Chapitre 5 : Ubi Vita, Ubi Mors
Les massacres du Bronx démarrèrent plus vite qu’Astella l’avait prévu, sans doute parce qu’ils n’avaient pas la moindre idée de ce qu’ils avaient balancé dans le quartier. Le pire étant sans doute qu’ils n’ont même pas chercher à comprendre la saloperie avant de la jeter sur des civils innocents et c’est sans doute ce qui les a protégés pendant plus de temps qu’ils n’auraient dû être protégés.
En l’espace de deux semaines, près de cent mille personnes ont été attaquées et tuées avant de revenir d’entre les morts et de continuer le massacre. Au début, l’armée a fait ce qu’elle devait faire contre les émeutes, à savoir grenades à gaz lacrymogène et canons à eau. Le gaz ne servait à rien et les canons à eau ne faisaient que les faire reculer un temps avant qu’ils ne recommencent l’assaut. Les militaires se mirent donc à tirer et à essayer de disperser la foule qui était toujours plus agressive malgré les avertissements. Jusque-là, l’armée n’avait pas vraiment cru à une attaque de zombies, juste à une épidémie d’une maladie rendant fou, rien de plus. La propagande d’Astella avait fait son œuvre… Jusqu’à ce que CNN diffuse un reportage, sans l’accord du gouvernement, sans floutage pour éviter le choc pour les personnes sensibles, sans rien.
Quand le présentateur l’a annoncé, il était blanc comme un linge et buttait sur chaque mot, ce qui ne lui était jamais arrivé de sa carrière. Je suppose que les journalistes avaient eu envie de montrer les problèmes de la zone de quarantaine et au final, ils ont filmé deux soldats se faire attraper et se faire bouffer par une dizaine d’habitants du Bronx particulièrement peu aimables. Sur les images, les bouts de chair, les entrailles volaient dans tous les sens et les cris de terreur remplissaient la bande son jusqu’à ce que les supplications et les jurons du caméraman deviennent inaudibles. Fort heureusement, tout n’a pas été visible sur la bande mais les journalistes, qui au départ étaient juste présents pour faire un reportage sur la quarantaine, furent pris en charge par la cellule psychologique la plus proche.
Le massacre de Columbia nous avait fait perdre la majorité de notre réputation. La fusillade de Lincoln Avenue a rendu l’Amérique confuse et New York en colère. L’armée ne s’était pas fait que des amis, sans doute parce que le Bronx était complètement bloqué et qu’un quart de sa population n’avait même pas eu la permission de rentrer chez eux et de prendre quelques affaires. Pendant un mois, ces gens furent hébergés comme ils le purent, amis, famille, hôtel, refuges… Au début, ça allait, les New-yorkais comprenaient. Et puis, ça a commencé à faire long et les réfugiés, ainsi que les personnes qui les hébergeaient. Ça coutait cher, ça empêchait pas mal d’hôtels de faire profiter les étrangers de la saison touristique et l’ambiance de New York devenait de plus en plus délétère.
La seule chose à laquelle je ne m’attendais pas nous arriva en milieu de semaine alors que j’essayais d’avoir le juge Patel au téléphone et qu’on me faisait poireauter avec le Boléro de Ravel en fond sonore, tout en m’ayant assuré à huit reprises que, oui, Monsieur le Juge allait me prendre au téléphone dès qu’il a fini un truc. Promis. Je vous jure, il arrive… A la neuvième fois que la secrétaire m’a repris en ligne, je l’ai prise en pitié et j’ai commencé à lui faire du gringue. Oui… Je sais ce que vous allez dire… Mais d’un, je n’avais pas réussi à avoir Elena pour rompre, de deux, je venais de me taper une heure de musique classique et j’avais besoin d’un peu d’amour. Même par téléphone.
Tiens, ça fait longtemps que je ne me suis pas fait une session de sexe par téléphone…
Bref, je m’égare.
Le brouhaha au dehors m’a forcé à écourter notre éphémère relation alors qu’elle en était à me décrire son porte-jarretelles. Même si mon bureau était à plus de trente étages et que j’ai une très bonne isolation phonique, mon ouïe de loup et mon cercle de responsabilité vampirique me permettait de savoir ce qu’il se passait autour de moi… A peu prés. J’ai senti de la colère, de la déception, de l’espoir et une sacrée détermination. J’ai entraperçu les auras d’une foule et j’ai entendu des… Slogans ? Après avoir raccroché avec Mindy, je me suis approché de ma baie vitrée et j’ai vu la seule chose que je ne pensais jamais voir : Une manifestation.
J’ai appelé la sécurité :
- Salut les mecs… Il se passe quoi sur le Plaza ?
- Des tas de gens sont venus et montrent des pancartes, Monsieur.
- Merci… Ça, je le vois. Mais ils demandent quoi ?
- L’intervention du Sicarius, Monsieur.
- Hein ?
Pour le coup, ça m’a vraiment étonné. Déjà, la manif en elle-même était étonnante dans le sens où les New-yorkais savaient que les membres du Sicarius n’appréciaient pas vraiment qu’on empiète sur leur territoire. Nous étions plus souples concernant le Central Park parce que, techniquement, il ne nous appartient pas mais… Quant à notre intervention… Je pensais encore à cet instant que l’armée et la Police de New York avaient réussi leur petite campagne de diffamation et que notre simple présence était pesante. Je me trompais… Mais j’ignorais encore pour quelle raison.
- Comme je vous dis, M’sieur. Un délégué du Service Presse est descendu pour leur parler mais ils l’écoutent pas beaucoup.
- Il leur dit quoi ?
- Je sais pas, M’sieur. Je suppose qu’il essaye de les calmer.
- Ok… Je vois. Joseph… ?
- Oui, M’sieur ?
- Je vais faire une connerie, donc, auriez-vous l’obligeance de me protéger ?
- Des manifestants, Monsieur ?
- Non. Du service Presse. Parce que je vais leur marcher sur les pieds.
Je savais ce que mes petits gars des relations publiques essayaient de faire : Calmer la populace tout en essayant de ménager la chèvre et le chou. Pas d’accusations, quelques excuses et beaucoup de paroles lénifiantes. C’était ce qu’il fallait faire, après tout, nous ne pouvions pas survivre sans un peu politique. Je les comprenais et je les appréciais… Mais si mon père vampirique m’avait appris une chose, c’était bien de rendre les coups. Et de préférence au centuple.
Je suis donc descendu aussi vite que j’ai pu et j’ai commencé à marcher sur le plaza alors que la foule hurlait et que mon pauvre responsable en communication regrettait de ne pas avoir pris de mégaphone. J’ai avancé et je suis monté sur le point le plus haut, en l’occurrence un banc.
Oh ! Oh ! Laisse-moi faire, s’il te plait ! S’il te plait…
J’ai laissé Hunt faire son show et prendre possession de mes cordes vocales. Ça a commencé par un grondement bas au rythme très lent puis le son s’est enflé pour devenir assourdissant et s’achever par une sorte de jappement court et bruyant. Hunt adore le hurlement « Vos gueules » et moi aussi.
- Messieurs-dames, bonsoir. J’ai vu que vous souhaitiez me parler mais avant que vous continuiez, j’aurais besoin que vous ne vous exprimiez pas tous en même temps. J’ai une excellente ouïe mais elle ne me permet pas de tous vous entendre. Merci d’avance.
Ils passèrent quelques minutes à décider qui serait leur représentant et je mis à profit ce temps pour m’asseoir et essayer d’étendre ma perception des émotions. J’eus d’ailleurs la surprise de comprendre que la colère omniprésente n’était pas vraiment dirigée contre nous. Elle était diffuse comme si elle ne savait pas sur qui elle devait se fixer. Ça aurait pu être rassurant si ça ne signifiait pas que j’étais à côté d’une poudrière. Je savais ce que j’avais à faire et malgré les conseils de mon responsable de communication, que je n’écoutais pas, j’allais diriger leur colère ailleurs.
Au final, ce fut un homme d’une quarantaine d’années qui vint me voir. Il sentait la sueur, l’huile de vidange et les marrons glacés, et il était un peu effrayé, sans doute parce qu’il avait entendu des histoires sur mon compte et que lui était un homme normal. Je me suis donc levé le plus lentement possible et je lui ais tendu la main en souriant légèrement.
- Merci d’accepter de me parler, monsieur.
Il m’a salué de la manière, bien qu’un peu hésitant, mais son spectre d’émotions montrait que j’avais réussi à le rassurer. Un peu. C’était déjà mieux que rien.
- Je m’appelle Joe Bowman.
- Enchanté Monsieur Bowman. Vous savez qui je suis, je suppose ?
- Oui, M’sieur.
- Donc… Puis-je savoir la raison de votre venue ?
En termes assez embarrassés, il a commencé à m’expliquer qu’il était le représentant d’une population qui avait peur de ce qu’il se passait dans le Bronx. Pas mal d’entre eux avaient perdu un père, un frère, un fils, un ami, qui était toujours bloqué dans la zone de quarantaine et dont ils n’avaient aucune nouvelle. Ils avaient peur des… choses bizarres qu’ils avaient vu à la télé et qui avaient tué les militaires. Dans le groupe, il y’ avait même la veuve d’un des soldats qui avait été bouffé. Quand il me l’a montré, j’ai vu une toute petite femme qui avait les joues creusées de larmes et qui tenait le portrait d’un militaire souriant et dont le cadre était bordé de noir. De l’autre main, elle tenait la petite poigne d’un garçon de quatre ans.
Des années plus tard, Victor m’a dit que si cette scène n’avait pas été totalement improvisée, elle n’aurait pas été aussi poignante. C’était une manière de me signifier que je m’étais fait avoir comme un bleu par ce petit bout de femme…
Peut-être… Il n’empêche que cette petite comédie ne m’était pas destinée. Pas seulement, en tout cas. Du coin de l’œil, j’ai vu deux trois caméras qui ne perdaient pas une miette de tout ce foutoir. J’ignore encore qui les avait fait venir mais il n’allait pas être déçu.
- Je comprends bien et moi aussi ça me fait peur mais… qu’y puis-je ?
- Mais vous devez intervenir ! a commencé à crier Bowman, au mépris de sa sécurité. Ce sont des surnaturels ! et vous gérez les surnaturels !
Ça allait être encore plus facile que prévu.
- C’est une supposition valable, oui. Ais-je dit avec une mine désolée. Mais nous ne pouvons pas intervenir.
- Pourquoi ?
La foule derrière lui a commencé à monter dans les aigus et j’ai dû répondre en haussant la voix.
- Nous ne pouvons pas intervenir parce que nous n’avons pas le droit !
Et en une seule phrase, je venais de regagner leur attention. Pourtant je n’ai pas souri et j’ai baissé la voix :
- Comme vous le savez, le Sicarius est dépendant de l’ONU et nous devons notre présence à votre bonne volonté, par le biais du Sénat Américain. Mais pour la crise du Bronx, le Sénat Américain a confié la résolution de ce problème à l’Armée, comme elle en a le droit. Et le Sénat Américain, vos représentants, nous ont expressément interdits d’aller dans le Bronx.
Voilà. La petite bombe était lâchée, il n’y avait plus qu’à attendre la réaction en chaine. Des heures plus tard, j’ai entendu le chef des relations publiques me reprocher d’avoir lancé une guerre civile et que nous allions nous faire expulser d’ici quelques jours, qu’il avait un fils qu’il ne souhaitait pas abandonner, etc, etc… Contrairement à lui, je n’avais aucun doute sur la suite des évènements et sur la décision qu’allait prendre le Sénat américain suite à tout ce foutoir. Les politiciens américains sont très petits devant leurs propres médias et se font très souvent avoir par l’opinion publique. J’avais fait exprès de ne pas avoir fait attention aux caméras et ça avait donné une teinture d’honnêteté à mon intervention. De plus, tout était vérifiable aussi CNN et CBS ne s’en privèrent absolument pas. Des experts détaillèrent l’ordonnance de l’ONU, le XXVIIIéme amendement et les propositions de lois pour l’accès à la citoyenneté des surnaturels.
Avec mon responsable de communication, nous avons regardé tous les reportages et même l’interview de l’auteur de « L’ordonnance des Eternels », qui préparait son nouveau bouquin sur la Dominance au sein des Meutes. Je savais que ce dernier avait quelques problèmes à trouver des sources fiables… Tant pis. Cela dit, si je me délectais de tout ce battage médiatique, mon conseiller essayait de repérer les bourdes faites par les journalistes pour préparer un courrier rectificatif. Il y en eu assez peu, fort heureusement, parce que la veine qui battait au front de mon conseiller menaçait de rompre à chaque fois qu’on disait « Fenrir » à la place de Fenris…
Et nous avons enfin eu ce que j’attendais : Un journaliste avait réussi à chopper le représentant de la Floride et celui-ci, réveillé au milieu de la nuit a pété les plombs au téléphone et a dit au journaliste qu’il allait appuyer une motion pour qu’on autorise le Sicarius à faire son travail dans les limites qui lui avaient déjà été donnés et qu’on arrête de nous laisser nous dorer la pilule sans rien foutre alors qu’on avait besoin de nous.
- Et voilà… Marmonnais-je en me levant de mon siège pour aller me servir un verre.
Mon conseiller s’est tourné vers moi avec étonnement.
- C’est ça que vous attendiez ? Un sénateur mal luné ?
- Quelqu’un qui râle suffisamment fort pour amener les autres à prendre une décision en ma faveur.
- Ils ne le feront jamais…
- Le Sénat va devoir choisir entre continuer à interdire le Sicarius d’exercer et l’augmentation des taxes de transport. Le Peuple américain ne supportera qu’une seule de ces motions.
- C’est un pari dangereux…
- Non. Pas tant que ça.
Le lendemain soir, j’ai reçu un petit colis qui venait de France. Pas un mot dedans mais juste une petite pièce d’échec, un cavalier. J’ai souri et Hunt était fou de joie d’avoir reçu un tel cadeau. Je n’ai pas appelé Victor pour le remercier de son approbation mais depuis ce jour, ce petit cavalier en bronze trône en bonne place sur mon bureau.
Il avait pensé mourir mais au final, il était toujours là. La raison, par contre, ne cessait de le surprendre… Le docteur Taylor avait pensé que les habitants du métro l’auraient tué après qu’il ait eu le temps d’étudier un peu leur comportement mais au final, il n’avait entendu que les grondements sourds réverbérés par les couloirs courbes du métro. Il faut dire que les tunnels étaient grands et qu’au final il ne savait pas où se trouvaient ces crétins.
Il avait réussi à trouver une lampe torche dans un des appartements abandonnés ainsi que des batteries de rechange et parcourait les tunnels du métro en espérant trouver les fous des profondeurs, essayant de deviner par la direction des grognements où ils se terraient. C’était difficile mais il ne se décourageait pas. Parfois, à certaines stations, il pouvait voir les traces de combat, ou plutôt de massacres. L’odeur de charogne s’était évaporée mais il restait les morceaux de cadavre ou plutôt quelques os brisés avec un peu de viande séchée autour… Quel que soit ce virus, il rendait les gens cannibales : les marques de dents sur les os ne laissaient aucun doute sur ce qui était arrivé.
Et puis, James Taylor eut faim. C’était une sensation qu’il avait presque oubliée et il était persuadé que son manque d’appétit était dû à une saloperie qui s’était logé dans son corps et qui le tuait petit à petit. Aucune idée de ce que c’était puisqu’il n’avait pas ses instruments et ses machines pour s’ausculter mais il avait entamé une course contre la montre. Il fallait qu’il en sache un peu plus avant de mourir ! A moins que… A moins que ce ne soit une volonté d’avoir une mort courte plutôt qu’une agonie douloureuse et interminable ? Lui-même n’était pas bien fixé sur les raisons de son dernier voyage.
Mais cette digression sur sa motivation à descendre en enfer ne calmait pas son estomac qui criait sa rage d’avoir été oublié plus de deux semaines. Il se tordait dans tous les sens et James Taylor s’était appuyé contre le mur, le visage crispé, attendant que son ventre veuille bien se calmer quelques minutes pour qu’il puisse trouver de quoi le combler. Son estomac agréa le marché et le laissa ramper vers la machine à bonbons la plus proche pour qu’il puisse la fracasser de sa lampe torche et en piller les quelques paquets de sucre, de sel et de gras qu’elle contenait. Sans se préoccuper de ce qu’il avalait, il porta à sa bouche les friandises et les mangeait goulument, en espérant que son estomac se satisfasse de cette fausse nourriture.
Malheureusement, l’estomac de Taylor ne sembla pas se satisfaire de ces maigres miettes pour enfant récalcitrant et pour prolétaire en retard. Il en voulut plus. Bien plus… Rien ne semblait pouvoir le combler.
Et Taylor entendit le cri d’un homme, au loin. Peut-être pas si loin que ça… Il était sûr qu’en courant vite, il pouvait rattraper l’auteur de ce hurlement bestial, le regarder, l’étudier, savoir enfin ce qu’était ce fichu virus, ou du moins quelques symptômes. Alors il se mit à courir, sans remarquer qu’il n’emportait pas sa lampe torche, il se mit à courir si vite qu’il ne savait même plus par où il avançait mais il courrait pour rattraper son sujet d’études.
Ou bien, il espérait calmer ses crampes d’estomac définitivement… Les juges de ligne en débattent encore.
Contrairement à ce pensait mon responsable de la communication, les Etats-Unis ne sombrèrent pas dans le chaos de la guerre civile. Deux raisons empêchaient la foule de descendre dans la rue : Nous faisions en sorte de calmer les new-yorkais en nous montrant le plus possible dans les rues et surtout aux abords de la Zone de Quarantaine Code Rouge, Zone Rouge en plus court. Nous n’avions toujours pas le droit officiellement de mener notre enquête dans le Bronx mais… Notre présence était appréciée pour ce qu’elle était : l’assurance que nous serions bientôt de l’autre côté de la quarantaine. Et puis, de plus en plus de maires, de sénateurs, de gouverneurs faisaient des déclarations retentissantes en notre faveur. Ça n’avait pas vraiment de poids mais la population se tenait tranquille du fait d’être si bien représentée.
Je ne suis pas sûr qu’on entende bien mon ironie…
Pendant ce temps, Karl et moi avons continué notre enquête sur le massacre de Columbia. A force d’encombrer la ligne du juge Patel, en boucle, à huit, j’ai enfin réussi à l’avoir et à passer outre sa menace de me poursuivre pour harcèlement moral.
- Cela signifierait que vous avez une moralité, votre Honneur. Et nous savons tous les deux que votre compte en banque a miraculeusement gonflé d’une vingtaine de milliers de dollars. Ais-je toute votre attention, maintenant ?
Il se trouve que l’un des survivants n’avait pas été envoyé en suivi psychiatrique mais en clinique simple, une clinique sous le contrôle d’un consortium pharmaceutique. Cette clinique servait pour les tests de nouveaux protocoles de soin et de médicaments qui avaient les tests initiaux sur les animaux. C’était un choix étrange pour un survivant d’un massacre, non ? Karl prit les devants et appela un juge de la cour suprême et demanda à ce qu’on puisse faire une descente dans la clinique de Fairview immédiatement sans que personne d’autre ne soit au courant. Normalement un juge de la Cour Suprême ne délivre pas de mandat mais Karl avait usé de son influence pour nous obtenir ça. Au point où je le regardais bizarrement alors qu’il conduisait vers Fairview.
- Quoi ? Oh non, je connais ce regard, mec. C’est le regard : « Oh mon dieu, t’as couché avec un vieux de soixante-dix ans ! » C’est extrêmement gérontophobe.
- Mon regard est gérontophobe ? Non, pas du tout. Je m’étonnais juste que tu connaisses aussi bien un juge de la Cour Suprême. Intimement, même.
- Tu serais étonné… Il a encore une belle vigueur pour son âge.
- Je crois que j’ai pas envie de savoir.
- Tu as tort. Quand tu viendras à Chicago, j’organiserais un plan à trois. Ça te fera du bien d’avoir un juge dans ta poche.
J’ai éclaté de rire… Et puis j’ai compris qu’il ne plaisantait pas.
- Attends, t’es sérieux ?
-Bien sûr. Je suis persuadé qu’il va adorer bouffer ton joli petit cul. Et puis, vu ce que tu es, Monsieur le Grand Patron du Sicarius, t’as besoin d’avoir quelqu’un de la Justice de ton côté.
- Euh… Je ne suis pas sûr que…
- Tu n’aimes pas les plans à trois ?
Je lui ai souri avant d’allumer une clope.
- Là n’est pas le problème… Mais je ne vais pas coucher avec un juge de la Cour Suprême pour avoir plus de poids politique.
- Pourtant, il est adorable. Et généreux. Grandis un peu, Vincent, tu as besoin d’appuis et ce juge peut en être un.
- Et tu me le laisserais ?
- Bien sûr. Et ça lui fera du bien de se taper un petit jeune comme toi.
- J’ai ton âge.
- Mais tu as toujours ta peau de bébé et ce sourire de jeune homme…
Il stoppa la voiture à un feu rouge et me regarda avec un œil aussi lubrique que tendre.
- J’y pense… Mais quand je serais vieux, toi tu seras toujours aussi baisable. Je suis sûr que j’adorerais que tu sois là pour me rappeler ma folle jeunesse. Ça te dit ?
- Pardon ?
- Allez, prenons rendez-vous ! Nous nous reverrons lors de mon soixante-dixième anniversaire pour que je profite encore un peu de ta jeunesse éternelle. Donc, dans… Quarante et un ans.
- Trente-six ans.
- Tu me fends le cœur, Bébé. Il ne me reste que trente-six ans pour papillonner à la lueur de la flamme… Et je me rendrais à toi, fidèle et constant.
Je reniflais de dépit et de dérision. Karl l’a remarqué et m’a murmuré :
- Tu préfèrerais que je ne papillonne pas ?
Oh oui… Oui ! Je veux que tu sois à moi, je veux que nous soyons ensemble ! Nous sommes faits l’un pour l’autre avec nos horaires impossibles et nos plongées dans la merde humaine et surnaturelle… On se comprend, on peut tout se dire, on se sentira bien…
- Bien sûr que non ! Ais-je dis à la place. Que serais-tu sans ta généreuse inconstance ?
Alors qu’il éclatait de rire, je me mis à songer que j’avais besoin de stabilité dans mes relations amoureuses. Contrairement à Karl, multiplier les amants et les maitresses d’une nuit ne m’attirait plus vraiment. Et je me suis aperçu de deux choses : Je n’étais pas encore séparé d’Elena que j’imaginais déjà de la remplacer par Karl… Et surtout, cette stabilité dans le couple était la seule chose que j’avais cherchée avec Elena. Ce n’était pas elle que je voulais mais quelqu’un qui soit capable d’être toujours là quand j’en aurais besoin, de me consoler et de me soutenir. Mais pour le moment, cette hypothétique personne n’avait pas de visage.
Et puis vint la dernière révélation : J’étais d’un égoïsme… Comment je pouvais songer à imposer ma vie à une autre personne ? En plus d’être une impossibilité surnaturelle, j’abritais une puissance qui, un jour, allait me faire péter les plombs. Je devenais de plus en plus comme mon père vampirique, à manipuler tout le monde et à mentir comme un arracheur de dents. Et… Et je côtoyais le pire du pire chaque jour, par simple choix, parce que j’avais décidé que c’était ma voie… Sincèrement, qui pourrait supporter ça ?
C’est donc d’une humeur assez sombre que la Clinique de Fairview me vit arriver. Dommage pour eux…