Chapitre 15 : Prédateur.
Le plus dur, ce fut sans doute d’échapper au reste de la Meute pour notre test grandeur nature. J’avais promis de ne pas bouger et de rester parfaitement calme au bureau, à ruminer dans mon coin et m’abrutir de télévision et de comptabilité. Autant dire que le programme me rendait fou de joie ! Quoique… Bobby m’avait fait découvrir Queer Eye et j’avoue que niveau télé réalité à déguster avec un pot de glace, ce truc était royal. Et puis, ça réveillait mon côté midinette, pour une raison que je n’arrivais pas à comprendre. L’effet Jonathan, sans doute
Mais… ça n’aurait pas résolu mon problème.
La majorité de la Meute pouvait être facilement distraite par ses autres obligations mais Yuna restait la plus dure à éloigner. Bizarrement, Taylor y arriva sans aucun souci, ma petite louve étant un peu refroidie quant au fait de me servir de garde du corps et l’envoyer dans la zone rouge pour cartographier les postes médicaux avancés de l’armée sans se faire prendre ni voir se révéla une excellente idée, même si j’eus un peu honte de la faire bosser pour rien.
- Mais qui vous dit qu’elle va faire ça pour des prunes ? me reprit Taylor alors que nous discutions de la mise en œuvre du plan. Non, j’ai besoin de savoir qui Astella a envoyé comme médecins.
- Astella n’est pas sur place, officiellement.
- Officieusement, vous pouvez être sûr qu’ils récoltent de l’échantillon à la louche. Quelque chose a merdé, ils doivent savoir quoi et quand ils le sauront, ils apparaîtront comme les sauveurs de New York en proposant un vaccin pour pas trop cher.
- On peut sans doute mettre un coup de pied dans la fourmilière et enlever Astella de l’équation… ?
- Avec quelles preuves ? moi ? Je suis mort ! Et c’est bien pour ça qu’ils ne font pas un battage médiatique sans précédent sur le terroriste qui a provoqué ce merdier. Y’a pas eu de témoins, le principal suspect est mort et la zone est bloquée ; ils peuvent se permettre d’attendre un peu et de ne balancer leur trop jolie histoire qu’une fois qu’ils auront un remède à peu près potable. Et là…
Il mima une bombe qui explose.
Ce que je ne comprenais pas, c’est pourquoi il s’intéressait à mon petit problème de sort de prédation alors qu’il avait un virus à combattre. Je lui en ais d’ailleurs fait la remarque.
- Je suis bloqué dans une impasse, là. Faut que je m’occupe d’un truc inepte en attendant que mes cellules grises se démêlent les synapses.
- Merci pour le truc inepte. Vous aidiez la police à résoudre des crimes avant ?
- Non. Je regardais le Catch. Très bon démêlant à synapses, ça…
Et après avoir tout revu en détail, il fallait que les deux personnes mises au secret dans les locaux du Sicarius sortent de là sans qu’on les voie… Et il faut dire que ni Taylor ni moi n’étions prêts à faire de l’infiltration avec un métamorphe tous les huit mètres. Nous sommes donc passés par les conduits d’aération et j’ai su que le Sicarius était une vraie passoire si on savait par où passer. Je savais quoi confier à Yuna à son retour…
Dehors, nous avons pris quelques minutes pour nous secouer de la poussière qui nous recouvrait et je mis mon short de course et mes baskets, rien de plus. Taylor s’enfonça dans son sweat à capuche gris et me regarda :
- Prêt ?
- Bof… Je me souviens maintenant pourquoi je n’aime pas faire le mur.
- Pourquoi ?
- Parce qu’après, je dois avoir l’air contrit devant mon engueulade alors que je ne le suis pas du tout.
Et je m’élançais dans une petite course pour rejoindre le Park. Quelques foulées un peu hésitantes, ce qui normalement aurait déjà fait japper de joie Hunt, et j’étais déjà sur le sentier principal. Hunt ne jappait pas mais il était particulièrement alerte, reniflant métaphysiquement toutes les personnes qui nous croisaient. C’est ainsi que je démasquais certains Faes qui avaient interdiction de sortir sans mon accord et qui repartirent pour le Sicarius aussi vite que leur fausse apparence humaine leur permettait, trompés par la colère qui se lisait dans mes yeux… Qu’ils aient fait le mur, je m’en foutais, je faisais la même chose ! Par contre, mon temps était compté et je devais aller plus vite parce que ces andouilles allaient me dénoncer.
C’est au détour d’un sentier moins fréquenté que je le vis et qu’une chape de… d’adolescence boutonneuse, je n’ai pas d’autre mot pour qualifier ce qui m’arriva, me tomba dessus. J’avais des papillons dans le ventre, les mains moites et je sentais que si j’essayais ne serait-ce que d’esquisser un mot, la seule chose qui passerait mes lèvres serait un immonde bafouillage embarrassé.
Et lui… Lui, il s’étirait, jambe après jambe, sur le dossier d’un banc.
Définitivement, pas mon type… Trop éthéré, trop cassable, trop doux, trop classe aussi… Et pourtant, je salivais comme devant le plus plantureux repas qu’il m’ait été donné de voir. Dans ma tête, Hunt faisait exprès de ne pas le regarder pour parer l’attaque mais je sentais qu’il y avait une petite odeur sympathique qui lui chatouillait la truffe. Il éternua à plusieurs reprises pour essayer de s’en débarrasser mais il gémissait de dépit à chaque fois qu’il le faisait. Du reste, je le sentis un peu moins attentif et plus grognon.
Bon. Deux choses : La première étant que le problème, le premier problème d’extase venait bien de cet homme qui semblait prendre plaisir à toucher son front avec ses genoux pour mon seul profit. Cela dit, l’envie de le plaquer durement sur la première surface vaguement plane à ma portée et de prendre ce qui n’était pas à moi ne me tordait pas les entrailles. De deux… Hunt avait envie de dormir et il ne devait qu’à sa vigilance le fait de ne pas être sur le sol de mon crâne à roupaner comme un paresseux. Le premier sort était toujours actif, le second n’avait pas eu cette chance, fort heureusement pour tout le monde.
Du coin de l’œil, j’avisai Taylor dont je ne voyais que l’éclat rouge de son regard que j’allais engager le contact, si tant est que ma toute nouvelle puberté factice allait me permettre de le faire. Normalement, j’avais le contact facile, presque automatique mais là, je devais me forcer ne serait-ce que pour penser que « Vous habitez chez vos parents ? » serait un bon début… Et le gigolo en moi envisagea de se pendre avec ses propres tripes devant autant d’originalité. J’optais donc pour un « Salut » peu compromettant et aussi peu original que possible. Il s’est retourné m’a adressé un petit sourire et j’ai enfin vu en face ses jolis yeux bleus. Je les croyais aussi durs et froids que la glace mais en fait, ils étaient animés d’un feu saphir beaucoup plus chaleureux. Je perdis le reste de ma repartie, noyée dans ses yeux.
- Vous venez souvent par ici ?
J’avais dit que ma repartie était morte… En fait, je crois qu’elle avait piqué mon intelligence avant de se suicider. Je sortis mon thermos de café, histoire de me donner une contenance, malheureusement, ce maudit lutin l’avait parfumé au miel. Je grimaçais, incapable de surmonter mon dégoût.
- De temps en temps. Murmura t’il en changeant de jambe sur le banc. Vous ne devriez pas vous forcer…
Sa voix était… comme du chocolat noir. Une petite pointe de douceur dans un océan d’amertume… Et pourtant, c’était une voix dans laquelle on aimerait se rouler dedans.
- Je n’aime pas gâcher… Surtout quand c’est du café. Je m’appelle Vincent et c’est très aimable de votre part d’avoir eu pitié de moi.
Ce n’était pas beaucoup mieux mais j’avais le sentiment que l’univers entier voulait me rendre ridicule à ce moment précis. Alors… Je sais que je suis paranoïaque mais ça ne signifie nullement que l’univers ne m’en veut pas personnellement. Ou alors, c’était une sorte de défense inconsciente suite à la rupture avec Karl…
Oui, c’était possible… J’ai toujours beaucoup de mal à analyser mon propre cerveau et contrairement à Taylor, j’ai du mal à trouver un démêlant à synapses. Voilà sans doute la raison de mon incapacité à parler correctement.
Je me suis fichu un coup de pied au cul, mentalement, bien sûr et je lui ai tendu la main. Cependant, au lieu de la prendre, il m’a tendu sa bouteille d’eau avec un sourire.
- Maintenant, vous pouvez dire que j’ai eu pitié de vous. (Il a attendu que j’en boive une gorgée pour enfin me serrer la main) Enchanté.
Sa poigne était plus ferme que la finesse de sa main ne le laissait présager et je pouvais sentir quelques cals, les rugosités qu’un combattant depuis de nombreuses années ne pouvaient éviter.
- Moi de même. Escrime ou Kendo ?
Le petit sourire qu’il arborait s’élargit et je fus immédiatement sa chose. Ce type était dangereux.
- Ni l’un ni l’autre mais vous n’étiez pas loin : J’ai pratiqué l’escrime un certain temps.
- Ça se sent… Enfin… c’est pas tout à fait ce que je voulais dire… Juste que vous avez la main ferme… (Avant que ça ne devienne n’importe quoi, parce que là, je commençais à gratter le sol de la piscine à force de couler, j’ai un peu biaisé :) Vous ne pratiquez plus ?
- Rarement. Je suis passé à autre chose. Et vous ?
- Euh… Ouais, mais pas vraiment un sport de gentleman.
Quand il a repris son échauffement, j’ai recommencé à bugger. Il lui suffisait de s’étirer un peu pour me déconnecter de la réalité. Effrayant, non ?
- A la base, les lames n’ont pas été créées pour les passes entre gentlemen.
- Non, certes… Mais certains dansent avec la mort mais moi, je lui fonce dedans.
Ce n’était pas encore parfait mais ma repartie commençait à revenir. Cela dit, quand il commença à rire, mon intelligence repartit aussi sec. L’envie de suicide, par contre, était toujours là.
- Et sinon, je fais du Naginata, histoire de ne pas avoir trop l’air d’un bourrin.
Je m’y étais mis une année auparavant, pas vraiment, comme je l’ai dit, pour ne pas trop passer pour un bourrin qui arrache des cœurs à la main, mais pour m’astreindre à une discipline autre que la course à pied. Le Fenrir tient à ce que ses loups apprennent un sport de combat en plus de savoir se battre en loups et, lors de mes propres cours, je comprenais la validité de cette demande. C’était un moyen de rester un peu humain, même quand on est un bourrin.
- C’est… une lance, n’est-ce pas ? Qui vient d’Asie, c’est ça ?
Ça m’a un peu étonné qu’il ne le sache pas mais je n’ai pas relevé. Je commençais à le trouver un peu étrange mais ça ne me semblait pas important, du moins, pas plus que ça. Par contre, Hunt semblait éprouver un peu plus de réticence, ayant enfin réussi à se débarrasser du parfum si entêtant. Mon loup n’a pas ma capacité à m’émouvoir pour un joli cul qui passe à portée.
- C’est ça. Du Japon pour être exact.
- C’est ce qu’indique la sonorité. Le Japon a l’air intéressant… Il faudra que je m’y arrête un jour… Marmonna-t-il, sans doute pour lui-même.
- Je vous conseille Kyoto. C’est absolument magnifique et beaucoup plus traditionnel que le reste du pays.
Je regrettais un peu mon conseil car il était sûr que si Atra croisait mon adorable joggeur, elle le récupérait pour elle et plus personne n’aurait profité de ses merveilleuses jambes.
- Je m’en souviendrai. Prêt à reprendre ?
J’acquiesçais et je remis mes affaires dans mon sac. A ma grande honte, j’avais complètement oublié Taylor et je ne vis plus du tous ses signaux, si tant est qu’il m’en envoya.
- Combien il vous reste à faire ?
Il sourit :
- Je n’ai pas encore commencé.
- Ah. Et bien, je vous suis.
Comme d’habitude, je ne m’échauffe jamais. C’est l’avantage d’être un métamorphe, vos muscles sont toujours prêts. Sauf pour la transformation mais on n’est jamais prêts pour une déchirure musculaire de l’ensemble du corps. Mais je l’ai suivi à son rythme, au début assez lent puis en progression constante jusqu’à arriver à la course d’un marathonien olympique. Hunt et moi étions ravis de pouvoir courir mieux que sur un tapis de courses. Ceci dit, je suis sur que les personnes autour de nous commençaient à s’inquiéter. Il était clair que deux surnaturels étaient en train de courir dans le Park.
- Et sinon, vous venez d’où ?
Jusque-là, il économisait son souffle mais il se mit à sourire et sans manquer une syllabe :
- D’Europe. C’est là que je passe l’essentiel de mon temps. Mais si la question est de savoir où je vis, la réponse est Londres, la plupart du temps, sauf quand j’ai besoin de changer d’air et de me prélasser au soleil et où je réside à Séville.
Pas un vampire, donc. Même si le soleil nous acceptait de mieux en mieux, aucun vampire ne se prélassait au soleil de son plein gré. A moins qu’il ne soit jeune, surfeur et stupide.
- Je connais assez peu Londres. Et pas du tout Séville.
- Assez exotique à sa manière.
- Si je peux, j’y passerais. Enfin… c’est pas gagné.
- Trop occupé pour découvrir le monde ?
- Oooooh oui… Parfois, je me dis que je suis trompé d’orientation professionnelle.
- C’est-à-dire ?
- Gérer le surnaturel.
- Et qu’auriez-vous fait si vous aviez eu le choix ?
- Ce que je faisais avant : Informaticien.
- Beaucoup moins trépidant.
- Mais tellement plus calme, non ?
Je ne m’étais pas rendu compte que notre accélération était à ce point mais nos foulées étaient longues et rapides. Je respirais normalement, c’est-à-dire un peu plus rapidement que d’habitude et mon compagnon de course avait un rythme cardiaque à peine plus élevé que précédemment. Et pourtant, nous courrions aussi vite que des chevaux de course. Mais, envoûte par se voix, noyé par son parfum, je n’y faisais même pas gaffe. En temps normal, j’aurais maintenu la course à un niveau à peine surhumain, les loups n’étant pas des champions de la rapidité mais possédant un petit ego capables de nous faire apprécier la supériorité. Je vais plus vite que toi donc je suis content. Et ça ne se remarque pas tant que ça. Là… Il était impossible qu’on nous confonde avec des humains et je m’en foutais royalement.
Jusqu’à ce que ça me frappe de plein fouet. Les seuls moments où je pouvais me permettre de telles pointes de vitesse, c’était quand j’étais en chasse ou que je courrais avec Tray, un métamorphe panthère qui me laissait toujours gagner parce qu’il était soumis, alors qu’en vitesse pure, il m’était bien supérieur.
Ça m’a frappé… et j’ai oublié aussitôt quand j’ai voulu le faire remarquer. Mais comme j’avais la bouche ouverte, il a bien fallu que je parle :
- Désolé de me plaindre mais j’adore ça. Mes amis me frappent quand je le fais trop souvent.
- Je vois ça. (Il souffla et sa voix trembla un peu sous l’effort pour la première fois) Vous n’avez pas l’air de quelqu’un qui se satisferait d’une petite vie tranquille.
J’avais beau m’en plaindre régulièrement, je crois que j’aimais mon coté monstre. D’une certaine façon… On connait tous cette malédiction ancienne, « Puisse-tu vivre des temps intéressants » mais cette malédiction sonne à l’oreille comme une bénédiction et souvent je le ressens comme ça. Je ne m’ennuie pas même si parfois j’aimerais pouvoir m’ennuyer un peu et pouvoir me pencher sur mes propres problèmes… Cela dit, c’est cette occupation permanente, le fait de vivre dans la surprise et l’apprentissage en continu, qui m’a sans doute permis de soigner ma dépression : Je n’avais pas le temps d’y penser. La plupart des psys que j’ai consulté m’ont mis en garde contre cette fausse solution, quand je ne serais plus occupé, mes plus noires pensées reviendraient et m’étoufferaient si je ne me soignais pas.
Peut-être…
Mais je n’avais pas le temps. Et c’était une bonne chose.
Mon joggeur ralentit progressivement et s’arrêta devant le banc où je l’avais vu s’étirer. Encore une fois, je me suis rendu compte que nous avions fait un sacré tour, prés de la moitié du Park, et ça m’ait sorti de la tête dés que j’ai remarqué la goutte de sueur qui descendait le long de sa carotide et le teint plus rosé de ses joues et de son cou. Ce n’était pas la faim dévorante qui m’avait pris auparavant mais c’était tout aussi fort : Un besoin de regarder cette toute petite goutte finir sa route, de l’entendre respirer profondément et de reprendre contenance. J’avais besoin de regarder cette œuvre d’art magnifique vivre. J’avais besoin de le voir danser sans bouger.
- Vous n’êtes pas assez essoufflé pour ça. Me dit-il avec un petit sourire de reproche.
J’ai cru qu’il parlait de mon âge, qu’il ne pouvait pas connaitre, et du fait que je n’étais pas encore assez vieux pour ressentir la lassitude. Mais j’ai supposé que je me trompais et qu’il devait parler du fait que ni mon rythme cardiaque ni mon souffle n’avaient accéléré.
- Euh… Je triche, en fait.
Hunt grogna, non pas parce que je révélais ma nature, enfin… l’une d’elle, mais parce que nous nous étions arrêtés et qu’il commençait à se sentir bien, suffisamment pour continuer une journée de plus.
- En général, on ne le confesse pas.
Il prit la bouteille d’eau dans son sac et commença par s’en asperger le visage. J’avais vraiment l’impression d’être un privilégié, comme de regarder Galatée naître et de respirer pour la première fois. Je me demandais pourquoi personne d’autre ne s’arrêtait pour contempler le spectacle mais j’étais content d’en profiter en égoïste. Cependant, j’avais conscience que je devais détourner le regard de temps pour reprendre mon souffle. J’ai fait craquer ma nuque.
- Je n’ai pas honte.
- Ce n’est pas une question de honte que de saborder un avantage en le dévoilant.
- Ce n’est qu’une course… Je n’ai pas besoin de cacher ces choses. Ce n’est pas important.
Je suppose qu’il a très bien compris ce que je voulais dire puisqu’il a souri avant de boire une gorgée et de me tendre sa bouteille. J’en ai pris à mon tour une gorgée mais par acquis de conscience, j’ai regardé ma propre bouteille… qui émit le sifflement caractéristique d’une bouteille d’eau gazeuse alors que je tournais le bouchon.
- Je vais tuer ce lutin… Marmonnais-je entre mes dents.
Ça devenait extrêmement pénible. Bien sûr, les petites incursions de mon Robin-Bon Diable n’étaient pas méchantes mais elles alimentaient dangereusement ma paranoïa : Chaque petite farce semblait signifier qu’il pouvait m’attaquer quand et où il le désirait et que j’étais démuni face à lui. De quoi passer de bonnes nuits, n’est-ce pas ?
- Un problème avec un lutin ?
- J’ai eu le malheur d’en croiser un… Ce n’est pas bien grave, c’est plus pénible qu’autre chose et je ne vais pas exploser pour si peu…
Je me tournais vers les frondaisons de verdure, cherchant du regard un chat noir :
- Mais ça pourrait arriver !
Mais non, la seule créature étrange qui se cachait dans les arbres avait une casquette enfoncé jusqu’aux yeux et se demandait pourquoi je lui criais dessus alors qu’il était là pour m’empêcher de faire une connerie.
Mon compagnon de banc préféra éclater de rire et rangea sa bouteille d’eau. Sa réaction m’étonna. La plupart des New-Yorkais avait pour les Faes une crainte mêlée de curiosité, comme il se doit. Rien ne plait plus à un New-Yorkais que le récit morbide d’une malédiction Fae qui a mal tournée… tant qu’il n’est pas la cible de cette malédiction, bien sûr. L’ange qui m’enchantait rien que par sa présence avait ri et, avec tout le reste, sa rapidité, son flegme et sa facilité à nouer avec moi, me hurlait qu’il était aussi humain que moi. Voire moins.
- Qu’est-ce que vous êtes… ?
Je suis, en général, bien plus subtil lors des interrogatoires mais le fait d’avoir mis autant de temps à avoir deviné que quelque chose n’allait pas me rendait stupide. Ça et son parfum. Et ses yeux. Et mon envie grandissante de le lécher de haut en bas.
Tu peux te concentrer, s’il te plait ?
Il se mit à sourire plus largement et son regard se para d’un éclat rieur plus prononcé.
- A votre avis ?
Aucune odeur de sang ou de cendre, aucune petite protubérance au niveau de la lèvre supérieure qui aurait pu indiquer une canine, la respiration était lente mais elle n’était pas forcée et surtout, il n’avait jamais eu ce moment d’hésitation « Est-ce que j’ai bien inspiré avant de parler ? » Pas un vampire, donc.
Aucun parfum d’animal réel ou imaginaire, Hunt n’avait aucune emprise et il ne sentait pas les petits à-coups de domination que je pouvais fournir, sinon il l’aurait montré.
Mais il sentait la magie. Ça je m’en rendais maintenant compte, il avait ce petit parfum ténu et indescriptible de la magie. J’avais cru que c’était sans doute le sort dont il était victime avant de me rappeler qu’un sort ne produit pas le même parfum…
Et la réponse la plus logiquement folle était :
- Un Fae. J’espère que vous n’êtes pas le lutin qui me pourchasse…
Il sourit à nouveau.
- Non, je ne suis pas le lutin qui vous pourchasse.
Je respirais un peu plus librement puisqu’il devenait de plus en plus évident que mon Joggeur était un Fae puissant et que, étant en dehors du Sicarius, il ne devait pas être soumis aux lois de l’hospitalité. S’il le décidait, il pouvait me tuer séance tenante et personne n’aurait rien pu dire. Si mon lutin avait été de ce niveau, ma vie aurait pris un tour autrement plus funeste et j’aurais fini par trouver un moyen pour me détruire. Et là, je me suis posé la question de la véritable puissance de mon Robin-Bon-Diable… S’il était largement plus puissant que je ne le pensais, ma vie, que je ne trouvais pas géniale, risquait de devenir infernale…
Mais pour le coup, qui était cette merveilleuse personne que je rêvais de déguster comme une glace ? Bonne question…
- C’est pour échapper à ce lutin que vous courrez ? Reprit-il avec un sourire.
- Non, pas pour lui, non.
Ma soudaine envie d’aller démolir des mannequins d’entrainement s’évanouissait au fur et à mesure et je consentis à regarder le Fae qui tentait, je suppose, de me réconforter. Ses yeux, bien que toujours bleus, avaient légèrement changé de nuance, laissant voir de petits éclats violets. J’aurais pu trouver ça encore plus magnifique si son regard n’était pas en train de me dire : « mon rêve actuellement est de te mettre sous cloche au fin fond de mon manoir pour pouvoir être le seul à te regarder, à ma convenance… A moins que je ne te dévore. »
- Est-ce que je pose trop de questions ? murmura-t-il avec ce petit sourire.
- Est-ce que je donne trop de réponses ?
- Ça pourrait être largement pire. J’ai connu un homme qui n’arrivait pas à la fermer, même quand ça le mettait en danger.
- Qu’est-ce qu’il lui est arrivé ?
- Il est mort, bien sûr.
Je fis la moue. Ce mélange de menaces voilées et d’encouragements me donnait le vertige.
- D’accord. Maintenant, je vais aller me terrer sous mon lit.
- Méfiez-vous, les lutins adorent se cacher sous les lits. Et sous les couvertures. Et sous les oreillers… finit-il en riant.
- Et merde…
- Mais ils ne dédaignent pas les coupelles de lait sur le rebord de la fenêtre. Si vous en avez contrarié un, ce serait un moyen d’entamer les négociations de paix.
- Une simple coupelle de lait ?
- Avec une pointe de miel. Après tout, c’est ce que disent les contes.
- Autant dire un ramassis de conneries.
Son sourire, qui était une ombre de sourire jusque-là, s’élargit suffisamment pour atteindre ses yeux. Je suppose qu’il lâchait un peu son glamour pour me montrer ce qu’il était en réalité. Du moins un peu… parce qu’il était toujours humain pour peu qu’on ne s’attarde pas et qu’on ne s’approche pas de trop prés. Mais étant juste à côté, je voyais les petits détails qui collaient de moins en moins, donnant l’impression d’une symétrie parfaite et inquiétante, de couleurs magnifiques mais qui n’étaient pas celles qui pouvaient être utilisés.
- On aurait tort de les dédaigner, non ?
- Bon… Admettons. Mais pourquoi m’en voudrait-il ?
- Là, vous m’en demandez beaucoup. Et puis, c’est votre impression.
- Eh ! Ce n’est pas parce que je suis paranoïaque qu’ils ne sont pas tous après moi !
- Les lutins se vexent très vite parfois et, mis à part eux, personne ne sait vraiment pourquoi ils ont pris la mouche. Ceci dit, ça peut être aussi une marque d’intérêt. Et c’est tout aussi dangereux.
- Je suis inintéressant au possible.
Là, j’avoue, j’ai tiqué. Est-ce que je venais de me dénigrer ? Oui. Et avec une sincérité qui frisait le mea culpa. Bon, soyons honnêtes, je ne suis pas quelqu’un de particulièrement humble. Au contraire. Même s’il m’arrive de faire ma lavette, histoire d’avoir ce que je veux… Mais de là à dire que je suis inintéressant ?
Le Fae reprit ce sourire un peu félin :
- Je ne partage pas cet avis. Comme quoi, il s’agit d’une chose purement subjective.
- Ce n’est pas ce que je voulais dire… J’aimerais vraiment savoir ce que vous me faites, là.
- Je vous pose des questions et j’essaie de faire connaissance ?
- Pas uniquement.
- Il est vrai que j’occupe mon temps de manière agréable.
- Merci. (et là, je me rendis compte de ce que je venais me dire : ) Merde !
C’est une règle établie pour tout ceux qui ont affaire à des Faes : ne jamais, jamais, dire merci. Quelque soit la raison, c’est un mot à bannir de son vocabulaire. Les conséquences peuvent être pire que la mort et l’enseignement de cette règle m’a valu trois retournées de coude dans le mauvais sens de la part de Sigur. Ceci étant dit, ce sont bien les trois seules retournées que je lui pardonne volontiers.
Le Fae se contenta de rire et il ne sembla pas vouloir exiger la Dette immédiatement, comme ses pairs l’auraient fait.
- C’est… une erreur que je ne fais pas d’habitude.
- Il en suffit d’une…
- Une de trop.
- Une erreur est toujours de trop. Certaines vous paraîtront moins graves mais… le croire est aussi une erreur. Enfin… (Il balaya l’air d’un mouvement de main gracieux) Je ne vais pas vous faire un cours sur l’effet papillon.
- Non, ça ira, je m’en passerais. Mon père me l’a fait bouffer en long et en large…
Pour éviter la confusion, ou peut-être pour en apporter un peu plus, qui sait, il n’y avait que Sigur que j’appelais « Mon père », évitant d’y adjoindre le coté vampirique pour me distancier de ma vraie famille. Sigur était de taille à supporter les emmerdes que j’apportais, pas mes vrais parents.
- Un homme sage, donc.
Je ne pus retenir un reniflement d’amusement mais si je ne reconnaissais pas la sagesse de Sigur, je reconnaissais son intelligence et son expérience. Je me suis même demandé quel genre de Dette féerique il avait du payer pour s’en souvenir avec tant d’effroi et nous le faire bouffer avec autant d’acharnement.
- Mmm… oui, va dire ça.
- Malheureusement, on ne le rabâche jamais assez pour que ce soit assimilé mais toujours trop pour les oreilles qui refusent d’entendre.
Il regarda au loin avec un sourire nostalgique avant de reprendre :
- Enfin… L’autre technique est de vivre sans crainte.
- Sans doute… Bon. Arrêtons de tourner autour du pot : ça va me coûter quoi ?
- Rien.
Je me tournais vers lui, ayant évité jusque là de le regarder autrement que de côté pour éviter de retomber dans le piège de ses yeux. Je ne pouvais plus nier qu’il soit Fae et, normalement, plus personne ne le pouvait : Ses yeux brillaient d’une lueur qui ne pouvait pas venir de ce côté-ci de la réalité. L’impression qu’il me donnait était celle d’une très jolie figurine de métal filigranée, une dentelle délicate mais le métal qui la composait était d’une dureté et d’une solidité à toute épreuve. Rien que de la tenir entre vos doigts et vos mains étaient couvertes de coupures. Que dire quand cette charmante petit figurine se mettrait à bouger ?
- Rien ?
Il y avait de quoi être surpris. Les Faes ne renoncent pas à leurs Dettes, qu’elles soient en leur faveur ou non. Je ne voyais pas pourquoi celui-ci voulait renoncer à la sienne.
- Pourquoi pas ?
Par contre, ne pas donner de réponses, ça, c’était très Fae… Très pénible et très Fae.
- Parce que ça n’arrive jamais ?
- La preuve que si.
- Soit.
Quelque chose me disait que je n’en tirerais rien de plus. Surtout pas en questionnant sa logique avec la mienne.
- Après… Si vous y tenez vraiment, je peux faire preuve d’inventivité.
- Non, non, ça ira ! Je m’en voudrais de vous fatiguer.
- Petit joueur.
Il avait dit ça avec un ton d’affectueux reproche, ce qui me terrifia bien plus que tout le reste.
- Là, je l’admets bien volontiers.
- Que redoutez-vous ?
Encore une fois, j’ignorais ce que Sigur avait subi pour avoir une peur panique des Dettes Fae mais il m’avait donné quelques exemples :
- Oh, je ne sais pas… Un siècle d’esclavage, la perte d’un organe vital ?
Ce qui, pour un surnaturel avec mes capacités de régénération pouvait passer pour un inconvénient mineur mais… dans le cadre d’une Dette Fae, ça signifiait que le Fae en question pouvait collecter l’organe sitôt qu’il reviendrait. Oui, en gros, Prométhée s’est fait avoir par un Fae…
- Hum. La première idée est plaisante mais je n’ai nul besoin d’esclaves supplémentaires pour le moment.
- Vous m’en voyez ravi.
- Quant aux organes, je trouve assez dommage de vous abîmer pour une chose assez triviale, au fond. Qui plus est, je gage que vous vous montrerez assez peu coopératif.
- Et ça vous arrête, ça ?
- Je déteste le gâchis. La facilité aussi.
Son sourire lumineux aurait me faire oublier que nous parlions d’ablation non consentie d’organes à répétition. Mais, au fur et à mesure de notre conversation, j’apprenais à passer outre et, encore aujourd’hui, je suppose qu’il le faisait exprès pour m’apprendre les dangers d’une jolie fleur vénéneuse.
- Je peux comprendre mais je croyais que c’était drôle. Pour vous, j’entends, parce que pour moi, je risque de voir mon rire se coincer dans ma gorge avec le sang qui va y remonter…
- Ce n’est pas mon terrain d’amusement.
- Et qu’est-ce qui vous amuse ?
Son sourire s’effaça pour faire place à une moue pensive.
- Vaste question. Et très épineuse. En fait, je crois que j’aime trop la variété et les variations sur le même thème pour vous répondre de manière précise. Mais, actuellement, je vous trouve amusant.
- Oh, chouette…
- Enfin… Je vous trouve amusant tel que vous êtes, en entier.
- Vous n’imaginez pas combien cette remarque me rend à la fois fier et terrifié.
- Je ne vous veux aucun mal, pourtant.
- Et c’est ce qui me terrifie le plus.
Il croisa les jambes devant lui et me regarda intensément, intrigué par ma logique et réclamant une explication du regard.
- Si vous ne me voulez aucun mal, alors que nous nous ne sommes jamais croisés auparavant, c’est qu’on s’intéresse à moi. Et bizarrement, ça finit toujours mal pour moi.
- Vous ne croyez pas au destin, ce genre de choses ?
- Non. Parce que si j’y croyais, ça signifierait que le destin me chie dessus à dessein.
Il éclata de rire, ce que je trouvais agréable. C’était vraiment chouette d’avoir un auditoire qui n’était pas encore lassé de mes plaintes, quand bien même elles étaient fausses.
- Vous avez vraiment le don pour voir le verre à moitié vide.
- On ne vous a pas dit que j’étais dépressif chronique ?
- Oh, j’ai vu pire, croyez-moi.
- C’est vrai ? Il existe quelqu’un de pire que moi ? On devrait monter un club.
- Pitié, non…
- Pourquoi ?
Faire l’andouille devenait de plus en plus facile, comme si je m’habituais à son glamour ou que le dit glamour baissait en intensité. Ce qui n’avait aucun sens. Quant à lui, il semblait imaginer quelque chose qui le rendait dubitatif.
- Parce que vous seriez fichus de bien vous entendre. Or, pour l’instant, nous avons plus besoin d’actes que de noyade collective.
- Même si je vous promets de ne le faire qu’une petite douzaine d’années ?
Dans ma tête, Hunt caracolait, plutôt ravi de plus être entravé par l’envie de dormir et me voyant continuer mes bêtises. Je fis donc ma plus belle imitation de cocker triste, plus au bénéfice de mon loup que de mon interlocuteur. Celui-ci eut un petit sourire méprisant :
- Je suis immunisé à ça, murmura t’il en pointant du doigt mon visage.
- Siouplait… ?
- Toujours immunisé. J’ai quatre enfants, vous savez. Entre autres.
- C’est vrai ? Quel âge ?
- Suffisamment pour avoir appris à ne pas céder devant un adorable regard de chiot.
- De chaton.
- De chiot. J’ai un chat et il ne me pardonnerait pas la comparaison.
- De chaton. J’ai un loup et il ne m’autoriserait pas à supplier sans préciser que j’imite un félin.
- Et bien, pour la paix inter espèces, nous allons donc devoir abandonner le registre de quelle espèce est la plus ridiculement mignonne en suppliant pour ses friandises.
Hunt hurla de joie puisque nous avions, d’une certaine manière, gagné la joute verbale. Le Fae, lui, préféra regarder les humains au loin, pensif. Moi, je continuais à l’observer, cette créature qui, de loin, pouvait passer pour humaine mais dont les traits étaient à la fois changeants et immuables. Je ne pus m’empêcher de lui demander :
- C’est votre vraie forme ?
- Pas tout à fait. Mais comme il parait qu’il est de bon ton de garder une certaine retenue pour ne pas se faire remarquer…
Je suppose qu’il venait de faire une blague puisqu’il sourit de dérision mais j’étais incapable de comprendre.
- En effet.
- Mais ça s’en rapproche.
- Quelque part, vous avez raison… Mais les Faes n’ont pas mauvaise réputation, eux. Du moins, pas encore.
- Cela viendra. Les humains nous craignent par instinct. Nous, au sens très large.
Nous, les Surnaturels. Je comprenais ce qu’il voulait dire et je savais depuis longtemps que, malgré l’assurance que les humains ont d’eux-mêmes de ne pas être soumis à un quelconque instinct animal, ces mêmes humains ont des peurs ancrées au plus profond d’eux. Qu’ils le veuillent ou non.
En pensant ça, je me suis rendu compte que je m’étais facilement distancié du reste de l’humanité. Ça m’a fait drôle et je n’étais pas sûr d’apprécier.
- Je sais…
- Après, il est vrai que les vampires et les métamorphes portent écrit « Prédateur » sur leurs front… ça n’aide pas.
- Alors, c’est une fausse accusation. Nous ne sommes pas des prédateurs, nous sommes les monstres sous le lit.
J’avais espéré garder un ton plus léger mais me rendre compte que je ne me sentais plus tout à fait humain.
- Et… Comment ça s’appelle, déjà… Twilight n’a pas changé la donne ?
- Pas lu. Et y’a … des… trucs… Enfin, Twilight, ça fait un peu mal quand même…
Avec Ash, nous avions recréé la bibliothèque et la vidéothèque des Ombres. Je m’explique : Jusqu’à il y a une soixante d’années, à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, il y avait un vampire qui recensait tous les ouvrages parlant de prés ou de loin des vampires, la Bibliothèque des Ombres. Cependant, pour une raison fort humaine de guerre froide, la Bibliothèque fut perdue dans un incendie dans lequel le bibliothécaire perdit la vie définitivement. Cependant, Ash ayant compris qu’internet était un outil merveilleux et que les médias sont nombreux, nous avons décidé de ne pas nous arrêter uniquement sur les livres et d’y inclure les films et les documentaires. C’est énorme… et y’a à boire et à manger ! Twilight n’est pas le pire… Selon Ash. Ce qui ne l’empêche pas de vouloir brûler l’auteur en place publique mais Ash est un psychopathe.
Il se mit à rire doucement :
- J’admet que nous avons eu plus de chances avec Tolkien.
- Mais tellement ! J’aurais préféré qu’on nous laisse avec Dracula.
- Est-ce que ça n’aurait pas été plus dangereux pour vous ?
- Que je sache, on ne vous demande pas si vous brillez au soleil…
- Non, mais on me cite régulièrement l’inscription de l’anneau unique, alors que la citation est en noir parler et non pas en elfique.
- Qui n’est pas de l’elfique… Enfin pas du vrai Fae.
- Ah non. Pas du tout.
- Enfin bref… Vous êtes de passage.
Je ne le voyais pas rester dans le coin indéfiniment et ce, pour deux raisons. La première étant que je ne le voyais pas être autre chose qu’un Fae supérieur et qu’il pouvait être le maître de son propre royaume intérieur. La deuxième étant que, par souci de sécurité, j’avais fait faire un recensement des Faes de New York et j’aurais vu qu’une personne de ce calibre se baladait pas loin.
- En effet. Mais, je pense que je vais prolonger mon séjour de quelques jours.
- Oh ?
- C’est plutôt animé. Et puis, ça me donnera l’occasion de vous revoir.
Je me mis à rougir comme une jouvencelle du moyen-âge à son premier compliment, ce qui est bien ridicule quand on sait mon âge. Comme je restais interdit et la bouche bée, il a du prendre mon silence pour un refus.
- A moins que vous ne le souhaitiez pas… ?
L’idée même de ne plus le revoir me sembla d’un coup insupportable.
- Non, non !
Et je me rendis compte que cette simple idée ne pouvait pas être la mienne, pas pour une personne que je ne connaissais que depuis une heure tout au plus. Ce n’était pas moi qui parlais.
- Sérieux, il y a un truc qui ne va pas… marmonnais-je en essayant de retrouver mes esprits et en secouant la tête.
- Lequel ?
- Je ne réagis pas de cette manière en règle générale.
- C’est-à-dire ?
- Comme un adolescent torturé par ses hormones devant sa star de cinéma préféré.
Il éclata de rire et je ne pus m’empêcher d’être attiré par le son de sa voix :
- Le contraire m’aurait atrocement vexé ! Je n’ai pas pour habitude de laisser les gens indifférents.
- Ouais, enfin, à ce point-là… Enfin… Je sais quand j’ai envie d’une personne mais là, c’est un peu trop… Et encore, c’est moins pire maintenant.
- Comment cela ?
Je scrutais son visage afin de voir s’il y avait la moindre duplicité en lui mais il était l’image même de l’innocence avec ses grands yeux bleus et sa moue charmante.
- Ce n’est sans doute rien…
Quoiqu’il puisse arriver, dés que je le regardais dans les yeux, plus rien n’avait vraiment d’importance. Cependant, au fur et à mesure qu’il me scrutait avec insistance, je vis que l’éclat saphir de ses yeux virait au diamant par traces fugaces. Son expression perdit son innocence pour devenir plus neutre. Il me regardait jusqu’au fond de mon âme et Hunt sentait ce regard, grondant pour que ça s’arrète. Je commençais à penser que la situation était plus grave qu’il n’y paraissait et que, peut-être, ce Fae était en train de modifier mes souvenirs ?
Mais il se contenta de pousser un long soupir.
- Un souci, murmurais-je en me demandant ce qu’il m’avait fait.
- Vous êtes en effet l’objet d’une attention indésirable et problématique.
- Une de plus, une de moins…quelle différence ?
- Ne bougez plus.
- Euh… vous êtes sûr ? parce que moi, non.
- Certaines cultures aiment à dire qu’il y a toujours un mal pour un bien et vice versa, que la Nature tend toujours à l’équilibre. D’aucuns pourraient dire que notre rencontre est la juste repartie des désagréments dont vous êtes la cible.
- Oh… Je suis joie.
En fait, je ne l’étais pas du tout. Quand le Fae leva doucement la main pour la porter à mon front, je ne pus m’empêcher d’avoir un mouvement de recul et Hunt grogna de plus belle en montrant les dents. Je marmonnais à l’attention de mon loup :
- Arrête de râler, t’es réveillé, là…
- N’ayez crainte, je n’ai aucune mauvaise intention à votre égard, je vous le promets. Je cherche juste à vous débarrasser des miasmes dont on vous a saupoudré.
Ça aurait pu me rassurer puisque les Faes n’ont qu’une parole mais ils ont tendance à interpréter leurs promesses pour que cela les arrange. Cela dit, Hunt se tint à peu près tranquille mais, toujours curieux, il avait pris possession de mon œil droit pour voir ce qu’il se passait et, dans une certaine mesure, intimider le Fae. Ça avait peu de chances de marcher mais ça lui faisait plaisir…
- Et qui m’a fait ça ?
Il ne répondit pas mais son glamour glissa un peu, révélant que sa peau était bien sombre qu’il ne voulait bien le montrer et ses traits encore plus fins. Je repensais à ce qu’il m’avait dit et un peu montré et je pensais qu’il s’agissait bien d’un Fae supérieur, peut-être même un Roi des Fées. J’en savais très peu sur les Rois et Reines des Fées, comme sur tout le reste des Faes d’ailleurs, mais on estimait qu’ils étaient les plus dangereux en dehors du Roi de l’Eté, de la Reine de l’Hiver et du Prince d’Équilibre, qui, eux étaient hors compétition. Leur pouvoir venait de leurs cours qui était d’une loyauté absolue.
A un moment, je commençais à sentir des filaments s’échapper de mon crâne, comme des vers gluants s’écoulant de moi et ce n’était vraiment pas agréable. Je poussais un grognement de dégout pur, comme si j’allais me mettre à vomir. Même la main douce et apaisante de mon Fae n’arrivait pas à faire passer la sensation dégueulasse qu’on me lobotomisait par petits morceaux.
- Ça va passer…
- Si vous le dites…
Une fois que le dernier filament eut quitté mon crâne, je me sentis, effectivement, bien mieux. En regardant autour de moi, je m’aperçus que certaines couleurs m’avaient été enlevées et que je ne les retrouvais que maintenant. Tout était plus pur, plus net.
Le Fae, quant à lui, secoua sa main comme pour en faire partir quelques résidus invisibles. Son masque neutre était quelque peu fissuré par la contrariété avant de revêtir son glamour de jogger exquis et parfaitement baisable.
- Voilà. Ça devrait aller mieux maintenant.
- En effet… ça va bien mieux.
- Votre résistance à ce qu’on vous a fait est surprenante.
- Oui et non… en fait, j’ai un loup qui ne supporte pas qu’on le prenne pour un con.
- Je l’en remercie grandement.
Je suis resté quelques secondes sans pouvoir dire un mot. Est-ce que ce Fae venait de me remercier ? Et donc d’admettre une dette ? est-ce que je pouvais en profiter ? Je décidais rapidement que non puisque, n’étant pas au courant des us et coutumes de la Dette, je risquais de me retrouver avec un problème encore plus gros.
- Soyons honnêtes : l’issue, pour moi, n’est pas déplaisante. Mais… J’ai mon orgueil.
En clair, Il admettait qu’on m’avait fait du tort. Mais il n’en était pas la cause. Mais il savait qui l’avait fait et pourquoi. Mais il ne l’avait pas ordonné. Mais il aurait pu. Mais il était un peu grognon qu’on lui pique la priorité. Donc, il ne s’excuserait pas et ne pensait pas avoir le faire. J’avais tellement bien fait de ne pas profiter de la Dette…
- Ce… c’était vous la cible ?
- Il semblerait.
- Mes condoléances.
- Un peu tôt pour ça, non ?
- Alors… Je n’aime pas attaquer des personnes innocentes et quelque chose me dit que la personne qui a fait ça va passer un sale quart d’heure.
Il n’y eut rien dans son expression qui pouvait donner l’impression qu’en effet le coupable allait prendre cher ou, au contraire, qu’il n’allait rien lui faire. Il semblait plutôt concentré par mon sac et par mon thermos de café qui en dépassait.
- Par acquis de conscience… Puis-je ?
Il parlait bien évidement de mon thermos et je lui tendis, sans trop me poser de questions avant de me rappeler que le Lutin y avait mis du miel. Il regarda le contenu et renifla une ou deux fois avant d’avoir une moue étrange, pas vraiment du dégoût mais plutôt le moment de désillusion blasée quand ce que l’on craint se réalise…
- Si vous me le permettez, je vais garder ça. Et… Pour votre bien, ne mangez plus et ne buvez plus ce qui aura quitté votre regard plus de quelques secondes.
- Si vous voulez… Mais pourquoi ?
Dans mon for intérieur, je regrettais déjà de ne plus pouvoir profiter des repas du vendredi avec Dan… Hunt aussi.
- Parce que je n’ai pas envie de parier sur votre résistance, fut-elle surprenante.
- D’accord… (je commençais vraiment à me demander dans quelle merde j’étais.) Vous avez besoin d’aide pour gérer ça ?
- C’est plutôt vous qui avez besoin d’aide.
Quand il se remis à sourire, je m’aperçus que j’avais des papillons dans le ventre. Ça faisait bien vingt ans que ces fichus papillons ne s’étaient pas manifesté… fichu glamour Fae !
- Comme je suis un peu responsable de ce qu’il vous arrive, bien malgré moi, je vais vous faire un cadeau.
Il se pencha sur moi et je profitais de son parfum enivrant alors qu’il posait ses lèvres, qui étaient pourtant glacées, sur le coin de ma bouche. Je me suis mis à ronronner alors que Hunt levait les yeux au ciel et me maudissait d’être une telle midinette quand je m’y mettais…
- Considérez ceci comme une petite compensation pour les désagréments que vous avez subis.
Il avait laissé tomber son glamour uniquement sur sa voix et si ses lèvres étaient glacées, sa voix était aussi riche et chaude qu’un bon lit au coin du feu.
Je ne l’ai même pas vu partir, tellement perdu dans cette voix merveilleuse… Et c’est alors que Taylor me tapota l’épaule pour me demander si j’allais bien que je me rendis compte que je ne lui avais jamais demandé son nom.
Et merde…