Interlude 2: Valkyrie
Le froid, la neige... Tout ça
n'était rien pour un guerrier qui passait la moitié de l'année à combattre dans
un paysage si blanc que les yeux lui brûlaient. On ne s'habitue pas au froid,
on ne combat pas le froid. On pactise avec. Ainsi le voulaient les Dieux sinon
Ils ne les auraient pas placés là à les regarder trembler en attendant que le
froid perde patience et rompe le pacte.
Non, la seule chose avec laquelle il ne pactiserait pas, hors d'un ennemi bien sur, c'était sa destinée. Il aurait du périr par le fer ou sous les crocs de cette monstrueuse chose, sans doute le fils de Loki, mais certainement pas abandonné au beau milieu de la plaine à pester contre le pourrissement de sa jambe et les douleurs de son dos. Fichue destinée! Il avait combattu depuis l'âge d'homme, il avait tranché tant de têtes que son Ulfric l'avait apprécié pour ça! Bon, ce n'était pas réciproque... mais il s'en accommoderait le temps... Le temps qu'il n'avait plus. Une bouffée de rage manqua l'étouffer à moins que ce ne fût l'infection qui remontait à son cœur. Deux jours qu'il rampait dans la neige pour rejoindre un hameau, une hutte de bucheron, n'importe quoi, deux jours qu'il buvait la neige à même le sol parce que la fièvre était si brûlante qu'il devait se rafraichir fréquemment. Deux jours... Il avait pactisé avec le froid et le froid le sauvait: En été, la gangrène de sa jambé l'aurait déjà achevé.
Il se redressa, d'abords sur ses coudes puis sur ses mains pleines d'engelures et hurla de toutes ses forces:
- J'ai encore l'énergie de combattre!
Étrangement, malgré la maladie et l'épuisement, sa voix était toujours puissante. On disait souvent qu'il avait la voix du tonnerre. Franchement, un guerrier comme lui méritait-il de mourir comme un vieillard, dans sa propre maladie? Non. Sa destinée était autre, forcément! Il devait mourir l'arme à la main. C'est tout.
- J'ai encore l'énergie de combattre!
Inconsciemment, il espérait que ses cris attireraient les bêtes sauvages, les loups affamés, et qu'il en finisse une bonne fois pour toute mais l'écho se répercuta dans la plaine blanche sans trouver de réponses. Mourir seul et sans honneur... C'était injuste...
- J'ai encore l'énergie de combattre!
- Tu as surtout l'énergie de hurler comme un porc qu'on égorge...
Le guerrier tourna la tête en tout sens pour voir qui lui avait répondu mais rien ni personne... Jusqu'à ce que deux corbeaux se posent non loin de lui, le regardant de leurs yeux pareils à de petites billes noires et tournant la tête... Patientant sans doute jusqu'à ce que l'homme meure et qu'ils se repaissent de sa chair.
- Foutus charognards...
Il avait beau savoir que le Père des Dieux aimait les corbeaux, il ne pouvait se résoudre à en accepter prés de lui. Surtout quand ces fichus bestioles s'approchèrent en sautillant sur la neige pour inspecter la marchandise. Il tenta de les chasser d'un geste du bras mais ils reculèrent à peine et il s'étala contre la congère.
- Voilà où est ta place, homme. Le nez dans la fange...
- Je délire...
Ce n'était pas les deux volatiles qui pouvaient parler... Et il n'y avait rien d'autre aux alentours.
- Crois-tu?
- Qui que tu sois, tu n'es pas là... C'est... la maladie qui me parle.
- Tiens donc... On m'a souvent insultée, très souvent... On m'a maudite, encore plus souvent. Toi-même, tu m'as maudite... Et il n'y pas si longtemps...
Les deux oiseaux croassèrent, semblant acquiescer aux paroles de la femme qui n'était pas visible.
- Mais c'est bien la première fois que l'on me nomme maladie...
Il se passa la main sur le visage en se redressant. Il grelottait et pourtant il avait l'impression que ses os étaient bouillants. Un regard sur la plaie de sa jambe... L'aspect était atroce et ne guérirait jamais. Il aurait fallu la couper... Quelle importance... Il ne lui restait que quelques heures.
- Suis-je... déjà de l'autre coté...?
- Non, tu es toujours dans la neige.
- Pourquoi...?
- Pour te punir.
Il se mit à rire. Évidement... Pour quel autre raison était-il en train de souffrir et de perdre tout honneur? Il avait suffisamment fâché les Dieux pour ça. Il en était presque heureux, tiens.
- Tu as vraiment mauvais fond...
- Qu'attendre d'autre d'un humain... Répliqua une autre voix, masculine cette fois-ci.
Le guerrier regarda à nouveau les deux corbeaux mais ceux-ci devaient s'être envolés parce qu'il ne les trouva plus. Mais ce devait être ces deux exécrables volatiles... Qui d'autre... Qui? Et c'est là qu'il vit ces deux silhouettes, l'une entièrement de noir vêtue dont les traits étaient masqués par une capuche de laine noire. On ne voyait rien d'elle si ce n'est qu'elle était petite et féminine. Par contraste, l'homme à coté d'elle était grand et tout aussi mystérieux. Mais impossible de deviner son visage sous son manteau de laine blanche, vu que toute lumière disparaissait sous sa capeline.
- C'est un reproche? Murmura-t-elle?
- Oh, ma Sœur... Tu n'es pas responsable de tout ce qui est mauvais dans ce monde...
- J'espère bien.
- Juste de la moitié.
Il s'attendit à ce que la femme se rebiffe et tente de frapper l'homme mais aucun des deux n'eurent le moindre mouvement. Pas plus que leur souffle ne soulevait le tissu devant leurs yeux. Mais il ne supportait pas d'être traité comme quantité négligeable et jeta une poignée de neige sur le couple... La neige les traversa.
- Je crois que l'humain s'impatiente... Dit-elle.
- Et alors? Il peut pester et s'impatienter tant qu'il veut, je ne suis pas pour le moment disposé à m'en occuper.
- S'il te plait...
- Oh bon, soit...
L'homme s'approcha, glissant plus qu'il ne marchait et saisit les cheveux du guerrier d'une main noire comme la nuit.
- Sois heureux, Humain... Ta destinée sur laquelle tu craches avec autant d'acharnement, ce qui est en passant fort insultant pour nous, va être changée. Le Monstre qui t'as pris ta jambe doit-être tué.
- Et c'est moi que vous chargez de la besogne.
Les deux êtres éclatèrent de rire, ce qui se traduisaient uniquement par le bruit. Les deux êtres ne bougeaient toujours pas.
- Oh non, non... Pour le tuer, il faut autre chose qu'un humain... (La silhouette blanche se retourna vers celle plus menue de sa sœur) Il faudra sans doute le changer...
- Je sais, je sais... cela, je m'en charge. Contentes-toi de changer la finalité.
La tête sans visage se retourna à nouveau vers lui et malgré des années à ne rien craindre, il trembla. Il entrevoyait à peine ce qui se trouvait sous la capeline et ça le terrifiait.
- Pour tuer le Monstre, il faut une lame patiemment forgée, des années et des années d'affutage et de polissage... Et surtout, il faut l'impulsion pour que cette lame soit parfaite dans son rôle. Nous te donnons cette lame.
- A moi? Mais je croyais que je...
- Et nous te prendrons un fils.
N'importe qui d'autre aurait eu peur mais jamais le guerrier ne s'était soucié de ses enfants, pas plus que de la femelle qui les avait portés. Il la nourrissait, par son statut au sein du village, elle était respectée... qu'elle s'en contente. Pour ses enfants, pareil. De toute façon, il en avait trop.
- D'accord. Mais cette lame a intérêt à être bonne!
- Elle sera parfaite.
Le guerrier leva la main pour recevoir cette épée et repartir à la bataille. Mais l'homme en blanc le relâcha et s'éloigna sans plus un mot. Il cligna des yeux, incrédule et ne sentant pas la femme s'approcher. Ce n'est qu'en sentant ses doigts à elle lui rentrer dans le crâne qu'il comprit qu'elle n'était pas partie et qu'elle commençait à peine. Heureusement pour lui, il s'évanouit presque immédiatement.
Il ne se réveilla pas. Comment pouvait-on appeler réveil ce qui le tira du néant sans douleur mais sans aucune joie. Il faisait nuit, la neige était glacée sous son visage mais il ne sentait pas la brûlure lente de la glace. Il ne sentait pas sa jambe, ni son dos... Rien que la soif. Pourtant, il bougea doucement, peut-être pour épargner ses os meurtris... sauf que ses os n'avaient rien. Il regarda ses mains, sans gants. Elles étaient pâles mais plus d'engelures. Ses ongles n'étaient plus cassés. Il fit jouer les muscles de son dos et tout fonctionnait parfaitement. Tellement soif par contre.
En se levant, il eut l'impression de voir d'autres choses que la neige. Tout vivait autour de lui alors que le jour, tout semblait si mort. Si froid. La nuit était chaude... Et cette soif! Il tendit la main vers la neige pour en prendre un peu mais il suspendit son geste. La neige ne lui faisait pas envie. L'hydromel ne l'étancherait pas.
- Sigur!
Il se retourna lentement pour voir au loin quatre hommes qu'il reconnut aisément. Ils étaient de son village. Ils l'avaient retrouvé. Ils étaient loin mais le guerrier sentit leur sueur aigre de l'homme qui court dans le froid, il vit leurs fourrures encore raides de froid, il entendit le cliquettement des épées qui n'étaient plus dans les fourreaux. Pire que tout, il entendait le galop impétueux des cœurs et ce bruit furieux le fit sourire. Il inspira longuement et expira tout aussi lentement. Il savourait d'avance le repas qui venait vers lui à toutes jambes. Les fous. Les imbéciles...
Il se laissa tomber en avant et juste à la seconde où il n'aurait pas pu se rattraper, il chargea. La sensation des crocs plongeant dans la chair, le sang chaud qui cascadait dans sa gorge... Jamais auparavant il n'avait ressenti de telles choses... C'était prodigieux. Son seul regret... C'était si court. Tellement court. Mais quatre hommes en pleine force de l'âge, c'était plus que suffisant pour un premier repas. Il se sentait même un peu... Comment dire... ballonné? Il avait trop mangé ou trop bu...
Dieux que la Nuit était belle. Dieux que tout cela était beau! Et Grand! Et...
Il avança, le pas léger, presque sautillant. Même après trois cruches d'hydromel, il ne s'était jamais senti dans un tel état d'euphorie.
- Vouloir... Tout, tout de suite... Et l'obtenir.
Sigur venait enfin de naitre.
Non, la seule chose avec laquelle il ne pactiserait pas, hors d'un ennemi bien sur, c'était sa destinée. Il aurait du périr par le fer ou sous les crocs de cette monstrueuse chose, sans doute le fils de Loki, mais certainement pas abandonné au beau milieu de la plaine à pester contre le pourrissement de sa jambe et les douleurs de son dos. Fichue destinée! Il avait combattu depuis l'âge d'homme, il avait tranché tant de têtes que son Ulfric l'avait apprécié pour ça! Bon, ce n'était pas réciproque... mais il s'en accommoderait le temps... Le temps qu'il n'avait plus. Une bouffée de rage manqua l'étouffer à moins que ce ne fût l'infection qui remontait à son cœur. Deux jours qu'il rampait dans la neige pour rejoindre un hameau, une hutte de bucheron, n'importe quoi, deux jours qu'il buvait la neige à même le sol parce que la fièvre était si brûlante qu'il devait se rafraichir fréquemment. Deux jours... Il avait pactisé avec le froid et le froid le sauvait: En été, la gangrène de sa jambé l'aurait déjà achevé.
Il se redressa, d'abords sur ses coudes puis sur ses mains pleines d'engelures et hurla de toutes ses forces:
- J'ai encore l'énergie de combattre!
Étrangement, malgré la maladie et l'épuisement, sa voix était toujours puissante. On disait souvent qu'il avait la voix du tonnerre. Franchement, un guerrier comme lui méritait-il de mourir comme un vieillard, dans sa propre maladie? Non. Sa destinée était autre, forcément! Il devait mourir l'arme à la main. C'est tout.
- J'ai encore l'énergie de combattre!
Inconsciemment, il espérait que ses cris attireraient les bêtes sauvages, les loups affamés, et qu'il en finisse une bonne fois pour toute mais l'écho se répercuta dans la plaine blanche sans trouver de réponses. Mourir seul et sans honneur... C'était injuste...
- J'ai encore l'énergie de combattre!
- Tu as surtout l'énergie de hurler comme un porc qu'on égorge...
Le guerrier tourna la tête en tout sens pour voir qui lui avait répondu mais rien ni personne... Jusqu'à ce que deux corbeaux se posent non loin de lui, le regardant de leurs yeux pareils à de petites billes noires et tournant la tête... Patientant sans doute jusqu'à ce que l'homme meure et qu'ils se repaissent de sa chair.
- Foutus charognards...
Il avait beau savoir que le Père des Dieux aimait les corbeaux, il ne pouvait se résoudre à en accepter prés de lui. Surtout quand ces fichus bestioles s'approchèrent en sautillant sur la neige pour inspecter la marchandise. Il tenta de les chasser d'un geste du bras mais ils reculèrent à peine et il s'étala contre la congère.
- Voilà où est ta place, homme. Le nez dans la fange...
- Je délire...
Ce n'était pas les deux volatiles qui pouvaient parler... Et il n'y avait rien d'autre aux alentours.
- Crois-tu?
- Qui que tu sois, tu n'es pas là... C'est... la maladie qui me parle.
- Tiens donc... On m'a souvent insultée, très souvent... On m'a maudite, encore plus souvent. Toi-même, tu m'as maudite... Et il n'y pas si longtemps...
Les deux oiseaux croassèrent, semblant acquiescer aux paroles de la femme qui n'était pas visible.
- Mais c'est bien la première fois que l'on me nomme maladie...
Il se passa la main sur le visage en se redressant. Il grelottait et pourtant il avait l'impression que ses os étaient bouillants. Un regard sur la plaie de sa jambe... L'aspect était atroce et ne guérirait jamais. Il aurait fallu la couper... Quelle importance... Il ne lui restait que quelques heures.
- Suis-je... déjà de l'autre coté...?
- Non, tu es toujours dans la neige.
- Pourquoi...?
- Pour te punir.
Il se mit à rire. Évidement... Pour quel autre raison était-il en train de souffrir et de perdre tout honneur? Il avait suffisamment fâché les Dieux pour ça. Il en était presque heureux, tiens.
- Tu as vraiment mauvais fond...
- Qu'attendre d'autre d'un humain... Répliqua une autre voix, masculine cette fois-ci.
Le guerrier regarda à nouveau les deux corbeaux mais ceux-ci devaient s'être envolés parce qu'il ne les trouva plus. Mais ce devait être ces deux exécrables volatiles... Qui d'autre... Qui? Et c'est là qu'il vit ces deux silhouettes, l'une entièrement de noir vêtue dont les traits étaient masqués par une capuche de laine noire. On ne voyait rien d'elle si ce n'est qu'elle était petite et féminine. Par contraste, l'homme à coté d'elle était grand et tout aussi mystérieux. Mais impossible de deviner son visage sous son manteau de laine blanche, vu que toute lumière disparaissait sous sa capeline.
- C'est un reproche? Murmura-t-elle?
- Oh, ma Sœur... Tu n'es pas responsable de tout ce qui est mauvais dans ce monde...
- J'espère bien.
- Juste de la moitié.
Il s'attendit à ce que la femme se rebiffe et tente de frapper l'homme mais aucun des deux n'eurent le moindre mouvement. Pas plus que leur souffle ne soulevait le tissu devant leurs yeux. Mais il ne supportait pas d'être traité comme quantité négligeable et jeta une poignée de neige sur le couple... La neige les traversa.
- Je crois que l'humain s'impatiente... Dit-elle.
- Et alors? Il peut pester et s'impatienter tant qu'il veut, je ne suis pas pour le moment disposé à m'en occuper.
- S'il te plait...
- Oh bon, soit...
L'homme s'approcha, glissant plus qu'il ne marchait et saisit les cheveux du guerrier d'une main noire comme la nuit.
- Sois heureux, Humain... Ta destinée sur laquelle tu craches avec autant d'acharnement, ce qui est en passant fort insultant pour nous, va être changée. Le Monstre qui t'as pris ta jambe doit-être tué.
- Et c'est moi que vous chargez de la besogne.
Les deux êtres éclatèrent de rire, ce qui se traduisaient uniquement par le bruit. Les deux êtres ne bougeaient toujours pas.
- Oh non, non... Pour le tuer, il faut autre chose qu'un humain... (La silhouette blanche se retourna vers celle plus menue de sa sœur) Il faudra sans doute le changer...
- Je sais, je sais... cela, je m'en charge. Contentes-toi de changer la finalité.
La tête sans visage se retourna à nouveau vers lui et malgré des années à ne rien craindre, il trembla. Il entrevoyait à peine ce qui se trouvait sous la capeline et ça le terrifiait.
- Pour tuer le Monstre, il faut une lame patiemment forgée, des années et des années d'affutage et de polissage... Et surtout, il faut l'impulsion pour que cette lame soit parfaite dans son rôle. Nous te donnons cette lame.
- A moi? Mais je croyais que je...
- Et nous te prendrons un fils.
N'importe qui d'autre aurait eu peur mais jamais le guerrier ne s'était soucié de ses enfants, pas plus que de la femelle qui les avait portés. Il la nourrissait, par son statut au sein du village, elle était respectée... qu'elle s'en contente. Pour ses enfants, pareil. De toute façon, il en avait trop.
- D'accord. Mais cette lame a intérêt à être bonne!
- Elle sera parfaite.
Le guerrier leva la main pour recevoir cette épée et repartir à la bataille. Mais l'homme en blanc le relâcha et s'éloigna sans plus un mot. Il cligna des yeux, incrédule et ne sentant pas la femme s'approcher. Ce n'est qu'en sentant ses doigts à elle lui rentrer dans le crâne qu'il comprit qu'elle n'était pas partie et qu'elle commençait à peine. Heureusement pour lui, il s'évanouit presque immédiatement.
Il ne se réveilla pas. Comment pouvait-on appeler réveil ce qui le tira du néant sans douleur mais sans aucune joie. Il faisait nuit, la neige était glacée sous son visage mais il ne sentait pas la brûlure lente de la glace. Il ne sentait pas sa jambe, ni son dos... Rien que la soif. Pourtant, il bougea doucement, peut-être pour épargner ses os meurtris... sauf que ses os n'avaient rien. Il regarda ses mains, sans gants. Elles étaient pâles mais plus d'engelures. Ses ongles n'étaient plus cassés. Il fit jouer les muscles de son dos et tout fonctionnait parfaitement. Tellement soif par contre.
En se levant, il eut l'impression de voir d'autres choses que la neige. Tout vivait autour de lui alors que le jour, tout semblait si mort. Si froid. La nuit était chaude... Et cette soif! Il tendit la main vers la neige pour en prendre un peu mais il suspendit son geste. La neige ne lui faisait pas envie. L'hydromel ne l'étancherait pas.
- Sigur!
Il se retourna lentement pour voir au loin quatre hommes qu'il reconnut aisément. Ils étaient de son village. Ils l'avaient retrouvé. Ils étaient loin mais le guerrier sentit leur sueur aigre de l'homme qui court dans le froid, il vit leurs fourrures encore raides de froid, il entendit le cliquettement des épées qui n'étaient plus dans les fourreaux. Pire que tout, il entendait le galop impétueux des cœurs et ce bruit furieux le fit sourire. Il inspira longuement et expira tout aussi lentement. Il savourait d'avance le repas qui venait vers lui à toutes jambes. Les fous. Les imbéciles...
Il se laissa tomber en avant et juste à la seconde où il n'aurait pas pu se rattraper, il chargea. La sensation des crocs plongeant dans la chair, le sang chaud qui cascadait dans sa gorge... Jamais auparavant il n'avait ressenti de telles choses... C'était prodigieux. Son seul regret... C'était si court. Tellement court. Mais quatre hommes en pleine force de l'âge, c'était plus que suffisant pour un premier repas. Il se sentait même un peu... Comment dire... ballonné? Il avait trop mangé ou trop bu...
Dieux que la Nuit était belle. Dieux que tout cela était beau! Et Grand! Et...
Il avança, le pas léger, presque sautillant. Même après trois cruches d'hydromel, il ne s'était jamais senti dans un tel état d'euphorie.
- Vouloir... Tout, tout de suite... Et l'obtenir.
Sigur venait enfin de naitre.