Chapitre 6: Echec au Roi.
Puisque j’avais fait la connerie de me créer une meute, autant que j’explique rapidement ce que ça signifie et à quel point les Meutes de la Bête faisait figure d’anomalie. Vous avez déjà du avoir un topo sur la politique vampirique, la politique Métamorphe n’est pas beaucoup mieux au niveau de la complexité, sans doute parce que la hiérarchie s’établit avec quelque chose qui est impossible à deviner pour un non métamorphe : la Domination. Le petit truc invisible qui fait que, oui, je suis ton chef et, oui, tu fermes ta gueule. Personnellement, en tant que Cœur de la Meute, je n’en ai pas une goutte. Rien du tout. Ce qui fait que toute tentative de Domination sur ma frêle petite personne est totalement inopérante.
Et j’adore ça.
En clair, celui qui a la plus grosse est le chef. Et c’est le Fenris depuis de très nombreuses années. Si les loups sont les métamorphes les plus nombreux, c’est parce que le Chef suprême est un loup, c’est aussi simple que ça. Le Fenris a aussi sa propre meute dont la structure est classique mais j’y reviendrais plus tard. En dessous du Fenris, il y a les douze tribus, ou les premiers Alphas. Toujours au nombre de douze même si certaines sont devenues très petites et très pauvres en dominants de valeur au point que la Meute de Jones pourrait potentiellement prendre une place avec un peu de volonté, ce qui rend les autres meutes de même importance mais installés dans des territoires trop éloignés pour pouvoir prétendre au poste de la Tribu d’Europe du Nord.
En dessous des Tribus, c’est un simple système de vassalité à plusieurs niveaux. Il va sans dire que les meutes à la fin sont très mal considérées. Surtout que la Meute suzeraine peut choisir de briser le lien de vassalité et donc de retirer sa protection à sa vassale à n’importe quel moment. Il existe donc aussi des meutes qui sont solitaires et qui… serrent les fesses. La meute de Jones était dans ce cas-là jusqu’à ce que le Fenris lui donne certaines missions à remplir et lui permette, suite aux succès remportés, de porter le nom de Londres et donc de devenir vassale de la meute du Fenris. De prime abords, ça ne semble pas porter à conséquences, sauf si on prend en compte que la Meute la plus proche, à savoir celle de Paris, dirigée par Hassan, est la vassale de la Meute de la Forêt Noire, elle-même vassale de la Meute de Korsküt, étant une des Douze Tribus. Ce qui faisait en gros que la Meute d’Hassan, deux fois plus grosse, six fois plus vieille, était la petite nièce de la Meute de Jones et lui devait le respect. Un sacré coup dur pour ce salopard d’Hassan.
Au sein d’une meute, la hiérarchie est pyramidale. L’Alpha et la compagne de l’Alpha sont tout en haut. Ils sont censés être le Père et la Mère de la Meute même s’ils peuvent être plus jeunes que les membres présents. Ensuite, les lieutenants. Ils ont chacun une fonction liée à la gestion de la Meute et la confiance doit être absolue. Les lieutenants peuvent cumuler les fonctions mais ce n’est pas très conseillé. En dessous d’eux, les dominants, puis les soumis et enfin les humains. La Dîme était nécessaire pour faire vivre tout ce petit monde et entretenir la tanière, qui était le cœur névralgique des affaires de la Meute.
Je sais. Ça a l’air simple. Ça ne l’est pas. Si l’Alpha et les Lieutenants sont les plus inamovibles, parmi les dominants, c’est le concours de quéquettes en permanence. Charge à l’Alpha de calmer tout ce petit monde-là avant que ça ne vire au massacre. La plupart du temps, les Alphas instauraient un combat par mois. Un seul par mois, ce qui obligeaient les belligérants à être bien surs de vouloir se battre. Si vous n’aviez qu’un match nul, et ça arrive, vous redescendiez dans les priorités de combat de dominance.
Dans les anomalies qu’étaient les Meutes de la Bête, il n’y avait pas de combat de dominance puisque mis à part sa garde prétorienne, il n’y avait aucun dominant autre que l’Alpha. Quand ces Loups avaient une brusque envie de faire un combat, ils se défoulaient sur leurs soumis ou sur des humains. Les soumis guérissaient, difficilement, mais ils survivaient. Pour les humains, leurs restes n’étaient pas retrouvés.
Après avoir appris que Mark, son ex, était l’un des Alphas fils de la Bête, Azul est partie au 27éme étage pour piquer une crise de nerfs, suivie par Allegro, au cas où. Simon était partie chercher une bonne bouteille ou dix pour la partager avec l’équipe et Dom était parti chercher le repas. Quant à Ash, il continuait à correspondre par Chat avec l’un de ses contacts. Et votre serviteur essayait de comprendre ce foutoir sans nom. Etant donné que j’avais récupéré mon loup et non pas créé, je n’avais aucun souvenir de la Bête. Cependant, avoir la description de la Bête nous aurait bien aidé. Par acquis de conscience, je suis allé voir sur Internet comment les Egyptiens la voyaient. Ash a préféré nuancer quand il m’a vu ouvrir de grands yeux devant l’illustration d’une créature hybride à tête de crocodile, à pattes de lion et à corps d’hippopotame.
- Je te rappelle que les égyptiens anciens avaient une tendance assez marqué à faire dans l’hybride bizarre. De plus, la plupart des légendes sont nées du bouche à oreille et donc la phrase « Cette créature avait la taille d’un hippopotame, les griffes d’un lion et la mâchoire aussi grande que celle d’un crocodile » est devenue « Créature à la tête de crocodile, pattes de lion et corps d’hippopotame ».
- Simplification extrême.
- Beaucoup plus parlante comme ça. Une créature mythique doit avoir des caractéristiques impossibles. Un gros loup suffirait pas pour une divinité.
- Et qui nous dit que la Bête est un loup ?
- Alcibiade pense que c’est un loup à cause des recoupements.
J’ai regardé son écran. Le pseudo du type avec qui il parlait sur un salon privé de Chat était Alcibiade. Il tapait vite et beaucoup.
- Qui est Alcibiade ?
- Un pote crypto zoologue. Un très vieux. Je pense qu’il est vampire. D’après lui, la Bête est un loup parce que l’imaginaire collectif a toujours eu tendance à accuser les loups dés qu’il y a un massacre dans une zone écartée.
- L’imaginaire collectif ? Ça veut dire qu’inconsciemment, tous les humains savent de quoi elle a l’air ?
- Ils savent qui elle est et ce qu’elle fait. Dés qu’elle n’est plus visible, ils oublient à quoi elle peut bien ressembler.
- Sauf dans les contes populaires et les légendes… ais-je marmonné.
- Exactement.
Simon est arrivé avec un carton de bouteilles et une poche remplie de petits gâteaux. Il a posé le tout sur la table à coté de moi et a commencé à ouvrir le tout.
- C’est obligatoire tout ça ? lui ais-je demandé.
- Les flics américains ont les donuts et le café dégueulasse, les français ont du goût.
- Et évidement, c’est du Bordeaux. Ais-je remarqué en soulevant l’une des bouteilles.
- Ouais, je regrette juste qu’il n’y a pas de Clairet.
- Et les petits gâteaux ?
- Faut éponger.
Il m’a tendu un verre plein et un paquet de saloperies au chocolat blanc.
- Je me posais une question tout en attendant que ce connard prétentieux qui tient la cave de l’autre coté du parc veuille bien me servir.
- Je t’écoute. Mais si c’est à propos de vin, je suis nul.
- Rien à voir. Mais… Ça va faire deux fois qu’on attaque la meute de la Nouvelle Orléans et je me pose la question … Pourquoi le Fenris nous a mis sur cette affaire ?
Je l’ai regardé après avoir humé mon vin et plissé mon nez.
- Il est bouchonné…
- Je vais tuer ce caviste…
- Pour répondre à ta question, j’en sais foutre rien. Au départ, je pensais qu’il voulait juste récupérer la nécromancienne mais je me demande s’il n’a pas voulu focaliser mon attention sur une meute qui l’emmerde et qui est pas très loin de lui pour que je m’en occupe sans qu’il ait à le demander. Vu que cette meute est composée de salopards, j’allais forcément faire un carnage.
- Ou te faire tuer.
- Ou me faire tuer. Et ça aurait entrainé une réaction de Sigur… Et le Fenris aurait donné l’autorisation pour l’éradication complète de la Meute. Tout le monde aurait été content.
Simon fit la moue et gouta le vin avant de le jeter et d’ouvrir une autre bouteille.
- Sauf que tu serais mort.
- Je suis un pion. Tu l’as pas encore remarqué ?
- Pourquoi le Fenris te traite t’il comme Sigur le ferait, bordel ?
- Même réponse, je suis toujours un pion. La question que ces deux-là se posent est : pour lequel vais-je jouer ?
- Et pour qui tu vas jouer ?
- Aucune idée… Même Atra se pose la question mais je n’ai pas l’impression qu’elle souhaite participer au jeu.
Ash s’est approché et s’est servi un verre de vin. Étrangement, depuis la Grande Révélation, les vampires commençaient à retrouver un appétit autre que pour le sang. Ca ne servait à rien, ils ne digéraient pas mais de temps en temps, ils appréciaient quelque chose de bon. Ash, c’était le vin.
- Atra a toujours été un Grand très bizarre. A-t-il dit en s’installant en face de nous. Le moins sanguinaire de tous.
- LA moins.
- Ah, c’est une femme ?
- Et une très jolie… La moins sanguinaire de tous, donc ?
- Elle n’aime pas les décapitations. Ce qui fait que les Cannibales ne la connaissaient pratiquement pas. Elle préférait faire ses punitions toute seule, ce qui a amené à ce que les cours d’Asie sont les plus calmes et disciplinées du monde entier.
- Bref… Tu as des pistes ?
- Alcibiade continue à chercher parmi ses propres contacts. On a abandonné les légendes pour le réel.
J’ai pris la bouteille pour me resservir. Contrairement à Ash et Simon, je n’ai pas une passion immodérée pour le vin. Ca n’a aucun goût pour moi mais j’évite de faire de la peine à mes copains.
- Il est vraiment doué, ce mec-là ?
- Le meilleur. Pour un indépendant. Là, il essaye d’avoir des témoignages mais…
- Mais il a pas accès aux Meutes de la Bête.
- Et non. Donc le meilleur moyen pour lui est de chopper d’autres fils de la Bête. Ceux qui ne sont pas totalement psychopathes.
- Et bien… intervint Simon. On en connaissait un…
Louveteau s’est mis à gronder et à me labourer le cerveau de ses griffes. Malgré les années, mon loup intérieur ne pouvait pas entendre une référence à Ben sans péter les plombs. Quant à moi, je ne pouvais m’empêcher de m’étouffer avec ma propre culpabilité. Si je n’avais pas été aussi stupide, je n’aurais pas deux balles en argent coincées dans le ventricule droit. Et si vous vous posez la question, oui, j’ai déjà essayé de me les faire enlever. Une opération à cœur ouvert, tout en étant conscient puisque aucune anesthésie ne voulait fonctionner sur moi, n’est pas une expérience que je veux retenter. Trois chirurgiens, dont un qui avait pour seule utilité de faire en sorte que l’incision reste toujours ouverte en la refaisant indéfiniment, penchés sur moi. Dés que celui qui devait retirer les balles a commencé à tirer doucement sur la première, Louveteau a pris le contrôle et a endormi tout le monde. J’ai du arracher les écarteurs tout seul. Je ne veux plus jamais refaire ça.
- On en parle pas. On en parle jamais.
- On disait juste que celui dont on ne doit pas prononcer le nom savait à quoi elle ressemblait.
- Et bien maintenant, il ne sait plus rien car c’est un légume.
- Il est pas mort ? demanda Ash.
- Qu’est-ce que j’en sais… ais-je grondé.
- Le boss refuse de prendre de ses nouvelles. A expliqué Simon. Ce salopard est toujours dans le coma pour ce qu’on en sait. Et comme de toute façon, y’a plus personne dans son crâne…
Ash se retourna et tapota un instant sur le clavier de son ordinateur. A notre mine interrogative, il se hâta d’expliquer :
- Je disais juste à Alcibiade de ne pas essayer pour celui-là.
- Ne lui dis pas la raison…
- Ne me prend pas pour un imbécile.
J’ai souri. J’aimais bien Ash au fond. Je n’ai jamais eu l’impression qu’il était un vieux vampire sans doute parce que mon Firenze fait très attention de ne pas le montrer. Les vieux vampires sont toujours un peu pédants et prétendent tout savoir. Ash se contente d’être lui avec quelques bouquins dans la tête. Même s’il sait, il préférera aller vérifier d’abords non pas pour être sur mais pour montrer qu’il n’est pas une inaccessible bibliothèque. Une bibliothèque doublée d’un lance-flammes.
Ma bibliothèque Lance-flammes a froncé les sourcils en regardant la réponse d’Alcibiade.
- Vince… Il me demande de lui donner ton numéro de portable…
- Comment il sait que je suis là ?
- Du calme. Intervint Simon. C’est peut-être juste le commanditaire d’Ash qu’il cherche.
- Non. A répondu Ash. Je cite : «Est-ce que tu peux me donner le téléphone de Vincent, s’il te plait. Je voudrais lui parler en personne. » Je ne lui ai jamais dit que tu étais là, ni même qui tu étais.
Pour le coup, j’étais fortement intrigué. J’avais beau être une célébrité, la liste de mes contacts n’était pas encore publique. De plus, qu’un vampire de plus de 500 ans travaille pour un hybride Loup/Cannibale était hautement improbable. Mais Alcibiade m’avait déniché à la première tentative. C’était suffisant pour m’amener à faire des bêtises.
- Donnes-lui.
- C’est une connerie…
- Et au pire, je changerais de numéro de portable…
Ash a donné le numéro et nous avons attendu exactement une minute trente avant que quelqu’un, Alcibiade pouvait-on supposer, ne m’appelle.
- Vince à l’appareil.
- Oh, c’est vous…
Est-ce que vous avez déjà eu un pur moment de panique, le moment où vous sentez votre cœur manquer deux trois battements et votre colonne vertébrale s’électriser de haut en bas ? La dernière fois que j’avais vécu ça, je crois que c’était quand Madame Sally, ma prof de maths au collège, m’a découvert, dans les toilettes, avec les mains plongées dans le décolleté de sa fille… Cette fois-ci, c’est parce que je reconnaissais cette voix d’homme.
- Qu’est-ce que vous devenez ? Pour ma part, la mort m’a beaucoup occupé… Vous savez ? Depuis que vous m’avez tué !
Je n’arrivais plus du tout à respirer même si ma partie logique, y compris Louveteau, essayait de me convaincre que c’était impossible et que les morts ne revenaient pas. Surtout quand vous lui aviez déchiré l’âme en petits morceaux. Même Azul, toute nécromancienne émérite qu’elle soit, ne pouvait pas le ramener à la vie. Personne ne le pouvait.
- Je sais que nous avons tous les deux dit des choses que VOUS allez regretter...Mais je pense que nous pouvons mettre nos différences de coté… Pour la science… Sale monstre.
J’avais été tellement choqué durant les premiers mots que je n’avais pas reconnu le texte. Il était le seul à savoir que je reconnaitrais cette tirade. Quant au reste de l’assemblée, ils me regardaient blêmir et les deux loups entendaient chaque mot.
- Ben… ? Ais-je bafouillé au bord de l’apoplexie.
- Et bien… Presque. Est-ce que j’ai toute votre attention, Vincent ?
Et pour ceux qui ne comprennent pas la référence, la voici en anglais. (J'aime pas la version française.)