Chapitre 4 Mortifera Plaga
Au bout d’une semaine, le Docteur Taylor était toujours complètement paumé et incapable de retourner chez lui. Au début, il s’était dit qu’il allait vider ses comptes mais il craignait que l’utilisation de ses cartes de crédit ne le fasse repérer encore plus vite. Cela dit, pour une raison qu’il ne s’expliquait pas, il n’avait toujours pas faim. Certes, à cause du stress, sa faim aurait pu être mise en arrêt mais pas au bout d’une semaine… Il supposait qu’il était en train de pomper sur ses propres réserves mais il ne pensait pas avoir autant de graisse pour tenir à ce point. Un soir, passant devant une vitrine, il avait soulevé son pull et son t-shirt pour voir les dégâts.
Bon, il n’avait jamais été gras, ni vraiment musclé mais il ne pensait pas qu’il serait resté aussi peu… changé. Il avait espéré voir un peu plus les côtes mais il avait toujours son ventre de scientifique moyen qui mange n’importe quoi mais réfléchit trop pour pouvoir avoir véritablement du bide.
Mais une semaine ? Au pire de ses stress d’examens de fin d’année, il lui arrivait de ne pas manger pendant 24 heures mais jamais plus. Au cas où, il s’inspecta sous tous les angles pour voir s’il n’avait pas perdu du cul. Non plus. Dommage, puisqu’il aurait bien voulu perdre un peu des fesses qu’il trouvait trop grosses. Il prit la décision de s’isoler un peu et de s’ausculter sous toutes les coutures. Une déformation professionnelle, sans doute, mais dès que quelque chose n’allait pas dans son comportement, il imaginait une maladie. Comme il était une personne d’habitude, la moindre entorse à son agenda devait être le premier indice d’une possible maladie.
Il y avait aussi quelque chose qui l’intriguait dans son comportement : Il n’était pas sûr de dormir. Bon, il était facile pour lui de trouver un endroit pour dormir, un simple renfoncement dans une cage d’escalier suffisait mais il ne ressentait pas la satiété du sommeil pas plus qu’il n’avait l’impression de lâcher prise. Il n’était pas sûr de perdre connaissance vu qu’il avait l’impression de toujours entendre son environnement immédiat. Comme une sieste… ou plutôt comme une petite torpeur mais guère plus.
Au bout de quelques heures, il réussit à trouver un petit immeuble dont les occupants, sans doute évacués dans l’urgence, avaient oublié d’en fermer les accès. Il monta au deuxième étage et s’installa dans un tout petit appartement qui avait au moins le mérite d’être propre. Les autres logements empestaient la viande morte, sans doute à cause de la coupure d’électricité qui avaient rendus les frigos complétement inutiles. Taylor se demanda si la coupure était vraiment accidentelle. Il avait entendu, alors qu’il travaillait encore à Astella, que certains gouvernements avaient déjà utilisé le système du blocus pour accélérer l’évacuation. Peut-être la ville de New York avait tout coupé, histoire de bloquer plus efficacement la quartier… ? Taylor n’y croyait pas trop mais le manque d’électricité et d’eau fraiche commençait à être pénible pour tous ceux qui étaient restés, sans doute parce qu’ils n’avaient aucun endroit où aller. Ils étaient plus nombreux que le Docteur l’aurait cru et il craignait que l’épidémie ne fasse vraiment trop de victimes, surtout dans une mégalopole comme New York.
Dans la minuscule salle de bains, Taylor s’était ausculté de toutes parts, du moins autant qu’il le pouvait sans matériel et mis à part un semblant d’hypotension, il n’était pas malade. Bon… L’hypotension le gênait un peu mais il se rassura vite en songeant que c’était sans doute une conséquence de son manque de sommeil et de son alimentation défaillante. En regardant dans la pharmacie, il trouva une boite de vitamines A et les glissa dans sa poche après en avoir en avoir gobé deux. C’était peu mais sans avoir une pharmacie d’hôpital, comme celui du Calvary, il ne pouvait faire mieux. Il avait bien tenté d’entrer le Calvary Hospital mais l’endroit était devenu une forteresse de l’armée américaine impossible à approcher à moins de cent mètres. Dommage… Si le Calvary avait été déserté comme la majorité du quartier, il aurait pu reprendre ses travaux sur W-T et même étudier le possible virus qui sévissait dans le coin… Pour peu qu’il puisse rencontrer un malade, ce qui n’était pas arrivé depuis la tarée dans le métro… Est-ce que c’était vraiment un virus d’ailleurs ? Ou un parasite ou même une bactérie ? Pour ce qu’il en savait, c’était peut-être tout simplement une drogue ou un hallucinogène quelconque et les autorités avaient eu une crise de paranoïa.
Le Docteur Taylor sursauta quand il entendit la porte d’entrée du petit appartement s’ouvrir. Ce n’était pas vraiment la bonne période pour s’excuser platement d’être rentré par effraction, mais ce serait encore pire si le véritable propriétaire le découvrait tout seul… armé d’un pistolet ou d’une machette… Les quarantaines ont une tendance fâcheuse à rendre les gens mauvais et plus rapides à tirer qu’à poser des questions. Il préféra se plaquer au sol et ramper jusqu’à la porte pour observer le propriétaire rentrer et déterminer un angle de fuite.
Ce qu’il vit le rassura : Deux gamins, dont le plus vieux ne devait pas excéder une quinzaine d’années, venaient de rentrer en regardant partout autour d’eux. Ils n’étaient pas plus habitants de cette baraque que lui, alors il se releva et les regarda avec un sourire.
L’adolescent songea un instant à repartir en arrière mais comme il soutenait le plus petit et qu’il ne pouvait pas courir, il préféra lever son seul bras inoccupé.
- Désolé, M’sieur… On croyait… Qu’il y avait plus personne et qu’on pouvait squatter une nuit…
- Je suis pas le proprio. Je pense que vous pouvez rester ici, j’allais partir.
Taylor remarqua que le plus petit des deux n’avait pas l’air très frais. Il marmonna à l’adresse du plus grand :
- Il va bien, ton pote ?
- Mon frère. Non, il a de la fièvre.
Pour Taylor, c’était peut-être une occasion de voir l’épidémie en action. Certes, il n’avait pas vraiment le matériel pour être parfaitement protégé de la maladie mais de toute façon, il supposait qu’il avait peu de chances d’en sortir vivant. Ce qui ne l’empêchait pas de vouloir sa petite stimulation intellectuelle de temps en temps !
- Allonge-le sur le canapé, je vais l’ausculter.
- Z’êtes médecin, M’sieur ?
- Ouais. Et bloqué dans la zone, comme vous deux.
- Pourquoi ?
- Je sais pas… Et je m’en cogne un peu.
Taylor attendit que le grand Frère ait déposé le petit sur le vieux canapé défoncé et l’observa. Pâle, les yeux noirs embués et la respiration courte. En posant sa main sur son front, il confirma la fièvre et même une sacrée fièvre. De plus, son pouls était rapide et la tension élevée.
- Il s’est coupé sur quelque chose de métallique ? Ou il a mangé un truc pas frais ?
- Pourquoi vous demandez ça ?
- A priori, je dirais qu’il a une infection.
- Oh… Y’a un type qui l’a mordu.
Pour le coup, le Docteur Taylor le regarda avec étonnement. Une morsure ?
- Ou ça ?
- Au bras.
L’adolescent fit glisser la manche de son cadet et découvrit une blessure aux bords déchiquetés qu’un pansement de fortune n’avait pas réussi à masquer. Avant de soulever le bandage, Taylor renifla la plaie et l’odeur de viande pourrie et de pus ne lui plut pas du tout. Le bandage lui-même était poisseux de sang coagulé et d’un pus jaunâtre. Il n’avait pas vu ça depuis son internat et qu’un imbécile avait voulu taquiner un chien de garde. Résultat : deux doigts en moins et deux semaines d’observation pour septicémie… Il se tourna vers le grand frère :
- Dans la salle de bains, y’a des médocs et de la gaze. Normalement, y’a aussi de l’alcool pour désinfecter. Si tu n’en trouves pas, trouve-moi l’alcool le plus fort que tu vois.
Le gamin partit dans la salle de bains à toute vitesse et Taylor préféra aller dans la cuisine pour attraper quelques torchons, de l’eau en bouteille et le couteau le plus fin qu’il trouva. L’apparence de la plaie ne lui plaisait vraiment pas et il espérait qu’il y avait suffisamment d’antibiotiques dans cette piaule pour contrer l’infection… Mais il n’y croyait pas trop. Peut-être que les gamins auraient plus de chances en passant les contrôles ? Certes, ils avaient l’air de vivre dans la rue et ce depuis quelques années mais au moins les services sociaux les prendraient en charge.
Quand le grand frère revint avec sa moisson, Taylor fut content de voir une boite d’antibiotiques et une bouteille de désinfectant. Il n’était pas sûr que ça puisse suffire mais c’était déjà un bon début. Certes, il avait besoin de gratter les chairs qui étaient déjà trop infectées mais il avait peut-être une chance de sauver le gamin. Peut-être… Si les gosses avaient la présence d’esprit d’aller au poste de contrôle et de se faire prendre en charge par les médecins. Taylor passa le couteau dans l’alcool et commença à entamer l’inflammation, son patient étant tellement enfiévré qu’il ne poussait que de rares gémissements alors qu’il était charcuté à chaud. Pour éviter que le grand frère ne panique, il le fit le concentrer sur sa voix :
- Un type l’a mordu, alors ?
- Ouais. Un mec complètement taré. Il nous a foncé dessus alors qu’on essayait de se réfugier dans le métro pour la nuit.
- Le métro, hein ?
- C’est devenu dangereux. Y’a tout un groupe qui s’est réfugié dans la station de Morris Park… Et ce sont des malades mentaux ! ils attaquent à vue et je crois qu’ils ont des chiens. Des malades, je vous dis…
- L’armée a dû bloquer le métro. Pourquoi ils sont là-dedans ?
- Aucune idée… Mais tous ceux qui ont pas voulu se rendre à l’armée sont allés dans le métro. A cause de ça, on est plus trop nombreux dans les rues.
Arrivé à une zone du bras plus saine, Taylor stoppa son charcutage et commença à désinfecter à l’alcool. Puis, il recousit ce qu’il put avec du fil et une aiguille avant de poser une bande.
- Pourquoi tu veux pas te rendre à l’armée ?L’adolescent hésita puis resta muet.
- Eh… Je m’en fous, moi. Et c’est sans doute moins grave que pour moi.
- J’ai volé des voitures…
- A ton âge ??
- Bah… Faut bien vivre. Et c’est tout ce que je sais faire…
Pour le coup, l’épidémiologiste n’avait jamais eu à chercher sa pitance et surtout à se battre pour elle. L’idée qu’un gamin, qui n’avait même pas la moitié de son âge, en soit réduit à des petites combines pour simplement survivre le terrifiait. Lui n’avait jamais vu le monde qu’à travers un microscope…
- Et vous, Doc ?
- Aucune idée. Mais les militaires ne m’aiment pas. Par contre, si je peux te donner un conseil : Va avec ton frère au poste de contrôle et fais-le soigner.
- Ils vont me foutre en prison !
- Et ton frère vivra. Là… J’ai juste fait en sorte qu’il crève pas dans la nuit mais il a besoin des bons antibiotiques, pas des trucs qu’on a pu grappiller ici.
Le désespoir dans les yeux de l’adolescent aurait pu être un crève-cœur pour le Docteur Taylor s’il n’avait pas su que lui parler simplement et directement était le seul moyen qu’il prenne la bonne décision. Le gamin déglutit et reprit son petit frère dans ses bras.
- Merci, Doc…
Les deux gamins partis, Taylor resta un peu plus longtemps dans l’appartement déserté et fit ses provisions avec ce qu’il put, c’est-à-dire médicaments, bandages et un peu de nourriture non périssable. Il avait pris la décision de retourner dans le métro et d’aller échanger son maigre butin et ses quelques compétences contre des informations. Après tout, sa soif de connaissance était une bonne raison de mourir, non ?
A force d’être bloqués par l’armée américaine, nous en avons eu marre et nous avons abandonnés le Bronx… A ma grande honte, je dois le dire… Mais la situation devenait intenable pour nous. Astella avait réussi à nous exclure de la zone une bonne fois pour toutes en demandant au Sénat Américain de nous taper sur les doigts. A cause du massacre de Columbia, Victor m’a fait comprendre que toute tentative pour ravoir l’accès à la zone de quarantaine se solderait au mieux par des sénateurs suffisamment chafouins pour demander à ce que le Sicarius ne soit plus basé à New York… Au pire, il n’osait même pas l’imaginer.
Nous nous sommes donc concentrés sur Columbia et nous nous sommes arrachés les cheveux. Fort heureusement pour nous, j’ai eu l’idée de contacter le FBI et de leur demander de l’aide. Je l’avais fait pour deux raisons : D’un, pas mal d’étudiants venaient d’autres états, ce qui justifiait l’intervention de la police fédérale. De deux, il fallait bien que je court-circuite efficacement la police de New York dont nous attendions toujours officiellement les rapports. Officieusement, Yuna m’avait déjà dégoté des copies vingt-quatre heures après qu’ils soient écrits. Résultat des courses, un agent spécial devait venir me voir afin que je lui apporte mon aide et toutes mes ressources à son enquête, ainsi qu’aux trois agents qui allaient arriver le lendemain. Je leur avais déjà préparé un bureau et suffisamment de paperasse pour les occuper une bonne semaine. Je devais juste convaincre l’agent spécial que notre propre enquête leur serait fort utile… s’il nous laissait faire.
Je regrettais de ne pas avoir une véritable équipe de police scientifique car je n’avais personne pour s’occuper de nos survivants. Normalement, nous les aurions confiés à la police scientifique de la ville… Et nous aurions attendu… Longtemps. Je cherchais un laboratoire privé qui aurait accepté de faire les analyses pour nous mais j’avais assez peu de choix. En fait, je n’avais qu’une entreprise qui avait accepté de nous faire une proposition : Astella. Faute de grives… Je leur avais donné mon accord de principe mais j’attendais que le FBI me donne son aval pour finaliser le contrat. Cela dit en passant, j’avais une très mauvaise impression malgré le speech de leur vendeur. Ou peut-être à cause de ce speech ? Je n’aurais pas sur le dire à l’époque.
Une alerte sur mon ordinateur m’a indiqué que l’agent spécial que l’agent spécial que j’attendais montait et se dirigeait vers mon bureau. J’ai mis en évidence les dossiers de Columbia et j’ai lancé une cafetière entière. Il fallait absolument que le courant passe entre nous sinon, je pouvais directement pointer au chômage et tout le Manhattan View avec moi. Tout en buvant une tasse d’arabica, je laissais Hunt modifier mes phéromones et mon aura afin de paraitre aussi attractif que possible. Enfin… pas trop non plus… La dernière fois que j’avais poussé à fond, une douzaine de personnes m’avaient assailli de promesses et de propositions salaces alors que nous étions en train de valider le bilan financier de l’agence. Cela dit, même avec un petit niveau, il fallait quand même que j’évite de sortir dans la rue…
L’agent spécial, puisque c’était lui, toqua à la porte et entra sans attendre que je lui donne l’autorisation. Ça m’étonna jusqu’à ce que je reconnaisse l’agent en question.
- Waouh… Je me rappelais que tu étais baisable, mais pas à ce point-là… A-t-il marmonné en guise de bonjour.
- Karl ?
J’avais espéré, pendant pas mal de temps, pouvoir taire son nom mais il se trouve que Karl Manfield a quand même une importance certaine dans cette histoire. Karl était l’agent du FBI qui m’avait câliné, et même plus, lors de ma convalescence à la Nouvelle-Orléans, et celui qui nous avait aidé, sans le vouloir, à nous faire connaître. Nous nous étions quittés parce que nous allions de toute façon repartir ailleurs mais… J’avoue qu’à l’époque j’aurais bien aimé en avoir un peu plus.
- Mais qu’est-ce que tu fais là ? Lui demandais-je en lui tendant la main.
Il me prit la main et me tira à lui, ce que je le laissais faire puisqu’en toute honnêteté, ses pectoraux m’avaient manqué…
- Eh bien, quand le Sicarius a demandé l’aide du Bureau, mes supérieurs ont trouvé intelligent de faire venir au moins un agent qui connaissait le… terrain. Et ils m’ont envoyé.
- Tu aurais pu me prévenir…
- Surprise !
A ce que je sentais dans son parfum profond, il était évident que je n’étais qu’un bonus dans cette enquête. Moi et mon petit cul qu’il caressait avec tendresse… mais j’avoue sans honte que ça m’a fait plaisir. Karl était un amant qui ne s’imposait pas, pas plus qu’il ne m’aurait mal traité, sans doute parce que c’était un homme bon mais qui ne pouvait pas s’impliquer en dehors de son travail. Quand bien même je lui aurais demandé, il ne serait pas affiché avec moi, pas plus qu’il n’aurait pris sous son aile ma meute. Le FBI était sa famille et je n’étais qu’une pause agréable.
Si seulement j’avais pu m’en contenter…
- Tu tiens vraiment à me peloter ou on commence à travailler ?
Ce n’est pas que je n’aurais pas voulu céder à ses avances mais j’avais un peu peur que quelqu’un débarque dans mon bureau au pire moment. Malgré ce que pensait la grande moitié des mes employés, je n’avais pas pour habitude d’inviter mes amants et mes maîtresses à copuler dans mon bureau. Non, au pire, j’avais ma chambre à deux pas. Mais je préférais quand même aller chez eux, c’est plus intime.
- Je n’imaginais pas que tu sois un tel bourreau de travail.
- Donne-moi le numéro de ta chambre et le nom de ton hôtel et tu vas voir quel genre de bourreau je suis. Jusque-là, il me semble que tu as une enquête à mener…
Il eut le bon ton de rire et me vola un baiser avant de reculer et d’aller chercher sa mallette en cuir. Puis, comme s’il n’avait pas essayé de rentrer dans mon pantalon, il s’installa à mon bureau.
- Vas-y. Dis-moi tout.
Je lui exposais rapidement la situation et lui mettais, au fur et à mesure, les quelques rapports qu’on avait bien voulus nous octroyer.
- Et… C’est tout ? Me demanda-t-il avec de grands yeux.
- Oui. Disons que nous n’avons pas de très bonnes relations avec la police locale. La majorité de ce que tu as sous les yeux a été… disons emprunté sans l’accord du chef de la police. S’il le découvre…
- S’il le découvre, je dirais que je l’ai exigé. Bordel, je déteste les guerres de service… La majorité des assassins qui s’en sortent le doivent à ce bordel. De ton côté, tu as quoi ?
- J’ai contacté toutes les meutes d’Amérique du Nord et toutes m’ont assuré que personne n’avait vu une troupe de Métamorphes se diriger vers New York. J’ai fait la même chose pour les Meutes d’Amérique du Sud et même si toutes n’ont pas encore répondu, je pense que le résultat sera le même.
- Et… les autres continents ?
- Ça ne servira à rien. Les Métamorphes ne sont pas fan des voyages en bateau et les aéroports n’ont pas signalés de Loups ou de Félins dont la présence n’a pas été justifiée auprès de mes services et des douanes américaines. Mis à part deux Ours russes.
- Ce serait ces deux-là ?
- Impossible. Selon nos simulations, il faudrait au minimum une vingtaine de Métamorphes très en colère et très bien entrainés.
Avec Will, nous étions tombés d’accord sur ce chiffre mais nous étions surs qu’une centaine de loups enragés et très jeunes était plus proche de la réalité. Karl tomba sur la dernière simulation et je soupirais. J’allais devoir m’expliquer.
- Un seul individu ?
- Tu te rappelles la grosse bestiole de la Nouvelle-Orléans ?
- Oui. Celle dont on n’a pas retrouvé le corps… Mais j’ai vu les vidéos. Ce serait elle ?
- Non… Ce serait moi. Cette simulation est basée sur mes capacités. La Bête de la Nouvelle-Orléans est bien morte et… J’ai hérité de ses pouvoirs.
Histoire de ne pas faire durer le suspense, j’ai glissé sur le bureau mon agenda de la nuit du massacre avec les témoignages afférents. Il a souri en voyant la liste.
- Il existe donc une autre Bête ?
- C’est une possibilité que nous ne pouvons pas écarter. Cependant, ce serait très étonnant. La Bête de la Nouvelle-Orléans était une aberration qui ne pouvait pas se répéter… A moins que ce soit moi qui ait dû la manger.
- Ah… Oui. Cannibale.
Il parait évident que je n’avais pas tout dit aux autorités. L’Aberration que j’étais devait paraître trop dangereuse à l’époque et en prêcher le moins était la seule façon de survivre. Les quelques rares personnes, hors meute, à savoir que j’étais la Bête pensaient que j’avais hérité de tout ce foutoir à cause de mes capacités de Cannibale. Ce n’est pas tout à fait faux… C’est juste un raccourci audacieux… Très audacieux. Pour éviter d’amener trop de monde sur moi, j’ai joué la petite carte du mensonge apaisant :
- Au passage, la puissance de la Bête a été avalée et digérée. Il m’en reste très peu et à peine de quoi faire ce massacre.
- Et il y’a une chance que tu perdes le contrôle ?
Oui. Mais il n’avait pas vraiment besoin de le savoir.
- Non. Sa colère n’est pas passée en moi.
Faux aussi. Les bruits aigus me filent un mal de crâne carabiné et je dois rester immobile pendant une bonne minute avant de pouvoir bouger à nouveau. Sinon je suis tellement énervé que je manque de décapiter le premier venu et ce n’est pas ce qu’on pourrait appeler une action diplomatique…
- Tu crois que c’est pour ça que la police de New York te met sur la touche ?
- Non. Ils ne sont pas au courant… C’est juste parce que le Chef Morrison est un anti-surnaturel convaincu.
Au passage, j’ai fait une petite enquête pour savoir si sa haine était justifiée et la seule chose qu’on a trouvé c’est qu’un métamorphe félin lui ait passé devant pour une promotion il y a huit ans. Ce métamorphe a depuis fait sa renonciation à la vie humaine et est devenu citoyen français pour continuer à rester dans la police mais… Manifestement, c’est suffisant pour tous nous mettre dans le sac des merdes à qui rendre la vie impossible.
- A ce point ?
- Disons que la situation devient tendue dans la ville. Une partie de mes forces ici est chargée de calmer la situation et d’éviter que les arrestations arbitraires ne finissent en bain de sang. Pour le moment, les vampires et les Faes ne sont pas inquiétés, ce qui nous évite les problèmes de santé suite à une garde-à-vue trop longue mais les métamorphes sont sur le point de tous partir.
Karl a repoussé les dossiers et s’est adossé sur son siège.
- Je me doute que tu n’es pas au courant mais au vu de la réaction du Fenris suite au refus de la citoyenneté des surnaturels, le Congrès envisage de créer une seconde classe de citoyens américains.
- Waouh… trop aimable de leur part…
Il a souri devant l’acidité de ma remarque.
- Et avec l’affaire de Columbia, le Congrès a été refroidi. Le vote a été repoussé Sine Die[1].
- Et tu penses que c’est lié à ce vote ?
- Mon patron le pense. Mais pour le moment, nous n’avons aucune idée sur le groupe de terroristes capable de simuler une attaque de meute déchainée.
Il a sorti un mince dossier et le posa sur mon bureau.
- Et les témoins ?
- Les ?
- Les deux survivants. Je n’ai pas vu leur interrogatoire dans tes dossiers.
- Parce que c’est la police qui les a pris et les a interrogés… Je suppose…
Pour le coup, j’ai froncé les sourcils et je me suis rendu compte que j’avais totalement oublié les deux survivants. Dans ma tête, Hunt était aussi confus que moi et essayait d’analyser le pourquoi de cet oubli.
- Euh… Non. C’est la première chose que j’ai demandé à la police locale et on m’a dit que le Sicarius les gardait pour eux et s’en occupait bien.
Je lui ai montré l’ordonnance du juge Patel pour les deux étudiants survivants en lui précisant qu’on ne nous avait pas laissé le choix. En voyant son expression, je me suis dit qu’on avait loupé quelque chose de gros.
Ils ne faisaient pas partie de la Meute.
C’est-à-dire ? demandais-je à Hunt.
Ni loups, ni lapins, ni sangsues… Ils ne sont pas vivants. Pas comme nous.
Faes ?
Non. Nous n’avions aucune emprise. Nos griffes ne pouvaient pas les blesser.
Mon cœur a manqué quelques battements pendant deux minutes. J’ignorais encore ce qui avait provoqué tout ce merdier mais je venais de comprendre que l’attaque avait eu un effet des plus catastrophiques. Hunt et moi ne pouvions mettre les griffes ou les crocs sur leurs esprits puisqu’ils n’avaient plus d’âme…
J’essayais de confirmer avec mon loup.
Plus d’âme ?
Si. Mais plus d’accroches. Je ne les ressens pas.
- Mais tu les as vus, n’est-ce pas ? Me demanda t’il en se penchant en avant.
- L’un des deux, oui. Mais ce n’était pas un métamorphe d’après ce que j’ai senti… Mais maintenant, tu me fiches le doute.
- Comment ça ?
- Et bien, en tant qu’Alpha, je suis sensé calmer les louveteaux apeurés…
Ça aussi c’était faux. Un Alpha ne peut pas « calmer » un autre loup. Il peut juste le foutre au sol et lui intimer assez durement de rester le museau dans la poussière jusqu’à ce qu’il soit capable de ne pas mordre le premier venu.
- Mais je n’arrivais à rien, continuais-je. Ce qui est très bizarre, pour le coup puisque même les humains ressentent ce pouvoir… Bon… Beaucoup moins que les loups et je ne tenterais pas d’être un palliatif à une anesthésie générale mais il aurait dû le ressentir.
Je ne mange pas de charogne.
Le rapport ?
Ce n’était pas une proie. Pas plus qu’un prédateur… C’était un caillou.
- Je ne suis pas sûr que ce soit important mais peut-être que ces deux-là ont été drogués.
Tu sais que non.
Sans doute mais je ne suis pas sûr que le FBI ait besoin de le savoir. Merde, écoutes-moi… Je commence à penser comme mon père…
C’est un problème ? Moi je l’aime bien, le vieux.
Après tout ce qu’il nous a fait ??
Il faut bien qu’il t’éduque… Tu es un sale gosse.
Et toi non, peut-être ?
Non, moi je suis un adorable louveteau farceur.
Vous savez ce qu’il y a de plus dur dans ces conversations internes ? ne pas rire, ne pas s’énerver… En clair, ne pas montrer que je ne suis pas tout seul dans ma tête. Un problème que je partage avec les saints catholiques, les tueurs schizophrènes et les auteurs de romans. C’est un poil pénible et je compatis au malheur de mes pairs.
- Oh ! Vincent ! Je te parle !
Et voilà le second problème : parfois je décroche et je ne sais plus où je me trouve.
- Désolé.
J’étais perdu dans mes pensées.Ou plutôt dans celles de mon loup. Elles sont plus jolies que les miennes, à mon sens… Si je peux me permettre de vous conseiller, si vous devez vous balader dans les pensées d'un autre, choisissez quelqu’un d’insupportablement joyeux. C’est mieux…
- Tu disais ?
- Que je serais ravi de te prendre tout de suite sur ton bureau et j’ai pris ton silence pour un oui tacite ; c’est pour ça que tu es à genoux et cul nu devant moi pour me sucer avant qu’on s’amuse.
Evidemment, j’ai regardé… Et Karl a souri de sa blague avant de reprendre.
- Il faut qu’on trouve ces témoins, mec. Et vite.
[1] Sine die : Locution latine signifiant que le report ne comporte aucune date précise.