Chapitre 10: Quelques réponses... Enfin!
La première chose qui m’étonna chez Taylor, c’est que, malgré son accès de désespoir qui l’avait conduit à se jeter d’un immeuble, il prenait tout ce qu’il lui arrivait avec facilité. Il nous accueillit avec un bon sourire, toujours éclatant malgré la crasse qui le recouvrait. La seconde chose qui me stupéfia, c’est que sa capacité à régénérer dépassait la mienne… J’étais déjà un monstre mais en le voyant remettre son cou brisé en place ainsi qu’une de ses épaules qui dont la clavicule perçait la peau sans éprouver à peine plus d’inconfort que celui de remettre une bretelle de sac à dos récalcitrante, je commençais à penser que le tuer allait être compliqué. Si on avait besoin de le tuer bien sûr.
- Comment ça se fait que les Affamés ne vous sautent pas dessus ? commença-t-il avec un sourire ravi. Vous êtes les secours ? Vous venez du Sicarius ?
Je devinais que sous son accès de questions de gamin de cinq ans, il éprouvait un tel soulagement à voir des personnes réelles qu’il ne pouvait s’empêcher d’essayer de nous plaire : Grands sourires, attitude douce et épaules voûtées pour ne pas paraître menaçant. A ce moment-là, j’ignorais ce qu’il avait vécu pendant les deux semaines de quarantaine mais malgré les effluves de sueur rance qui s’échappaient de son col, je sentais que cette épreuve l’avait marqué à jamais.
A ce moment-là, j’étais très loin de la vérité.
- Dans l’ordre : On sait pas. Normalement non puisqu’on nous a tellement retardé qu’il ne doit plus y avoir grand-chose à sauver. Oui.
- Vos yeux blancs… Vous êtes l’abomination ?
N’eut été son expérience désastreuse d’une zone de contamination, je lui aurais collé mon poing dans la gueule. Il a dû le voir puisqu’il a fait une grimace.
- Désolé. Je parle à tort et à travers.
- Je préfère le terme d’hybride, si ça ne vous dérange pas…
- Sauf que c’est un terme impropre scientifiquement. Les virus se n’hybrident pas… Mais est-ce qu’on peut vraiment parler de Virus dans le cas de V ou de W en dehors de la nomenclature préétablie et malheureusement fausse? Des molécules qu’on ne peut pas déceler et qui change drastiquement le code génétique de son hôte ? On nage en pleine science-fiction… Non, pour le moment, la science ne peut pas expliquer les surnaturels puisqu’on a à peine identifié une trentaine de gènes sur les 25 00 qu’on a répertoriés… Et on n’a pas tout vu !
Yuna et moi sommes restés bouche bée devant cet étalage. Jusque-là, j’ignorais même qu’on ait commencé à séquencer l’ADN des garous et des vampires, si tant est qu’un séquençage ADN soit possible. Passée la surprise, je me suis vraiment inquiété. Ni les Grands, ni le Fenris n’avait autorisé la moindre recherche scientifique sur le sujet, les premiers par peur de ce qu’on en ferait, le second parce qu’il tenait à respecter les traditions garous et que la Science avait du mal à rentrer parmi les Meutes les plus vieilles.
- Comment vous savez tout ça… ? demanda Yuna qui avait dû suivre le même cheminement de pensées que moi.
- Je travaillais pour Astella, avant de me faire virer… J’étais le chef du labo surnaturel. On bossait sur les applications d’une thérapie génique à base de gènes surnaturels, vampire et garou. C’est comme ça qu’on a trouvé le vaccin pour Ebola.
Vous connaissez l’expression « tomber de Charybde en Scylla » ? Je venais d’apprendre qu’un groupe de personnes avaient fait des recherches sur nous, puis on m’avait achevé avec la nouvelle selon laquelle un vaccin avait déjà été pensé, fabriqué et même vendu en utilisant des gènes surnaturels… Comme la majorité de l’humanité, j’avais accueilli la nouvelle du vaccin d’Ebola avec joie, preuve que la recherche scientifique avait de beaux jours devant elle. Si j’avais su qu’il s’agissait d’un gène vampire qui tuait les virus dangereux pour leurs hôtes, j’aurais été bien plus circonspect, surtout avec la théorie d’Azul sur la contamination passive de 10% de la population mondiale.
- Quoi ? Fut la seule chose que je pus exprimer.
- Bah oui… Le Vaccin DV-63… Vous connaissez pas ?
- Si, mais… Vous avez foutu quoi dedans ? Des gènes vampire et métamorphe… ?
- Non, seulement vampire. Un allèle immunise contre la contamination sanguine et booste les anticorps contre les maladies de type Ebola qui attaque le foie et les reins. Mais… vous le saviez.
Nous sommes restés comme trois idiots à nous regarder et sentir monter la panique pendant que les Zomb s’écartaient de nous. Je ne savais pas que DV-63 avait été créé avec des gènes vampires, le docteur Taylor ne savait pas que je ne savais pas et il commençait à comprendre que malgré tout ce que lui avait assuré Astella, nous n’avions jamais autorisé le séquençage génétique des surnaturels. Pire que ça, on ne nous a rien demandé.
- Je vous jure qu’il y avait votre signature sur le contrat… essaya de se justifier Taylor.
J’aurais pu continuer à m’inquiéter du fait qu’Astella nous avait tous bien enfumés mais je me rappelais qu’un vaccin avait été donné à des gens… et que ce vaccin les avait contaminés.
- Oh merde… Y’a plus de cas de contamination passive qu’on le croyait…
- Mais ça marche avec le V ? Demanda Yuna.
- Contamination passive ? Intervint Taylor.
- Euh… J’en sais rien. Et la contamination passive touche une partie de la population par l’échange de sécrétions. Mais le virus ne s’active pas. On ne sait pas encore comment.
Je n’allais pas non plus tout dire à ce rat de laboratoire !
- Oh, c’est simple ! S’exclama t’il. Il ne s’active pas parce qu’il n’a pas besoin de s’activer. L’Hôte va bien donc le Virus ne le change pas. Cela dit… Je ne suis pas sûr que le V marche comme ça, d’autant plus que le V ne survit que 48 h dans le sang humain s’il ne l’a pas modifié. Pas besoin de garde-fou pour celui-là.
- Mec…
- Appelez-moi Taylor.
- Taylor, je ne sais pas si je dois vous aduler ou vous arracher la gorge…
- Désolé.
- « Pas besoin de garde-fou pour celui-là » ?
- Euh… Le Virus W a des paramètres d’activation bien plus lâches que le V. Pour le V, il faut un état d’exsanguination avancé, ce qui permet au V de se loger dans la moelle osseuse pour créer son propre sang, un sang dans lequel il peut survivre et se reproduire. W peut se contenter d’être semi-latent pendant des mois, tant que l’hôte n’a pas besoin de lui. Mais si l’hôte éprouve une terreur telle que ça lui provoque une crise cardiaque, il s’active et lance le changement pour adopter une forme qui pourra survivre. Or, W peut survivre des mois dans le corps humain.
Yuna me regarda avec l’air de quelqu’un qui n’en pas capté la moitié.
- Mais de quoi il parle ?
- Azul et moi pensons que le Virus W reste dans le corps tant que l’hôte éprouve un stress continu. C’est peut-être une question d’hormones.
- Entre autres, précisa Taylor. Mais il est vrai, principalement une histoire d’hormones.
- Ok, Soupira mon garde du corps qui se foutait royalement de nos considérations médicales. Et les Zomb’ ? c’est dû à quoi ?
Le Docteur se gratta la tête et perdit une bonne part de sa bonne humeur.
- Aucune idée. Je ne connais pas d’épidémie qui ont ces symptômes et qui permette à ce que les malades survivent à tout ça.
- Bah, ce sont des Zombies, c’est normal.
Je me sentis obligé de renifler un instant et de dénicher l’odeur suspecte de la nécromancie. Certes, une ville à l’abandon n’a pas un parfum exquis mais je n’arrivais pas à déceler la moindre odeur de magie, sauf sur moi et sur Yuna. J’allais leur signaler que personne n’avait relevé les morts quand Taylor esquissa un sourire méprisant :
- Je m’inscris en faux, demoiselle, c’est une maladie ! Si j’avais mon équipement, je vous aurais même montré le parasite qui en est responsable.
- Un parasite ?
- Je n’explique pas autrement leur comportement.
Je regardais autour de nous et je vis que les Zomb’ faisaient un arc de cercle parfait dans la rue, nous évitant parfaitement. C’était un grand changement par rapport à une heure auparavant où ils ne nous voyaient tellement pas qu’ils nous bousculaient. Pourtant, je décidais que ça pouvait attendre : Nous avions un survivant, il serait mieux de le mettre à l’abri.
- Bon, on verra ça plus tard, on va vous ramener à la civilisation.
Il eut un mouvement de recul et se colla contre le mur.
- Non. C’est la pire connerie à faire.
- Pourquoi ?
- Je suis contaminé…Lourdement si j’en crois les premiers symptômes.
Nous l’avons regardé tous les deux et nous avons remarqué que mis à part les yeux rouges et la crasse, il était dans une forme exceptionnelle. De plus, il semblait avoir gardé toute sa conscience et surtout sa morale qui l’empêchait de se mettre à l’abri pour ne pas contaminer des innocents. J’avais d’abords pensé que le Docteur Taylor était lui aussi un surnaturel, sans doute un demi-Fae, pour avoir les yeux rouges, mais je ne m’expliquais pas sa régénération.
- Quels symptômes ?
Si les Zomb’ ressemblaient effectivement à des zombies de film d’horreur, Taylor ressemblait à un participant du Mud Day[1]. Dégueulasse mais prêt à recommencer à courir pour le fun. Cela dit, les derniers lambeaux de sa bonne humeur se dissipèrent quand j’évoquais ses symptômes.
- Je… J’ai… Bafouilla-t-il. J’ai bouffé des gens.
Ah.
Bon… Ca n’invalidait pas le demi-fae qui découvre ses pouvoirs et son ascendance d’anthropophage… Cela dit, un Demi-fae, tout comme les Faes eux-mêmes ont une faiblesse dramatique face aux maladies et aux infections. Certes, ils peuvent s’en remettre grâce à la magie mais aucun demi-fae ne se réveille un jour avec toute la connaissance d’un mage de vie. Quand bien même il a été un médecin émérite.
- Y’a plus aucune nourriture ? Demanda Yuna.
- Je sais pas… C’est juste… Il fallait que je le fasse. C’est pour ça que je pense que c’est un parasite. Il doit être logé dans le cerveau et contrôle la faim et l’agressivité.
Je me suis retourné vers les Zomb’ et je me suis approché d’un qui avait le crâne à moitié éclaté. Le Zomb’ n’a pas bougé d’un poil alors que je commençais à trifouiller sa cervelle. De l’autre côté de la rue, Taylor fronça les sourcils et murmura :
- Alors, ça… C’est pas normal : il devrait se défendre mais il n’a pas l’air de vous voir.
- On s’en est aperçu quand on est rentrés dans la Zone Rouge. Aucun métamorphe n’est remarqué par les Zomb’. Lui répondit Yuna alors qu’elle s’approchait d’une voiture et tentait de voir si elle démarrait.
- Affamés.
- C’est la même chose.
Je n’allais pas rentrer dans la polémique mais je voyais déjà Azul rentrer dans la dispute et décréter que Zombie était un terme impropre puisqu’il n’y avait pas de magie vaudou dans l’air. Je me suis donc concentré sur la cervelle de mon zomb’, un amas de matière grise et grandement attaqué par la pourriture, mais de parasite, point de visible. J’ai tout arraché pour voir si ça déclenchait quelque chose mais le zomb’ continua à tituber sur lui-même comme si je l’avais juste bousculé. Et pour le coup, j’avais vraiment l’air d’un con avec ma cervelle en voie de décomposition dans les mains.
- Expérience intéressante. Vous pouvez me ramener l’échantillon, s’il vous plait ?
J’ignorais encore que Taylor était un bourreau de travail et que chaque occasion en est une d’apprendre encore plus de choses mais ça me surprend toujours autant. Je lui ai donc ramené tout en la reniflant et j’ai été surpris de ne pas sentir le dégoût qui me prenait à chaque fois que je me trouvais trop près d’une chair humaine potentiellement consommable. Au contraire, même. Taylor me la prit des mains et la posa sur le couvercle de la benne à ordures dont il sortait.
- Étonnant… Dégradation avancée des tissus et pourtant il en reste qui serait parfaitement fonctionnel… s’il se trouvait toujours dans une boite crânienne. La victime a été abattue par un pistolet… Je dirais du 9mm Parabellum…
- Vous faites aussi médecin légiste ?
- Ça m’arrive… Mais surtout, c’est de la déduction. L’armée nous tire dessus régulièrement et le 9mm est le calibre le plus répandu au monde. Bon… Cela dit, je ne vois pas de parasite ni de tissus enflammés qui indiquerait sa présence. Ma théorie du parasite vient de s’écrouler… Repose en paix, petite théorie.
J’ai failli rire. Voir travailler Taylor, c’est un régal : il ne parle pas à ses collègues de labo, il ne parle pas aux échantillons, il parle à ses théories.
- Peut-être que le parasite est plus bas, dans la nuque ou la colonne vertébrale.
- Impossible. Ça contrôlerait les mouvements, pas l’agressivité.
- Désolée, je tentais…
- Merci de votre effort…
Bon… Il ne pouvait pas savoir que ma Louve ne supportait pas le sarcasme… Mais là, je ne pouvais pas le défendre. Il se retrouva donc collé au mur et maintenu par le cou par une Yuna qui avait décidé de sortir les griffes et les crocs. Taylor a été surpris, évidemment, mais il s’est mis à sourire :
- Ah, donc l’histoire de la super force, c’est pas des conneries ! Je pensais que c’était juste un accroissement de la masse musculaire.
- Au bout d’un moment, je vais finir par croire que vous générez naturellement votre propre THC…
- La blague est jolie.
- Merci. Excusez-vous auprès de la demoiselle, maintenant.
- Pardon, mademoiselle…
- Yuna, repose le monsieur.
- Mais…
- Yuna…
Depuis sa petite vengeance sur Elena avant qu’on sache que les Zomb’ avaient attaqué, Yuna jouait beaucoup les insolentes. Je suppose que c’est une manière de montrer qu’elle glissait lentement mais surement vers le Grade 8. Cependant, je devais la recadrer régulièrement depuis une semaine et ça me saoulait d’endosser le rôle d’Alpha pour ma propre meute.
Elle lâcha Taylor un peu rudement et partit bouder un peu plus loin. Je soupirais et je la vis se crisper mais elle ne se retourna pas, attendant surement la punition. Je ne lui fis pas ce plaisir et je détournais la tête, ce qui était largement pire. Normalement, j’aurais dû lui talocher la tête ou mieux, lui mordre le nez ! Mais je ne fais pas ça en public. Et c’est à ce moment-là que je me suis dit que le Docteur Taylor était un connard suicidaire :
- On a rarement l’occasion de voir évoluer deux loups-garous ensemble… C’est une parade nuptiale ?
Je me suis retenu de lui arracher la tête jusqu’à ce que Yuna éclate de rire et se retourne tout sourire.
- Et non, la Compagne de l’Alpha doit être extérieure à la Meute. Je suis juste la honteuse petite maîtresse…
Elle plaisantait, bien sûr, mais sa plaisanterie lui valut un regard noir de ma part et puis je me décidais à agir en Alpha : Je l’ai chopé par le bras et je lui ai mordu le nez. Oh, gentiment, hein ! Pas question de lui arracher le pif mais plutôt de faire sentir mes crocs. Chez les loups-garous, c’est considéré comme un avertissement : Ne recommence pas. En général, ça suffit à calmer l’importun et je crois que Yuna n’attendait que ça.
- En fait, c’est ma petite sœur, essayais-je de clarifier mais entre mes cheveux noirs, la blondeur de Yuna et la forme de nos visages, il était clair que ça ne passerait pas.
- C’est ça, oui… Vous savez, c’est la seule fois où j’ai pu en apprendre autant en si peu de temps. Vous êtes bien plus complexes qu’on ne pourrait le croire.
Taylor se prit le menton dans la main et s’adossa contre le mur. Il resta quelques secondes les yeux dans le vide.
- Si ça se trouve, c’était une connerie… Peut-être un simple allèle aurait modifié toute la donne… Mais non, c’est con ! Le problème ne venait pas du virus en lui-même mais de son élimination…
Yuna se tourna vers moi, la gorge découverte pour montrer sa soumission, et me murmura le plus bas possible :
- Je ne suis pas bien sûre que ce type soit ce qu’il prétend être : Quand bien même il serait contaminé, je le trouve en super bonne forme…
- Je suis d’accord, mais qui pourrait-il être d’autre ?
- Un pôle de contamination ambulant ?
- Ce serait supposer qu’il soit au courant. J’admets que la moitié des signaux de ce type ne me parvienne pas mais il m’a l’air honnête.
- Et donc ? On en fait quoi… ?
- C’est peut-être la seule personne qui sait quelques trucs sur ce qu’il se passe dans le Bronx. Alors, on le fait parler.
Nous nous sommes approchés avec un sourire faussement aimable et j’ai toussé pour attirer son attention. Taylor s’était retourné et écrivait sur le mur en utilisant un crayon qu’il avait dû trouver dans la benne. Je ne comprenais pas un mot de ce qui était marqué mais en quelques minutes, il en avait couvert sa partie de mur.
- Euh… Docteur Taylor ? L’appelais-je puisqu’il n’avait pas réagi à mon toussotement.
- Hum ? Oh, vous êtes toujours là ?
Sa capacité de concentration me laissait sans voix. Heureusement, Yuna n’a jamais été impressionnée par les génies.
- On a besoin de plus d’informations. Vous êtes là depuis le début de l’épidémie ?
- Oh, euh… Je pense que oui.
- Ça a commencé comment ?
- Et bien, je me suis réveillé dans la station de métro…
- Laquelle ?
- Morris Park.
Yuna m’a regardé et j’ai compris que Taylor avait été dans l’épicentre de l’épidémie.
- Ensuite une femme m’a attaqué mais j’ai fui dans le tunnel. Maintenant que j’y pense, les rames n’étaient plus en fonctionnement… C’est une bonne chose parce que j’étais tellement paniqué que j’aurais pu me prendre un métro dans la gueule sans m’en rendre compte.
- Attendez… réveillé dans la station de Morris Park ?
- Oui, deux soldats m’ont attaqué… J’ai jamais compris pourquoi… Enfin, au départ j’ai cru me prendre une vraie balle mais en fait ça devait être en caoutchouc…
- Pourquoi vous pensez ça ?
- Balle dans la tête. Ça m’a couché !
Je me suis approché et j’ai regardé son front.
- Je peux… ?
- Si… Vous voulez… C’est une tradition garou ? De toucher la tête des gens, je veux dire…
- Pas du tout. C’est pour ça que je vous ai demandé la permission. (En sentant une petite bosse, je me suis tourné vers ma Louve :) Tu peux me filer la pince à épiler, s’il te plait ?
Avec le thermomètre de front, la viande séchée et le gel qui nous permettait de neutraliser notre odorat, la pince à épiler fait partie du kit obligatoire du Métamorphe en ville. Je fis une entaille sur la peau de Taylor et je tirais ce qui dépassait.
- Une balle en caoutchouc, hein ? Fis-je remarquer au docteur en lui montrant le calibre 5.56 OTAN que je venais de lui extraire du cerveau.
- Oh…
Pour le coup, il a été particulièrement choqué et m’a pris la balle de la main, les yeux fixés sur le bout de métal qui était à peine déformé. Sa respiration s’accéléra et il fut sur le point d’éclater en sanglots.
- Je… Je suis déjà mort ? Merde…
- Vous respirez, votre cœur bat… Non, vous êtes vivant.
- Mais ce n’est pas normal… Un tel calibre aurait dû me transformer le cerveau en capilotade… Je suis un métamorphe ?
Comme les survivants de Columbia, je ne sentais pas une once de parfum profond de métamorphe mais, contrairement à eux, Hunt avait une influence sur lui et l’empêchait de péter les plombs.
- Non… Enfin, je ne sais pas trop. Tout ce que je sais, c’est que vous êtes vivant.
- Ce n’est pas logique…
- Je suis d’accord.
- Aucune de mes expériences n’a pu conduire à ça… A moins d’une mutation… Non, c’est pas…
- De quoi vous parlez ?
Pour la première fois depuis le début de notre conversation, Taylor m’a regardé dans les yeux et j’y ai vu un écho de ma propre confusion à chaque fois que je comprenais quelque chose de trop gros pour moi.
- Je ne… Je n’ai pas eu le temps de le tester. Je devais d’abords voir si le suicidaire était suffisant. Et… Il ne l’était pas suffisamment.
- Le suicidaire ? Et qu’est-ce que vous n’avez pas testé ?
Il ne m’a pas répondu et je voyais son cerveau fonctionner à plein régime. Je lui ai donc attrapé le cou pour le secouer.
- Répondez-moi !
- On… On m’a demandé de créer un… Une possibilité d’amener le corps humain à régénérer ses organes perdus… Je me doutais que c’était en fait pour amener à une cure de jeunesse mais…
- Vous avez utilisé la régénération vampirique…
- Non, la régénération Garou. Je comprends mal la vampirique et je ne comprends pas comment il est possible d’être à moitié mort et vivant. Bref… W-T n’était pas prêt. Le Suicidaire n’était pas au point… Je le sais, je l’ai testé sur moi.
Là, je me suis écarté de lui et je l’ai regardé avec horreur. Je commençais à penser comme Yuna, que Taylor était un agent contaminant. Cependant, il n’en était pas conscient parce qu’il était stupide ! Bordel… Taylor a dû voir que je le prenais pour un dingue et a repris :
- Le suicidaire ne s’active que lors d’une injection d’acides aminés, une séquence très précise. Et son but est d’amener le virus cible à se détruire et à ne laisser que des protéines et glucides inoffensives qui seront évacuées naturellement. C’est le garde-fou ! Le seul problème est que, lors de mon test, le Suicidaire n’avait pas fonctionné aussi bien qu’il aurait dû.
- Et vous vous êtes injecté W-T pour le tester…
- Non ! Bien sûr que non ! J’ai testé avec une petite grippe.
Il a vite compris que mon opinion sur lui n’avait pas variée.
- Sérieusement, vous trouvez pas plus rassurant de savoir que le scientifique qui a conçu votre médicament l’ai testé sur lui-même ?
Personnellement, non. Yuna, par contre, acquiesça.
- Et donc, vous avez testé un virus Métamorphe sur vous-même…
- Non. Il n’était pas au point. Tant que le Suicidaire n’était pas au point, j’ai interdit les tests sur W-T. Le Garde-fou est là pour empêcher toute mutation non désirée… Et dans le cas d’un Virus à base de garou, une transformation non désirée.
- Sauf que quelqu’un a trouvé ce putain de Virus, est intervenu Yuna en retrouvant ses instincts de flic, et l’a utilisé pour nous foutre dans la merde.
Par nous, elle entendait tous les surnaturels et me mettait sur la piste d’un acte terroriste. Ou plus exactement un coup monté, au niveau de Columbia. Mais ça n’expliquait pas le Bronx.
- Vous avez créé autre chose que W-T ? Genre une version vampirique en premier… ?
- Non. Je vous l’ai dit, le Virus V est une magnifique salope incompréhensible, pour moi.
- J’suis un vampire, vous savez… ?
- Et ? Vous voulez que je vous traite de Salope incompréhensible ? Et pourquoi vous me demandez ça ?
Je décidais d’ignorer sa première question, sans doute parce que la réponse aurait choqué l’assistance et je montrais notre entourage :
- Pour savoir ce que c’est que ce bordel.
- Bah, une mutation de W-T, malheureusement…
- Non… W-T a provoqué Columbia. Il peut pas tout faire.
Il a froncé les sourcils en essayant de souvenir et son froncement s’accentua quand il crut se souvenir.
- La Fusillade ? La veille de la mise en quarantaine ?
- Ce n’était pas une fusillade… Une centaine d’étudiants en ont attaqué plus de six-cents autres et les ont massacrés. Le petit truc drôle, c’est que les étudiants se sont comportés comme des animaux enragés. Non… Comme des humains enragés.
- Et quel est le rapport avec W-T ?
- Ces étudiants étaient tous des cobayes, payés par Astella.
Il y a assez peu de raisons pour lesquelles Taylor s’écroule, c’est donc très difficile de savoir si c’est un conflit moral ou autre, ou s’il ne comprend tout simplement pas ce qu’il lui arrive. Cependant, par souci de clarté, je suis obligé de vous citer ce qu’il m’en a dit, bien plus tard :
« En toute honnêteté, je ne sais pas encore très bien quel sentiment a prédominé en premier. La stupeur, je suppose… Attention, pas le fait que Columbia ait été un massacre différent de ce que j’imaginais, mais le fait qu’on ait répandu le virus. La stupeur et un certain dégoût : J’avais créé un virus qui devait être capable de faire repousser des membres ou des organes et peut-être permettre de passer au-dessus de certaines maladies génétiques… Il ne devait pas tuer. Il n’était pas fait pour ça. Enfin… Il n’aurait pas dû faire ça. Ce qui était la preuve qu’il n’était pas prêt ! Ça m’a donné envie de vomir mais rien ne voulait sortir, ce qui est sans doute mieux.
« Et puis, ça a été la colère et la peur. La colère parce que je leur avais dit que j’étais contre les tests, pas tant que je n’étais pas sûr que le Virus soit prêt. Je leur avais dit que je refusais de conduire les tests tant que le Suicidaire n’était pas au point. Ils m’avaient désobéi ! Et c’est là que j’ai compris qu’ils m’avaient viré pour ne pas avoir un chieur qui va faire un scandale et qui en aurait le droit. La peur… C’est parce que je savais qu’on me mettrait ça sur le dos. W-T, c’est moi. C’est moi qui l’ait conçu. C’est moi qui l’ai nommé… Le T, c’est pour Taylor. C’était mon Bébé… Et on la fait déconner à pleins tubes.
« Quand je suis tombé à genoux, je me suis senti… seul. Abandonné. Personne n’allait m’aider puisque j’étais le monstre. J’étais responsable de ce bordel et on allait me jeter toutes les pierres possibles pour ne pas avoir à taper Astella. Je sentais mon cœur se glacer parce qu’on allait me lapider de toutes les manières possibles. Le pire étant que je n’aurais même pas la possibilité de me suicider pour échapper à tout ça…
« Et puis, tu m’as tendu la main. »
J’ai pris la décision de le ramener au Sicarius, ayant l’intuition qu’il n’était pas plus contaminé que nous. Yuna pensait que le Bronx devait servir de diversion pour Columbia, c’est pour cela que Taylor y était bloqué, ils pensaient qu’il allait y crever puisqu’ils avaient envoyé deux hommes armés pour le faire. Mais quelque chose avait foiré : Taylor avait la capacité de survivre à une balle dans le crâne et pire que tout, il était encore conscient.
Je pensais le ramener en voiture mais les barricades et les zones de quarantaine étaient toujours sous le contrôle de l’armée et Taylor nous a montré les avis de recherche qui le concernaient. Les égouts étaient remplis de Zomb’ et peu praticables, sans compter que tout ce qui sortait des égouts étaient abattus à vue par les Fantassins. J’ai donc appelé la Tanière pour savoir s’ils avaient une solution pour nous ramener avec un colis de 85 kilos qui devait absolument passer inaperçu. Allegro est intervenu à ce moment-là et je n’avais pas entendu une telle joie dans sa voix depuis des mois… Quand il m’a demandé de lui faire totalement confiance et rien qu’à cause de sa voix guillerette, j’ai accepté.
C’est ce jour-là que nous avons appris une chose des plus étonnantes… Alessandro Sarlati, de son nom de vampire, Allegro, avait une passion démesurée pour les hélicoptères. Il arriva donc avec un Black Hawk et se posa sur un toit… Les circonstances qui lui ont fait valoir cet engin sont rocambolesques, surtout en deux heures… Mais vous savez le pire ? Pendant ces deux heures, Allegro avait réussi, non seulement à voler cet hélico à l’armée américaine mais en plus, il a fait en sorte que cet hélico appartienne légalement au Sicarius.
[1] Mud Day : Course de 13 kilomètres dans la boue, dans l’eau, dans les obstacles les plus tarés, tout ça pour le plaisir…