraiment mourir. Juste dormir un peu. Se reposer. Se reposer vraiment et ne plus penser à ce qui pouvait le faire souffrir.
- Tu ne veux pas vivre ?
- Je meurs libre. Ça me suffit.
- Pas à moi.
Il tendit la main pour prendre celle de son double et aperçut des silhouettes derrière lui. Des silhouettes inquiètes. Une meute de loups.
- Si tu veux me sauver, il va falloir que tu acceptes ça aussi. Aussi… je comprendrais que tu ne veuilles pas.
- Ça… signifie quoi ? Ils vont toujours être là ? dans ma… notre tête ? Et qui sont-ils ?
- Non, pas eux particulièrement. Une meute… Une famille… Qui nous protègent et que nous protégeons. Ceux que tu choisiras.
- Ceux que tu choisiras aussi.
- Si c’est ce que tu souhaites.
- Que sommes-nous ?
Son double soupira et entremêla ses doigts avec ceux de Vince.
- Une anomalie nécessaire pour le bien-être du plus grand nombre. Ni dominant, ni soumis. Ils peuvent vivre sans nous, bien sur, mais il vient toujours le moment où ils doivent choisir entre mourir fou ou nous faire confiance. Nous sommes la sécurité. Nous sommes la paix. Nous sommes la guérison.
- Je suis un assassin… On m’a… On a fait de moi quelqu’un qui tue ses semblables.
- Pourquoi ?
- Pour faire peur, je suppose. Pour… qu’on suive les règles… Pour que… ça ne se reproduise pas.
- Et ça marche ?
- Non… Enfin… ça marche un temps et puis… on trouve un moyen de contourner tout ça. Ou… On a trop faim pour attendre et on déconne.
- Tu l’as déjà fait ?
- Non… Je n’aime pas tuer. J’ai peur que ça arrive.
- Ça n’arrivera pas. Je t’en empêcherai. Je nous tuerais s’il le faut.
- Tu me le jures ?
- Je nous le promets. Nous sommes un. Et il est temps qu’on rentre à la maison.
Vince ouvrit les yeux en prenant une grande inspiration qui le fit tousser en sentant un liquide lui remonter la trachée. Du sang, se rendit-il compte en le crachant sur sa propre manche. Des bras chauds l’entouraient et le protégeaient. Il y avait aussi ces visages, tournés vers lui et calmes. Il se cala davantage contre l’homme qui le tenait contre lui et refusa de les regarder davantage. Ce n’était pas qu’il ne les aimait pas, mais… Il y avait un passif qu’il ne voulait pas partager avec eux. Qu’il ne voulait pas partager tout court. Levant les yeux, il reconnut le loup-garou du massacre d’Uxbridge. Dieu qu’il était calme… et il avait l’habitude de travailler avec un vampire. Il l’aimait bien.
- Ça va mieux ? Demanda l’Alpha noir.
Vince secoua la tête. Sa poitrine le brûlait au point de lui donner envie de hurler ou de mordre le poing. Sans oublier les courbatures… Et l’impression que ses veines charriaient de petits morceaux de… trucs abrasifs. Ça faisait mal. Non, c’était pire que ça. C’était irritant.
- Quelqu’un a un portable ? coassa t-il entre deux toux.
- Pour quoi faire ? Murmura l’une des louves qui cherchait déjà dans son sac.
- Je dois… appeler Victor pour rentrer chez moi…
- On doit avoir ta réponse avant. Intervint Jones.
Vince fit la moue et se frotta le visage avec l’une de ses mains.
- Je ne peux pas accepter.
- Nous ne sommes pas assez puissants, c’est ça ?
C’était le loup que Vince avait coursé dans les tunnels de métro et qui grattait son épaule qui était encore un peu à vif. Des morceaux de sa peau gisaient un peu plus loin et se racornissaient à grande vitesse. D’ici peu, il n’en resterait qu’un bout de parchemin, faute d’avoir été traité à temps.
- Ça n’a rien à voir, Jackson.
- Comment tu… ?
- Je te connais. Mais ce n’est pas ma meute.
Tous se reculèrent légèrement, un peu blessé de ce rejet, mais pas vraiment surpris. Jones comprenait que ce n’était pas de la méfiance. C’était un moyen de se protéger. Et peut-être même de protéger la Meute de Londres. Celle-ci avait perdu un membre qui s’était révélé être un traitre… mais la crise qui aurait pu tous les tuer avait été évitée. Le vampire avait fait son boulot et il voulait aller de l’avant. Le loup aussi, peut-être.
- Et ton loup… ?
- Nous sommes un. Ce n’est pas mon loup, c’est moi. (Encore une toux qui expulsa du sang), Mais merde… Il m’arrive quoi ?
- Deux balles en argent, probablement, que vous n’avez pas expulsé. Lui murmura le loup qui le tenait. La douleur risque de durer un bon moment… Peut-être même de ne jamais cesser tant que les balles seront là.
- Y’a un moyen de les enlever ?
Dom soupira.
- Ce sera dur. Très dur, même. Il faudrait une chirurgie très précise, mais nous réagissons mal aux anesthésies. À toutes les drogues, en fait.
- Définissez « mal réagir » ?
- Nous les assimilons tellement vite que ça ne sert à rien. Répondit Jones.
- À moins de donner des doses en permanence ? à intervalles très courts ?
- Déjà testé… On a failli perdre la louve qui a accepté de servir de cobaye… et d’après ce que je sais, elle n’en est pas encore totalement remise.
- Et merde…
Un spasme plus puissant que les autres le contraignit à se pencher en avant pour vomir un peu plus de sang qui pourrissait à une vitesse folle et finit en cendres. La honte le fit rougir.
- Je suis vraiment désolé…
Le loup derrière lui lui caressa l’épaule.
- Ce n’est pas grave. Et je doute très sincèrement que vous y puissiez grand-chose.
- Et comment je guéris de ça ?
- Il faudrait les retirer à chaud.
À l’idée qu’on lui ouvre la poitrine, même pour une opération bien nécessaire, Vince sentit une peur irraisonnée lui tordre les boyaux et l’envie de mordre tout ce qui passait à portée de ses crocs. Les deux loups qui l’entouraient, ainsi que le reste de la meute à leurs pieds, le sentirent et se reculèrent un peu.
- Et voilà bien le problème… L’instinct animal ne nous laissera pas faire.
- Je vais le ramener chez lui. Intervint le loup qui le tenait toujours et l’aida à se lever. Les vampires auront peut-être une solution.
L’Alpha le regarda en haussant les sourcils.
- Parce que tu fais confiance aux quenottes, toi ?
- Pas plus que ce n’est nécessaire. Mais j’ai l’impression que ça les concernera aussi.
Au fil des heures, Simon se disait que c’était une très mauvaise idée. Evidement, il avait déjà servi de faire-valoir pour un vampire. Il avait même commencé comme ça sa carrière de Servant. À seize ans, il avait l’air assez adulte pour prendre l’avion seul et il avait accompagné une ambassadrice de la Maîtresse de Toulouse au Cambodge, surveillant la journée que personne ne la dérangerait et lui servant d’humain de compagnie lors des soirées de Gala. À une ou deux reprises, il avait même servi de repas. Contrairement aux autres Repas, il n’avait pas aimé l’expérience. L’ambassadrice n’avait pas apprécié non plus, mais la Maîtresse avait bien précisé que Simon était destiné à autre chose et que son ambassadrice était priée de trouver d’autres jouets.
Quinze ans plus tard, il se retrouvait dans le même rôle, mais cette fois-ci pour un assassin qui était en mission… une mission qui n’avait été autorisée par personne. Mais il comprenait parfaitement pourquoi cet assassin avait besoin de se faire vengeance. Il espérait juste qu’il ne serait pas pris dans les engueulades post-opération. Mais d’un autre côté, il était parfaitement logique, d’un point vampirique, qu’on se venge le plus vite possible. Surtout après une déclaration de guerre. Comme il n’était pas sur que le Serpent à Plumes soit vraiment impliqué dans cette attaque les deux avaient pris un vol, d’abords pour Paris et ensuite Lima. Jusque là, l’assassin lui avait paru un peu inconséquent, immature. Du moins tant que Sonatine était encore là. À sa mort, l’assassin était devenu… un assassin. Froid et méticuleux. La seule chose qui le différenciait d’un bloc de glace ? Ses yeux hantés par la perte d’un être cher. Et… Autant l’Héritier pouvait être soupe au lait, autant on pouvait discuter avec. Entamer une discussion avec l’Assassin… Il décourageait la moindre tentative d’un seul regard. Pour éviter tout problème, lui avait voyagé en seconde classe et l’assassin dans une malle, en soute. Pas de problème de douanes et surtout pas besoin d’utiliser une fausse identité. C’était bien le problème de ces humains qui n’en étaient plus. Les identités étaient forcément fausses puisqu’ils ne pouvaient plus vivre parmi les humains. Ne plus vraiment exister aux yeux de la société. Papy Occard lui avait souvent dit qu’il était de plus en plus difficile pour leurs protégés de se cacher. Depuis la seconde Guerre Mondiale, en fait, et la volonté de chaque nation de savoir exactement qui les composaient. Les invisibles devenaient plus rares et les cachettes plus difficiles. La Maîtresse s’en inquiétait souvent et cherchait un moyen de multiplier les invisibles ou bien de faire en sorte d’accoler un humain par vampire de sa cour. Elle n’avait pas eu le temps d’en faire quelque chose de construit, mais… Il y avait de l’idée.
À l’aéroport Jorge Chavez, Simon récupéra la malle et prit un taxi pour le centre-ville. Le plan était simple, prendre une chambre dans un hôtel de moyenne importance afin de ne pas se faire repérer trop facilement, ouvrir la malle et laisser l’Assassin traquer une proie vampirique pour le faire parler. Simon n’était pas sur de vouloir assister à la discussion. Il doutait que la discussion ne soit constituée que de mots. Pas qu’il fut bégueule, hein ? Mais la réputation de l’Assassin en matière d’interrogatoire était plutôt sulfureuse. Il se contenterait de faire le guet dehors. Ouais… ça c’était une bonne idée… la première depuis le meurtre de Sonatine. Ce qui le dérangeait le plus, c’était de n’avoir eu personne de la Cour de Toulouse. Ni Vince qui était aux abonnés absents et sans doute en train de filer le parfait amour avec son loup-garou, ni le Maître qui ne répondait pas du tout, ni Charles… ni personne. La dernière fois que la Cour de Toulouse avait été silencieuse, c’était pour la Décapitation. Mais il était sur que les Cannibales n’étaient pas retournés à Toulouse. On attaque pas un Grand Prédateur. Ça, Papy Occard en était sur. Plus que la Royauté de l’Ancien Régime, les Grands Prédateurs étaient intouchables, point final. Sauf entre eux bien sur… Mais Simon n’arrivait pas à concevoir que les Cannibales puissent se retourner contre ceux qui leur avaient donné une légitimité. Pire, une existence. Même s’ils étaient les parangons d’un tabou fort, il doutait qu’ils puissent dépasser celui du parricide ultime : la destruction du Créateur.
Enfin… On peut se tromper.
La nuit à Lima était calme. Ils étaient rares en tant qu’humains à arpenter les rues et en tant que vampires… Il devait y avoir une sorte de couvre-feu. Son entrainement en tant que Servant fut particulièrement important pour repérer les vampires affamés. Deux le traquaient déjà, bientôt rejoints par un troisième. Evidement, boire sur un touriste ne portait pas à conséquences. Les touristes disparaissent tous les jours, après tout, et un touriste qui se ballade à cette heure-ci cherche une compagnie tarifée… ou les ennuis. Dans les deux cas, il allait mourir.
Sauf que le touriste connaissait bien les techniques de chasse des vampires et qu’il avait lui-même un garde du corps très discret et très en colère. Si les deux premiers vampires ne l’avaient pas encore abordé, c’était sans doute à cause du troisième qui devait être d’un rang supérieur. Et donc prioritaire à la cantine. Et donc, ce vampire avait des informations… infortunée créature à crocs… Oui, il aurait pu les plaindre… Sans souci… Après tout, il était humain… Mais justement parce qu’il était humain, il ne les plaignait pas. Pas plus qu’il ne plaignait une innocente petite antilope se faisant courser par une lionne affamée. C’était dans l’ordre des choses et comme lui-même faisait plutôt parti de la couche inférieure de la pyramide des prédateurs, il ne voyait pas pourquoi il gâcherait sa pitié pour des créatures qui pouvaient le bouffer sans éprouver autre chose que la satisfaction après un bon repas. Aussi se contenta t-il de faire le guet dans la ruelle en avalant une barre chocolaté pendant que l’Assassin acculait les trois poursuivants, les mettaient hors d’état de nuire et commençait à « discuter » avec eux.
Même si tu les entends crier, n’oublie pas que pas mal d’entre eux te rendraient la politesse. Et souvent juste pour le plaisir.
Papy Occard n’était peut-être pas le plus vieux Servant humain encore en vie, mais il avait réussi à bien cerner ses patrons et surtout à en transmettre l’essentiel à Simon. Obéir sans discuter, oui. Ne pas s’impliquer émotionnellement, oui. Ne jamais croire qu’ils sont humains et qu’ils auront les mêmes attentes et les mêmes réponses que toi. Imaginer le pire, toujours. Ce ne sont pas des dieux, mais ils te surclassent. Ton seul avantage ? Ils ont besoin de toi. Et tant qu’ils ont besoin de toi, tu survis. Une logique particulière qui pouvait faire penser à une logique d’esclave, mais qui était celle d’un poisson pilote.
Aussi Simon se boucha t-il consciencieusement les oreilles quand la torture commença. Lui-même avait été entraîné comme un soldat, mais un soldat n’est jamais préparé à la torture. Les assassins, si, manifestement. Finissant sa barre chocolatée, un mouvement dans une ruelle en face lui attira l’œil et lui fit froncer les sourcils. Il se retourna un instant vers son compagnon d’infortune, mais faute d’être nyctalope, il ne voyait que des ombres se mouvoir au rythme des cris de douleurs et des questions posées avec une voix aussi calme que glaciale. L’Assassin étant occupé, c’était donc à lui de vérifier et de solutionner le problème s’il le pouvait. Simon espérait qu’il ne s’agisse que d’un chien errant ou d’un gros rat. Il n’était pas un très bon Menteur, sans doute parce qu’il n’avait pas beaucoup d’imagination, alors gérer un témoin ne lui semblait pas vraiment possible. Néanmoins, il s’approcha, gardant la main dans sa poche pour atteindre son pistolet qu’il avait réussi à faire passer à la douane en toutes discrétions. À chacun de ses pas, un grondement de chien s’amplifiait, mais la lumière chiche des lampadaires de Lima ne lui permettait pas d’en voir suffisamment pour évaluer la menace.
Pitié, pas un chien enragé… Mes vaccins sont à jour, mais je suis bon pour retourner à l’hôpital si ce foutu clébard me mord…
Il ne vit d’abords que deux yeux qui reflétaient la lumière, ce qui pouvait déjà paraitre effrayant au commun des mortels, puis ce furent une autre paire qui s’ouvrit au-dessus de la précédente, du même jaune fiévreux et il songea qu’il était temps de reculer. Il n’eut pas le temps de mettre sa brillante idée à exécution puisqu’une voix enfantine chuchota « Mange-le ! » en espagnol avant que des crocs de la taille de couteaux de cuisine n’entrent dans son champs de vision.
La créature en face de lui allongea le bras et prit le verre contenant un liquide ambré qui projetait ses couleurs dans la lumière du club. Malgré son allure générale, il n’était pas humain, sans doute parce que sa peau d’un gris sombre tirant sur le bleu nuit ne pouvait être humaine comme ses yeux violets qui semblaient éclairés de l’intérieur, sans oublier les oreilles en pointe cachés sous une chevelure qui semblait faite d’argent liquide.
- Cruel ? Et comment crois-tu que tu aurais pu m’empêcher de faire quoi que ce soit, mon Ange ? La nécessité est cruelle, mais c’est la nécessité. C’était ce qui devait être fait.
- De cette manière ?
La créature prit une gorgée de whisky et le garda en bouche de longues secondes, sans doute pour en épuiser les saveurs avant d’avaler et reposa sa jambe sur le bras du canapé. Il s’étirait comme un chat et darda son regard d’améthyste sur l’ange de l’autre côté du bureau qui reposait la bouteille de vin rouge.
- Il n’y a pas de méthode idéale, Daniel… Si ça existait, je ne serais pas là à jouer les méchants… Et tu aurais fait tout ce bordel tout seul.
- Dites-moi que je rêve… Tu essayes de me culpabiliser ? Parce que je suis du bon côté ?
- Tu n’es pas du bon côté. Personne ne l’est. Parce qu’il n’y a pas de bon côté. Quant à comment c’est arrivé, Je te rappelle que je m’occupe juste de la finalité. Ce qu’il se passe entre le début et la fin… Pas de mon fait. Et ça s’appelle le libre arbitre, mon chou.
Daniel Bow se leva de son bureau et fit craquer son cou avant de se retourner vers la baie vitrée qui le séparait de la piste de danse presque trois étages plus bas. Personne, de la piste de danse, ne pouvait voir cette vitre qui était presque complètement entourée par des spots de couleurs, cachant dans la lumière le bureau du propriétaire. La pièce était suffisamment bien insonorisée pour que la musique tonitruante en contrebas ne parvienne qu’en murmure rythmé.
- Néanmoins… Il sera utile ?
- Ça dépendra de la trempe.
- Sérieux… Je déteste quand tu parles avec des métaphores issues de la forge.
- C’est pour ça que je les utilise. Plus sérieusement, On est rentré dans la phase la plus délicate. Trop chaud… Elle se déforme, trop froid, la lame se casse. Dans les deux cas, c’est foutu.
- Et on serait reparti pour une nouvelle élaboration de la Lame…
- Yep… Même si j’avoue totalement kiffer faire mon travail… recommencer depuis le début ?
- Oh non, pas deux fois…
- Si ça arrive, je me pends avec mes propres tripes.
Daniel se retourna et considéra le Faë qui mimait sa propre sa pendaison en tirant la langue et en révulsant ses yeux.
- T’es prié de pas faire ça dans mon bureau, alors.
- Quelle sollicitude…
- Oh ça va… Au fait. On m’a chargé de t’engueuler pour avoir prévenu les quenottes.
- Et qui a prévenu les peluches ?
- À ce sujet… J’ai un peu menti aux autorités supérieures qui me contrôlent… en disant que c’était pour restaurer l’équilibre…
- Tu te fous de moi ??
Le Faë s’était levé en furie et même s’il faisait une tête de moins que Daniel et qu’il flotterait dans un de ses pantalons, il restait plutôt impressionnant, sans doute parce que l’Ange savait pertinemment de quoi il était capable et qu’il suintait la magie par tous les pores.
- C’est à cause de toi que j’ai dû reprendre contact avec le vampire ! Pour restaurer…
- Je sais ! Mais… Destin… J’ai déjà vu ce que donnait une révélation sans préparation. Ça va être un bordel sans nom et les principales victimes seront… (Daniel jeta un regard par la baie vitrée) les humains, encore une fois. Autant que tout le monde soit prévenu et commence à faire des plans pour que tout se passe bien. Ça nous changerait pour une fois…
Le Faë s’approcha de la baie vitrée et commença à regarder la foule. L’ange leva les yeux au ciel, car il savait parfaitement ce que faisait la créature la plus puissante des Faë. Il chassait. Tous les jours, le Faë ramenait au moins un humain dans son royaume et l’en renvoyait au matin avec la mémoire en moins. Du moins pour la nuit. Et parfois, il s’amusait à leur implanter de faux souvenirs totalement délirants. À une époque, c’était l’enlèvement par les extraterrestres…
- Helloooo, vous… ronronna Destin en plaquant ses mains sur la vitre. Joli fessier… J’adorerais remplir mes mains d’honnête homme avec…
- Oh pitié…
- Ne fais pas ton ange prude, s’il te plait. J’ai encore le souvenir de ces jumelles que nous avons partagé… Des rousses… Elles avaient toutes deux ce charmant petit nez retroussé… Et des langues très agiles.
- Mais pas dans mon club ! Il y a des règles et j’entends que tu les respectes !
- Pourquoi ?
- Parce que si tu ne suis pas les règles, personne ne lui suivra en disant « Je m’en fous ! Le Prince d’Equilibre ne les suit pas non plus ! »
Le Faë fit la moue et retourna à sa contemplation de la femme vêtue d’une robe rouge qui se déhanchait au rythme de la musique.
- Et si… Je suivais les règles ? Je l’invite juste à une partie de sexe sans lendemain…
- Pas avec ton apparence actuelle.
- Evidement !
Sa peau commença à s’éclaircir à se parer d’une couleur largement plus classique de ce coté ci du Paradoxe. Peut-être un peu trop dorée, mais sous les spots, ça ne se verrait pas trop. Pareil pour ses oreilles qui devinrent plus rondes et ses yeux devenaient brun chocolat.
- Une idée pour les cheveux ?
- Hum… (Daniel regarda la jeune femme) Je dirais que c’est une femme à Blonds.
- Tellement classique…
- Ça a beau être une boite, tu dragueras beaucoup moins bien avec les cheveux rose fuchsia.
- Je n’ai fait ça qu’une seule fois…
- Au Canada… Et au XVIIIème siècle…
- C’était fun… murmura Destin en secouant ses cheveux d’une main pour qu’ils prennent une teinte blond platine.
- C’était stupide.
- Mais fun. Vous autres manquez cruellement de folie. Toi, peut-être moins que les autres, mais tu restes un indécrottable angelot tout plein de règles et d’interdits.
- Et toi non, peut-être ?
- Mon chou, les seules chaines acceptables sont celles que tu acceptes de te mettre tout seul autour du cou. Je choisis en quoi j’ai envie de croire et pour quoi je veux me battre.
- Venant de toi, ça me fait doucement rire…
- Bref ! Aurais-tu l’obligeance de me prêter l’une des salles de repos expressément faites pour qui se trouvent au quatrième étage ? Si je dois suivre tes méchantes petites règles, autant que je n’emmène pas cette petite douceur dans mon boudoir, hein ?
- Troisième porte de droite… soupira l’Ange.
- Tu es bien urbain. Pour cela, je te pardonne ton petit mensonge.
Le temps que Daniel se retourne, son invité d’un soir était déjà parti et il n’avait pas besoin de regarder par la baie vitrée pour le voir en train d’aborder sa proie d’un soir. Fort heureusement, il savait aussi qu’il suivrait la loi du tout nouveau sanctuaire : Tout le monde sort dans l’état dans lequel il est rentré. Aucune transformation n’est permise. Tout le monde est le bienvenu tant qu’il suit les règles. Il soupira et se passa les mains sur le visage.
- Faust.
Etre un Trône du Seigneur avait de gros avantages comme celui de pouvoir convoquer l’un de ses congénères rien qu’en prononçant leurs noms avec l’intention de les avoir à côté de lui. Pourtant… Faust était sans doute l’ange qui était le plus pénible et le plus enclin à ne pas répondre aux convocations. La dernière fois que Daniel avait eu besoin de lui, Faust avait mis deux siècles à répondre. Et à répondre qu’il ne voulait pas venir. Aussi, Daniel fut presque étonné de voir l’ange consentir à apparaitre. En tout temps, en tout lieu, Faust avait toujours détonné. Il n’allait pas dans le décor. Là encore, il aurait pu être magnifique si ce n’était sa manche droite qui flottait contre son flanc, vide. Faust avait perdu le bras avant de devenir ange et même s’il avait gagné le droit de se faire repousser le membre manquant, il se montrait toujours manchot, ne régénérant son bras que quand c’était plus que nécessaire.
À savoir presque jamais.
Comme d’habitude, Faust avait l’air de s’ennuyer ferme. Et comme d’habitude, il avait l’air de ne pas vouloir obéir. La soirée allait être longue.
- Bon, j’ai besoin de toi pour vérifier quelque chose.
- Ça concerne la Lame ?
- Euh ouais… J’ai besoin que tu…
- Je t’arrête tout de suite. Je ne ferais rien.
- Je te demande pardon ?
- Vous ne m’avez rien demandé sur l’élaboration de la Lame, je ne vois pas pourquoi j’aiderais maintenant !
- Tu te fous de moi, là ?
- C’est qui le spécialiste des trucs occultes et ce depuis le début de ce cycle ? C’est moi ! Et vous m’avez évincé de la conception de la Lame ! Pourquoi je bougerais mon cul pour t’aider à ce niveau ?
- Parce que… Je te le demande ?
- Daniel… va te faire voir. On se revoit à l’anniversaire d’Erza ?
Et Faust disparut sans rien dire de plus. Ce qui était une bonne chose pour lui. Parce que Daniel avait très sérieusement envisagé de lui arracher l’autre bras.
Ils n’étaient que trois à ne pas courir partout, à ranger, à transporter des caisses, à nettoyer et panser les plaies de ceux qui continuaient à courir partout, mais qui n’étaient pas encore tout à fait soignés. Certes, ils n’étaient pas moins efficaces que les autres et c’était un exploit puisque moins d’une heure avant, ils se faisaient arracher la peau… pour les plus chanceux. Ils savaient qu’ils revenaient tous de très loin. Ils savaient que sans l’intervention d’un inconnu, ils ne seraient plus là à déménager la tanière. Dans un coin, l’Alpha, le vampire et un troisième à l’odeur de loup, mais inconnu restaient à parler à voix basse. Personne n’allait leur dire quoi que ce soit. Parce que c’était l’Alpha. Parce que c’était celui qui les avait sauvés et avait fait battre leurs cœurs. Parce que le troisième maintenant l’autre en vie et qu’il ne laisserait pas mourir.
Jones ne regardait pas le nouveau venu, qu’il avait pourtant perçu comme un très vieux loup. Ils étaient rares à passer les deux siècles, puisque la folie les rattrapait presque toujours. Et parfois non. Le Fenris était aussi un très vieux loup. Il y avait une douzaine d’Alphas à travers le monde qui étaient des vieux loups et à peine le tiers qui étaient presque aussi vieux que le Fenris. Et il avait devant lui un loup paria qui avait le regard sage et usé. Et Jones n’arrivait pas à le regarder au-delà du cou. Il était un loup dominant, ce qui était obligatoire pour un alpha, mais c’était la première fois qu’un loup qui ne faisait pas partie d’une haute meute était plus dominant que lui. En général, les parias n’étaient pas contents d’être sous les ordres d’autres loups, mais n’étaient pas des dominants plus que ça. Il en savait quelque chose, la meute de Londres était presque exclusivement des anciens parias. La meute de Londres avait été un refuge… et une bande de chasseurs d’Hommes avaient foutu en l’air un demi-siècle de patience et de construction. Si les humains n’avaient pas déjà été tous tués, il serait parti en chasse dès maintenant pour les faire souffrir. La sécurité était essentielle pour ses loups… et tout avait été remis en question. Cela étant posé, il devait admettre que toute sa meute faisait un travail exceptionnel lors du déménagement. Personne ne s’était écroulé, tout le monde avait suivi ses ordres avec efficacité et rapidité. Pas un n’avait craqué. Et c’était grâce au loup dans le vampire. Mais était-ce encore un loup dans un vampire ? Et si ce n’était plus ça, c’était quoi ?
Impossible à dire… Il regrettait de ne pas avoir plus de contacts avec les autres meutes… Et puis il y avait le vieux loup qui continuait à tenir le Cœur de Meute contre lui, l’entourant de ses bras et le berçant doucement. Jones posa sa main sur le genou de Vince, pour rétablir le contact.
- Tu n’es pas obligé de continuer à nous apaiser… Cela nous fait plaisir, bien sur, mais ça te met en danger.
Vince ne répondit pas, continuant à trembler et à marmonner en se tordant les mains.
- Je ne suis pas sur qu’il vous entende. Intervint le loup paria.
- J’aurais essayé. Qu’est-ce que tu fais, toi ?
- Je le bloque, je crois… Pour qu’il se régénère. Mais je n’arrive pas à le bloquer au niveau des émotions. Il se laisse complètement déborder.
Jones soupira et retira sa main.
- Il peut se soigner ? Il me semblait que ces salopards utilisaient de l’argent.
- Au bruit que j’entends… son cœur manque des battements. Ça… Ce n’est pas bon. Mais peut-être que son côté vampire aide… Je ne sais pas.
- Tu sais que c’est un vampire.
Le vieux Loup sourit légèrement, toujours sans regarder Jones. C’était le seul moyen pour que l’Alpha ne se sente pas dominé. C’était mieux pour lui et sa meute qu’un autre dominant ne vienne pas ficher en l’air le fragile équilibre de la hiérarchie.
- Je l’ai rencontré il y a … un peu plus d’une semaine.
- Avec son loup ?
- Non. Je l’aurais senti. Il n’y avait que la cendre.
- La cendre ?
- La cendre humaine. L’odeur des Cannibales. On est ce qu’on mange, parait-il. Vous n’avez jamais remarqué ? Si les Cannibales sentent la cendre humaine, c’est parce qu’il ne reste que ça quand un vampire meurt... Memento homo quia pulvis es et in pulverem reverteris.
- Une longue histoire avec les Cannibales ?
- Une vieille histoire.
Vince gémit sourdement en fermant les yeux et en se recroquevillant dans les bras de Dom. Celui-ci le serra plus fort contre lui et tâta rapidement les deux blessures à la poitrine.
- C’est refermé. Mais il n’a pas expulsé les balles.
Jones se tourna vers le reste de la Meute de Londres et siffla un coup sec entre ses dents. Les dix-sept membres s’arrêtèrent tous dans leurs activités, reposèrent ce qu’ils portaient et avancèrent vers le trio, les yeux baissés pour ne pas défier les deux dominants. Sans un mot, ils entourèrent Vince qui essayait de souffrir en silence et le touchèrent, certains assis tout contre lui, d’autre du bout des doigts, selon leur position.
Le message était unanime.
Ne meurs pas.
Il était assis devant l’obscurité, à attendre que celle-ci le recouvre et lui fasse tout oublier. C’était la deuxième fois qu’il abandonnait tout espoir. C’était de la lâcheté, il le savait, mais pour une fois que son instinct de survie ne le faisait pas reculer, autant en profiter, non ? Mais il n’était pas tout seul. Il n’osait pas tourner le regard pour ne pas voir celui qu’il entraînait avec lui. Sa résolution vacillerait et…
Il tourna le regard pour se voir lui-même. Une version plus sauvage de lui-même. Les épaules tombantes, le regard encore droit et franc qui fixait l’obscurité sans faiblir. Il y avait bien de la tristesse dans sa moue un peu enfantine, mais il restait calme.
- Je comprends, tu sais…
- Quoi ?
- Le besoin de se reposer.
- Tu ne m’en veux pas ?
L’autre se tourna vers lui, le dévisageant de ses yeux entièrement noirs, qui pourtant n’étaient pas effrayants du tout.
- Non. Pourquoi je t’en voudrais ?
- Je finis nos vies…
- Je n’ai pas eu une belle vie… Mais j’ai eu une vie. Quand c’est fini, c’est fini. Je ne t’en veux pas et… Je suis content que tu ne partes pas tout seul, même si avec moi. On ne devrait pas mourir tout seul…
- Pourquoi ?
- Parce que c’est triste. C’est froid.
- Mais c’est triste que toi tu meurs !
- C’est la vie…
Et là… Il sut qu’il ne mourrait pas. Pas cette fois en tout cas. On avait beau avoir un fond d’égoïsme, la souffrance des autres ne laisse pas vraiment indifférent. On peut passer au-dessus. On peut détourner les yeux, on peut oublier. Mais on a mal. Même s’il voulait que tout s’arrête, qu’il ne soit plus trahi, qu’il ne souffre plus, il ne souhaitait pas vraiment mourir. Juste dormir un peu. Se reposer. Se reposer vraiment et ne plus penser à ce qui pouvait le faire souffrir.
- Tu ne veux pas vivre ?
- Je meurs libre. Ça me suffit.
- Pas à moi.
Il tendit la main pour prendre celle de son double et aperçut des silhouettes derrière lui. Des silhouettes inquiètes. Une meute de loups.
- Si tu veux me sauver, il va falloir que tu acceptes ça aussi. Aussi… je comprendrais que tu ne veuilles pas.
- Ça… signifie quoi ? Ils vont toujours être là ? dans ma… notre tête ? Et qui sont-ils ?
- Non, pas eux particulièrement. Une meute… Une famille… Qui nous protègent et que nous protégeons. Ceux que tu choisiras.
- Ceux que tu choisiras aussi.
- Si c’est ce que tu souhaites.
- Que sommes-nous ?
Son double soupira et entremêla ses doigts avec ceux de Vince.
- Une anomalie nécessaire pour le bien-être du plus grand nombre. Ni dominant, ni soumis. Ils peuvent vivre sans nous, bien sur, mais il vient toujours le moment où ils doivent choisir entre mourir fou ou nous faire confiance. Nous sommes la sécurité. Nous sommes la paix. Nous sommes la guérison.
- Je suis un assassin… On m’a… On a fait de moi quelqu’un qui tue ses semblables.
- Pourquoi ?
- Pour faire peur, je suppose. Pour… qu’on suive les règles… Pour que… ça ne se reproduise pas.
- Et ça marche ?
- Non… Enfin… ça marche un temps et puis… on trouve un moyen de contourner tout ça. Ou… On a trop faim pour attendre et on déconne.
- Tu l’as déjà fait ?
- Non… Je n’aime pas tuer. J’ai peur que ça arrive.
- Ça n’arrivera pas. Je t’en empêcherai. Je nous tuerais s’il le faut.
- Tu me le jures ?
- Je nous le promets. Nous sommes un. Et il est temps qu’on rentre à la maison.
Vince ouvrit les yeux en prenant une grande inspiration qui le fit tousser en sentant un liquide lui remonter la trachée. Du sang, se rendit-il compte en le crachant sur sa propre manche. Des bras chauds l’entouraient et le protégeaient. Il y avait aussi ces visages, tournés vers lui et calmes. Il se cala davantage contre l’homme qui le tenait contre lui et refusa de les regarder davantage. Ce n’était pas qu’il ne les aimait pas, mais… Il y avait un passif qu’il ne voulait pas partager avec eux. Qu’il ne voulait pas partager tout court. Levant les yeux, il reconnut le loup-garou du massacre d’Uxbridge. Dieu qu’il était calme… et il avait l’habitude de travailler avec un vampire. Il l’aimait bien.
- Ça va mieux ? Demanda l’Alpha noir.
Vince secoua la tête. Sa poitrine le brûlait au point de lui donner envie de hurler ou de mordre le poing. Sans oublier les courbatures… Et l’impression que ses veines charriaient de petits morceaux de… trucs abrasifs. Ça faisait mal. Non, c’était pire que ça. C’était irritant.
- Quelqu’un a un portable ? coassa t-il entre deux toux.
- Pour quoi faire ? Murmura l’une des louves qui cherchait déjà dans son sac.
- Je dois… appeler Victor pour rentrer chez moi…
- On doit avoir ta réponse avant. Intervint Jones.
Vince fit la moue et se frotta le visage avec l’une de ses mains.
- Je ne peux pas accepter.
- Nous ne sommes pas assez puissants, c’est ça ?
C’était le loup que Vince avait coursé dans les tunnels de métro et qui grattait son épaule qui était encore un peu à vif. Des morceaux de sa peau gisaient un peu plus loin et se racornissaient à grande vitesse. D’ici peu, il n’en resterait qu’un bout de parchemin, faute d’avoir été traité à temps.
- Ça n’a rien à voir, Jackson.
- Comment tu… ?
- Je te connais. Mais ce n’est pas ma meute.
Tous se reculèrent légèrement, un peu blessé de ce rejet, mais pas vraiment surpris. Jones comprenait que ce n’était pas de la méfiance. C’était un moyen de se protéger. Et peut-être même de protéger la Meute de Londres. Celle-ci avait perdu un membre qui s’était révélé être un traitre… mais la crise qui aurait pu tous les tuer avait été évitée. Le vampire avait fait son boulot et il voulait aller de l’avant. Le loup aussi, peut-être.
- Et ton loup… ?
- Nous sommes un. Ce n’est pas mon loup, c’est moi. (Encore une toux qui expulsa du sang), Mais merde… Il m’arrive quoi ?
- Deux balles en argent, probablement, que vous n’avez pas expulsé. Lui murmura le loup qui le tenait. La douleur risque de durer un bon moment… Peut-être même de ne jamais cesser tant que les balles seront là.
- Y’a un moyen de les enlever ?
Dom soupira.
- Ce sera dur. Très dur, même. Il faudrait une chirurgie très précise, mais nous réagissons mal aux anesthésies. À toutes les drogues, en fait.
- Définissez « mal réagir » ?
- Nous les assimilons tellement vite que ça ne sert à rien. Répondit Jones.
- À moins de donner des doses en permanence ? à intervalles très courts ?
- Déjà testé… On a failli perdre la louve qui a accepté de servir de cobaye… et d’après ce que je sais, elle n’en est pas encore totalement remise.
- Et merde…
Un spasme plus puissant que les autres le contraignit à se pencher en avant pour vomir un peu plus de sang qui pourrissait à une vitesse folle et finit en cendres. La honte le fit rougir.
- Je suis vraiment désolé…
Le loup derrière lui lui caressa l’épaule.
- Ce n’est pas grave. Et je doute très sincèrement que vous y puissiez grand-chose.
- Et comment je guéris de ça ?
- Il faudrait les retirer à chaud.
À l’idée qu’on lui ouvre la poitrine, même pour une opération bien nécessaire, Vince sentit une peur irraisonnée lui tordre les boyaux et l’envie de mordre tout ce qui passait à portée de ses crocs. Les deux loups qui l’entouraient, ainsi que le reste de la meute à leurs pieds, le sentirent et se reculèrent un peu.
- Et voilà bien le problème… L’instinct animal ne nous laissera pas faire.
- Je vais le ramener chez lui. Intervint le loup qui le tenait toujours et l’aida à se lever. Les vampires auront peut-être une solution.
L’Alpha le regarda en haussant les sourcils.
- Parce que tu fais confiance aux quenottes, toi ?
- Pas plus que ce n’est nécessaire. Mais j’ai l’impression que ça les concernera aussi.
Au fil des heures, Simon se disait que c’était une très mauvaise idée. Evidement, il avait déjà servi de faire-valoir pour un vampire. Il avait même commencé comme ça sa carrière de Servant. À seize ans, il avait l’air assez adulte pour prendre l’avion seul et il avait accompagné une ambassadrice de la Maîtresse de Toulouse au Cambodge, surveillant la journée que personne ne la dérangerait et lui servant d’humain de compagnie lors des soirées de Gala. À une ou deux reprises, il avait même servi de repas. Contrairement aux autres Repas, il n’avait pas aimé l’expérience. L’ambassadrice n’avait pas apprécié non plus, mais la Maîtresse avait bien précisé que Simon était destiné à autre chose et que son ambassadrice était priée de trouver d’autres jouets.
Quinze ans plus tard, il se retrouvait dans le même rôle, mais cette fois-ci pour un assassin qui était en mission… une mission qui n’avait été autorisée par personne. Mais il comprenait parfaitement pourquoi cet assassin avait besoin de se faire vengeance. Il espérait juste qu’il ne serait pas pris dans les engueulades post-opération. Mais d’un autre côté, il était parfaitement logique, d’un point vampirique, qu’on se venge le plus vite possible. Surtout après une déclaration de guerre. Comme il n’était pas sur que le Serpent à Plumes soit vraiment impliqué dans cette attaque les deux avaient pris un vol, d’abords pour Paris et ensuite Lima. Jusque là, l’assassin lui avait paru un peu inconséquent, immature. Du moins tant que Sonatine était encore là. À sa mort, l’assassin était devenu… un assassin. Froid et méticuleux. La seule chose qui le différenciait d’un bloc de glace ? Ses yeux hantés par la perte d’un être cher. Et… Autant l’Héritier pouvait être soupe au lait, autant on pouvait discuter avec. Entamer une discussion avec l’Assassin… Il décourageait la moindre tentative d’un seul regard. Pour éviter tout problème, lui avait voyagé en seconde classe et l’assassin dans une malle, en soute. Pas de problème de douanes et surtout pas besoin d’utiliser une fausse identité. C’était bien le problème de ces humains qui n’en étaient plus. Les identités étaient forcément fausses puisqu’ils ne pouvaient plus vivre parmi les humains. Ne plus vraiment exister aux yeux de la société. Papy Occard lui avait souvent dit qu’il était de plus en plus difficile pour leurs protégés de se cacher. Depuis la seconde Guerre Mondiale, en fait, et la volonté de chaque nation de savoir exactement qui les composaient. Les invisibles devenaient plus rares et les cachettes plus difficiles. La Maîtresse s’en inquiétait souvent et cherchait un moyen de multiplier les invisibles ou bien de faire en sorte d’accoler un humain par vampire de sa cour. Elle n’avait pas eu le temps d’en faire quelque chose de construit, mais… Il y avait de l’idée.
À l’aéroport Jorge Chavez, Simon récupéra la malle et prit un taxi pour le centre-ville. Le plan était simple, prendre une chambre dans un hôtel de moyenne importance afin de ne pas se faire repérer trop facilement, ouvrir la malle et laisser l’Assassin traquer une proie vampirique pour le faire parler. Simon n’était pas sur de vouloir assister à la discussion. Il doutait que la discussion ne soit constituée que de mots. Pas qu’il fut bégueule, hein ? Mais la réputation de l’Assassin en matière d’interrogatoire était plutôt sulfureuse. Il se contenterait de faire le guet dehors. Ouais… ça c’était une bonne idée… la première depuis le meurtre de Sonatine. Ce qui le dérangeait le plus, c’était de n’avoir eu personne de la Cour de Toulouse. Ni Vince qui était aux abonnés absents et sans doute en train de filer le parfait amour avec son loup-garou, ni le Maître qui ne répondait pas du tout, ni Charles… ni personne. La dernière fois que la Cour de Toulouse avait été silencieuse, c’était pour la Décapitation. Mais il était sur que les Cannibales n’étaient pas retournés à Toulouse. On attaque pas un Grand Prédateur. Ça, Papy Occard en était sur. Plus que la Royauté de l’Ancien Régime, les Grands Prédateurs étaient intouchables, point final. Sauf entre eux bien sur… Mais Simon n’arrivait pas à concevoir que les Cannibales puissent se retourner contre ceux qui leur avaient donné une légitimité. Pire, une existence. Même s’ils étaient les parangons d’un tabou fort, il doutait qu’ils puissent dépasser celui du parricide ultime : la destruction du Créateur.
Enfin… On peut se tromper.
La nuit à Lima était calme. Ils étaient rares en tant qu’humains à arpenter les rues et en tant que vampires… Il devait y avoir une sorte de couvre-feu. Son entrainement en tant que Servant fut particulièrement important pour repérer les vampires affamés. Deux le traquaient déjà, bientôt rejoints par un troisième. Evidement, boire sur un touriste ne portait pas à conséquences. Les touristes disparaissent tous les jours, après tout, et un touriste qui se ballade à cette heure-ci cherche une compagnie tarifée… ou les ennuis. Dans les deux cas, il allait mourir.
Sauf que le touriste connaissait bien les techniques de chasse des vampires et qu’il avait lui-même un garde du corps très discret et très en colère. Si les deux premiers vampires ne l’avaient pas encore abordé, c’était sans doute à cause du troisième qui devait être d’un rang supérieur. Et donc prioritaire à la cantine. Et donc, ce vampire avait des informations… infortunée créature à crocs… Oui, il aurait pu les plaindre… Sans souci… Après tout, il était humain… Mais justement parce qu’il était humain, il ne les plaignait pas. Pas plus qu’il ne plaignait une innocente petite antilope se faisant courser par une lionne affamée. C’était dans l’ordre des choses et comme lui-même faisait plutôt parti de la couche inférieure de la pyramide des prédateurs, il ne voyait pas pourquoi il gâcherait sa pitié pour des créatures qui pouvaient le bouffer sans éprouver autre chose que la satisfaction après un bon repas. Aussi se contenta t-il de faire le guet dans la ruelle en avalant une barre chocolaté pendant que l’Assassin acculait les trois poursuivants, les mettaient hors d’état de nuire et commençait à « discuter » avec eux.
Même si tu les entends crier, n’oublie pas que pas mal d’entre eux te rendraient la politesse. Et souvent juste pour le plaisir.
Papy Occard n’était peut-être pas le plus vieux Servant humain encore en vie, mais il avait réussi à bien cerner ses patrons et surtout à en transmettre l’essentiel à Simon. Obéir sans discuter, oui. Ne pas s’impliquer émotionnellement, oui. Ne jamais croire qu’ils sont humains et qu’ils auront les mêmes attentes et les mêmes réponses que toi. Imaginer le pire, toujours. Ce ne sont pas des dieux, mais ils te surclassent. Ton seul avantage ? Ils ont besoin de toi. Et tant qu’ils ont besoin de toi, tu survis. Une logique particulière qui pouvait faire penser à une logique d’esclave, mais qui était celle d’un poisson pilote.
Aussi Simon se boucha t-il consciencieusement les oreilles quand la torture commença. Lui-même avait été entraîné comme un soldat, mais un soldat n’est jamais préparé à la torture. Les assassins, si, manifestement. Finissant sa barre chocolatée, un mouvement dans une ruelle en face lui attira l’œil et lui fit froncer les sourcils. Il se retourna un instant vers son compagnon d’infortune, mais faute d’être nyctalope, il ne voyait que des ombres se mouvoir au rythme des cris de douleurs et des questions posées avec une voix aussi calme que glaciale. L’Assassin étant occupé, c’était donc à lui de vérifier et de solutionner le problème s’il le pouvait. Simon espérait qu’il ne s’agisse que d’un chien errant ou d’un gros rat. Il n’était pas un très bon Menteur, sans doute parce qu’il n’avait pas beaucoup d’imagination, alors gérer un témoin ne lui semblait pas vraiment possible. Néanmoins, il s’approcha, gardant la main dans sa poche pour atteindre son pistolet qu’il avait réussi à faire passer à la douane en toutes discrétions. À chacun de ses pas, un grondement de chien s’amplifiait, mais la lumière chiche des lampadaires de Lima ne lui permettait pas d’en voir suffisamment pour évaluer la menace.
Pitié, pas un chien enragé… Mes vaccins sont à jour, mais je suis bon pour retourner à l’hôpital si ce foutu clébard me mord…
Il ne vit d’abords que deux yeux qui reflétaient la lumière, ce qui pouvait déjà paraitre effrayant au commun des mortels, puis ce furent une autre paire qui s’ouvrit au-dessus de la précédente, du même jaune fiévreux et il songea qu’il était temps de reculer. Il n’eut pas le temps de mettre sa brillante idée à exécution puisqu’une voix enfantine chuchota « Mange-le ! » en espagnol avant que des crocs de la taille de couteaux de cuisine n’entrent dans son champs de vision.