Epilogue:
Les seuls moments où je maudis mon implication dans le Sicarius et plus particulièrement le fait que j’en sois le directeur général, c’est quand je dois approuver ou désapprouver les comptes des différentes sections. Le pire de ces moments étant quand je dois décortiquer les comptes de la sous-section Ritualiste, qui était sous les ordres d’Azul et qui faisait du très bon boulot en termes de prévention de catastrophe magique, mais qui avait tendance à exploser son budget parce que, je cite, « Ça peut toujours servir ! » Le problème étant que, étant sur le sol américain, nous étions soumis aux taxations américaines et aux lois américaines… Ce qui fait qu’une ligne de budget d’un montant de 12 000 dollars pour un kilo d’herbe chamanique dont la réglementation est drastique sur la Côte Est vu que c’est une drogue hallucinogène de catégorie 1, allait provoquer une crise cardiaque ou une demi-molle, ça dépend du degré de saloperie, à l’inspecteur de L’IRS qui s’occupe de nous. Autant dire que je passais des heures délicieuses à essayer de camoufler ça avec des dons à différentes églises pour de l’eau bénite… Et si vous vous posez la question de pourquoi je n’engueule pas Azul sur son budget, la réponse est simple : Dragon.
Quant à avoir de l’aide… Si le reste de la Meute se ferait tuer pour moi, leur loyauté n’allait pas jusqu’à me sauver de la compta. Cela dit, je les comprends, je n’irais pas jusque là non plus.
Ça faisait deux heures que je me triturais les méninges pour trouver les solutions et que je priais n’importe quel Dieu à l’écoute pour qu’il m’envoie une distraction qui m’empêcherait d’avoir des envies de carnage quand on toqua à la porte. Je remerciais la Sainte Boulette de Viande, divinité que je priais à ce moment-là et je criais :
-Entrez !
La porte s’ouvrit, me laissant voir que la Meute avait remis cette pancarte stupide en dessous de mon nom qui dit « Soyez poli, je mords ! » avec une mâchoire de requin, et un motard roux qui avait un faux air d’Eddie Redmayne pénétra dans mon bureau avec un air un peu perdu. C’était la première fois depuis quelques semaines que quelqu’un éveillait mon intérêt rien qu’en entrant dans une pièce. Et c’était l’une des rares fois où Hunt fut d’accord avec moi et qu’il leva la tête pour accueillir le nouveau venu avec un gémissement interrogatif. J’humais la pièce pour m’imprégner de son odeur, un mélange d’huile de moteur, de savon au citron et de bois de santal et je décidais qu’en croquer un bout ne ferait de mal à personne… avant que l’odeur sous-jacente de la fourrure d’un grand félin ne me rappelle à l’ordre et ne m’indique que le motard avait déjà été revendiqué par un métamorphe.
Bah, tant pis pour moi.
Je me redressais, pour faire ce pour quoi on m’avait mis dans ce bureau et je désignais le fauteuil devant moi.
- Je vous en prie, prenez un…
C’est à ce moment-là que je me suis aperçu qu’Hennessy s’était installé de manière très confortable dans le fauteuil réservé aux visiteurs et qu’il me regardait assez méchamment pour ce que j’allais oser suggérer.
- Bon, virez le chat avant de vous asseoir…
Je savais que j’en étais quitte pour une centaine de grammes de viande séchée au whisky pour me faire pardonner mais je ne pouvais décemment pas envoyer bouler un humain sous le prétexte que mon chat, que j’amenais au boulot en contradiction totale avec les normes d’hygiène dans une entreprise, s’était installé pour sa huitième sieste de la journée et qu’on ne dérange pas sa majesté pendant son repos.
Fort heureusement pour lui, le motard savait manifestement composer avec les félins en manque de sommeil puisqu’il me remercia, posa casque de moto et sacoche sur le sol et préféra s’intercaler entre le chat et le fauteuil. Comme le pantalon du motard était en cuir, Hennessy ne put râler contre la différence de texture contre ses coussinets et se recoucha presque immédiatement avec un ronronnement heureux.
- Soyons clairs dés le début, personne ne sait que je suis là…
Sa voix était rauque de fatigue et malgré son attitude un peu dominante et agressive, il était au bord de la crise nerveuse. Techniquement, je ne pouvais pas vraiment présumer de ce qui l’avait amené à venir me voir et je mettais en garde, lors des colloques de gestion des civils, de la surinterprétation des parfums, des battements de cœur et même de l’attitude de nos interlocuteurs : Nous autres, métamorphes avions tendance à prendre ces indices pour argent comptant et à nous baser là-dessus pour la suite de l’entretien. Pourtant, je me doutais qu’il faudrait lui arracher les informations une à une puisqu’il n’avait aucune confiance en moi. Ce qui était parfaitement normal puisqu’il ne me connaissait pas. Cependant, il me mettait au défi de lui apporter les réponses dont il avait besoin et je fis donc ce que je recommandais aux autres de ne jamais faire, je lui ai coupé la parole :
- Vous voulez jouer à ça ? Bien… Votre identité, je m’en fous, celle du Gros Matou qui partage votre lit, aussi. Et pour répondre à l’évidente question n°1, ce n’est pas parce qu’il vous a griffé ou mordu que vous allez vous transformer. A moins que vous n’ayez fait une crise cardiaque juste après, mais ça m’étonnerait.
Voilà, vous avez l’exemple parfait de tout ce qu’il ne fallait pas faire lors d’une conversation entre un métamorphe et un humain dans un cadre professionnel. L’agressivité sous entendue, un secret révélé alors qu’on ne se connait pas et qu’il n’a peut-être pas envie que ça se sache et enfin l’arrogance de croire que l’humain est venu pour une seule raison et que, bien évidement, vous la connaissez. Il y a en général, deux réactions à cette petite tirade. Soit mon interlocuteur se tasse et attend que je l’attaque, sachant pertinemment que si je le voulais, je pourrais le gober en une seule bouchée, soit il fuyait en faisant une scène.
Mais pas mon motard. Au contraire, il se redressa et se prépara à contrattaquer.
De ce jour, deux évidences m’ont frappées : De un, il était possible que je ne sois pas que le croquemitaine qu’on voulait que je sois et que j’avais accepté de devenir, pensant qu’il n’y avait plus que ça pour moi. Normalement, je ne reçois pas de visiteurs mais ce jour là, un bug dans la matrice je suppose m’a attribué la garde de cet homme qui voulait juste un peu d’aide parce qu’il était paumé dans une situation qu’il ne connaissait pas. Et ça le faisait enrager, lui et son obsession du contrôle. Pourquoi lui, pourquoi moi ? Aucune idée… Mais j’ai réussi à faire ce dont il avait besoin : Lui donner des explications.
De deux, j’adore les motards roux. J’avoue que ça m’a pris depuis ce jour-là mais les motards roux devinrent, de ce jour, des proies de choix. Quant à celui qui avait réussi à nous faire lever la tête à moi et à Hunt, il est, à ce jour, mon meilleur pote. Si j’ai parfois des pointes de jalousie envers le gros matou, je n’ai jamais outrepassé la limite. C’est là que je me suis aperçu qu’il valait mieux transformer ses coups de foudre en amis pour la vie plutôt que de se prendre une balle en plein cœur.
FIN DU TOME 2.