Préquelle 2: Dans les yeux de Sienna
Trois jours avant LE grand évènement, je rencontrais pour la première fois Sienna Brown. Sa venue à Monterey était fortement attendue par Caroline, ce qui était normal vu que Sienna avait été choisie comme Demoiselle d’honneur. Mais Sienna était, pour la majorité d’entre nous, une totale inconnue. La meilleure amie de ma fiancée et je ne l’avais jamais vue, à peine l’avais-je eu cinq ou six fois au téléphone… Il faut dire que Sienna vivait en Europe, en Suède pour être exact. D’après Caroline, elle avait quitté la Californie avec son diplôme à peine en poche pour fuir en Europe pour suivre un petit ami. Mais c’était l’amie d’enfance de Caroline et on pouvait difficilement empêcher ma future femme d’avoir ce qu’elle voulait, y compris Sienna en Demoiselle d’honneur. Personnellement, ça ne me posait aucun problème mais je pouvais sentir la jalousie de ma future belle-sœur et des trois autres copines de Caroline et l’intérêt plus qu’évident de Karl, mon témoin, et du reste de mes potes. Tout ce petit monde imaginait une belle suédoise blonde comme les blés avec un teint de pêche et athlétique en diable. Moi, je me doutais que Sienna Brown n’avait rien d’une suédoise, surtout parce que Caroline m’avait montré les vieilles photos et que Sienna était métisse… Mais ça me faisait doucement rire de les laisser se faire des films.
Etant donné que je ne refusais rien à Caroline, je suis allé la chercher à l’aéroport. Avec trois petits curieux qui n’étaient autre que Karl et ses deux frères et qui se sont monté le bourrichon durant tout le trajet en voiture… Je n’ai rien dit. Même aux arrivées, je l’ai soigneusement fermé en les observant tendre le cou à chaque fois qu’une blonde passait devant nous. Dès qu’il a su que Sienna arrivait, Terry, le petit frère de Karl, s’est mis en tête d’apprendre quelques mots en suédois et donc répétait « God Morgon » en boucle. Je me suis sincèrement demandé combien de temps j’allais pouvoir tenir avant d’éclater de rire.
C’est Sienna qui a sauvé mes amis de l’effroyable spectacle de ma personne se roulant par terre de rire. Elle s’est posté devant moi, qui avais fait l’effort de tenir une pancarte avec son nom marqué dessus et m’a tendu la main.
- Bonjour… Tu dois être Cole.
Il y a des gens qui me subjuguent instantanément et je deviens incapable de parler pendant plusieurs secondes. Sienna en faisait partie. Mieux encore, elle avait réussi à étendre mon état d’hébétude à mon petit groupe. Dieu qu’elle était belle ! J’ai toujours trouvé les métis tellement beaux que j’en étais jaloux mais Sienna… Sienna était Sienna… Sa peau couleur chocolat au lait rendait ses yeux verts encore plus lumineux, sa bouche était pulpeuse, un peu boudeuse mais ça lui allait tellement bien… Mais ce qui m’a scotché au mur, ce fut sa voix. Je suis incapable de moduler ma voix comme elle le faisait mais elle vous donnait l’impression de vous caresser rien qu’en vous saluant. Sienna était une superbe femme. Et, honte à moi, j’ai mis l’image de Caroline à coté et j’ai trouvé ma fiancée terne et quelconque en comparaison.
Il y en avait un qui jubilait, par contre. La première chose que Karl m’avait dit après avoir accepté de devenir mon témoin était sa volonté de suivre la tradition qui voulait que le témoin et la demoiselle d’honneur finissent dans le même lit. J’en étais presque jaloux mais je me suis rappelé que j’avais Caroline… Et là, j’ai été vraiment jaloux. Soyons honnêtes, je n’épousais pas Caroline pour son physique mais parce qu’elle prenait soin de moi depuis quatre ans et sans faillir. Ma mère a failli faire une crise cardiaque quand elle a appris que je voulais m’installer à San Fransisco. Elle s’est calmée instantanément quand je lui ai dis que c’était avec Caroline. Sienna, toute magnifique qu’elle soit, n’était pas celle qui me ferait me sentir chez moi.
Pourtant, j’aurais dû me méfier. Dans la voiture, j’étais le seul à qui s’adressait l’amie de ma femme. Ce qui était bizarre… Bon, certes, Caroline n’arrêtait pas de dire que j’étais beau garçon mais Karl, par exemple, me semblait bien plus intéressant à regarder que moi. Seulement, Sienna s’évertuait à ignorer Karl et particulièrement Terry avec ses tentatives de discussion en suédois qu’elle considérait avec une moue légèrement méprisante avant de me sourire et de me poser une question sur le mariage ou sur mon boulot. Histoire de détendre l’atmosphère, je répondais en faisant en sorte d’inclure Karl et de le faire rebondir sur une anecdote à mon sujet. Je n’aime pas les ambiances tendues et j’essaye toujours d’aplanir les choses. C’est sans doute pour ça que tout se passait idéalement avec Caroline : Nous n’avions jamais de disputes. Même quand elle avait tort, je prenais la faute sur moi et je la laissais se rendre compte de sa bourde. Ce qu’elle faisait invariablement en s’excusant d’être une telle peste.
Les évènements n’allèrent pas en s’améliorant, hélas… Mis à part Karl et les hommes déjà mariés, les invités masculins se rendirent vite compte que Sienna les snobait à mon profit. Karl, lui, restait persuadé qu’il avait ses chances. Par contre, Terry vint me voir le soir-même pour me balancer à la figure que mon attitude envers Caroline était dégueulasse vu que je draguais sa demoiselle d’honneur. Là, j’ai eu peur. J’avais beau savoir que c’était de la pure méchanceté de la part de Terry (qui m’accusait régulièrement de lui piquer ses copines avant que je ne rencontre Caroline), je craignais que Caroline ne pense de même et je suis allé lui parler. Etrangement, ma fiancée était ravie de mon attitude avec Sienna puisque sa meilleure amie l’avait félicité d’avoir mis le grappin sur un homme si doux, si attentionné… Et je me suis demandé si Caroline avait bu. Personne en ce monde n’était plus jaloux que ma fiancée. Certes, cette jalousie tombait plus volontiers sur les femmes qui me regardaient mais quand elle était fatiguée, elle me reprochait de faire exprès d’attirer les regards. Avec Sienna, non. Au contraire ! Caroline avait tellement peur que Sienna se sente seule qu’elle m’avait conseillé de la sortir en ville pendant qu’elle dinait avec l’un de ses clients. Oui, Caroline était publiciste Junior et avait une belle carrière devant elle.
- Mais… Il vaudrait pas mieux Karl ?
- Bébé, je crois que Sienna n’aime pas Karl. Je l’aime bien mais son côté coureur de jupons n’est vraiment pas ce qu’il lui faut.
- Oui, bon… J’admets qu’il est un peu lourd mais…
- Sienna sort d’une relation difficile. Elle ne sent pas menacée par toi.
Et c’était parfaitement logique, après tout ! J’étais le fiancé de sa meilleure amie d’enfance, il m’était difficile de la draguer sans passer pour le pire des salopards. Alors, je l’ai cru. J’ai proposé à Sienna une ballade dans la ville, ce qu’il y avait de moins compromettant que j’ai pu trouver en si peu de temps. Ce fut un calvaire. Quand j’étais avec Caroline, je n’attirais pas les regards. Ou rarement. Avec Sienna qui avait glissé son bras autour du mien, je n’ai jamais vu autant de haine de la part d’autres hommes. Dieu que je me sentais mal… Ce fut sans doute la raison pour laquelle j’ai accepté la proposition de Sienna de passer sur la plage alors que la lumière déclinait. Il y avait moins de monde sur la plage la nuit et je me disais que je subirais moins ces regards envieux. Je n’aime vraiment pas ça. Toute ma vie, je me suis astreint à être apprécié au plus de monde possible, à être agréable à tout le monde au détriment, parfois, de ce que je pensais. Je supporte très mal quand on m’en veut, vraiment très mal. Je peux supporter qu’on m’ignore ou qu’on ne se rappelle pas de moi mais qu’on me haïsse…
- Elle a de la chance… me murmura Sienna à l’oreille.
J’ai redressé la tête pour la regarder, un peu surpris de la voir si proche de moi et de déceler dans ses yeux quelque chose de plus charnel qu’amical.
- Euh… Caroline ? Oh, non, c’est moi qui ai de la chance de l’avoir trouvée.
Elle a eu sa charmante petite moue qui devait lui avoir valu des tas d’hommes rampant à ses pieds.
- Tu parles… Avoir un si bel homme qui lui passe tous ses caprices… Je la connais, ma pauvre petite Lina. C’est une grande faveur que tu lui as faite.
- Mais… c’est moi qui lui ai demandé de m’épouser.
- C’est ça, oui…
- Si, je t’assure !
- Elle t’y a poussé. Je la connais, je te dis. Elle t’entortille autour de son petit doigt pour avoir un trophée. Elle a besoin de son charmant petit animal de compagnie. Et c’est tombé sur toi. Je parie qu’elle t’a fait le coup de devoir partir bientôt et de vouloir quelque chose qui ne pourra jamais vous séparer, non ?
J’aurais dû lui dire que c’était faux. J’aurais dû la repousser… Et j’ai réfléchit à ce qu’elle m’a dit. D’ici trois mois, Caroline devait avoir déménagé à Cincinatti où elle aurait une position supérieure à celle qu’elle avait. Elle avait eu l’air tellement malheureux de devoir quitter Monterey que j’ai fait la seule chose qui me semblait juste à ce moment-là : Je me suis mis à genoux et je lui ai demandé de me laisser venir avec elle en tant que son époux. Son sourire a été ma plus belle récompense… Jusqu’à ce que Sienna ne m’empoisonne l’esprit. Je ne voulais pas aller à Cincinatti, moi. Je suis quelqu’un de très casanier et devoir déménager était une torture pour moi, cependant, je m’étais dit que si j’étais avec Caroline, tout irait bien et qu’elle saurait prendre soin de moi, comme elle l’avait toujours fait. Et je me suis rappelé ce que mes parents m’avaient dit en apprenant la nouvelle… que c’était dommage d’aller si loin et que Caroline aurait pu trouver aussi bien et plus proche.
C’est à cause de ça que je n’ai pas senti Sienna s’enrouler autour de moi. C’est uniquement quand elle a posé les lèvres sur les miennes que j’ai arrêté de penser au fait que Caroline faisait exprès de me couper de mes repères pour que je sois totalement à sa merci. Rectification : que j’ai arrêté de penser.
Je ne me rappelle pas de la suite. Je me rappelle juste de m’être réveillé dans un motel miteux en entendant une douche dans la salle de bains d’à côté. Je savais que c’était Sienna. Je sentais son parfum, comme je sentais l’odeur du sexe autour de moi. J’avais mal partout… Sienna est sortie de la salle de bains, nue et superbe, bien sûr… Elle s’est appuyé sur le chambranle et m’a murmuré avec un ronronnement tentateur :
- Maintenant, tu es à moi…
Quelque chose qui était tapi au plus profond de moi a remonté jusqu’à ma gorge et s’est exprimé avec un grondement sourd :
- Non.
Le 17 Mars 2000, Caroline Mary Howard n’épousa pas Cole Trevor Shermann. Elle attendit toute seule devant l’église tant que le soleil était présent et à son coucher, elle rentra chez elle et annula la semaine à Hawaï.
Deux jours plus tard, les parents de Cole signalèrent sa disparition à la police.
Personne ne signala la disparition de Sienna Brown.
Personne n’eut de nouvelles de Cole pendant de longues années.
Mais ceci est une autre histoire.