J'ai deux amours...
Victor les avait amenés dans un studio non loin
de la plage. Location rapide et de la main à la main. Pas de traces, pas de
questions, mais beaucoup de soupçons. Il faut dire qu’un couple qui loue pour
une semaine avec un homme dont le seul vêtement était un manteau et qui
regardait obstinément le sol, ça avait de quoi allumer les curiosités les plus
froides. Clara se demanda ce qu’on pouvait penser de ce trio improbable.
Peut-être un couple SM qui avait décidé de ramener un drogué pour s’amuser et
qui ne voulait pas laisser de traces. Si on retrouvait un cadavre d’homme dans
les deux semaines, nul doute que leurs portraits robots s’afficheraient dans
tous les commissariats. Fort heureusement, il ne resterait pas de cadavre.
Victor les avait plantés là, en plein milieu de la nuit, sous le prétexte de devoir organiser leur fuite. Il avait regardé Clara avec un air d’excuse si profond qu’on ne pouvait que compatir. Mais elle avait compris. Les vacances n’étaient pas pour tout de suite. Et il était sorti en maugréant contre le sort qui lui faisait ça maintenant. Oui, elle aurait pu compatir. Mais ces quelques heures où ils avaient été une seule personne lui en avait appris beaucoup. Presque trop. Victor ne ressentait pas vraiment de culpabilité. L’agacement, ça oui. Mais tout restait assez personnel et surtout, il avait l’habitude de rebondir sans attendre, de ne jamais se laisser dépasser par les événements. Enfin… la plupart du temps. Car Victor avait un gros problème en la personne de l’homme de glace. Quoique la glace ait pris la couleur de la chair et que la première impulsion de Clara en le voyant était d’y mordre à pleines dents. Elle songea qu’il lui fallait un nouveau surnom. Il n’avait pas bougé du canapé où on l’avait laissé et, retardant au maximum le moment de lui parler, Clara attendait que sa commande de plats thaïs veuille bien arriver. Elle n’était pas prête. Elle avait déjà tellement de mal à appréhender Victor, alors un autre monstre encore différent… Et elle mourrait de faim.
C’était bien ça le problème de vivre avec un vampire, se dit-elle en guettant la livraison. Leur faim dévorante prenait le pas sur tout. Qu’ils le veuillent ou non. Clara se doutait que même la personne la plus adorable au monde succomberait à ce nouvel état.
Et même si elle n’en faisait pas partie, elle devait bien avouer qu’elle commençait à trouver attrayante cette lente glissée vers l’obscur. Même après le coup que lui avait fait Victor. Oh, elle se doutait bien qu’elle n’était qu’un jouet entre les mains d’un homme puissant, mais que celui-ci l’utilise comme … véhicule, ça, elle avait eu du mal à le conceptualiser. Pourtant, une seconde avant, elle le regardait dans les yeux, et juste après elle se voyait bouger de l’extérieur avec une attitude qu’elle ne se connaissait pas. Tout ça pour appâter Chandra.
Un léger bruit la fit sursauter. L’homme de glace s’était levé de son canapé ou il était prostré et s’était préparé un café. Étonnant pour un homme qui ne pouvait que boire du sang. Mais il ne semblait pas le savoir. Plusieurs fois, il essaya de porter le breuvage assez chaud et assez fort pour lui dissoudre la flore intestinale et à chaque fois, il reculait. Un sentiment de dégout et d’impuissance animait ses traits. Elle eut pitié, mais du remettre sa compassion à plus tard vu que le livreur sonna à ce moment là.
Malgré son envie première, elle s’installa devant lui et mangea, après s’être excusée de ne pas pouvoir lui en donner et de lui infliger le spectacle. Un sourire désabusé lui répondit. Elle parla de tout, de rien alors qu’il ne bougeait pas, les mains entourant le mug brûlant de café. A la fin de son repas, elle craqua.
Elle lui enleva doucement le mug des mains et s’agenouilla en face de lui.
- Vince… Il va bien falloir que tu vives avec ça. Tu ne peux pas rester un zombi toute l’éternité…
- Quelle importance…
- L’important c’est que tu te reprennes.
- Pas envie… Envie de rien en fait…
Réflexe conditionné, Clara le frappa à la tempe. Elle eut mal à la main… et lui eut juste l’air surpris.
- Tu vas te battre, c’est moi qui te le dis !
- Et comment tu comptes faire ?
- La même chose que pour moi quand je déprime… et vu qu’on ne peut pas aller voir un tatoueur pour cause de nuit profonde et de ma profonde ignorance des bons coins de Miami à ce sujet, je vais te faire un immense cadeau.
Ca lui était venu comme ça… De toute façon, Vince et elle avaient quelque chose en commun. A plus ou moins court terme, ils seraient tous les deux les jouets de Victor. Même si Victor semblait réellement éprouver quelque chose pour elle… Non, il ne fallait pas compter dessus. S’en tenir à sa règle : Prendre tout quand ça arrive pour être moins démuni le jour où ça n’arrivera plus. Elle dégrafa de son arcade sourcilière le très simple anneau d’argent qu’elle y portait. Son plus vieux. Son tout premier. Originellement, il ornait son oreille gauche, mais comparé aux autres, il faisait trop simple. Pourtant c’était son porte bonheur. Elle ne l’avait jamais abandonné. Il était un peu cabossé et mordillé, de l’époque ou elle l’avait mis à sa lèvre et qu’elle le mâchonnait dés qu’elle se sentait anxieuse. C’était une part d’elle-même dont elle faisait don. Sans raison réelle. Si en fait. Une seule raison. Il était lui.
Il la regardait avec appréhension, tenir ouvert le petit bout de métal qu’elle approcha de son sourcil.
- Tu fais quoi ?
- Je te mets une armure.
Elle n’aurait eu aucune chance de l’attraper s’il n’avait pas voulu. Mais l’instinct de prédateur qui le menait était curieusement éteint en sa présence. Victor lui avait glissé à l’oreille qu’il était incapable de lui faire du mal tant qu’elle ne se poserait pas en tant que menace. Intérieurement, elle avait ri. Comment pouvait-elle représenter une menace ? Mais armée de son anneau, elle eut peur qu’il attaque…
Mais il n’attaqua pas. Il se contenta de plisser les yeux sous la percée et de retenir un petit cri de douleur. Niveau hygiène, c’était très moyen, mais il n’était pas sur que les vampires soient sujets aux infections. Une toute petite goutte de sang avait perlé à la blessure et il avait essuyé du doigt avant de le porter à sa bouche dans un mouvement naturel.
- Voilà… Avec ça, tu es immortel. Et fort. Compris ?
- Euh… un simple bout de métal ?
- Bon, je te l’accorde, c’est un peu léger, mais ne t’inquiètes pas, dés qu’on aura un peu de temps, je te blinde.
Elle le tint à bout de bras et le scruta d’un air inquisiteur. Oui, il était beau. Mais contrairement à Victor, il n’était pas bien dans ses pompes. Victor pouvait transcender tout ce qu’il portait, transformant la tenue la plus banale en seconde peau. Vince en était incapable. Avec la fureur d’une petite fille dans un magasin de jouets, Clara sut qu’elle voulait le transformer.
- Tu me laisses faire, dis ?
- Faire quoi ?
- Te rendre inoubliable.
- J’aurais plutôt envie qu’on m’oublie…
- Faux ! Tu as dit que tu n’avais envie de rien.
- Peut-être. Mais je n’ai pas envie non plus d’être un mannequin.
- Mais je ne vais pas te transformer en gravure de mode… Je veux faire de toi… Quelque chose qui soit toi. Et laisses-moi te dire que tu ne t’occupes pas assez de ton allure.
Aussi vive qu’un lutin, elle se mit en quête de tout ce qu’il lui fallait pour opérer la transformation. Elle ne se découragea pas devant le choix limité et se dit qu’à leur prochaine destination, elle aurait loisir à faire du shopping. Néanmoins, le premier résultat, celui de la coupe de cheveux, la fit soupirer d’aise.
A son retour, Victor ne partageait pas l’euphorie. Oh, ça oui, Vince avait encore embelli si cela était possible. Mais la présence de l’anneau le rendit amer.
Toulouse… Ville rose… Par la vitre de la voiture de location, Vince regardait les bâtiments en brique défiler devant ses yeux. Malgré la nuit, il voyait chaque détail de la brique rouge-brun, ses fêlures et les portes blanches qui perçaient les immeubles dans une partition de musique. Clara dormait contre son épaule, totalement épuisée par le marathon de préparatifs qui avaient précédé leur vol et dont elle avait du tout gérer, puisqu’étant la seule à supporter l’astre solaire dans toute sa splendeur. Morte de fatigue. Sitôt qu’ils avaient pris place dans l’Espace, voiture française qui n’avait de spacieux que le nom, par rapport aux voitures américaines en tout cas, elle s’était effondrée sur l’épaule puis sur les genoux du jeune homme et dormait d’un sommeil sans rêves. Victor eut l’air mécontent et un peu jaloux. Vince avait balayé ce regard possessif d’un pauvre sourire et d’un mot :
- Elle se serait endormie sur un matelas de noyaux s’il y en avait eu un à ma place.
Victor en avait convenu.
Lui et Vince n’avaient pas eu vraiment le temps de parler. Le vieux avait donné les premiers conseils pour ne faire trop d’erreurs et l’ordre de ne pas le quitter d’une semelle tant qu’il ne l’estimerait pas prêt à vivre seul. Un sourire désabusé lui avait répondu. Vivre seul… Vivre tout court en fait… En avait-il seulement envie ? Rien n’était moins sur. Victor avait attendu jusque là, car pris dans la tourmente d’une transplantation, ils n’auraient pas pu s’attarder sur l’essentiel. Et puis, il y avait Clara, à la fois source de tensions entre les deux et tampon adorable des deux caractères forts. Vince se fit la réflexion à part lui que son caractère avait été plus porté à l’apaisement qu’à l’affrontement, mais sa transformation avait éveillé en lui une position de dominant qu’il n’était pas sur d’apprécier. A voir, comme le reste. Mais Clara dormait et Victor ne voulut pas laisser passer une occasion comme celle-là.
- Vincenzo.
Victor ne l’appelait pas autrement. Allez savoir pourquoi.
- Je suis là, je ne bouge pas.
- J’ai ton attention ?
- Autant qu’il est possible… Mais je ne promets pas de rester attentif tout le temps.
Était-ce vraiment de la rébellion ? Après tout, Vince n’avait rien contre le vampire qui lui faisait office de chauffeur et qui dardait son regard vert sur lui par le rétroviseur. Il n’avait rien non plus contre Clara. Il n’avait rien en fait. La seule personne à qui il aurait pu en vouloir était déjà morte et son sang avait coulé contre sa langue et sa gorge. Pas par faim. C’était juste une nécessité. Et bizarrement, il comprenait Chandra. Il ne l’acceptait pas, il n’aurait jamais fait comme lui, mais il comprenait.
- Je m’attendais à ce que tu me poses une foule de questions sur ce que tu es. Reprit Victor en parlant à peine un ton au dessus du moteur.
- Un monstre.
- Je vois… Franchement, tu crois que je laisserais Clara dormir sur les genoux d’un monstre ?
Touché. L’argument avait sa valeur. Mais Vince s était découvert un peu buté.
- Que vous soyez inconscient ne remet pas en cause ma nature.
- Je suis trop vieux pour faire l’éducation d’un jeune imbécile… marmonna Victor en prenant un virage.
- D’accord, je m’excuse… Des questions, oui, j’en ai. Mais je ne suis pas sur que vous vouliez les entendre, encore moins y répondre.
- Dis toujours.
- Pourquoi moi ?
Classique. Les jeunes vampires qui n’avaient pas consenti à leur transformation finissaient toujours par demander la raison du choix. Et en effet, la plupart des créateurs ne souhaitaient pas répondre. Question trop intime qui mettait à nu leur psyché de prédateurs avides de trouver une compagnie. Mais Victor n’était pas un créateur conventionnel ni même celui de Vince.
- Chandra étant mort, je ne peux qu’émettre des hypothèses. Ça te suffira pour commencer ?
- On fera avec…
- Chandra savait que je voulais le tuer. Seulement, il savait aussi que mon respect des lois va jusqu’à le laisser en vie pour s’occuper d’un Dent de lait. Tu es donc devenu un des nôtres parce qu’il voulait vivre.
- Complètement raté… Et ça ne répond pas à ma question.
- Certes… Du point de vue de toute la horde, tu serais une cible appréciable. La plupart de mes compatriotes trouveraient intéressant de sauver… ton allure du temps qui passe. De te rendre immortel au faite de ta beauté. D’autres encore estimeraient que te laisser humain serait une bonne chose pour le reste de l’humanité afin de rehausser le niveau et que ta progéniture puisse les alimenter. A tous les niveaux.
- Charmant… Si j’avais su que ma belle gueule me vaudrait ça, je me serais tailladé le visage.
- Quant à moi…
Silence. Un regard furtif lui apprit qu’il avait toute l’attention de Vince. Une attention qui se préparait au pire des révélations et qui, ça se voyait dans son expression, en avait besoin. Victor avait rajouté cette petite phrase pour tester le jeune homme. Qui qu’il fut avant, il en était désormais un autre. Quelque part c’était dommage, Mais Chandra l’avait bien tué avant de donner la vie à quelqu’un d’autre. Et ce quelqu’un le regardait de ses yeux de glace, à la fois quémandant et avertissant qu’une mauvaise réponse serait fatale.
- Quant à moi, je ne pouvais pas laisser seul quelqu’un comme toi. Trop dangereux.
- Pourquoi ne pas m’avoir tué, alors ?
La voix de Vince avait pris une intonation méprisante. Si ses doigts ne s’étaient pas encore crispés en position d’attaque, si ses crocs étaient restés sagement sous ses lèvres, le fiel de sa voix annonçait que le danger restait proche.
Bien.
- De un : Tu es de mon sang. Je ne tue pas mon sang sans raison. De deux, j’y aurais laissé des plumes vu ta puissance qui est exceptionnelle pour un Dent de lait. De trois… (Un soupir, le temps de mener Vince au bord de la crise nerveuse) De trois, j’aime tes yeux.
Blam. Prends-toi ça et médites dessus.
- Et c’est tout ? Juste mes yeux ?
- Je suis plutôt vieux, Vincenzo. J’ai appris à juger à partir de très peu. Tu as des yeux magnifiques et malgré ce que tu en penses, tu as parfaitement ta place parmi nous. Plus que la plupart des gens que je connais en tout cas. Tu vivras vieux.
- A supposer que je le veuille !
- Avant d’essayer de te jeter dans un bûcher, laisses-moi te dire que tu es trop jeune pour pouvoir mourir.
- Vouloir, c’est pouvoir.
- Pas dans ton cas. Ta volonté n’est pas encore assez forte pour combattre ton instinct de survie. Qui est exceptionnel.
- -Comment ça ?
- En très peu de temps, tu as acquis une expérience immense, pour les gens de ta caste. Ton instinct est très fort, trop fort pour que tu puisses le dépasser. Pour le moment.
- Et c’est pour cet instinct que tu me gardes ?
Il continuait à s’échauffer… Très bien.
- C’est une mauvaise raison ?
- Oui !
- Tu crois ? Tu espérais quoi ? Que je te garde pour Clara ? Ou parce que je suis tombé amoureux de toi dés le premier regard ? Vraiment ?
La rage commençait à lui faire perdre le contrôle. La main qui serrait l’accoudoir commençait à lacérer le tissu d’ongles devenus griffes, ses yeux brillaient, dénués de la moindre couleur et pourtant… Clara dormait. Le coté gauche du jeune homme restait inerte, comme si ce bras et cette jambe ne lui appartenaient plus pour quelques heures. Clara dort, respectons son sommeil. Fascinant.
- Je n’espère plus rien depuis que ton enfant m’a violé et séquestré pendant cinq semaines !
- Menteur… Pour quelqu’un qui a toujours vécu dans l’adoration des autres, je te soupçonne d’en vouloir toujours plus… tu crois vraiment que tous les monstres que tu croiseras vont te laisser en paix parce que tu as quelques pouces de charme que les autres ?
Il fallait être un vampire pour comprendre ce qui se passa. Vince avait passé sa main droite sous la tête de Clara tout en ouvrant la portière pour la déposer sur le siège. Il posa le pied sur la route et sortit de la voiture comme si elle était arrêtée. A plus de cinquante kilomètres à l’heure. Vince restait debout sur la route, les seuls éléments qui permettaient de penser qu’il avait sauté en marche étaient son manteau qui claquait au vent et ses cheveux qui reprenaient leur place. Victor savait que Vince ne s’enfuyait pas. La preuve est qu’il restait au milieu de la route, drapé dans sa rage froide, et qu’il attendait que Victor le rejoigne. Il avait juste fait en sorte que Clara ne soit pas entre les deux. Victor freina et arrêta la voiture sur un bateau devant un immeuble. Le plus doucement possible, il sortit et referma les portières pour se diriger lentement vers son nouveau jouet.
- Tu veux vraiment que nous nous expliquions en pleine rue ? Ça va faire du bruit… et des victimes…
- Tu as autre chose à proposer ?
Victor ne répondit pas, se contentant de poser un pied après l’autre avec une lenteur calculé et un sourire moqueur. Soudain, il changea de direction et se mit à courir dans une rue transversale avec un dernier regard qui signifiait « attrapes-moi si tu peux. »
Vince jura entre ses dents. Le bougre était rapide et avait l’avantage de l’expérience. Mais il suivit le rythme dans les rue de Toulouse. Il ne voulait qu’une seule chose, lui arracher la gorge. Alors ses jambes le propulsèrent vers l’avant sans qu’il s’étonne de la vitesse à laquelle ils allaient. Les rues défilaient sous leurs pas et Vince ne voyait que cette silhouette beige qui accélérait toujours plus vite et prenait les virages sur les murs. Vince en faisait autant en essayant de maintenir son souffle qui s’accélérait pourtant pour ressembler à celui d’un catarrheux en phase terminale. Ils débouchèrent sur un parc dont Victor enjamba le mur avec une facilité déconcertante.
Le Jardin Japonais de Toulouse est une incongruité dans une ville française et méridionale. Le premier mouvement de chaque personne tombant par hasard dessus est « mais qu’est-ce que ça fiche là ? ». Bonne question au demeurant, ce jardin est l’expression même qu’un autre bien des années auparavant avait eu pour d’autres jardins, ceux de Versailles, celui de bâtir un rêve. La seconde impression était l’envie de rester plusieurs minutes à se calmer et à se concentrer sur la beauté sobre et raffiné d’un tel lieu. Le jardin n’aurait pas déparé le palais impérial de Tokyo. Mais Vince n’était pas prêt à admirer ce petit lieu de calme et de verdure ployée à la pensée japonaise, il crachait ses poumons sur un sentier de gravier blanc. Par contre, Victor appréciait grandement. L’une des premières causes de son arrêt ici. Sa dernière visite remontait au temps où les comtes de Toulouse se nommaient encore Raymond. La ville avait changé, sans avoir véritablement changé. Il y avait toujours eu dans ce petit joyau du sud de la France quelque chose de profondément mouvant même dans la permanence. Ce jardin était l’une des expressions du goût éclectique et fin de Toulouse. Ce n’était pas parce que ce n’était pas purement toulousain que ça ne méritait pas de figurer au sein de ses rues. Il se promit de revenir. Une autre nuit.
Il baissa le regard sur Vince qui essayait de reprendre son souffle et ne put empêcher sa voix d’être parfaitement condescendante.
- Tu crois vraiment qu’en tant que monstre, tu as besoin de respirer ?
Vince cessa immédiatement et le regarda d’un œil mauvais.
- Non, mais franchement… tu crois que tu peux me vaincre ? Toi ?
- Au moins je serais libre.
Et Vince lui sauta dessus. Comme Victor s’y attendait. Comme ce jeune homme était prévisible dans la colère… Mais il faut dire que sa colère n’était pas celle d’un cannibale, sinon il avait fort à parier que Victor ne s’en sortirait pas aussi bien. Il le prit par le manteau et le fit passer par-dessus lui. Les deux se rattrapèrent sur leurs pieds et la danse macabre de deux prédateurs commença. Un ballet barbare et délicieux et Dieu que Victor avait attendu ce moment-là. Voir l’homme de glace craquer et laisser toute sa hargne s’échapper en seul assaut. Il était bon… très bon… mais il lui manquait la vraie expérience du combat. Il avait compris l’avantage de sa rapidité et de sa nouvelle souplesse, mais la précision manquait encore. Pas un problème. Ça se corrigerait. Alors qu’un coup de pied latéral essaya de l’atteindre à la tempe, Victor se promit de lui apprendre à faire attention à ses appuis. D’ailleurs, une première leçon s’imposait. D’une simple poussée sur le genou, il le fit à nouveau chuter sur le gravier. Un juron et Vince fut de nouveau sur pied. Dans la tempête de neige de ses yeux, on pouvait voir s’insinuer le doute. Il apprenait. Et il comprenait que Victor n’était pas une proie qu’il pouvait atteindre. Pas encore. Mais au bout de dix minutes d’un ballet martial, Victor décida d’asséner la leçon qu’il prévoyait depuis le début.
Le doute de Vince s’accentua en même temps que la vitesse de son adversaire. Il ne vit pas prendre sa gorge, ce n’est qu’en sentant les doigts forts lui saisir les deux carotides qu’il comprit ce qu’il venait de se passer. Il tenta de repousser le bras mais ne le trouva plus vu qu’il s’était déporté sur son épaule. Ce qui lui arriva lui sembla d’une lenteur méprisante, mais il n’arrivait pas à bouger comme il l’aurait souhaité. Il se retrouva la joue contre le gravier, le bras pris dans un étau et un genou contre ses reins. Coincé… et douloureux. Malgré les tentatives de dégagement, Vince ne réussit qu’à faire gémir ses articulations, surtout au niveau de l’épaule. Le jeune vampire souhaitait qu’on le tue rapidement, mais ses expériences le convainquirent que sa nouvelle « famille » n’aimait pas les choses précipitées, particulièrement en matière de douleur à infliger. Soit.
Il ne put retenir un gémissement de surprise quand Victor se pencha à son oreille et la caressa de son souffle.
- Tu vois… tu es encore trop jeune pour te battre avec moi à armes égales…
Vince n’en avait jamais douté, Victor savait très bien se servir de sa voix. Elle était à présent aussi chaude et grondante que celle d’un amant durant des préliminaires. N’eut été sa position, le jeune vampire aurait pu se croire au début d’une partie de jambes en l’air. Mais peut-être que Victor prenait son pied comme ça. Vince ne souhaitait pas ça, lui.
- Finissez-en, je ne suis pas d’humeur.
S’ensuivit un relâchement total du corps, comme une acceptation de ce qu’il ne pouvait changer. Vince se préparait à ne plus être là, plus qu’une pièce de viande froide. Son seul moyen de refuser l’inéluctable était de ne pas donner à son tortionnaire le plaisir de le voir se débattre. Mais la langue qui lui caressa le lobe de l’oreille avant de l’engloutir pour le mordiller de ses crocs acérés lui arracha un frisson étrange et involontaire.
- Tu penses vraiment que je vais te tuer… ? Alors que j’ai déjà fait tant pour te garder auprès de moi ?
De moi, pas de nous… Compris, Clara ne faisait pas partie de l’équation. Soit Vince se soumettait à Victor et à lui seul, soit il sortait définitivement du problème. Vince gronda et tenta après de calmer sa colère et ses hormones qui n’en faisaient qu’à leur tête et réagissaient excessivement aux caresses, le faisant se tortiller sur le gravier.
- Un jour, je te ferais payer ce que tu me fais…
C’est à peine si Vince put reconnaître sa propre voix. Chargé de menace et d’émotions mal contenues, elle ressemblait à la plainte d’un tigre en cage qui regarde avec colère et envie la personne qui se croyant courageuse lui tendait un morceau de quelque chose alors que le tigre ne regarde que cette main à dévorer.
- Un jour, j’espère que tu me feras payer tout ça… Pour tout te dire, je m’en délecte déjà.
- Salopard sadique…
- Allons, pas de mots que tu pourrais regretter. (Nouvelle morsure sur l’oreille avant de descendre sur le cou si tendre de sa proie et d’en mordiller tendrement la chair. Vince gémit encore une fois entre peur et plaisir.) Je tiens juste que tu comprennes ce que tu es et ce que je suis… Tu es mon vampire. Et ça ne changera pas de suite. Tu te soumets ?
- Va rôtir en enfer.
Une pression plus forte sur l’épaule et une caresse sur la cuisse qui se termina en une prise douloureuse de la fesse droite. Pas plus que précédemment, Vince ne put retenir son corps de réagir. De réagir au-delà même de ce qu’il était habitué.
- Je vais t’apprendre une petite chose que tu as soigneusement tenté d’ignorer jusque là… Toutes nos terminaisons nerveuses sont à fleur de peau. Nous ressentons les choses bien mieux que les mortels ne le peuvent. On peut même s’y perdre… Jusque là, tu as fait preuve d’un self-control admirable pour ne pas voir que tout concourrait à faire de toi un prédateur… mais pas seulement pour te nourrir… (Encore une morsure. Cette fois-ci jusqu’au sang puisque les quatre crocs de Victor avait percé la peau tendue par l’effort de se dérober aux lèvres et aux dents d’un amant peu aimé. Mais la respiration de Vince avait repris, reliquat de son humanité, haletante et gémissante.) Tu te soumets ?
Vince se mordait la joue pour ne pas répondre. Le gout de son propre sang se répandait dans sa gorge lui rappelant son premier meurtre et … il fallait bien l’avouer, l’extase de se rassasier. Son corps se liguait contre lui, sans parler de son sexe, qui après plus d’un mois d’inactivité avait décidé de reprendre du service. Contre du gravier et sous la pression d’un homme qui devait plus s’apparenter au trente-six tonnes qu’à l’étreinte tendre à laquelle il avait l’habitude. On aurait pu penser que… Mais Victor avait raison. Sa faim n’était pas réservée qu’au seul sang de vampires mais à toutes les sensations. On ferait le tri plus tard. Pourtant son esprit ne voulait pas lâcher.
- Non !
- Il faudra bien, pourtant. Vincenzo… Je n’ai pas envie de te faire plus que tu ne peux encore supporter. Du moins… pas dans un parc. Alors soumets-toi, une seule fois… et je te promets que nous ne continuerons que si tu le désires…
Mais comment faisait-il pour moduler sa voix à ce point ? On avait envie de le croire. Envie de croire qu’il ne faisait pas ça par plaisir, qu’au contraire, toute la situation lui faisait mal, bien plus mal que tout. Mais Vince le regardait et voyait que loin de lui déplaire, la situation l’amusait follement. Et même un peu plus. Ce n’était pas une lueur malsaine pour le jeune vampire, non. Le nombre de fois où on lui avait lancé ce genre de regard tendre et concupiscent ! Toutes les fois avant, il avait répondu. Mais aujourd’hui, non. Il ne voulait pas.
Au prix d’un effort surhumain, il tenta de se lever malgré les poids qui lui pesaient sur les endroits du corps où c’était le plus douloureux. Et il luttait contre la douleur pour tordre ses membres et les forcer à le mettre debout. Il serrait les dents particulièrement contre la douleur intolérable qui montait de son épaule et de son coude, prisonniers d’une poigne de fer. Il lâcha un glapissement de libération quand l’épaule se déboîta et continua à se lever sur l’autre bras, les yeux embués de larmes oubliées.
- Il sera très dur de te soumettre, Vincenzo… Très dur…
Victor lui tordit le coude dans l’autre sens avec un bruit ignoble de craquement d’os. Les larmes qui avaient refusé de couler jusque là anéantirent le barrage et s’écoulèrent contre le gravier.
- Avant que je ne te repose la question, laisses-moi te dire que le prix de ton prochain refus sera ton bras… Que je prendrais un plaisir immense à t’arracher… Tu ne seras pas moins beau sans ton bras, rassures-toi…
Lors de son enlèvement, Vince avait vécu dans une sorte de brouillard qui anesthésiait toutes ses réactions. Il avait laissé Chandra le prendre par la main et le guider en enfer. Là, il aurait préféré retrouver cette brume, mais tout lui arrivait avec une netteté effroyable, comme une œuvre taillée à coup de haches… un tableau peint au scalpel. Vince pleurait. Pour la première fois depuis des semaines, il pleurait et se trouvait ignoble de pleurer sur ses pauvres misères alors qu’il n’avait pas pu pleurer sur les cadavres de la cave. Et il savait qu’il devait se soumettre. C’était la honte qui le faisait pleurer.
La voix de Victor se fit velours, posant quelques plumes sur ses souffrances et un peu de chaleur dans son cœur, du moins si on n’entendait pas les mots, si on s’arrêtait à l’intonation.
- Te soumets-tu, Vincenzo… ?
Vince aurait voulu lui crier que jamais il ne soumettrait, qu’il pouvait aller se faire voir, mais la douleur paralysait la réponse. Il essaya de déglutir et de cacher son visage, ne réussissant qu’à se poncer le front sur le gravier. Dieu que c’était dur. Et Dieu qu’il avait honte…
- Oui…
Un simple mot entre deux sanglots. Il avait perdu et l’amertume de la défaite manqua l’étouffer. Surtout que Victor ne le lâchait pas. Il se contentait de relâcher la pression sur son bras douloureux et son dos. C’était plus supportable. Ce n’était plus des étaux qui l’enserraient mais les douces mains d’un ami qui le relevait et l’aidait à se tenir debout. Jusqu’à ce que…
Vince hurla. A la fois sous le coup de la douleur et de la surprise. Victor l’avait poussé en avant, marionnette sans fil qui s’était laissé faire et l’avait retenu par le bras qu’il tira d’un coup sec. Les articulations se remirent en place d’un coup sec, fulgurance d’une douleur intolérable et qui s’arrêta aussitôt. Mais déjà Victor l’avait repris dans ses bras et caressait ses cheveux d’une façon tendre pendant que Vince continuait à pleurer. Une de ses mains s’attardait même au bas de son dos, mais le jeune homme était trop secoué pour y prêter attention.
- Là… c’est fini… Je devais le faire. C’est fini, mon bel ange… Je ne te ferais plus souffrir… Du moins pas tant que tu ne me le demanderas pas. Mais il faut que tu saches que j’ai apprécié que tu résistes.
Il ponctua sa tirade de doux petits baisers sur le front de sa victime et celle-ci restait étonnée d’accepter ces marques d’affection. Ou était la réalité ? Dans la douleur ou dans l’affection ? Mais Vince était trop choqué pour faire la part des choses. Victor y comptait.
- Tu ne devras te soumettre qu’à moi, Vincenzo. Il se peut que je te demande d’obéir à d’autres personnes, mais ce sera temporaire… et je reste le dernier décisionnaire.
Les gestes tendres devinrent caresses plus suggestives. Mais ce n’était pas pour choquer, c’était pour réactiver ce corps qui y réagissait si bien. D’ailleurs, les pleurs s’arrêtèrent et la gêne de réagir au moindre doigt posé sur sa peau revint au galop. Il faut dire que Victor allait vite et ses mains occupaient déjà la place sur la nuque et sur le ventre plat du jeune vampire. Mais depuis qu’il l’avais vu à sa merci, Victor comptait bien profiter de cet enfant qui s’était révélé absolument superbe. Sa vision dans la salle de bains miteuse restait gravée dans sa mémoire et il s’était pris de sa vieille volonté de toujours en vouloir plus. Surtout quand le repas promettait.
- Je t'aime, p'tit con...
Les cahots ne la réveillaient pas... Pas plus que le bruit de la circulation et les chuchotements nerveux devant elle. Non. Ce qui la réveilla, ce fut l'arrêt de la voiture. Comme les enfants, Clara ne réagissait dans son sommeil qu'aux changements d'ambiance sonore. Quand le silence s'installe, ils se réveillent, malgré la douceur avec laquelle vous les portez dans leur lit. Et là... Il régnait le silence d'un parking souterrain. Elle se redressa sur un coude et se frotta le visage du poignet avant de bailler.
- On est arrivés?
Le silence lui répondit et elle regarda les deux sièges devant elle. Vince qui occupait la place du mort et qui cachait ses yeux sous sa main et Victor qui lui caressait consciencieusement la cuisse, tout prés de l'entrejambe. Clara fronça un sourcil soupçonneux tout en se rasseyant et lissant sa robe.
- Dois-je poser la question évidente?
Seul un gémissement lui répondit.
Revenons à Toulouse et à son statut de ville décapitée. Ce qu'il y a de merveilleux avec les fiefs vampiriques, c'est que la politique ne pèse plus autant sur les villes que par le passé. Durant une très longue période, les complots qui animaient les cours couchantes et levantes trouvaient leurs échos dans les relations humaines. Quelques exemples majeurs ont jalonnés l'histoire... en règle générale, les grands soulèvements populaires ont été le fait de Vampires qui savaient influencer leur cheptel de chasse. La boston tea party par exemple qui n'était au final que la volonté du Nouveau Continent de s'affranchir de l'Ancien. C'est ainsi que les longues dents écrivent l'histoire. Dans l'ombre et dans la continuité de leurs petits conflits. Mais Toulouse, contrairement au duché de Bretagne qui a toujours tenu à compliquer l'existence de sa voisine parisienne, Toulouse donc a toujours vécu dans une relative paix, essayant de garder à distance les appétits territoriaux de Bordeaux et de Marseille, mais entretenant de bonnes relations diplomatiques avec tous. C'était ça Toulouse. Un endroit où il fait bon vivre que l'on soit immortel ou non.
La décapitation avait tout changé. Oh, bien sur, l'humanité elle ne voyait pas la différence puisque depuis la révolution Française, les Grands Prédateurs avaient sommé les autres de ne pas mêler les humains à leurs intrigues. Non pas bonté d'âme, entendons-nous bien. Mais la Révolution Française avait pris un tour particulièrement déplaisant. Même si elle était loin d'avoir fait autant de victimes qu'une seule des deux guerres mondiales, elle avait créé un climat atroce de suspicion et de danger pour les Vampires eux-mêmes. Inacceptable. Tous s'étaient promis de ne plus mettre le feu aux poudres de manière aussi flagrante afin de ne pas provoquer une inquisition qui les aurait ciblés.
Car oui, la Grande Inquisition espagnole, bataille de fiefs il est vrai, visait une autre part de la population mondiale.
La cour levante avait vécu l'intrusion des cannibales dans les rues comme si c'était la fin du monde. Et la plupart, loin de se précipiter pour proposer leurs services aux fiefs voisins, s'étaient terrés au sein de la Vulgate. Quelques légers changements avaient eu lieu d’ailleurs. Certains levants avaient péri sous les coups de Vulgates qui s’étaient vengés d’années de domination. Classique. Très classique… et ça arrangeait Victor. De toute façon, il fallait éclaircir les rangs pour maintenir l’illusion de la faiblesse de la ville et surtout pour que Victor puisse choisir et imposer ses cours. Pour la Couchante, c’était réglé. Du point de vue Vampirique, c’était Vince. Seulement lui. D’un point de vue humain, Clara. Seulement elle. Facile à imposer, surtout que Vince avait la puissance pour maintenir les jaloux à distance. Mais dans le tourment du changement, les Levants de Toulouse ne bougeraient pas beaucoup.
En tant que Maitre de la Ville, Victor avait investi l’Hôtel de Bagis. Une pure merveille de pierre blanche perdu dans la cité rose, une perle luminescente dans un écran de pétales de rose. Le temps de son installation, l’hôtel serait fermé au public. Seuls les vampires auraient le droit d’y poser le pied et seulement sur convocation. Étrangement, Victor se sentait bien, enivré par les effluves du pouvoir. Il oubliait pour quelques heures qu'il n'était plus libre et qu'une foule de petits détails le rattraperaient sous peu.
Enfin... Les petits détails n'étaient qu'au nombre de quatorze. Ils avaient tous répondu à l'appel et Vince devait se mordre la joue et se griffer le bras pour ne pas craquer. Plusieurs fois, Victor fut sur le point de le rappeler auprès de lui pour le « tenir » en laisse. Une simple main sur sa nuque l'aurait calmé. Mais ce n'était pas le but de la manœuvre. Vince se contrôlait bien... Mieux que son âge ne l'aurait laissé prévoir. Et il était bon que la Cour subisse la tension que créait un cannibale parmi eux. Ils étaient quatorze survivants. Tous de bons vampires d'après les dossiers de Julia. Ni plus ni moins ambitieux qu'il n'était nécessaire pour des Levants. Un peu, bien sur... Les Levants ont toujours le rêve secret de devenir un couchant... voire au delà. Mais leurs luttes de pouvoir se limitaient à eux. Cela dit... maintenant qu'ils avaient subi un revers pareil, ils seraient plus enclin à se serrer les coudes... malheureusement contre Victor... Un parvenu de vampire de Passage. Dieu s'ils savaient...
Victor leur parla. Longuement. De sa voix de basse grondante à mi chemin entre le ronronnement et l'orage. Rassurer tout en menaçant. Si Clara n'avait pas été si inquiète de se trouver dans la position de l'hypothétique repas pour toute l'assemblée, elle aurait pu apprécier le discours, creux au possible et les intentions qui étaient toutes contenues dans les inflexions de la voix.
Vince aura pu apprécier aussi... Mais la faim, ou plutôt la gourmandise le rendait fou. Il ignorait quel visage il présentait aux autres. Cependant ce devait ne pas être joli puisque tous l'évitaient en un joli demi-cercle bien rond. Plus encore qu'avec Victor, il sentait le sang vampirique et la joie de s'en repaitre. Pour la première fois, il expérimentait la sensation d'un Junkie en manque.
Clara vint se coller contre lui. Un reliquat de la terreur que Victor lui avait imposé le força à lever les yeux sur lui. Mais Victor lui souriait, sans aucune arrière-pensée.
Victor les avait plantés là, en plein milieu de la nuit, sous le prétexte de devoir organiser leur fuite. Il avait regardé Clara avec un air d’excuse si profond qu’on ne pouvait que compatir. Mais elle avait compris. Les vacances n’étaient pas pour tout de suite. Et il était sorti en maugréant contre le sort qui lui faisait ça maintenant. Oui, elle aurait pu compatir. Mais ces quelques heures où ils avaient été une seule personne lui en avait appris beaucoup. Presque trop. Victor ne ressentait pas vraiment de culpabilité. L’agacement, ça oui. Mais tout restait assez personnel et surtout, il avait l’habitude de rebondir sans attendre, de ne jamais se laisser dépasser par les événements. Enfin… la plupart du temps. Car Victor avait un gros problème en la personne de l’homme de glace. Quoique la glace ait pris la couleur de la chair et que la première impulsion de Clara en le voyant était d’y mordre à pleines dents. Elle songea qu’il lui fallait un nouveau surnom. Il n’avait pas bougé du canapé où on l’avait laissé et, retardant au maximum le moment de lui parler, Clara attendait que sa commande de plats thaïs veuille bien arriver. Elle n’était pas prête. Elle avait déjà tellement de mal à appréhender Victor, alors un autre monstre encore différent… Et elle mourrait de faim.
C’était bien ça le problème de vivre avec un vampire, se dit-elle en guettant la livraison. Leur faim dévorante prenait le pas sur tout. Qu’ils le veuillent ou non. Clara se doutait que même la personne la plus adorable au monde succomberait à ce nouvel état.
Et même si elle n’en faisait pas partie, elle devait bien avouer qu’elle commençait à trouver attrayante cette lente glissée vers l’obscur. Même après le coup que lui avait fait Victor. Oh, elle se doutait bien qu’elle n’était qu’un jouet entre les mains d’un homme puissant, mais que celui-ci l’utilise comme … véhicule, ça, elle avait eu du mal à le conceptualiser. Pourtant, une seconde avant, elle le regardait dans les yeux, et juste après elle se voyait bouger de l’extérieur avec une attitude qu’elle ne se connaissait pas. Tout ça pour appâter Chandra.
Un léger bruit la fit sursauter. L’homme de glace s’était levé de son canapé ou il était prostré et s’était préparé un café. Étonnant pour un homme qui ne pouvait que boire du sang. Mais il ne semblait pas le savoir. Plusieurs fois, il essaya de porter le breuvage assez chaud et assez fort pour lui dissoudre la flore intestinale et à chaque fois, il reculait. Un sentiment de dégout et d’impuissance animait ses traits. Elle eut pitié, mais du remettre sa compassion à plus tard vu que le livreur sonna à ce moment là.
Malgré son envie première, elle s’installa devant lui et mangea, après s’être excusée de ne pas pouvoir lui en donner et de lui infliger le spectacle. Un sourire désabusé lui répondit. Elle parla de tout, de rien alors qu’il ne bougeait pas, les mains entourant le mug brûlant de café. A la fin de son repas, elle craqua.
Elle lui enleva doucement le mug des mains et s’agenouilla en face de lui.
- Vince… Il va bien falloir que tu vives avec ça. Tu ne peux pas rester un zombi toute l’éternité…
- Quelle importance…
- L’important c’est que tu te reprennes.
- Pas envie… Envie de rien en fait…
Réflexe conditionné, Clara le frappa à la tempe. Elle eut mal à la main… et lui eut juste l’air surpris.
- Tu vas te battre, c’est moi qui te le dis !
- Et comment tu comptes faire ?
- La même chose que pour moi quand je déprime… et vu qu’on ne peut pas aller voir un tatoueur pour cause de nuit profonde et de ma profonde ignorance des bons coins de Miami à ce sujet, je vais te faire un immense cadeau.
Ca lui était venu comme ça… De toute façon, Vince et elle avaient quelque chose en commun. A plus ou moins court terme, ils seraient tous les deux les jouets de Victor. Même si Victor semblait réellement éprouver quelque chose pour elle… Non, il ne fallait pas compter dessus. S’en tenir à sa règle : Prendre tout quand ça arrive pour être moins démuni le jour où ça n’arrivera plus. Elle dégrafa de son arcade sourcilière le très simple anneau d’argent qu’elle y portait. Son plus vieux. Son tout premier. Originellement, il ornait son oreille gauche, mais comparé aux autres, il faisait trop simple. Pourtant c’était son porte bonheur. Elle ne l’avait jamais abandonné. Il était un peu cabossé et mordillé, de l’époque ou elle l’avait mis à sa lèvre et qu’elle le mâchonnait dés qu’elle se sentait anxieuse. C’était une part d’elle-même dont elle faisait don. Sans raison réelle. Si en fait. Une seule raison. Il était lui.
Il la regardait avec appréhension, tenir ouvert le petit bout de métal qu’elle approcha de son sourcil.
- Tu fais quoi ?
- Je te mets une armure.
Elle n’aurait eu aucune chance de l’attraper s’il n’avait pas voulu. Mais l’instinct de prédateur qui le menait était curieusement éteint en sa présence. Victor lui avait glissé à l’oreille qu’il était incapable de lui faire du mal tant qu’elle ne se poserait pas en tant que menace. Intérieurement, elle avait ri. Comment pouvait-elle représenter une menace ? Mais armée de son anneau, elle eut peur qu’il attaque…
Mais il n’attaqua pas. Il se contenta de plisser les yeux sous la percée et de retenir un petit cri de douleur. Niveau hygiène, c’était très moyen, mais il n’était pas sur que les vampires soient sujets aux infections. Une toute petite goutte de sang avait perlé à la blessure et il avait essuyé du doigt avant de le porter à sa bouche dans un mouvement naturel.
- Voilà… Avec ça, tu es immortel. Et fort. Compris ?
- Euh… un simple bout de métal ?
- Bon, je te l’accorde, c’est un peu léger, mais ne t’inquiètes pas, dés qu’on aura un peu de temps, je te blinde.
Elle le tint à bout de bras et le scruta d’un air inquisiteur. Oui, il était beau. Mais contrairement à Victor, il n’était pas bien dans ses pompes. Victor pouvait transcender tout ce qu’il portait, transformant la tenue la plus banale en seconde peau. Vince en était incapable. Avec la fureur d’une petite fille dans un magasin de jouets, Clara sut qu’elle voulait le transformer.
- Tu me laisses faire, dis ?
- Faire quoi ?
- Te rendre inoubliable.
- J’aurais plutôt envie qu’on m’oublie…
- Faux ! Tu as dit que tu n’avais envie de rien.
- Peut-être. Mais je n’ai pas envie non plus d’être un mannequin.
- Mais je ne vais pas te transformer en gravure de mode… Je veux faire de toi… Quelque chose qui soit toi. Et laisses-moi te dire que tu ne t’occupes pas assez de ton allure.
Aussi vive qu’un lutin, elle se mit en quête de tout ce qu’il lui fallait pour opérer la transformation. Elle ne se découragea pas devant le choix limité et se dit qu’à leur prochaine destination, elle aurait loisir à faire du shopping. Néanmoins, le premier résultat, celui de la coupe de cheveux, la fit soupirer d’aise.
A son retour, Victor ne partageait pas l’euphorie. Oh, ça oui, Vince avait encore embelli si cela était possible. Mais la présence de l’anneau le rendit amer.
Toulouse… Ville rose… Par la vitre de la voiture de location, Vince regardait les bâtiments en brique défiler devant ses yeux. Malgré la nuit, il voyait chaque détail de la brique rouge-brun, ses fêlures et les portes blanches qui perçaient les immeubles dans une partition de musique. Clara dormait contre son épaule, totalement épuisée par le marathon de préparatifs qui avaient précédé leur vol et dont elle avait du tout gérer, puisqu’étant la seule à supporter l’astre solaire dans toute sa splendeur. Morte de fatigue. Sitôt qu’ils avaient pris place dans l’Espace, voiture française qui n’avait de spacieux que le nom, par rapport aux voitures américaines en tout cas, elle s’était effondrée sur l’épaule puis sur les genoux du jeune homme et dormait d’un sommeil sans rêves. Victor eut l’air mécontent et un peu jaloux. Vince avait balayé ce regard possessif d’un pauvre sourire et d’un mot :
- Elle se serait endormie sur un matelas de noyaux s’il y en avait eu un à ma place.
Victor en avait convenu.
Lui et Vince n’avaient pas eu vraiment le temps de parler. Le vieux avait donné les premiers conseils pour ne faire trop d’erreurs et l’ordre de ne pas le quitter d’une semelle tant qu’il ne l’estimerait pas prêt à vivre seul. Un sourire désabusé lui avait répondu. Vivre seul… Vivre tout court en fait… En avait-il seulement envie ? Rien n’était moins sur. Victor avait attendu jusque là, car pris dans la tourmente d’une transplantation, ils n’auraient pas pu s’attarder sur l’essentiel. Et puis, il y avait Clara, à la fois source de tensions entre les deux et tampon adorable des deux caractères forts. Vince se fit la réflexion à part lui que son caractère avait été plus porté à l’apaisement qu’à l’affrontement, mais sa transformation avait éveillé en lui une position de dominant qu’il n’était pas sur d’apprécier. A voir, comme le reste. Mais Clara dormait et Victor ne voulut pas laisser passer une occasion comme celle-là.
- Vincenzo.
Victor ne l’appelait pas autrement. Allez savoir pourquoi.
- Je suis là, je ne bouge pas.
- J’ai ton attention ?
- Autant qu’il est possible… Mais je ne promets pas de rester attentif tout le temps.
Était-ce vraiment de la rébellion ? Après tout, Vince n’avait rien contre le vampire qui lui faisait office de chauffeur et qui dardait son regard vert sur lui par le rétroviseur. Il n’avait rien non plus contre Clara. Il n’avait rien en fait. La seule personne à qui il aurait pu en vouloir était déjà morte et son sang avait coulé contre sa langue et sa gorge. Pas par faim. C’était juste une nécessité. Et bizarrement, il comprenait Chandra. Il ne l’acceptait pas, il n’aurait jamais fait comme lui, mais il comprenait.
- Je m’attendais à ce que tu me poses une foule de questions sur ce que tu es. Reprit Victor en parlant à peine un ton au dessus du moteur.
- Un monstre.
- Je vois… Franchement, tu crois que je laisserais Clara dormir sur les genoux d’un monstre ?
Touché. L’argument avait sa valeur. Mais Vince s était découvert un peu buté.
- Que vous soyez inconscient ne remet pas en cause ma nature.
- Je suis trop vieux pour faire l’éducation d’un jeune imbécile… marmonna Victor en prenant un virage.
- D’accord, je m’excuse… Des questions, oui, j’en ai. Mais je ne suis pas sur que vous vouliez les entendre, encore moins y répondre.
- Dis toujours.
- Pourquoi moi ?
Classique. Les jeunes vampires qui n’avaient pas consenti à leur transformation finissaient toujours par demander la raison du choix. Et en effet, la plupart des créateurs ne souhaitaient pas répondre. Question trop intime qui mettait à nu leur psyché de prédateurs avides de trouver une compagnie. Mais Victor n’était pas un créateur conventionnel ni même celui de Vince.
- Chandra étant mort, je ne peux qu’émettre des hypothèses. Ça te suffira pour commencer ?
- On fera avec…
- Chandra savait que je voulais le tuer. Seulement, il savait aussi que mon respect des lois va jusqu’à le laisser en vie pour s’occuper d’un Dent de lait. Tu es donc devenu un des nôtres parce qu’il voulait vivre.
- Complètement raté… Et ça ne répond pas à ma question.
- Certes… Du point de vue de toute la horde, tu serais une cible appréciable. La plupart de mes compatriotes trouveraient intéressant de sauver… ton allure du temps qui passe. De te rendre immortel au faite de ta beauté. D’autres encore estimeraient que te laisser humain serait une bonne chose pour le reste de l’humanité afin de rehausser le niveau et que ta progéniture puisse les alimenter. A tous les niveaux.
- Charmant… Si j’avais su que ma belle gueule me vaudrait ça, je me serais tailladé le visage.
- Quant à moi…
Silence. Un regard furtif lui apprit qu’il avait toute l’attention de Vince. Une attention qui se préparait au pire des révélations et qui, ça se voyait dans son expression, en avait besoin. Victor avait rajouté cette petite phrase pour tester le jeune homme. Qui qu’il fut avant, il en était désormais un autre. Quelque part c’était dommage, Mais Chandra l’avait bien tué avant de donner la vie à quelqu’un d’autre. Et ce quelqu’un le regardait de ses yeux de glace, à la fois quémandant et avertissant qu’une mauvaise réponse serait fatale.
- Quant à moi, je ne pouvais pas laisser seul quelqu’un comme toi. Trop dangereux.
- Pourquoi ne pas m’avoir tué, alors ?
La voix de Vince avait pris une intonation méprisante. Si ses doigts ne s’étaient pas encore crispés en position d’attaque, si ses crocs étaient restés sagement sous ses lèvres, le fiel de sa voix annonçait que le danger restait proche.
Bien.
- De un : Tu es de mon sang. Je ne tue pas mon sang sans raison. De deux, j’y aurais laissé des plumes vu ta puissance qui est exceptionnelle pour un Dent de lait. De trois… (Un soupir, le temps de mener Vince au bord de la crise nerveuse) De trois, j’aime tes yeux.
Blam. Prends-toi ça et médites dessus.
- Et c’est tout ? Juste mes yeux ?
- Je suis plutôt vieux, Vincenzo. J’ai appris à juger à partir de très peu. Tu as des yeux magnifiques et malgré ce que tu en penses, tu as parfaitement ta place parmi nous. Plus que la plupart des gens que je connais en tout cas. Tu vivras vieux.
- A supposer que je le veuille !
- Avant d’essayer de te jeter dans un bûcher, laisses-moi te dire que tu es trop jeune pour pouvoir mourir.
- Vouloir, c’est pouvoir.
- Pas dans ton cas. Ta volonté n’est pas encore assez forte pour combattre ton instinct de survie. Qui est exceptionnel.
- -Comment ça ?
- En très peu de temps, tu as acquis une expérience immense, pour les gens de ta caste. Ton instinct est très fort, trop fort pour que tu puisses le dépasser. Pour le moment.
- Et c’est pour cet instinct que tu me gardes ?
Il continuait à s’échauffer… Très bien.
- C’est une mauvaise raison ?
- Oui !
- Tu crois ? Tu espérais quoi ? Que je te garde pour Clara ? Ou parce que je suis tombé amoureux de toi dés le premier regard ? Vraiment ?
La rage commençait à lui faire perdre le contrôle. La main qui serrait l’accoudoir commençait à lacérer le tissu d’ongles devenus griffes, ses yeux brillaient, dénués de la moindre couleur et pourtant… Clara dormait. Le coté gauche du jeune homme restait inerte, comme si ce bras et cette jambe ne lui appartenaient plus pour quelques heures. Clara dort, respectons son sommeil. Fascinant.
- Je n’espère plus rien depuis que ton enfant m’a violé et séquestré pendant cinq semaines !
- Menteur… Pour quelqu’un qui a toujours vécu dans l’adoration des autres, je te soupçonne d’en vouloir toujours plus… tu crois vraiment que tous les monstres que tu croiseras vont te laisser en paix parce que tu as quelques pouces de charme que les autres ?
Il fallait être un vampire pour comprendre ce qui se passa. Vince avait passé sa main droite sous la tête de Clara tout en ouvrant la portière pour la déposer sur le siège. Il posa le pied sur la route et sortit de la voiture comme si elle était arrêtée. A plus de cinquante kilomètres à l’heure. Vince restait debout sur la route, les seuls éléments qui permettaient de penser qu’il avait sauté en marche étaient son manteau qui claquait au vent et ses cheveux qui reprenaient leur place. Victor savait que Vince ne s’enfuyait pas. La preuve est qu’il restait au milieu de la route, drapé dans sa rage froide, et qu’il attendait que Victor le rejoigne. Il avait juste fait en sorte que Clara ne soit pas entre les deux. Victor freina et arrêta la voiture sur un bateau devant un immeuble. Le plus doucement possible, il sortit et referma les portières pour se diriger lentement vers son nouveau jouet.
- Tu veux vraiment que nous nous expliquions en pleine rue ? Ça va faire du bruit… et des victimes…
- Tu as autre chose à proposer ?
Victor ne répondit pas, se contentant de poser un pied après l’autre avec une lenteur calculé et un sourire moqueur. Soudain, il changea de direction et se mit à courir dans une rue transversale avec un dernier regard qui signifiait « attrapes-moi si tu peux. »
Vince jura entre ses dents. Le bougre était rapide et avait l’avantage de l’expérience. Mais il suivit le rythme dans les rue de Toulouse. Il ne voulait qu’une seule chose, lui arracher la gorge. Alors ses jambes le propulsèrent vers l’avant sans qu’il s’étonne de la vitesse à laquelle ils allaient. Les rues défilaient sous leurs pas et Vince ne voyait que cette silhouette beige qui accélérait toujours plus vite et prenait les virages sur les murs. Vince en faisait autant en essayant de maintenir son souffle qui s’accélérait pourtant pour ressembler à celui d’un catarrheux en phase terminale. Ils débouchèrent sur un parc dont Victor enjamba le mur avec une facilité déconcertante.
Le Jardin Japonais de Toulouse est une incongruité dans une ville française et méridionale. Le premier mouvement de chaque personne tombant par hasard dessus est « mais qu’est-ce que ça fiche là ? ». Bonne question au demeurant, ce jardin est l’expression même qu’un autre bien des années auparavant avait eu pour d’autres jardins, ceux de Versailles, celui de bâtir un rêve. La seconde impression était l’envie de rester plusieurs minutes à se calmer et à se concentrer sur la beauté sobre et raffiné d’un tel lieu. Le jardin n’aurait pas déparé le palais impérial de Tokyo. Mais Vince n’était pas prêt à admirer ce petit lieu de calme et de verdure ployée à la pensée japonaise, il crachait ses poumons sur un sentier de gravier blanc. Par contre, Victor appréciait grandement. L’une des premières causes de son arrêt ici. Sa dernière visite remontait au temps où les comtes de Toulouse se nommaient encore Raymond. La ville avait changé, sans avoir véritablement changé. Il y avait toujours eu dans ce petit joyau du sud de la France quelque chose de profondément mouvant même dans la permanence. Ce jardin était l’une des expressions du goût éclectique et fin de Toulouse. Ce n’était pas parce que ce n’était pas purement toulousain que ça ne méritait pas de figurer au sein de ses rues. Il se promit de revenir. Une autre nuit.
Il baissa le regard sur Vince qui essayait de reprendre son souffle et ne put empêcher sa voix d’être parfaitement condescendante.
- Tu crois vraiment qu’en tant que monstre, tu as besoin de respirer ?
Vince cessa immédiatement et le regarda d’un œil mauvais.
- Non, mais franchement… tu crois que tu peux me vaincre ? Toi ?
- Au moins je serais libre.
Et Vince lui sauta dessus. Comme Victor s’y attendait. Comme ce jeune homme était prévisible dans la colère… Mais il faut dire que sa colère n’était pas celle d’un cannibale, sinon il avait fort à parier que Victor ne s’en sortirait pas aussi bien. Il le prit par le manteau et le fit passer par-dessus lui. Les deux se rattrapèrent sur leurs pieds et la danse macabre de deux prédateurs commença. Un ballet barbare et délicieux et Dieu que Victor avait attendu ce moment-là. Voir l’homme de glace craquer et laisser toute sa hargne s’échapper en seul assaut. Il était bon… très bon… mais il lui manquait la vraie expérience du combat. Il avait compris l’avantage de sa rapidité et de sa nouvelle souplesse, mais la précision manquait encore. Pas un problème. Ça se corrigerait. Alors qu’un coup de pied latéral essaya de l’atteindre à la tempe, Victor se promit de lui apprendre à faire attention à ses appuis. D’ailleurs, une première leçon s’imposait. D’une simple poussée sur le genou, il le fit à nouveau chuter sur le gravier. Un juron et Vince fut de nouveau sur pied. Dans la tempête de neige de ses yeux, on pouvait voir s’insinuer le doute. Il apprenait. Et il comprenait que Victor n’était pas une proie qu’il pouvait atteindre. Pas encore. Mais au bout de dix minutes d’un ballet martial, Victor décida d’asséner la leçon qu’il prévoyait depuis le début.
Le doute de Vince s’accentua en même temps que la vitesse de son adversaire. Il ne vit pas prendre sa gorge, ce n’est qu’en sentant les doigts forts lui saisir les deux carotides qu’il comprit ce qu’il venait de se passer. Il tenta de repousser le bras mais ne le trouva plus vu qu’il s’était déporté sur son épaule. Ce qui lui arriva lui sembla d’une lenteur méprisante, mais il n’arrivait pas à bouger comme il l’aurait souhaité. Il se retrouva la joue contre le gravier, le bras pris dans un étau et un genou contre ses reins. Coincé… et douloureux. Malgré les tentatives de dégagement, Vince ne réussit qu’à faire gémir ses articulations, surtout au niveau de l’épaule. Le jeune vampire souhaitait qu’on le tue rapidement, mais ses expériences le convainquirent que sa nouvelle « famille » n’aimait pas les choses précipitées, particulièrement en matière de douleur à infliger. Soit.
Il ne put retenir un gémissement de surprise quand Victor se pencha à son oreille et la caressa de son souffle.
- Tu vois… tu es encore trop jeune pour te battre avec moi à armes égales…
Vince n’en avait jamais douté, Victor savait très bien se servir de sa voix. Elle était à présent aussi chaude et grondante que celle d’un amant durant des préliminaires. N’eut été sa position, le jeune vampire aurait pu se croire au début d’une partie de jambes en l’air. Mais peut-être que Victor prenait son pied comme ça. Vince ne souhaitait pas ça, lui.
- Finissez-en, je ne suis pas d’humeur.
S’ensuivit un relâchement total du corps, comme une acceptation de ce qu’il ne pouvait changer. Vince se préparait à ne plus être là, plus qu’une pièce de viande froide. Son seul moyen de refuser l’inéluctable était de ne pas donner à son tortionnaire le plaisir de le voir se débattre. Mais la langue qui lui caressa le lobe de l’oreille avant de l’engloutir pour le mordiller de ses crocs acérés lui arracha un frisson étrange et involontaire.
- Tu penses vraiment que je vais te tuer… ? Alors que j’ai déjà fait tant pour te garder auprès de moi ?
De moi, pas de nous… Compris, Clara ne faisait pas partie de l’équation. Soit Vince se soumettait à Victor et à lui seul, soit il sortait définitivement du problème. Vince gronda et tenta après de calmer sa colère et ses hormones qui n’en faisaient qu’à leur tête et réagissaient excessivement aux caresses, le faisant se tortiller sur le gravier.
- Un jour, je te ferais payer ce que tu me fais…
C’est à peine si Vince put reconnaître sa propre voix. Chargé de menace et d’émotions mal contenues, elle ressemblait à la plainte d’un tigre en cage qui regarde avec colère et envie la personne qui se croyant courageuse lui tendait un morceau de quelque chose alors que le tigre ne regarde que cette main à dévorer.
- Un jour, j’espère que tu me feras payer tout ça… Pour tout te dire, je m’en délecte déjà.
- Salopard sadique…
- Allons, pas de mots que tu pourrais regretter. (Nouvelle morsure sur l’oreille avant de descendre sur le cou si tendre de sa proie et d’en mordiller tendrement la chair. Vince gémit encore une fois entre peur et plaisir.) Je tiens juste que tu comprennes ce que tu es et ce que je suis… Tu es mon vampire. Et ça ne changera pas de suite. Tu te soumets ?
- Va rôtir en enfer.
Une pression plus forte sur l’épaule et une caresse sur la cuisse qui se termina en une prise douloureuse de la fesse droite. Pas plus que précédemment, Vince ne put retenir son corps de réagir. De réagir au-delà même de ce qu’il était habitué.
- Je vais t’apprendre une petite chose que tu as soigneusement tenté d’ignorer jusque là… Toutes nos terminaisons nerveuses sont à fleur de peau. Nous ressentons les choses bien mieux que les mortels ne le peuvent. On peut même s’y perdre… Jusque là, tu as fait preuve d’un self-control admirable pour ne pas voir que tout concourrait à faire de toi un prédateur… mais pas seulement pour te nourrir… (Encore une morsure. Cette fois-ci jusqu’au sang puisque les quatre crocs de Victor avait percé la peau tendue par l’effort de se dérober aux lèvres et aux dents d’un amant peu aimé. Mais la respiration de Vince avait repris, reliquat de son humanité, haletante et gémissante.) Tu te soumets ?
Vince se mordait la joue pour ne pas répondre. Le gout de son propre sang se répandait dans sa gorge lui rappelant son premier meurtre et … il fallait bien l’avouer, l’extase de se rassasier. Son corps se liguait contre lui, sans parler de son sexe, qui après plus d’un mois d’inactivité avait décidé de reprendre du service. Contre du gravier et sous la pression d’un homme qui devait plus s’apparenter au trente-six tonnes qu’à l’étreinte tendre à laquelle il avait l’habitude. On aurait pu penser que… Mais Victor avait raison. Sa faim n’était pas réservée qu’au seul sang de vampires mais à toutes les sensations. On ferait le tri plus tard. Pourtant son esprit ne voulait pas lâcher.
- Non !
- Il faudra bien, pourtant. Vincenzo… Je n’ai pas envie de te faire plus que tu ne peux encore supporter. Du moins… pas dans un parc. Alors soumets-toi, une seule fois… et je te promets que nous ne continuerons que si tu le désires…
Mais comment faisait-il pour moduler sa voix à ce point ? On avait envie de le croire. Envie de croire qu’il ne faisait pas ça par plaisir, qu’au contraire, toute la situation lui faisait mal, bien plus mal que tout. Mais Vince le regardait et voyait que loin de lui déplaire, la situation l’amusait follement. Et même un peu plus. Ce n’était pas une lueur malsaine pour le jeune vampire, non. Le nombre de fois où on lui avait lancé ce genre de regard tendre et concupiscent ! Toutes les fois avant, il avait répondu. Mais aujourd’hui, non. Il ne voulait pas.
Au prix d’un effort surhumain, il tenta de se lever malgré les poids qui lui pesaient sur les endroits du corps où c’était le plus douloureux. Et il luttait contre la douleur pour tordre ses membres et les forcer à le mettre debout. Il serrait les dents particulièrement contre la douleur intolérable qui montait de son épaule et de son coude, prisonniers d’une poigne de fer. Il lâcha un glapissement de libération quand l’épaule se déboîta et continua à se lever sur l’autre bras, les yeux embués de larmes oubliées.
- Il sera très dur de te soumettre, Vincenzo… Très dur…
Victor lui tordit le coude dans l’autre sens avec un bruit ignoble de craquement d’os. Les larmes qui avaient refusé de couler jusque là anéantirent le barrage et s’écoulèrent contre le gravier.
- Avant que je ne te repose la question, laisses-moi te dire que le prix de ton prochain refus sera ton bras… Que je prendrais un plaisir immense à t’arracher… Tu ne seras pas moins beau sans ton bras, rassures-toi…
Lors de son enlèvement, Vince avait vécu dans une sorte de brouillard qui anesthésiait toutes ses réactions. Il avait laissé Chandra le prendre par la main et le guider en enfer. Là, il aurait préféré retrouver cette brume, mais tout lui arrivait avec une netteté effroyable, comme une œuvre taillée à coup de haches… un tableau peint au scalpel. Vince pleurait. Pour la première fois depuis des semaines, il pleurait et se trouvait ignoble de pleurer sur ses pauvres misères alors qu’il n’avait pas pu pleurer sur les cadavres de la cave. Et il savait qu’il devait se soumettre. C’était la honte qui le faisait pleurer.
La voix de Victor se fit velours, posant quelques plumes sur ses souffrances et un peu de chaleur dans son cœur, du moins si on n’entendait pas les mots, si on s’arrêtait à l’intonation.
- Te soumets-tu, Vincenzo… ?
Vince aurait voulu lui crier que jamais il ne soumettrait, qu’il pouvait aller se faire voir, mais la douleur paralysait la réponse. Il essaya de déglutir et de cacher son visage, ne réussissant qu’à se poncer le front sur le gravier. Dieu que c’était dur. Et Dieu qu’il avait honte…
- Oui…
Un simple mot entre deux sanglots. Il avait perdu et l’amertume de la défaite manqua l’étouffer. Surtout que Victor ne le lâchait pas. Il se contentait de relâcher la pression sur son bras douloureux et son dos. C’était plus supportable. Ce n’était plus des étaux qui l’enserraient mais les douces mains d’un ami qui le relevait et l’aidait à se tenir debout. Jusqu’à ce que…
Vince hurla. A la fois sous le coup de la douleur et de la surprise. Victor l’avait poussé en avant, marionnette sans fil qui s’était laissé faire et l’avait retenu par le bras qu’il tira d’un coup sec. Les articulations se remirent en place d’un coup sec, fulgurance d’une douleur intolérable et qui s’arrêta aussitôt. Mais déjà Victor l’avait repris dans ses bras et caressait ses cheveux d’une façon tendre pendant que Vince continuait à pleurer. Une de ses mains s’attardait même au bas de son dos, mais le jeune homme était trop secoué pour y prêter attention.
- Là… c’est fini… Je devais le faire. C’est fini, mon bel ange… Je ne te ferais plus souffrir… Du moins pas tant que tu ne me le demanderas pas. Mais il faut que tu saches que j’ai apprécié que tu résistes.
Il ponctua sa tirade de doux petits baisers sur le front de sa victime et celle-ci restait étonnée d’accepter ces marques d’affection. Ou était la réalité ? Dans la douleur ou dans l’affection ? Mais Vince était trop choqué pour faire la part des choses. Victor y comptait.
- Tu ne devras te soumettre qu’à moi, Vincenzo. Il se peut que je te demande d’obéir à d’autres personnes, mais ce sera temporaire… et je reste le dernier décisionnaire.
Les gestes tendres devinrent caresses plus suggestives. Mais ce n’était pas pour choquer, c’était pour réactiver ce corps qui y réagissait si bien. D’ailleurs, les pleurs s’arrêtèrent et la gêne de réagir au moindre doigt posé sur sa peau revint au galop. Il faut dire que Victor allait vite et ses mains occupaient déjà la place sur la nuque et sur le ventre plat du jeune vampire. Mais depuis qu’il l’avais vu à sa merci, Victor comptait bien profiter de cet enfant qui s’était révélé absolument superbe. Sa vision dans la salle de bains miteuse restait gravée dans sa mémoire et il s’était pris de sa vieille volonté de toujours en vouloir plus. Surtout quand le repas promettait.
- Je t'aime, p'tit con...
Les cahots ne la réveillaient pas... Pas plus que le bruit de la circulation et les chuchotements nerveux devant elle. Non. Ce qui la réveilla, ce fut l'arrêt de la voiture. Comme les enfants, Clara ne réagissait dans son sommeil qu'aux changements d'ambiance sonore. Quand le silence s'installe, ils se réveillent, malgré la douceur avec laquelle vous les portez dans leur lit. Et là... Il régnait le silence d'un parking souterrain. Elle se redressa sur un coude et se frotta le visage du poignet avant de bailler.
- On est arrivés?
Le silence lui répondit et elle regarda les deux sièges devant elle. Vince qui occupait la place du mort et qui cachait ses yeux sous sa main et Victor qui lui caressait consciencieusement la cuisse, tout prés de l'entrejambe. Clara fronça un sourcil soupçonneux tout en se rasseyant et lissant sa robe.
- Dois-je poser la question évidente?
Seul un gémissement lui répondit.
Revenons à Toulouse et à son statut de ville décapitée. Ce qu'il y a de merveilleux avec les fiefs vampiriques, c'est que la politique ne pèse plus autant sur les villes que par le passé. Durant une très longue période, les complots qui animaient les cours couchantes et levantes trouvaient leurs échos dans les relations humaines. Quelques exemples majeurs ont jalonnés l'histoire... en règle générale, les grands soulèvements populaires ont été le fait de Vampires qui savaient influencer leur cheptel de chasse. La boston tea party par exemple qui n'était au final que la volonté du Nouveau Continent de s'affranchir de l'Ancien. C'est ainsi que les longues dents écrivent l'histoire. Dans l'ombre et dans la continuité de leurs petits conflits. Mais Toulouse, contrairement au duché de Bretagne qui a toujours tenu à compliquer l'existence de sa voisine parisienne, Toulouse donc a toujours vécu dans une relative paix, essayant de garder à distance les appétits territoriaux de Bordeaux et de Marseille, mais entretenant de bonnes relations diplomatiques avec tous. C'était ça Toulouse. Un endroit où il fait bon vivre que l'on soit immortel ou non.
La décapitation avait tout changé. Oh, bien sur, l'humanité elle ne voyait pas la différence puisque depuis la révolution Française, les Grands Prédateurs avaient sommé les autres de ne pas mêler les humains à leurs intrigues. Non pas bonté d'âme, entendons-nous bien. Mais la Révolution Française avait pris un tour particulièrement déplaisant. Même si elle était loin d'avoir fait autant de victimes qu'une seule des deux guerres mondiales, elle avait créé un climat atroce de suspicion et de danger pour les Vampires eux-mêmes. Inacceptable. Tous s'étaient promis de ne plus mettre le feu aux poudres de manière aussi flagrante afin de ne pas provoquer une inquisition qui les aurait ciblés.
Car oui, la Grande Inquisition espagnole, bataille de fiefs il est vrai, visait une autre part de la population mondiale.
La cour levante avait vécu l'intrusion des cannibales dans les rues comme si c'était la fin du monde. Et la plupart, loin de se précipiter pour proposer leurs services aux fiefs voisins, s'étaient terrés au sein de la Vulgate. Quelques légers changements avaient eu lieu d’ailleurs. Certains levants avaient péri sous les coups de Vulgates qui s’étaient vengés d’années de domination. Classique. Très classique… et ça arrangeait Victor. De toute façon, il fallait éclaircir les rangs pour maintenir l’illusion de la faiblesse de la ville et surtout pour que Victor puisse choisir et imposer ses cours. Pour la Couchante, c’était réglé. Du point de vue Vampirique, c’était Vince. Seulement lui. D’un point de vue humain, Clara. Seulement elle. Facile à imposer, surtout que Vince avait la puissance pour maintenir les jaloux à distance. Mais dans le tourment du changement, les Levants de Toulouse ne bougeraient pas beaucoup.
En tant que Maitre de la Ville, Victor avait investi l’Hôtel de Bagis. Une pure merveille de pierre blanche perdu dans la cité rose, une perle luminescente dans un écran de pétales de rose. Le temps de son installation, l’hôtel serait fermé au public. Seuls les vampires auraient le droit d’y poser le pied et seulement sur convocation. Étrangement, Victor se sentait bien, enivré par les effluves du pouvoir. Il oubliait pour quelques heures qu'il n'était plus libre et qu'une foule de petits détails le rattraperaient sous peu.
Enfin... Les petits détails n'étaient qu'au nombre de quatorze. Ils avaient tous répondu à l'appel et Vince devait se mordre la joue et se griffer le bras pour ne pas craquer. Plusieurs fois, Victor fut sur le point de le rappeler auprès de lui pour le « tenir » en laisse. Une simple main sur sa nuque l'aurait calmé. Mais ce n'était pas le but de la manœuvre. Vince se contrôlait bien... Mieux que son âge ne l'aurait laissé prévoir. Et il était bon que la Cour subisse la tension que créait un cannibale parmi eux. Ils étaient quatorze survivants. Tous de bons vampires d'après les dossiers de Julia. Ni plus ni moins ambitieux qu'il n'était nécessaire pour des Levants. Un peu, bien sur... Les Levants ont toujours le rêve secret de devenir un couchant... voire au delà. Mais leurs luttes de pouvoir se limitaient à eux. Cela dit... maintenant qu'ils avaient subi un revers pareil, ils seraient plus enclin à se serrer les coudes... malheureusement contre Victor... Un parvenu de vampire de Passage. Dieu s'ils savaient...
Victor leur parla. Longuement. De sa voix de basse grondante à mi chemin entre le ronronnement et l'orage. Rassurer tout en menaçant. Si Clara n'avait pas été si inquiète de se trouver dans la position de l'hypothétique repas pour toute l'assemblée, elle aurait pu apprécier le discours, creux au possible et les intentions qui étaient toutes contenues dans les inflexions de la voix.
Vince aura pu apprécier aussi... Mais la faim, ou plutôt la gourmandise le rendait fou. Il ignorait quel visage il présentait aux autres. Cependant ce devait ne pas être joli puisque tous l'évitaient en un joli demi-cercle bien rond. Plus encore qu'avec Victor, il sentait le sang vampirique et la joie de s'en repaitre. Pour la première fois, il expérimentait la sensation d'un Junkie en manque.
Clara vint se coller contre lui. Un reliquat de la terreur que Victor lui avait imposé le força à lever les yeux sur lui. Mais Victor lui souriait, sans aucune arrière-pensée.