Chapitre 8: En coulisses.
C’est donc sous mon lit que Simon m’a retrouvé. Je ne le savais pas à l’époque mais pour une meute, voir leur Alpha en perdition les démolissaient peu à peu. Il s’était assis juste à coté de moi, laissant juste sa main à ma portée. Une forme de réconfort muette qui allait si bien avec son personnage puisqu’il ne pensait pas qu’il était nécessaire de parler trop. J’ai pris sa main du bout des doigts et j’ai serré, plutôt ravi d’avoir un soutien.
- Je suppose que la séance de souvenirs ne s’est pas bien passée.
J’ai juste poussé un grognement qui ne me compromettait pas. Après tout, il n’avait pas besoin de tout savoir.
- Est-ce qu’au moins on a quelque chose d’exploitable ?
- Je sais à quoi elle ressemble. Je crois même que je sais à quoi elle a l’air sous forme humaine…
- C’est un super bon début. Mais tu n’en as pas l’air heureux.
- On a aucune chance contre elle…
- En un contre un, oui. Mais tous ensemble, je suis sur qu’on a une chance, surtout vu la tronche de notre équipe.
- Pour ça, il faudrait qu’on achète dix bons kilos de citrons verts.
Il a serré mes doigts avec un petit sourire puis a retiré sa main.
- Tu sors de là ?
- J’ai pas envie…
- Vincent…
Au ton de sa voix, je me suis dit que j’allais avoir droit à une tentative désastreuse pour me remonter le moral du genre, nous serons toujours là pour te protéger, les monstres n’existent pas, ne laisse pas la déprime l’emporter… Et bien non.
- Tu le sais que tu es le plus gros des monstres qu’il y a sous le lit, hein ?
Je pouvais difficilement lui dire non. On m’avait créé comme ça : Pour être le plus gros croquemitaine de la planète et foutre la trouille à ceux qui oseraient briser les règles. Comme je ne pouvais décemment pas lui opposer que j’étais en fait une petite chose fragile et terrifiée, j’ai consenti à ramper hors de mon trou.
- Alors… Elle ressemble à quoi, cette saleté de Bête ?
Je lui ai fait le résumé rapide et il a fini par comprendre que les dix kilos de citrons verts étaient devenus obligatoires. Malgré le fait que je sois toujours un peu allergique aux câlins, Simon s’était placé derrière moi pour m’entourer de ses bras et poser sa tête sur la mienne. A ma grande surprise, j’admets que c’était réconfortant. C’était sans doute dû au fait que Louveteau n’a pas râlé et était même plutôt content d’être tenu dans les bras. Voilà, maintenant, vous le savez, quand un Cœur de Meute veut quelque chose, il l’obtient. Louveteau voulait un câlin, il a donc subtilement amené Simon à me prendre dans ses bras. Le pire étant sans doute que Simon n’a rien senti et que Louveteau pouvait le manipuler à sa guise. Encore plus depuis que nous étions dans la même meute… Quand j’ai appris ça, bien plus tard, j’ai commencé à avoir des sueurs froides. Je n’aimais pas du tout avoir ce genre de pouvoir parce que je savais pertinemment que la tentation d’en abuser serait trop forte.
- Donc… a reprit Simon. Il va nous falloir Azul et pas en tant que nécromancienne.
- Peut-être que si. Elle pourrait ramener les gens que la Bête a tués ?
- Non. Ash y avait déjà pensé, histoire d’avoir une armée mais Azul dit que ce serait beaucoup trop dangereux de réveiller des personnes mortes de mort violente.
- Pourquoi ?
- D’après ce que j’ai compris, c’est la vengeance qui les motive… Ce qui serait une bonne chose pour nous sauf que les relevés ont une tendance à ne pas faire la distinction entre coupables et innocents.
- Donc… Dragon.
- C’est déjà pas mal.
Simon m’a relevé en même temps qu’il se levait et a épousseté mes vêtements.
- T’es pas obligé de faire ça.
- Tu sais pourquoi le dessous de ton lit est si propre ? Parce que tu balaies avec ton pull.
- Oui bah… Je me passerais bien de mes crises de panique.
- Tu veux diner à la maison, ce soir ? Anna a décidé de faire des spaghettis bolognaise et tu sais qu’elle en fait toujours pour trente.
- Moui, pourquoi pas…
Depuis la Grande Révélation, j’avais cru que ma dépression nerveuse était terminée et j’avais vécu les années suivantes dans une sorte de rémission qui n’était heureuse ni malheureuse, juste des années qui ont passé sans faire de vagues. Je pensais que c’était bon signe et qu’un jour, je serais guéri pour de bon. Et bien, non. Même si j’admets que le coup a été plutôt rude, il en a suffit d’un seul pour que je m’écroule complètement. C’était lamentable, j’en suis conscient mais…
En toute honnêteté, je ne souhaite ce qui m’est arrivé à personne. Les causes, comme les conséquences. Et pourtant, j’en voulais, inconsciemment, à tous ceux qui allaient bien dans leur tête, Simon en premier, qui avait surmonté sa dissociation en trois petits mois, sans doute avec l’aide d’Anna et de son fils. C’est sans doute pour cela que j’avais commencé à me renseigner sur mes parents et leur situation actuelle. Depuis la Grande Révélation, ma mère avait si bien secoué les associations de recherche des disparus devenus surnaturels qu’elle en était devenu la figure de proue. Cependant, je n’étais pas son fils pour rien et je mettais autant d’énergie à brouiller les pistes qu’elle en mettait à me retrouver. Quant à mon père, il la soutenait avec sa force calme. On pourrait croire que mon père était quelqu’un de lent et de pas très intelligent, surtout comparativement à ma mère qui bougeait tout le temps et avait des intuitions fulgurantes avant de rentrer dans le lard de ses ennemis. Et c’était justement ce qui faisait la force de mon père. Il tempérait son petit lutin de femme et l’empêchait de se mettre dans des situations délicates. Ce qui en arrivait à ma conclusion et malgré mon désir plus qu’évident de les revoir, que je ne pouvais pas les contacter. Une fois, j’ai failli le faire mais j’avais été appelé pour une Décapitation le même jour et… rentrant, couvert de cendres vampiriques, j’ai compris que je ne pouvais pas leur imposer d’avoir un assassin dans la famille. Je me contentais donc de prendre des nouvelles et de les observer de très loin. C’est comme ça que j’ai appris que ma mère, en bon lutin infatigable et déterminé, avait fait en sorte de récupérer la garde de mes enfants. Même si elle n’a réussi qu’à en récupérer deux sur les trois, j’étais plutôt content de savoir où ils étaient, qu’ils allaient bien et que ma mère les gâtait atrocement. Maman me connaissait bien et pensait surement que si j’étais vivant, je retournerais auprès de ma fille et de mon fils. C’était bien pensé mais les inconvénients dépassent de loin les avantages. Néanmoins, j’étais plutôt content de pouvoir contempler les photos de mes enfants qui jouaient dans le jardin de mes parents alors que ma mère était en train d’éplucher des pommes de terre. Je passais de longs moments à regarder mes enfants grandir par photos interposées et c’est un sentiment doux-amer qui me prenait à chaque fois. Voilà pourquoi je ne revenais pas : Si mes parents auraient peut-être accepté ce que j’étais devenu, mes enfants n’auraient pas aimé avoir un père pareil.
Je déteste ressasser sans arrêt mais une fois que j’ai commencé, je ne peux pas m’arrêter. Pourtant, je devais me secouer et ce fut Ash qui m’a recollé au travail. Ce type n’a aucune compassion pour les dépressifs et c’était exactement ce qu’il me fallait. Ca et une douzaine de bouteilles de vin. Allegro, Domenico et Azul se sont isolés dans un coin pour discuter stratégie avec les éléments que je leur avais donné. Malheureusement, c’était assez peu et ils tentaient de combler les lacunes en prenant en considération même l’impossible. Simon continuait à remuer ses contacts, cette fois-ci avec un peu plus de détails, même si ça restait très maigre.
- Une femme albinos, hein ? commença Ash et oubliant sciemment de me parler d’Alcibiade.
- Oui. C’est un problème ?
- Pour nous, non. Ca réduit considérablement le champ d’investigation mais pour elle… Disons que l’Albinisme a toujours fait partie, jusqu’à très récemment, des anomalies que l’humanité n’aime pas du tout avoir dans son sein. Elle a du avoir une vie assez pourrie dans sa jeunesse.
- Ce qui pourrait expliquer sa colère. Sans oublier qu’elle est dissociée.
- Tu en es sur de ça ?
- Une louve affamée qui ne mange pas ses proies ? L’une des deux parties n’est pas d’accord avec l’autre et lui coupe l’appétit pour la punir.
- Violent…
- Tu trouves ? C’est leur seule arme, le seul moyen d’avoir un minimum de contrôle sur leur propre destinée. Je ne cautionne pas mais je comprends.
Ash s’est servi un verre de vin avant de retourner s’asseoir.
- Est-ce que… ça a à voir avec…
Il s’est tapoté la tête pour ne pas prononcer le nom de Ben et vu l’état dans lequel j’étais, j’ai grandement apprécié.
- D’une certaine manière, oui.
- Est-ce que ça ne précipite pas les choses ? Je veux dire… C’est quand même une situation bizarre.
- Je sais, Ash… Mais je n’arrive pas à la plaindre. Pas un seul instant.
- Pourquoi ? Si je peux te le demander, bien sur…
J’ai fait la moue en essayant d’organiser mes pensées. Au final, qu’est-ce que je lui reprochais, mis à part bien sur d’être responsable de pas mal de morts à travers les siècles ? C’était au final très simple :
- Parce que je suis sa création. Et que je m’en serais bien passé !
Après plusieurs heures de brainstorming intensif, entrecoupées de pause n’importe quoi où nous nous mettions à rire comme des baleines suite à une blague stupide, nous nous étions mis d’accord sur un point. A cause de la mobilité de cette saloperie de Bête, nous étions un peu obligés de la suivre. Sauf que nous ne connaissions pas son point de chute actuel, ni même sa véritable capacité de déplacement. C’est pour cela que nous en étions arrivés à une succession de calcul savant basé sur les capacités d’un loup-garou classique. Je n’en ferais pas le détail, ne serait-ce que parce que j’ai cru qu’Azul allait imploser. Ce n’est pas sa faute, elle n’aime pas les maths.
Suite à ce calcul savant, nous avons eu la mauvaise surprise que la Bête avait un rayon d’action minimum d’une centaine de kilomètres. Et j’ai bien dit, minimum. Quand je me suis laissé à imaginer le maximum en me basant sur l’une de ses périodes de massacre les mieux renseignées, à savoir l’Europe entre le XVIéme et le XVIIIéme siècle, son rayon passait à 1220 kilomètres en moins d’une semaine. Croyez-moi, pour quelqu’un qui, certes, peut se déplacer à quatre pattes et a une bonne endurance mais qui doit de temps en temps se planquer pour ne pas être vu en forme d’énorme loup, c’est juste gargantuesque. A titre de comparaison, au maximum et par semaine, j’ai un rayon d’action de 23 kilomètres, ce qui est déjà une belle performance. Et je triche.
Résultat des courses, nous étions dans l’obligation d’attendre qu’elle tue à nouveau. Ça m’énervait à un point à peine imaginable mais nous n’avions pas le choix. Je comprenais mieux les chasseurs de tueurs en série qui ne pouvaient qu’attendre le prochain mouvement de leurs proies quand bien même cela signifiait la mort de personnes innocentes. Ma moralité en a pris un sacré coup et encore une fois, j’étais plutôt content de ne pas avoir à avouer ça à ma mère…
Néanmoins, nous nous étions aussi mis d’accord sur la situation des meutes de la Bête. Nous ignorions leur nombre mais nous pensions que Maman Bête y passait de temps en temps. Le simple fait d’avoir survécu au monstre n’aurait pas suffi à maintenir ces meutes dans leurs croyances. Elles avaient forcément un lien, même très distendue avec le monstre qui les avait créés. J’admets bien volontiers que cette piste-là avait l’épaisseur d’un poil de cul et, à peu prés la même longueur, mais c’était la seule que nous avions, en attendant que Maman Tueuse veuille bien recommencer ses bêtises… quelque part sur le globe. Mais nous avions la localisation de la Meute de la Nouvelle-Orléans et une furieuse envie d’en faire un exemple. Même Louveteau, qui n’avait pas un amour démentiel pour Azul, trouvait que ce qu’on lui avait fait méritait quelques bris de nuque et quelques morsures fatales. Quant au reste de la meute, mis à part Allegro qui voulait juste pouvoir tuer des gens en toute impunité et Ash qui voulait cramer des trucs, venger Azul était une super bonne idée. Donc… Nous étions partis pour botter des culs.
Renseignements pris, il n’y avait aucune cours vampirique à la Nouvelle-Orléans, celle de Houston, au Texas, estimant que la capitale du Vaudou américain faisait parti de son territoire. Et, là, vous vous dites que Houston et la Nouvelle-Orléans, de un, ce n’est pas à coté, de deux, ce n’est même pas le même état. Oui. Au deux. Mais entre nous, si les vampires avaient le moindre respect pour les découpages territoriaux humains, ça se saurait ! Sachez cependant que pendant une session du Concile Rouge, ou plutôt la réunion des Maitres de Ville du monde entier, on a proposé de redistribuer les territoires des cours selon les délimitations humaines. La motion fut rejetée avec les 9/10 des voix mais il y a eu tentative ! Quoiqu’il en soit, pour aller faire nos bêtises, nous devions demander la permission à Houston de nous installer temporairement à la Nouvelle-Orléans. Ce qui, pour moi, voulait simplement dire que j’ai appelé le Maitre de Houston pour lui dire que je m’installais au Vieux Carré et qu’à la moindre protestation, je me verrais dans l’obligation de camper devant son palais et d’attendre l’ordre de Décapitation qui ne manquerait pas d’arriver.
Oui, j’avais appris les arcanes de la diplomatie avec Charles mais, non, j’en avais rien à foutre.
Pour la première fois depuis des années, Azul pouvait rentrer chez elle la tête haute et ne pas craindre qu’on la vende à son ex dés qu’elle se montrerait. Je savais que ça arriverait quand même mais les conséquences pour les imbéciles qui oseraient ne seraient pas aussi sympathiques qu’un simple charme nécromantique. Pour être parfaitement honnête, si nous venions tous, ce n’était pas tant pour nous défouler que pour éviter que notre dragonne ne pète un plomb en pleine ville. Du reste, Azul n’ayant jamais fait véritablement du cercle des sorcières de la Nouvelle-Orléans, nous devions faire preuve de diplomatie envers ces dames pour qu’elles acceptent de nous laisser faire. Et c’était là que le bât blessait. Si cette communauté avait survécu aussi longtemps à proximité d’une meute folle, c’était que soit elles étaient suffisamment fortes pour faire front, soit elles n’avaient pas besoin de résister puisque ils étaient alliés. Dans ce dernier cas, nous étions dans la merde et pas qu’un peu. Mes connaissances en magie étaient très lacunaires à cette époque. Je commençais à peine à appréhender mes quelques capacités de Cannibale pour ensuite avoir été plongé dans la magie de Meute. Dans un cas comme dans l’autre, ça n’allait pas très loin et pour cause : Ni les vampires ni les métamorphes n’étaient de bons mages, sans doute parce qu’ils n’en avaient pas besoin aussi souvent que les Faës par exemple qui exsudaient la magie par tous les pores. Résultat des courses, les cercles des sorcières étaient pour moi aussi inconnus que la tribu des Jarawa et leur mode de fonctionnement aussi. Comme Azul n’en avait jamais fait parti, nous ne pouvions compter que sur ses propres impressions qui étaient loin d’être bonnes.
- Il faut d’abords que tu comprennes que je suis hispanique et qu’elles sont d’origine Cajun ou Créole. Je suis donc considérée comme une voleuse de pouvoir, au pire, ou une magicienne de moindre classe. M’expliqua Azul au détour d’une pizza avec supplément pepperoni et boulettes de bœuf.
- A ce point-là ?
- Oh, tu n’as pas idée. Elles sont très jalouses de leurs rituels et de leur puissance. Malgré le fait que je sois plutôt douée, je serais toujours considérée comme une touriste et non pas comme une vraie croyante.
- Mais tu pratiques bien le vaudou, non ?
- Une forme très abâtardie et très personnelle du Vaudou, oui. Ce qui, pour elles, est une insulte de plus. Tant que j’ai vécu là-bas, soit la majorité de ma vie, je leur devais le respect et la préséance.
Incapable de résister, je lui ai piqué une part de sa pizza, ce qui m’a valu un grognement désapprobateur, sans doute, de la part de son dragon.
- C'est-à-dire ?
- Tout simplement que mes revenus de nécromancienne n’ont longtemps pas été à la hauteur de mes capacités. Si un gros contrat se présentait à moi, je devais aiguiller le client vers le Conseil du Vieux Carré et me contenter de faire des divinations mortuaires ou des charmes de protection. La seule fois où j’ai gardé un gros client pour moi, elles sont venues me voir pour me reprocher mon manque d’éducation et de bonnes manières. Pour les calmer, j’ai dû abandonner les trois-quarts de ma prime.
- Mais c’est du racket !
- En effet. Mais c’était la règle. Tu ne fais pas partie du cercle, tu payes ou tu fais profil bas.
- Et… Tu n’as jamais songé à rentrer dans ce cercle ? Ne serait-ce que pour améliorer ton niveau de vie ?
- Si. J’ai même passé les premiers rituels pour le devenir, ne serait-ce que pour avoir l’enseignement dont j’avais besoin. Mais… Car il y a toujours un mais, faire partie du Cercle du Vieux Carré n’aurait été vrai que pour ma petite fille, sachant que moi et ma fille aurions du épouser les hommes que le Cercle aurait choisi pour nous. Pour noyer le sang impur…
- Merveilleux… Nous allons devoir négocier avec une bande de folles élitistes et racistes…
- Elles ne sont pas toutes comme ça. Nuança-t-elle en reprenant une part. Mais ce sont les traditionalistes pur-sang qui tiennent les rênes. La plupart des sorcières du Vieux Carré sont des jeunes femmes parfaitement modernes.
- Peut-être devrions-nous nous concentrer sur ces sorcières modernes ?
- J’en connaissais bien quelques unes et parmi elles, je dois avoir une ou deux amies.
- Essayes de renouer avec elles. Si je ne suis pas diplomate avec les vampires, ce n’est pas une raison pour étendre ça à tout le monde.
- Très bonne idée, Patron. Intervint Simon qui s’approchait en rangeant son téléphone dans sa poche. Au fait, tu es désormais propriétaire d’une adorable maison sur Elysian Fields Avenue.
- Depuis quand ??
- Une dizaine de minutes.
Cette fois-ci, le Dragon ne se laissa pas spolier d’une autre part de pizza et Simon recula devant la colère qui brilla un instant dans les yeux d’Azul.
- Et par quel miracle suis-je devenu propriétaire d’une maison à la Nouvelle-Orléans ?
- J’ai discuté avec Charles qui t’a transféré, par une vente fictive, l’une de ses propriétés.
- Mais pourquoi, au nom du ciel ?
- Par pure politique. Nous ne sommes pas sensés être des loups parias en expédition punitive contre une meute renégate au pouvoir du Fenris, n’est-ce pas ?
- Non, en effet.
- Et la discrétion n’est pas vraiment permise vu notre joyeuse bande de tarés.
- Encore un point pour toi…
- Sans oublier que tu as déjà fait preuve de ton mauvais caractère légendaire envers la Cour de Houston.
J’ai commencé un peu à perdre patience mais Simon adorait flirter avec ma colère, jouant le rôle du serviteur insolent. J’aurais dû comprendre la manœuvre au moment où il m’avait appelé Patron.
- Et si tu me disais ce que tu as en tête au lieu de jouer avec mes nerfs ?
- Ça perdrait beaucoup de son charme.
- Accouche, bordel…
- Tu as décidé que la Nouvelle- Orléans serait ta Cour. Tu vas donc en prendre le contrôle au niveau vampirique.
- Impossible. Je suis un Cannibale.
- Ce n’est pas parce que les Cannibales n’ont jamais pris le contrôle d’une ville que ce n’est pas possible. Je te rappelle que, hiérarchiquement parlant, tu es au dessus des Maitres de Ville. Personne ne peut contester tes revendications.
- Sauf que ça n’a jamais été fait…
- Ce qui apportera de l’eau au moulin de tes possibles détracteurs. Mais, et c’est là le plus important, tu peux te permettre de casser la gueule de la Meute de la Bête en toute impunité.
Azul émit un curieux bruit en essayant de parler mais la bouchée monstrueuse qu’elle venait de prendre l’empêcha d’émettre une parole cohérente. Néanmoins, en personnes bien élevés que nous étions, nous avons attendus qu’elle veuille bien nous exprimer ses avis.
- Ce serait une bonne base de négociations avec le Cercle.
- Que je devienne Maitre de Ville ?
- Elles aiment le pouvoir et un Maître de Ville est aussi acceptable qu’un Alpha comme allié. Je te rappelle que les sorcières et les mages n’ont jamais eu aucun souci avec les vampires. Alors qu’avec les métamorphes…
- Question de timing, en fait… Précisa Simon. Les vampires ont été les premiers à demander de l’aide aux sorcières et les Métamorphes ont assez peu apprécié.
J’ai fait la moue. Si Louveteau s’amusait follement à l’intérieur, anticipant de pouvoir faire de la politique à grande échelle, moi je trouvais ça puant au possible. J’essayais de me rassurer en me disant que ce n’était que temporaire et totalement faux.
Et pourtant, je ne pouvais m’empêcher de penser que tout cela allait très mal finir.
- En toute honnêteté, Simon, de toi à moi… Est-ce que tu penses vraiment que je ferais un bon candidat au poste de Maitre de Ville ?
J’aurais dû me douter de la suite mais j’étais tellement sur que Simon me répondrait avec un petit sourire méprisant que, non, très sincèrement, non, il ne m’aurait pas confié ne serait-ce qu’un stand de gaufres à la fête de l’école de son fils que sa réponse m’a vraiment déconcerté. En même temps, qu’est-ce que j’aurais foutu à la fête de l’école de son fils ? Malgré la résolution 2112, les surnaturels n’étaient pas vraiment des gens qui pouvaient se permettre de se présenter à l’école pour faire un exposé sur leur travail. Mais, ce qui m’a terrifié le plus dans la réponse de Simon, c’est son regard. Franc et droit, il n’en doutait pas un seul instant.
- Oui, bien sur.
C’est à ce moment-là que j’ai compris que quelque chose n’allait pas. Comprenez-moi bien : Je nageais dans une dépression depuis quelques années et je ne me serais même pas confié une plante verte. Pourtant, plusieurs personnes, dont un loup-garou et un vampire qui cumulaient le millénaire à eux deux, auraient donné leur vie pour moi. A ce moment-là, certes, je ne pensais pas que c’était à ce point-là mais leur confiance démentielle à mon encontre me mettait mal à l’aise. C’est sans doute cette confiance qui m’a poussé à rentrer dans le jeu malgré ma profonde réticence à m’engager dans le jeu politique.
- Dans ce cas… ais-je marmonné, un peu perdu, on est parti pour la plus belle comédie au monde.