Chapitre 16 : 42
Nous en étions donc rendus au point de départ, sans plus d’informations qu’auparavant, mais avec une foule de questions en plus. Et une nouvelle coupe de cheveux puisqu’Allegro, ou plutôt Sonatine, a été horrifiée de me voir revenir avec une mèche de cheveux en moins. Elle a envoyé la photo à Clara qui m’a appelé dans la minute et m’a engueulé comme du poisson pourri. C’est donc sous les ordres d’une Clara furibarde d’avoir été réveillée à l’aurore qu’Allegro me coupa les cheveux plus courts, de manière à ce que la mèche manquante ne fût plus un problème. Je n’avais jamais porté les cheveux aussi courts sur la nuque. Le fait de sentir un courant d’air à cet endroit ne me faisait pas plaisir mais Clara, en visioconférence, se déclara satisfaite en me menaçant de mort si j’osais à nouveau toucher à ma coiffure sans son accord.
Pour être honnête, la colère de Clara empêcha la mienne d’éclater et de provoquer un cataclysme dans la villa. Je suppose qu’Allegro l’avait fait exprès, amenant Sonatine à me calmer par le biais de ma sœur. Je me suis enfermé dans ma chambre en signifiant à la ronde que je voulais voir Allegro d’ici une demi-heure. J’espérais que Sonatine comprendrait qu’elle n’était pas la bienvenue.
- Tu m’as demandé, Vincent ? Murmura Allegro en entrant dans ma chambre et en refermant la porte derrière lui.
Je me suis assis sur mon matelas, que j’avais enfin disposé par terre, et j’enlevais ma cravate de deuil.
- C’est toujours comme ça ?
- Quoi ?
- Les Cours. La politique… La Solitude.
- Tu ferais mieux de demander ça à Charles…
- C’est à toi que je pose la question.
Il s’installa sur le bureau, et je dis bien sur le bureau, les jambes en tailleur et les mains sur les pieds.
- Je n’avais aucun respect pour le Maitre de Rome. Je le haïssais un peu mais… en fait, je crois que je le méprisais. Toi, je ne te hais pas.
- Tu l’as fait…
- Mais pas pour les raisons que tu crois. Je te haïssais parce que je te jalousais.
- Et c’est toujours le cas.
- Non.
J’ai redressé la tête en fronçant les sourcils. Depuis que Clara m’avait avoué qu’elle avait toujours su qu’Allegro voulait être un Cannibale et que mon attitude de sale gosse de l’époque lui donnait des envies de meurtre. Sur ma personne… Alors, j’avais du mal à croire qu’il ne m’en veuille plus.
- J’ai compris que je me trompais de cible. A t’il murmuré en regardant le plafond. J’ai compris que tu n’as strictement aucune liberté. C’est encore pire, maintenant. Je sais que tu es en train de ronger tes chaines.
- Tu n’as pas idée à quel point… Au départ, je pensais que cette mascarade serait vite réglée mais on a aucune nouvelle de la Bête et même son connard de fils ne semble pas l’attendre. J’étais sûr qu’il savait où elle était et qu’il l’attirerait à portée quand il se sentirait menacé… Mais non.
- Peut-être qu’elle se fout de ses enfants.
- Ce qui ne va pas nous aider à la retrouver… Merde… Merde, merde, merde ! Je nous ai totalement fourvoyés.
Allegro est descendu du bureau et rampait à quatre pattes vers moi. Ce qui était très louche, d’ailleurs, je commençais à me préparer à l’attaque qui ne vint jamais. Il se contenta de poser son menton sur mon genou gauche.
- Nous ne lui avons peut-être pas fait assez peur ? On pourrait peut-être faire une descente sur le Bayou ?
- On ne sait pas où se trouve leur tanière…
- Toi, non… Mais… tu sais, tu ne devrais pas me laisser des nuits entières sans surveillance… Je deviens assez méchant et plutôt sadique envers ceux qui me veulent du mal et me prennent pour un charmant petit appât qu’ils peuvent gober en une seule fois…
Je l’ai regardé dans les yeux et j’ai vu une lueur de l’Allegro d’avant. Autant il me terrifiait à me regarder avec cet air d’assassin en chasse, autant j’étais content de voir une amélioration dans sa psyché. Quand bien même c’était pour retrouver un psychopathe.
- Tu es sorti tout seul pour… trouver des loups ? et les tuer ?
- Les interroger. Et les tuer, oui… Il ne fallait pas laisser de témoins. J’ai eu trois des loups du Bayou, dont un prétorien. Mark ne peut pas savoir que c’est moi puisque tu m’as présenté comme un charmant petit imbécile, un chien de manchon… Simon et Dom sont surveillés, Ash aussi… Ils ne savent pas combien Azul peut-être dangereuse mais elle est une proie de choix. Il ne reste que toi et moi. Et toi, tu ne peux pas. C’était si facile de les attraper…
Je ne pouvais décemment pas le laisser s’enfermer dans ses souvenirs de tuerie alors j’ai coupé court :
- Qu’as-tu appris ?
- Des tas de choses. Parfois assez insignifiantes mais dans l’ensemble, des informations qui valent la peine que je me suis donné. L’emplacement approximatif de la tanière. Ce qui devrait devenir un emplacement au mètre prés avec votre odorat de loup. Et puis d’autres choses très intéressantes sur comment Mark arrive à faire vivre une meute de psychopathes.
- La Dîme.
- Entre autres. Mais surtout le fait que certains de ses loups non prétoriens sont loués au mois à certaines agences gouvernementales.
- Quoi ?!
- Comme assassins, comme espions… Parfois même comme chair à canon de luxe.
- Bon Dieu… si le Fenris l’apprend…
- Il ne fera rien puisque Mark n’est pas sous ses ordres et il va être de plus en plus furieux parce qu’un Alpha qu’il ne contrôle fait des choses qui pourrissent la réputation des métamorphes.
Ce qui expliquait sans doute pourquoi le Fenris n’avait absolument pas fait la mauvaise tête quand on m’avait envoyé à la recherche de la Bête. Il savait que j’allais forcément tomber sur ces meutes dissidentes et que j’aurais envie de les éliminer. J’ai soupiré.
- J’en ai marre d’être un pion…
Allegro, qui s’était tendu à mon soupir, reposa le menton sur mon genou.
- Qu’est-ce que tu veux dire ?
- Atra cherche à se venger d’une attaque sur ses terres, et c’est peut-être la seule à avoir été honnête sur ses intentions. Menorath souhaite que sa Ville soit nettoyée et c’est pour ça qu’il se contente d’être un peu chafouin quant à ma mascarade. Le Fenris souhaite se débarrasser des meutes rebelles, quant à Victor, il a vu dans tout ce bordel une occasion d’être le créancier de tout ce petit monde-là.
- Bienvenue dans mon monde, Vincent… Bienvenue dans le monde des armes et des menaces brandies devant leurs ennemis.
- Je ne veux pas être… une arme. Ni même une menace.
Il m’a lentement caressé la cuisse, ce qui a provoqué le réveil de Louveteau qui somnolait jusque là et qui a grondé dans un coin de ma tête. Louveteau aimait bien mon assassin mais pas à ce point.
- Change de main et change la donne. Toi, tu en es capable.
- Et pas toi ?
- Non… On m’a brisé, Vincent. On m’a brisé bien avant que je ne comprenne que je suis juste un pistolet sur la tempe de quelqu’un. On nous a brisés parce que c’est comme ça qu’on fabrique les plus belles armes. Mais Sigur n’a pas voulu te briser. Profites-en.
- En faisant quoi ?
- Ce que tu veux. On peut même fuir cette ville de merde, cette mission de merde et tout ce bordel !
- « On » ?
- Je n’ai pas envie de retourner dans une cour, redevenir un tueur pour le plaisir d’un Maitre. Je sais… (il se tapota la tempe d’un doigt distrait) que ça ne va pas du tout. J’ai des absences, je fais des rêves qui s’avèrent être des cauchemars… Et je sais que je fais des choses dont je ne me souviens pas. Ici, ça m’arrive moins souvent…
- C’est peut-être mon pouvoir de Cœur de Meute.
- Peut-être, mais ça me fait du bien. Je me souviens qu’elle est morte…
Un frisson glacé m’a parcouru l’échine. Nous avions fait en sorte de ne pas en parler pour ne pas provoquer une crise de démence mais il semblait qu’il avait toujours su que Sonatine n’était plus à ses côtés, sauf que ses « absences » lui faisaient oublier. J’étais en face d’un sérieux dilemme, là… Est-ce que je continuais à le soigner ou est-ce que je le laissais dans une ignorance teintée de nostalgie ? Après tout, sa version de Sonatine ne me dérangeait pas vraiment, voire, je l’aimais bien. Est-ce qu’Allegro allait vraiment bien… en deuil ?
- Tu savais… ?
- J’étais là, je te rappelle. Qu’est-ce qu’il se passe pendant mes absences ?
J’ai hésité. Mes quelques lectures en psychologie ne m’avaient pas préparé à répondre à cette question. Et si je faisais plus de mal que de bien en lui répondant la vérité ? Et si j’aggravais sa dissociation de personnalités en le confortant dans ses mensonges ? Mais il avait une lueur dans son regard qui me perça le cœur. Il avait besoin d’être rassuré, besoin de connaitre enfin la vérité sur son état.
- S’il te plait… Me murmura-t-il.
- Tu… Il y a des moments où tu te prends pour quelqu’un d’autre.
- Quoi ? Pour qui est-ce que je me prends ?
- Pour une petite blonde que je trouvais pénible. Avant. Et qui me manque…
Il s’est redressé avec un soupçon d’horreur dans le regard.
- Et… Qu’est-ce que je fais ?
- Rien de grave, rassures-toi. C’est juste… Elle. Telle que tu t’en souviens.
Sa lèvre inférieure se mit à trembler et ses yeux se teintèrent d’un voile rouge. Je crois que je ne l’avais jamais vu dans cet état : il était prêt à s’effondrer en pleurs. Autant Louveteau que moi avions le cœur brisé devant ce spectacle et je l’ai pris dans mes bras pour le cajoler, sur un coup de tête. Il se débattit un peu puis finit par pleurer à gros bouillons en poussant des cris de douleur. Je comprenais un peu mieux Simon et sa façon de protéger mon assassin. Il l’avait vu dans cet état auparavant et c’était absolument déchirant. Je lui caressais les cheveux alors qu’il souillait ma chemise de ses larmes de sang.
Je savais pourquoi il pleurait. Pas la perte de Sonatine, son âme sœur, mais le fait d’être le seul à ne pas voir le fantôme de celle qu’il avait aimé. Peut-être une autre version de l’enfer… Je posais le front contre la tempe d’Allegro, cherchant un moyen de l’aider mais ne trouvant rien de pertinent, pas même de vaines paroles de réconfort.
Laisses-moi faire…
Je sentis la chaleur qui m’envahissait me quitter pour envelopper le corps d’Allegro et me rendre plus réceptif aux fractures de son âme. Une soixantaine de morceaux essayant de se raccrocher les uns aux autres mais s’effritant d’avantage dés qu’ils rentraient en collision. C’était la douleur qui empêchait les morceaux de revenir à leur place et je tendis les doigts pour l’effacer d’un effleurement. Chaque fois que je touchais ces lignes noires et acérées, ma gorge se serrait et m’empêchait de respirer. Je ne savais pas depuis combien de temps ces nœuds l’étranglaient mais je comprenais mieux ses attitudes étranges. Je glissais les morceaux les uns contre les autres, espérant ne pas me tromper dans l’ordre. Je ne sais pas combien j’ai passé à remettre ces fichus morceaux d’âme dans le bon sens, me trompant parfois et devant recommencer depuis le début, avec toujours cette boule qui m’étouffait et qui me perçait le cœur de mille aiguilles.
Quand ce fut terminé, je me suis écroulé au sol en tenant Al contre moi. Je n’en avais pas besoin puisque mon assassin était accroché à moi comme un chaton à sa mère.
Tu pourrais te remettre à respirer, s’il te plait ?
J’ai pris une grande inspiration, ce qui m’a permis d’atténuer la douleur de mon cœur.
Merci.
- Ça a marché ?
Peut-être. C’était la première fois que je faisais ça.
- Et c’était quoi ?
Ce pour quoi je suis là. Je crois. On ne m’a jamais appris à être ce que je dois être.
- Chanceux…
J’essayais mes yeux, assez peu étonné de les sentir humides et que le seul le gauche soit sanguinolent. Depuis que mon loup partageait ma tête, je ne pleurais normalement que de l’œil droit, preuve, sans doute, qu’il se l’était approprié. Je lui laissais de grand cœur.
- Louveteau… ?
Va falloir vraiment, vraiment ! que tu me trouves un meilleur nom…
Je me suis tu un long moment pour réfléchir sur ce que j’avais remis à plus tard beaucoup trop de fois. Je cherchais quelque chose qui lui convenait mais à chaque fois que je trouvais un nom ou un adjectif qui m’interpellait, je me doutais qu’il allait grogner de dépit devant mon choix. Alors j’essayais des trucs qui lui auraient plu mais je n’arrivais pas à le concevoir sous ses noms. J’ai songé à ce que nous étions, à ce qu’on voulait faire de nous, à ce qu’on voulait, nous… Cette recherche inlassable… Et c’est devenu une évidence.
- Hunt… ?
Oui, Vincent ?
- Je veux courir… Un peu… Loin de tout ça…
Moi aussi… Ces murs, cette ville, tout ça m’étouffe.
- On va sortir. Seuls… Quitte à avoir les pattes en sang, on va courir tout le reste de la nuit.
Oh oui… Et si on croise ce bâtard d’Alpha du Bayou, on lui bouffe la gorge.
- J’aime ce programme. Je valide.
Allegro s’agita contre moi et leva les ses yeux verts qui, après ces quelques années à refléter sa folie, avaient enfin retrouvé un éclat plus pur.
- Mon seul regret… Chuchota-t-il. C’est que je ne la verrais plus… Même pas dans vos yeux à tous. Elle me manque…
- Elle me manque aussi… Bizarrement…
- On ne dirait pas mais elle occupait sa place. Maintenant, qui va me faire rire quand je serais d’humeur massacrante ?
- Je connais bien quelques jeux de mot, mais…
- Tu sors de dépression.
- Oui, enfin… ça fait quelques temps, quand même.
- Tu sais que ce n’est pas fini. Pas encore. Tu le sais, n’est-ce pas ?
J’avoue que je m’en doutais un peu et que Louveteau – pardon, Hunt – faisait exprès de me couper du monde pour laisser le temps à mes défenses de se reconstruire. J’ignore encore si c’était la meilleure des solutions puisque j’enrageais de tenir à distances des personnes que j’aurais voulu approcher. Je savais aussi que j’étais fragile au-delà de ce qui était admissible pour quelqu’un comme moi, avec mes responsabilités. Je savais aussi qu’ils étaient tous là pour faire barrage et m’empêcher de tomber.
- Je ne veux pas y penser.
- Mais tu le sais.
- Oui. N’en parlons plus, s’il te plait. Je… J’étouffe.
Il se redressa.
- Pardon, je…
- Ce n’est pas toi. J’ai besoin de fuir tout ça un peu… Ça fait trop longtemps que je ne me suis pas transformé et…
Il se précipita vers ma commode et en sortit le thermomètre frontal pour me le coller sur le visage. Quand il le regarda, le nombre 42 était bien rouge.
- Je pensais que… Qu’il te le dirait si ça commençait à …
- Il l’a fait… Aide-moi s’il te plait.
Je lui tendais la main pour qu’il m’aide à me relever pendant que je tentais de déboutonner ma chemise. Mes veines devenaient du feu liquide et je sentais mes tendons et mes cartilages bouillir. D’ici peu, ma transformation commencerait et tous mes os se briseraient en mille morceaux pour se reformer un peu plus tard, plus lourds et plus gros, la douleur me submergerait et je hurlerais comme jamais.
Allegro finit par arracher ma chemise et à poser les deux mains sur mes joues, provoquant une surcharge sensorielle qui m’a fait me stopper.
- C’est… Dangereux… Ce que tu fais.
- Non, ça permet d’attirer votre attention. Tu dois t’agenouiller et me laisser faire, ok ?
- Comment… ?
- J’ai déjà assisté plusieurs fois à la transformation de Simon et je l’ai aidé…
J’en suis resté tout con, sans doute parce que je l’ignorais complètement jusque là.
- Quand… ?
- Les premières fois.
J’ai compris qu’il avait essayé de se tuer sous couvert d’aider un loup lors de ses premières semaines. Manifestement Simon avait vraiment été aidé puisqu’il n’avait jamais perdu le contrôle, sans doute parce qu’il n’avait pas envie de massacrer un ami.
- Tu… Fou…
Mes crocs commençaient à sortir, m’empêchant d’articuler correctement.
- Peut-être. Maintenant, mets-toi à genoux et tu me regardes dans les yeux.
Il a commencé à déboutonner mon pantalon alors que je m’agenouillais et je songeais que ça faisait bien longtemps qu’on ne s’était pas attaqué à ma braguette.
Pense à autre chose !
Mais je ne pouvais pas. La transformation a toujours eu un effet étrange sur moi qui me rendait vraiment tout chose, comme une femme qui me griffe le dos alors qu’elle jouit ou un homme qui me mord l’épaule alors qu’il me pilonne. Ce n’est pas quelque chose que j’ai l’habitude de partager et c’est sans doute pour cette raison que je me transforme seul.
Mes muscles se déchirèrent et mes os se tordirent, me jetant à terre. Allegro me pris le menton et a bloqué ma mâchoire.
- Regarde-moi dans les yeux.
C’est ce que je fis, me plongeant dans le vert émeraude de ses iris. Est-ce qu’il essayait de m’hypnotiser ? Aucune idée mais je me sentais un peu plus calme que d’habitude, ce qui était une bonne chose puisque, pour une fois, les meubles ne seraient pas détruits. J’ai une tendance à tout briser autour de moi quand ma peau se déchire. Ce qu’elle fit sur toute la longueur de mes bras alors qu’Allegro me débarrassait de ma chemise en urgence. Ce n’était pas encore la pire des douleurs mais c’était déjà assez cuisant pour me faire haleter. Le pire était sans doute quand les os finissaient par se briser sous la torsion.
- Concentre-toi sur ta colonne vertébrale. Me murmura mon assassin en me caressant les cheveux. Tu peux diriger ta transformation et commencer par la colonne vertébrale la rend plus rapide.
Mais pas moins douloureuse, loin de là. Le moment où chaque vertèbre se brisa pour se reconstituer me coupa le souffle mais je ne pouvais pas hurler puisqu’Allegro me maintenait toujours la mâchoire.
- C’est bien. Maintenant, il faut que tu laisses tout exploser en une seule fois. Ça va vraiment faire très mal mais ce sera court. Tu tiendras le choc.
Oui, c’était évident. Même si ça avait duré plus longtemps, ma double régénération ne m’aurait pas permis de mourir. Ceci étant dit, je me serais bien passé de cette torture. Les loups-garous dissociés ne peuvent pas avoir une transformation sans douleur puisque les deux parties, l’humaine et la louve, et qu’elles en soient conscientes ou non, luttaient l’une contre l’autre pour sortir en premier. Le seul problème est que la porte est toute petite.
Allegro m’ayant lâché, j’ouvris la gueule pour hurler mais mes poumons n’étaient plus accessibles. Mon cœur venait de lâcher et je commençais à ne plus rien voir, mis à part les deux émeraudes des yeux de mon assassin. Je n’avais jamais remarqué à quel point il avait de beaux yeux, jusqu’à cet instant. J’ai eu une envie folle de les faire rouler sur ma langue et entre mes crocs. Mais ce fut le black-out total, comme ça m’arrivait souvent à ce stade de la transformation.
Quand je repris conscience, j’avais la mâchoire refermé sur son bras et la patte droite posé sur son visage. Mais le plus étonnant était son calme olympien : S’il avait respiré, je suis sur que ça aurait été aussi régulier que s’il était endormi. Il m’a souri malgré le fait qu’une de mes griffes était dangereusement proche de son œil.
- C’est fini ?
J’ai hoché la tête et je me suis levé en étirant mes muscles. Ce moment-là… C’est le meilleur moment de la transformation : L’étirement après le réveil, quand tous les muscles endoloris reprennent leurs places, les os et les cartilages qui craquent une dernière fois et ce sentiment de bien-être… Putain de merde ! Rien que pour ça, ça vaut le coup de se détruire le squelette.
Allegro s’était relevé et avait ouvert la fenêtre et les volets de ma chambre.
- Une petite ballade te fera du bien. Essaye juste de revenir avant l’aube, histoire que Simon ne pète pas les plombs.
Je l’ai regardé, lui qui trainait une aura de détresse derrière lui, j’ai senti que je ne pouvais pas l’abandonner maintenant. Le fait qu’il m’ait aidé à me transformer ? Encore une réminiscence de ses envies de suicide. Si je le lâchais maintenant, j’étais sur de retrouver un tas de cendres et un mot d’excuses de sa part. Hors de question… Je l’ai donc chopé par le pantalon et je l’ai trainé dehors comme un chaton.
La chasse. C’est quand même bien mieux à plusieurs.
Comme le sexe.
Pour être honnête, la colère de Clara empêcha la mienne d’éclater et de provoquer un cataclysme dans la villa. Je suppose qu’Allegro l’avait fait exprès, amenant Sonatine à me calmer par le biais de ma sœur. Je me suis enfermé dans ma chambre en signifiant à la ronde que je voulais voir Allegro d’ici une demi-heure. J’espérais que Sonatine comprendrait qu’elle n’était pas la bienvenue.
- Tu m’as demandé, Vincent ? Murmura Allegro en entrant dans ma chambre et en refermant la porte derrière lui.
Je me suis assis sur mon matelas, que j’avais enfin disposé par terre, et j’enlevais ma cravate de deuil.
- C’est toujours comme ça ?
- Quoi ?
- Les Cours. La politique… La Solitude.
- Tu ferais mieux de demander ça à Charles…
- C’est à toi que je pose la question.
Il s’installa sur le bureau, et je dis bien sur le bureau, les jambes en tailleur et les mains sur les pieds.
- Je n’avais aucun respect pour le Maitre de Rome. Je le haïssais un peu mais… en fait, je crois que je le méprisais. Toi, je ne te hais pas.
- Tu l’as fait…
- Mais pas pour les raisons que tu crois. Je te haïssais parce que je te jalousais.
- Et c’est toujours le cas.
- Non.
J’ai redressé la tête en fronçant les sourcils. Depuis que Clara m’avait avoué qu’elle avait toujours su qu’Allegro voulait être un Cannibale et que mon attitude de sale gosse de l’époque lui donnait des envies de meurtre. Sur ma personne… Alors, j’avais du mal à croire qu’il ne m’en veuille plus.
- J’ai compris que je me trompais de cible. A t’il murmuré en regardant le plafond. J’ai compris que tu n’as strictement aucune liberté. C’est encore pire, maintenant. Je sais que tu es en train de ronger tes chaines.
- Tu n’as pas idée à quel point… Au départ, je pensais que cette mascarade serait vite réglée mais on a aucune nouvelle de la Bête et même son connard de fils ne semble pas l’attendre. J’étais sûr qu’il savait où elle était et qu’il l’attirerait à portée quand il se sentirait menacé… Mais non.
- Peut-être qu’elle se fout de ses enfants.
- Ce qui ne va pas nous aider à la retrouver… Merde… Merde, merde, merde ! Je nous ai totalement fourvoyés.
Allegro est descendu du bureau et rampait à quatre pattes vers moi. Ce qui était très louche, d’ailleurs, je commençais à me préparer à l’attaque qui ne vint jamais. Il se contenta de poser son menton sur mon genou gauche.
- Nous ne lui avons peut-être pas fait assez peur ? On pourrait peut-être faire une descente sur le Bayou ?
- On ne sait pas où se trouve leur tanière…
- Toi, non… Mais… tu sais, tu ne devrais pas me laisser des nuits entières sans surveillance… Je deviens assez méchant et plutôt sadique envers ceux qui me veulent du mal et me prennent pour un charmant petit appât qu’ils peuvent gober en une seule fois…
Je l’ai regardé dans les yeux et j’ai vu une lueur de l’Allegro d’avant. Autant il me terrifiait à me regarder avec cet air d’assassin en chasse, autant j’étais content de voir une amélioration dans sa psyché. Quand bien même c’était pour retrouver un psychopathe.
- Tu es sorti tout seul pour… trouver des loups ? et les tuer ?
- Les interroger. Et les tuer, oui… Il ne fallait pas laisser de témoins. J’ai eu trois des loups du Bayou, dont un prétorien. Mark ne peut pas savoir que c’est moi puisque tu m’as présenté comme un charmant petit imbécile, un chien de manchon… Simon et Dom sont surveillés, Ash aussi… Ils ne savent pas combien Azul peut-être dangereuse mais elle est une proie de choix. Il ne reste que toi et moi. Et toi, tu ne peux pas. C’était si facile de les attraper…
Je ne pouvais décemment pas le laisser s’enfermer dans ses souvenirs de tuerie alors j’ai coupé court :
- Qu’as-tu appris ?
- Des tas de choses. Parfois assez insignifiantes mais dans l’ensemble, des informations qui valent la peine que je me suis donné. L’emplacement approximatif de la tanière. Ce qui devrait devenir un emplacement au mètre prés avec votre odorat de loup. Et puis d’autres choses très intéressantes sur comment Mark arrive à faire vivre une meute de psychopathes.
- La Dîme.
- Entre autres. Mais surtout le fait que certains de ses loups non prétoriens sont loués au mois à certaines agences gouvernementales.
- Quoi ?!
- Comme assassins, comme espions… Parfois même comme chair à canon de luxe.
- Bon Dieu… si le Fenris l’apprend…
- Il ne fera rien puisque Mark n’est pas sous ses ordres et il va être de plus en plus furieux parce qu’un Alpha qu’il ne contrôle fait des choses qui pourrissent la réputation des métamorphes.
Ce qui expliquait sans doute pourquoi le Fenris n’avait absolument pas fait la mauvaise tête quand on m’avait envoyé à la recherche de la Bête. Il savait que j’allais forcément tomber sur ces meutes dissidentes et que j’aurais envie de les éliminer. J’ai soupiré.
- J’en ai marre d’être un pion…
Allegro, qui s’était tendu à mon soupir, reposa le menton sur mon genou.
- Qu’est-ce que tu veux dire ?
- Atra cherche à se venger d’une attaque sur ses terres, et c’est peut-être la seule à avoir été honnête sur ses intentions. Menorath souhaite que sa Ville soit nettoyée et c’est pour ça qu’il se contente d’être un peu chafouin quant à ma mascarade. Le Fenris souhaite se débarrasser des meutes rebelles, quant à Victor, il a vu dans tout ce bordel une occasion d’être le créancier de tout ce petit monde-là.
- Bienvenue dans mon monde, Vincent… Bienvenue dans le monde des armes et des menaces brandies devant leurs ennemis.
- Je ne veux pas être… une arme. Ni même une menace.
Il m’a lentement caressé la cuisse, ce qui a provoqué le réveil de Louveteau qui somnolait jusque là et qui a grondé dans un coin de ma tête. Louveteau aimait bien mon assassin mais pas à ce point.
- Change de main et change la donne. Toi, tu en es capable.
- Et pas toi ?
- Non… On m’a brisé, Vincent. On m’a brisé bien avant que je ne comprenne que je suis juste un pistolet sur la tempe de quelqu’un. On nous a brisés parce que c’est comme ça qu’on fabrique les plus belles armes. Mais Sigur n’a pas voulu te briser. Profites-en.
- En faisant quoi ?
- Ce que tu veux. On peut même fuir cette ville de merde, cette mission de merde et tout ce bordel !
- « On » ?
- Je n’ai pas envie de retourner dans une cour, redevenir un tueur pour le plaisir d’un Maitre. Je sais… (il se tapota la tempe d’un doigt distrait) que ça ne va pas du tout. J’ai des absences, je fais des rêves qui s’avèrent être des cauchemars… Et je sais que je fais des choses dont je ne me souviens pas. Ici, ça m’arrive moins souvent…
- C’est peut-être mon pouvoir de Cœur de Meute.
- Peut-être, mais ça me fait du bien. Je me souviens qu’elle est morte…
Un frisson glacé m’a parcouru l’échine. Nous avions fait en sorte de ne pas en parler pour ne pas provoquer une crise de démence mais il semblait qu’il avait toujours su que Sonatine n’était plus à ses côtés, sauf que ses « absences » lui faisaient oublier. J’étais en face d’un sérieux dilemme, là… Est-ce que je continuais à le soigner ou est-ce que je le laissais dans une ignorance teintée de nostalgie ? Après tout, sa version de Sonatine ne me dérangeait pas vraiment, voire, je l’aimais bien. Est-ce qu’Allegro allait vraiment bien… en deuil ?
- Tu savais… ?
- J’étais là, je te rappelle. Qu’est-ce qu’il se passe pendant mes absences ?
J’ai hésité. Mes quelques lectures en psychologie ne m’avaient pas préparé à répondre à cette question. Et si je faisais plus de mal que de bien en lui répondant la vérité ? Et si j’aggravais sa dissociation de personnalités en le confortant dans ses mensonges ? Mais il avait une lueur dans son regard qui me perça le cœur. Il avait besoin d’être rassuré, besoin de connaitre enfin la vérité sur son état.
- S’il te plait… Me murmura-t-il.
- Tu… Il y a des moments où tu te prends pour quelqu’un d’autre.
- Quoi ? Pour qui est-ce que je me prends ?
- Pour une petite blonde que je trouvais pénible. Avant. Et qui me manque…
Il s’est redressé avec un soupçon d’horreur dans le regard.
- Et… Qu’est-ce que je fais ?
- Rien de grave, rassures-toi. C’est juste… Elle. Telle que tu t’en souviens.
Sa lèvre inférieure se mit à trembler et ses yeux se teintèrent d’un voile rouge. Je crois que je ne l’avais jamais vu dans cet état : il était prêt à s’effondrer en pleurs. Autant Louveteau que moi avions le cœur brisé devant ce spectacle et je l’ai pris dans mes bras pour le cajoler, sur un coup de tête. Il se débattit un peu puis finit par pleurer à gros bouillons en poussant des cris de douleur. Je comprenais un peu mieux Simon et sa façon de protéger mon assassin. Il l’avait vu dans cet état auparavant et c’était absolument déchirant. Je lui caressais les cheveux alors qu’il souillait ma chemise de ses larmes de sang.
Je savais pourquoi il pleurait. Pas la perte de Sonatine, son âme sœur, mais le fait d’être le seul à ne pas voir le fantôme de celle qu’il avait aimé. Peut-être une autre version de l’enfer… Je posais le front contre la tempe d’Allegro, cherchant un moyen de l’aider mais ne trouvant rien de pertinent, pas même de vaines paroles de réconfort.
Laisses-moi faire…
Je sentis la chaleur qui m’envahissait me quitter pour envelopper le corps d’Allegro et me rendre plus réceptif aux fractures de son âme. Une soixantaine de morceaux essayant de se raccrocher les uns aux autres mais s’effritant d’avantage dés qu’ils rentraient en collision. C’était la douleur qui empêchait les morceaux de revenir à leur place et je tendis les doigts pour l’effacer d’un effleurement. Chaque fois que je touchais ces lignes noires et acérées, ma gorge se serrait et m’empêchait de respirer. Je ne savais pas depuis combien de temps ces nœuds l’étranglaient mais je comprenais mieux ses attitudes étranges. Je glissais les morceaux les uns contre les autres, espérant ne pas me tromper dans l’ordre. Je ne sais pas combien j’ai passé à remettre ces fichus morceaux d’âme dans le bon sens, me trompant parfois et devant recommencer depuis le début, avec toujours cette boule qui m’étouffait et qui me perçait le cœur de mille aiguilles.
Quand ce fut terminé, je me suis écroulé au sol en tenant Al contre moi. Je n’en avais pas besoin puisque mon assassin était accroché à moi comme un chaton à sa mère.
Tu pourrais te remettre à respirer, s’il te plait ?
J’ai pris une grande inspiration, ce qui m’a permis d’atténuer la douleur de mon cœur.
Merci.
- Ça a marché ?
Peut-être. C’était la première fois que je faisais ça.
- Et c’était quoi ?
Ce pour quoi je suis là. Je crois. On ne m’a jamais appris à être ce que je dois être.
- Chanceux…
J’essayais mes yeux, assez peu étonné de les sentir humides et que le seul le gauche soit sanguinolent. Depuis que mon loup partageait ma tête, je ne pleurais normalement que de l’œil droit, preuve, sans doute, qu’il se l’était approprié. Je lui laissais de grand cœur.
- Louveteau… ?
Va falloir vraiment, vraiment ! que tu me trouves un meilleur nom…
Je me suis tu un long moment pour réfléchir sur ce que j’avais remis à plus tard beaucoup trop de fois. Je cherchais quelque chose qui lui convenait mais à chaque fois que je trouvais un nom ou un adjectif qui m’interpellait, je me doutais qu’il allait grogner de dépit devant mon choix. Alors j’essayais des trucs qui lui auraient plu mais je n’arrivais pas à le concevoir sous ses noms. J’ai songé à ce que nous étions, à ce qu’on voulait faire de nous, à ce qu’on voulait, nous… Cette recherche inlassable… Et c’est devenu une évidence.
- Hunt… ?
Oui, Vincent ?
- Je veux courir… Un peu… Loin de tout ça…
Moi aussi… Ces murs, cette ville, tout ça m’étouffe.
- On va sortir. Seuls… Quitte à avoir les pattes en sang, on va courir tout le reste de la nuit.
Oh oui… Et si on croise ce bâtard d’Alpha du Bayou, on lui bouffe la gorge.
- J’aime ce programme. Je valide.
Allegro s’agita contre moi et leva les ses yeux verts qui, après ces quelques années à refléter sa folie, avaient enfin retrouvé un éclat plus pur.
- Mon seul regret… Chuchota-t-il. C’est que je ne la verrais plus… Même pas dans vos yeux à tous. Elle me manque…
- Elle me manque aussi… Bizarrement…
- On ne dirait pas mais elle occupait sa place. Maintenant, qui va me faire rire quand je serais d’humeur massacrante ?
- Je connais bien quelques jeux de mot, mais…
- Tu sors de dépression.
- Oui, enfin… ça fait quelques temps, quand même.
- Tu sais que ce n’est pas fini. Pas encore. Tu le sais, n’est-ce pas ?
J’avoue que je m’en doutais un peu et que Louveteau – pardon, Hunt – faisait exprès de me couper du monde pour laisser le temps à mes défenses de se reconstruire. J’ignore encore si c’était la meilleure des solutions puisque j’enrageais de tenir à distances des personnes que j’aurais voulu approcher. Je savais aussi que j’étais fragile au-delà de ce qui était admissible pour quelqu’un comme moi, avec mes responsabilités. Je savais aussi qu’ils étaient tous là pour faire barrage et m’empêcher de tomber.
- Je ne veux pas y penser.
- Mais tu le sais.
- Oui. N’en parlons plus, s’il te plait. Je… J’étouffe.
Il se redressa.
- Pardon, je…
- Ce n’est pas toi. J’ai besoin de fuir tout ça un peu… Ça fait trop longtemps que je ne me suis pas transformé et…
Il se précipita vers ma commode et en sortit le thermomètre frontal pour me le coller sur le visage. Quand il le regarda, le nombre 42 était bien rouge.
- Je pensais que… Qu’il te le dirait si ça commençait à …
- Il l’a fait… Aide-moi s’il te plait.
Je lui tendais la main pour qu’il m’aide à me relever pendant que je tentais de déboutonner ma chemise. Mes veines devenaient du feu liquide et je sentais mes tendons et mes cartilages bouillir. D’ici peu, ma transformation commencerait et tous mes os se briseraient en mille morceaux pour se reformer un peu plus tard, plus lourds et plus gros, la douleur me submergerait et je hurlerais comme jamais.
Allegro finit par arracher ma chemise et à poser les deux mains sur mes joues, provoquant une surcharge sensorielle qui m’a fait me stopper.
- C’est… Dangereux… Ce que tu fais.
- Non, ça permet d’attirer votre attention. Tu dois t’agenouiller et me laisser faire, ok ?
- Comment… ?
- J’ai déjà assisté plusieurs fois à la transformation de Simon et je l’ai aidé…
J’en suis resté tout con, sans doute parce que je l’ignorais complètement jusque là.
- Quand… ?
- Les premières fois.
J’ai compris qu’il avait essayé de se tuer sous couvert d’aider un loup lors de ses premières semaines. Manifestement Simon avait vraiment été aidé puisqu’il n’avait jamais perdu le contrôle, sans doute parce qu’il n’avait pas envie de massacrer un ami.
- Tu… Fou…
Mes crocs commençaient à sortir, m’empêchant d’articuler correctement.
- Peut-être. Maintenant, mets-toi à genoux et tu me regardes dans les yeux.
Il a commencé à déboutonner mon pantalon alors que je m’agenouillais et je songeais que ça faisait bien longtemps qu’on ne s’était pas attaqué à ma braguette.
Pense à autre chose !
Mais je ne pouvais pas. La transformation a toujours eu un effet étrange sur moi qui me rendait vraiment tout chose, comme une femme qui me griffe le dos alors qu’elle jouit ou un homme qui me mord l’épaule alors qu’il me pilonne. Ce n’est pas quelque chose que j’ai l’habitude de partager et c’est sans doute pour cette raison que je me transforme seul.
Mes muscles se déchirèrent et mes os se tordirent, me jetant à terre. Allegro me pris le menton et a bloqué ma mâchoire.
- Regarde-moi dans les yeux.
C’est ce que je fis, me plongeant dans le vert émeraude de ses iris. Est-ce qu’il essayait de m’hypnotiser ? Aucune idée mais je me sentais un peu plus calme que d’habitude, ce qui était une bonne chose puisque, pour une fois, les meubles ne seraient pas détruits. J’ai une tendance à tout briser autour de moi quand ma peau se déchire. Ce qu’elle fit sur toute la longueur de mes bras alors qu’Allegro me débarrassait de ma chemise en urgence. Ce n’était pas encore la pire des douleurs mais c’était déjà assez cuisant pour me faire haleter. Le pire était sans doute quand les os finissaient par se briser sous la torsion.
- Concentre-toi sur ta colonne vertébrale. Me murmura mon assassin en me caressant les cheveux. Tu peux diriger ta transformation et commencer par la colonne vertébrale la rend plus rapide.
Mais pas moins douloureuse, loin de là. Le moment où chaque vertèbre se brisa pour se reconstituer me coupa le souffle mais je ne pouvais pas hurler puisqu’Allegro me maintenait toujours la mâchoire.
- C’est bien. Maintenant, il faut que tu laisses tout exploser en une seule fois. Ça va vraiment faire très mal mais ce sera court. Tu tiendras le choc.
Oui, c’était évident. Même si ça avait duré plus longtemps, ma double régénération ne m’aurait pas permis de mourir. Ceci étant dit, je me serais bien passé de cette torture. Les loups-garous dissociés ne peuvent pas avoir une transformation sans douleur puisque les deux parties, l’humaine et la louve, et qu’elles en soient conscientes ou non, luttaient l’une contre l’autre pour sortir en premier. Le seul problème est que la porte est toute petite.
Allegro m’ayant lâché, j’ouvris la gueule pour hurler mais mes poumons n’étaient plus accessibles. Mon cœur venait de lâcher et je commençais à ne plus rien voir, mis à part les deux émeraudes des yeux de mon assassin. Je n’avais jamais remarqué à quel point il avait de beaux yeux, jusqu’à cet instant. J’ai eu une envie folle de les faire rouler sur ma langue et entre mes crocs. Mais ce fut le black-out total, comme ça m’arrivait souvent à ce stade de la transformation.
Quand je repris conscience, j’avais la mâchoire refermé sur son bras et la patte droite posé sur son visage. Mais le plus étonnant était son calme olympien : S’il avait respiré, je suis sur que ça aurait été aussi régulier que s’il était endormi. Il m’a souri malgré le fait qu’une de mes griffes était dangereusement proche de son œil.
- C’est fini ?
J’ai hoché la tête et je me suis levé en étirant mes muscles. Ce moment-là… C’est le meilleur moment de la transformation : L’étirement après le réveil, quand tous les muscles endoloris reprennent leurs places, les os et les cartilages qui craquent une dernière fois et ce sentiment de bien-être… Putain de merde ! Rien que pour ça, ça vaut le coup de se détruire le squelette.
Allegro s’était relevé et avait ouvert la fenêtre et les volets de ma chambre.
- Une petite ballade te fera du bien. Essaye juste de revenir avant l’aube, histoire que Simon ne pète pas les plombs.
Je l’ai regardé, lui qui trainait une aura de détresse derrière lui, j’ai senti que je ne pouvais pas l’abandonner maintenant. Le fait qu’il m’ait aidé à me transformer ? Encore une réminiscence de ses envies de suicide. Si je le lâchais maintenant, j’étais sur de retrouver un tas de cendres et un mot d’excuses de sa part. Hors de question… Je l’ai donc chopé par le pantalon et je l’ai trainé dehors comme un chaton.
La chasse. C’est quand même bien mieux à plusieurs.
Comme le sexe.