Chapitre 1: Lundi au boulot.
J’ai conscience que je dois revenir un peu en arrière puisque ce n’est pas très clair. Toutes mes excuses…
James Alexander Taylor avait 37 ans quand Astella le mit à la porte. C’était un épidémiologiste de talent et un biochimiste qui n’avait qu’un seul problème dans sa carrière : Son mépris total de l’humanité. Dans une interview qu’Astella le força à faire, il expliqua que le parasite le plus tenace et le vorace du monde était l’être humain. Quand le journaliste lui demanda pourquoi, vu ce qu’il pensait de l’humanité, il avait cherché un vaccin pour le virus le plus dangereux pour elle, Taylor répondit : « Parce que je suis aussi l’un de ces parasites ! »
Ça pose le personnage, hein ?
Bref, quand Astella le ficha à la porte, elle avait pensé à le foutre aussi dans la merde. En plus de le virer avec des références de merde qui lui ferma les portes des grands laboratoires privés et publics, il fut condamné à payer la somme de 120 000 dollars à son ancien employeur pour rupture de contrat. Résultat des courses, en plus d’être pauvre et déshonoré, Taylor ne trouva qu’un boulot de préparateur en pharmacie de seconde zone qui lui permettait à peine de rembourser le prêt qu’il avait dû contracter pour payer son loyer et la pénalité de rupture de contrat. On aurait pu croire que Taylor aurait commencé à déprimer, à éprouver une forte frustration… Mais en fait, non. Ça le saoula, oui mais le Docteur Taylor avait une tendance à prendre les choses comme elles venaient et à ne pas les combattre. On pouvait penser que c’était de la flemme mais en fait, c’était sa manière de lutter. Aussi bizarre que ça puisse paraitre, il avait une grande confiance en une sorte de justice immanente.
Ce lundi –là, il était parti tôt de son minuscule studio pour prendre le métro vu que sa voiture avait rendu l’âme la veille, et en avait profité pour s’arrêter chez un Starbucks pour prendre un macchiato, un cookie et le journal du matin. En toute honnêteté, c’était le matin classique pour lui et depuis des années. Sa voiture ? En fait, il ne la prenait jamais et sa dernière petite amie en date l’avait accusé de laisser la pauvre Chevy crever seule. Il ne l’avait pas détrompé. Dans le journal, il vit l’affaire de Columbia mais ça ne l’intéressa pas comme ça aurait dû. Non, la seule chose qu’il pensa était que c’était quand même très bizarre qu’une meute de Loups soit arrivée au sein du territoire de la Meute de New York et que celle-ci n’avait pas bougé. Et puis, il mit l’évènement de côté pour aller voir les derniers résultats de Base-ball. Il paya son ticket et descendit l’escalier, comme tous les lundis matin. Un métro allait arriver dans les dix minutes, puisqu’on n’était pas encore dans les heures de pointe, alors il en profita pour déguster son cookie tout en se laissant porter par le récit du dernier match des Red Sox par le journaliste sportif du Times. Arrivé à la Station de Morris Park, il descendit de la rame, toujours son macchiato en main, qui avait achevé de refroidir et pris soin de laisser le journal sur un banc de la station à l’usage de qui voudrait bien le lire.
Une matinée normale en somme.
Ce qui fut moins normal, ce furent les deux hommes en combinaison de combat noire, casque intégral, qui déboulèrent dans le métro et mirent le Docteur Taylor en joue.
-Tu bouges pas !
Le Docteur Taylor ne bougea plus, sans doute très étonné de voir le canon de deux mitraillettes pointées sur sa tête. Il se contenta de lever les mains et se prépara à être le plus docile possible.
- Tu te fous à genoux !
- Bien, messieurs… On se calme, je me rends et je n’oppose aucune résistance…
C’était forcément une erreur et Taylor estimait que le meilleur moyen de s’en sortir était d’être inoffensif.
- Lâche ce que t’as dans la main !
Dans la cohue générale, Taylor se demanda ce que ces… Soldats ? avaient fumé avant de venir l’appréhender. D’ailleurs, il le leur fit remarquer :
- C’est un café, les gars. Froid, en plus.
- Tu lâches ce que tu as dans la main !
- Ok, ok...
- Il a le Virus !
Pendant ce temps, j’en étais à ma huitième simulation des possibilités ou « Comment faire tenir l’improbable dans l’impossible. » Devant moi, Will Harrisson, l’Alpha de Syracuse et donc de la meute la plus proche de la mienne essayait de trier dans ses propres papiers et de jongler avec les rapports de ses éclaireurs. Will était un alpha depuis près d’un siècle et était arrivé dans la région quand elle était encore colonie britannique. Si ce n’avait été ses cicatrices, Will aurait pu passer pour n’importe qui mais une famille de Chasseurs d’Hommes aujourd’hui éteinte l’avait attrapé, bien des années en arrière, et lui avait tranché une oreille et crevé un œil avec une lame en argent. A côté de ça, Will était un homme charmant et nous nous entendions plutôt bien.
Je lâchais mon PC un instant, le laissant générer la simulation 3D avec les éléments que je lui avais donné et regardais Will qui venait de raccrocher avec son chef éclaireur avec un soupir.
- Par pitié, dis-moi que tu as une piste…
- Rien du tout. Par acquis de conscience, Arthur a contacté Marissa, la Seconde de la Meute de Félins de Easton et Corey, celui des loups de Providence. De leur côté aussi, personne n’a bougé et ils n’ont pas eu d’informations sur une meute dissidente qui passerait dans le coin. C’est comme si tes loups étaient apparus spontanément et ont disparus aussi vite.
- Bordel de merde…
- Pas mieux. Tu sais que le Fenris a placé stratégiquement plusieurs meutes en surveillance mais en l’espace de six mois, rien ne permet de penser qu’une troupe de métamorphes de plus de trois individus s’est déplacé en dehors des schémas de migration ou sans autorisation. La seule meute qui se soit déplacée à proximité, c’est la meute de Coyotes de Chubut mais ils sont arrivés au nord de Québec il y a deux mois et n’en ont pas bougé depuis.
- Tu es au courant qu’il faudrait l’intégralité des dominants de la Côte Est pour arriver à ce résultat ?
- Parfaitement. Le seul problème étant que le continent américain dans son ensemble n’a pas bougé.
- Tu as demandé à Jones si des Européens étaient en transit ?
- Pas eu de réponses pour le moment mais je vois mal une cinquantaine de Métamorphes arriver par bateau ou par avion, foutre le bordel chez moi et repartir aussi sec.
- On a fait les premiers tests toxicologiques. Annonça-t-elle en posant le rapport sur mon bureau.
- Et donc ?
- Parmi les victimes, beaucoup d’alcool, un peu de coke, un peu de shit, une touche d’héroïne et quelques traces de GHB. Malheureusement, une fête de fraternité classique.
- Et les survivants ?
- Rien.
- Et… Les drogues surnaturelles ? Demanda Will.
Berserker fut la suivante et donnait l’impression à son consommateur d’être invincible en plus de voir et d’entendre mieux. Ce qui était faux dans les trois cas. Même si elle était moins dangereuse que Bloodlust pour l’organisme, elle avait provoqué le suicide d’une centaine de cas, rien qu’aux Etats-Unis. Celle-là, elle nous a posé beaucoup de problèmes.
Et enfin, FairyDust… Elle est assez classique dans ses effets primaires puisqu’elle se contentait de provoquer des hallucinations. Certes des hallucinations assez carabinées mais ça restait classique. Ce qui l’était moins, c’est l’effet secondaire… Nous savions depuis la Grande Révélation que les Faes étaient des créatures magiques mais nous ignorions qu’ils pouvaient être les focus de sorts passifs… Et quand quelqu’un consomme ce sort, avec le FairyDust, le sort se lance… Des fois, c’est un sort inoffensif… Et des fois, c’est largement plus terrible. Ce qui a calmé grandement les consommateurs de FairyDust, c’est la bibliothèque de l’université de Nantes, en France, qui implosa et fut réduite à un cube de trente centimètres d’arrête, livres, ordinateurs, archives et le connard de garde de nuit toxico compris. Il parait que tout, à l’intérieur, est encore en très bon état, y compris le garde. Mais on a toujours pas trouvé comment inverser le sort.
- On y est pas encore, au niveau des tests. Répondit Yuna avec un sourire. Un ancien collègue m’a dit que la Scientifique a quelques problèmes. Par exemple, ils ont du mal à retrouver tous les organes…
- Il manque les parties molles ?
- Pas mal, ouais…
- On est mal, Marmonna Will. N’importe quel véto va leur dire que les prédateurs mangent en premier les parties molles…Et personne ne croira que des animaux se sont échappés du Zoo le plus proche.
- On a quelqu’un à la morgue qui peut nous donner des infos ?
- Mais… On est pas sensé récupérer l’affaire ? Me demanda Yuna en virant le chat de son fauteuil.
- Oh, on va la récupérer… Dans un mois, après que l’opinion publique nous ai crucifiés. Le chef de la Police est un anti Surnaturel convaincu et je suis, à chaque fois, obligé de le menacer pour obtenir ce dont nous avons droit. Et il est possible que les indices qu’on nous laissera soient contaminés.
- En plus d’une piste froide… remarqua Will.
- Ça, c’est réglé. J’ai cinq traqueurs sur place et masqués par un sort.
- Tu veux que je rajoute des éclaireurs à moi ?
- Si tu le peux, oui.
- C’est bon. J’ai un pote qui va m’envoyer les copies des premiers rapports.
- Si je peux les avoir pour demain, au plus tard, ce serait parfait.
- Tu les auras ce soir.
- Eh, Petite Louve ! Ça te dit de prendre un café avec moi, un jour ?
- Seulement s’il y a du Whisky dedans.
- Au fait, j’ai oublié de te dire… Elena t’attends dans le hall d’entrée.
- Depuis combien de temps ?
- Oh euh… Une dizaine… peut-être une vingtaine de minutes… Hum… Moins d’une heure, en tout cas.
Voilà le nœud du problème : Elena n’était pas vraiment aimée par la Meute de New York, Yuna étant la plus méchante envers elle et Dom le plus indifférent. Azul avait tenté d’approcher Elena le plus amicalement possible et a essayé de la trainer avec elle dans ses expéditions de shopping mais la présence d’Allegro dans ces sorties entre filles, ou plutôt la présence d’une Sonatine qu’Allegro tenait à jouer encore un peu, acheva de rendre Elena allergique à Victoria’Secret et aux Mojitos. Mon assassin rendait ma petite amie extrêmement nerveuse et, aussi étrange que cela puisse paraitre, le babillage de Sonatine aggrava la mésentente. Ce qui eut comme conséquence de braquer Yuna et Simon contre elle et bien évidement Allegro qui vécut très mal le rejet, même s’il ne le montra pas. Les frères florentins décidèrent de ne pas se mêler de tout ça et furent polis, à défaut d’être aimables, Ash se permettant même quelques petites piques subtiles qui n’étaient pas relevées, fort heureusement mais qui conforta le lance-flammes dans sa décision de ne pas s’impliquer plus que nécessaire.
Je me suis forcé à ne pas soupirer, afin de ne pas inquiéter mon auditoire mais j’ai fait signe à Yuna de sortir avant que je ne m’énerve. Will se pencha en avant :
- Un jour, il va falloir que tu les mettes au pas à ce sujet.
- Leur imposer MA petite amie ? Non. Ce serait totalement stupide et ma vie privée ne les concerne pas.
- Plus que tu ne le crois. Si Elena devient la compagne de l’Alpha, elle aura autant de pouvoir sur eux que toi. Ils le savent et pourtant, ils ont l’air agacé en sa présence. Ça va mal finir…
- Elena n’est pas ma compagne.
- Pas encore. Et ils craignent tous que ça arrive et de devoir choisir entre rester avec toi ou s’éloigner d’elle.
- L’avenir que tu me décris est particulièrement souriant…
- Je ne te demande pas de prendre une décision, juste d’y réfléchir. Sincèrement, en tant que vieil Alpha, ça me ferait chier que le petit jeune que tu es se fasse avoir par une meute jalouse. Aucune envie de te voir remplacé puisque je ne tiens pas à lécher les pompes d’un autre bébé loup…
- Je vais y réfléchir. Si je trouve le temps avec le merdier qui nous est tombé dessus.
- Je suis sur que tu le trouveras.
- Maintenant, si tu m’excuses, il va falloir que je rampe dev…
- Patron ! On a une invasion de zombies !
- Je vous demande pardon ?
La première pensée du Docteur James Taylor quand il se réveilla fut la suite logique de sa question : « …pensent-ils que j’ai un virus dans mon café… ? » Cependant, vu la migraine qu’il se tapait, pile entre les deux yeux, il était incapable d’y réfléchir efficacement. De plus, les courbatures de son dos lui donnaient plus envie de taper quelque chose plutôt que d’essayer de deviner ce que pensaient deux crétins kaki. C’est seulement quand il ouvrit les yeux qu’il comprit qu’il était dans une situation très inconfortable, c'est-à-dire à moitié couché sur une sorte de muret et la tête et le haut du corps dans le vide. Si on lui avait demandé son avis, il n’aurait jamais dormi dans cette position… Déjà testée lors d’une fête étudiante et deux rendez-vous chez le chiropracteur pour s’en remettre, ça ne valait vraiment pas le coup, soyons honnêtes.
Il ne tenta même pas de se redresser et préféra se retourner pour se retrouver sur le ventre. Etait-ce vraiment une erreur ? Malgré le fait que le muret lui rentrait dans le ventre, juste en dessous des côtes, il pouvait se glisser en avant à l’aide de ses bras. Ce qu’il fit dans une absence totale de grâce mais ses poumons bloqués ne lui permettaient pas vraiment de faire le difficile sur ses sorties, pas d’avantage quand il atterrit comme un sac au sol. Il regretta juste de se retrouver le visage sur le sol alors que ses jambes étaient toujours en équilibre sur le muret et l’exprima par un gémissement de dépit. Pour le reste, ce n’était pas si mal : Il avait juste à rabattre ses jambes et il pourrait retrouver un semblant de mobilité. Ce qui était fort appréciable puisque le sol était trop froid pour avoir envie d’y rester. Il plaça ses coudes et ses mains de chaque côté de son corps et vu le gémissement de douleur que la poussée lui arracha, il songea qu’il était peut-être temps de retourner dans une salle de sport, s’il y avait une dans son quartier qui n’était pas trop chère, ce dont il doutait. Enfin assis au sol, il fit rouler ses muscles et fut agréablement surpris de ne pas sentir davantage de contractures et surtout aucun os déplacé.
Il se souvint qu’il était toujours dans la station de métro de Morris Park mais il s’étonna de la trouver presque silencieuse et plongée dans l’obscurité. Avec appréhension, il regarda sa montre et vit qu’il n’était que 9H10, qu’il était en retard pour son boulot mais qu’il était vraiment étrange qu’aucun métro ne passe. En tendant l’oreille, il n’entendit même pas le bruit lointain d’une rame mais plutôt qu’une poubelle était fouillée derrière lui. Sans doute un rat, se dit-il en se retournant mais la luminosité quasi inexistante ne lui permit que d’entrapercevoir une forme indistincte bien plus grosse que celle d’un rat qui bougeait au-dessus du sol. Taylor ignorait que les chiens errants rentraient dans les métros… Mais peut-être que celui-ci avait suffisamment faim pour y rentrer et fouiller les poubelles. Il se leva et tâtonna autour de lui pour retrouver sa sacoche afin d’en prendre son portable. Malheureusement, celui-ci avait l’écran complètement fendillé et aucune image ne s’affichait correctement.
- Et merde… laissa t ‘il échapper en songeant à ce qu’il faudrait pour remplacer le smartphone et qu’il n’avait pas vraiment les moyens de cette petite dépense.
Ce n’était pas un chien. C’était une femme en tailleur jupe qui dardait ses yeux fous sur Taylor puisque celui-ci l’avait interrompu dans son repas, un homme d’une cinquantaine d’années qui n’avait plus de ventre, juste un trou béant. Pourtant, ce qui choqua Taylor, c’est que l’homme avait encore ses lunettes. La femme se releva en grondant plus fort et le docteur put voir que mis à part ses collants filés, une chaussure manquante et une nouvelle teinture au sang, elle n’avait aucune blessure. Qu’elle avance en claudiquant était juste le résultat de la chaussure à talon qui lui restait et qui surélevait son pied droit de cinq centimètres.
Le docteur Taylor était paralysé. Comme tout bon biochimiste un peu geek, il s’était penché, par jeu, sur la possibilité d’un virus zombie et n’avait trouvé qu’un parasite fongique comme étant suffisamment proche du résultat souhaité. Et puis, il y avait eu la Grande Révélation et malgré son intelligence, le Virus V, le vampirisme était incompréhensible pour lui. Il y avait trop de paramètres délirants, comme le fait de se régénérer et de rester parfaitement identique à ce qu’on avait été lors de l’inoculation du Virus, pour qu’il puisse en faire quelque chose. Le Virus W, la Lycanthropie, était déjà, intellectuellement parlant, plus facile à concevoir. C’était pour ça qu’il en avait fait sa spécialité.
Quant à la créature qui approchait de lui en boitant, il était bien incapable de dire à quelle espèce elle appartenait. Mais quoiqu’elle soit, elle était dangereuse et affamée, ça se voyait à ses yeux. Taylor s’arracha à sa contemplation scientifique et se mit à courir. Comme la créature était entre lui et la sortie, il sauta sur la voie et remercia le ciel de ne plus sentir ses muscles contractés par une mauvaise position. Enfin… il remercia plutôt l’adrénaline qui lui permettait d’endormir ses centres de douleurs pour lui permettre de fuir…