On ira tous au paradis... Même moi
A 14h, le soleil était démentiel sur Miami Beach. On aurait pu s’attendre à ce que la plage fut envahie d’estivants bien intentionnés mais aussi bizarre que cela puisse paraître… Clara était seule sur une cinquantaine de diamètre. Et sans aucune honte. Elle qui cultivait sa pâleur, trônait sur un transat beige avec la morgue d’une reine… Et couverte d’écran total et d’un parasol d’un blanc de neige, elle n’allait pas prendre une couleur. Pourquoi dans ce cas réclamer à corps et à cris SA séance de plage ? Juste pour se baigner dans la chaleur sèche et l’océan atlantique. Elle avait à ses pieds une glacière que lui avait bien gracieusement prêté l’hôtel avec du jus de citron, des sorbets et de quoi nourrir un régiment. Clara était… Juste bien. Et elle devait avouer qu’elle n’imaginait pas sa fin d’aventure, si tant est que ce fut véritablement une fin, comme ça. A moins qu’elle ne rêve ou que Dieu dans son infini humour n’avait décidé de lui offrir le paradis qu’elle ne pensait pas avoir mérité jusque là, du moins dans la vision que ses bigots d’oncle Sammy et Tante Connie le lui avaient enseigné.
Déjà, pas d’anges. A moins que ceux-ci aient abandonné la plume pour la planche et arborent tous un sourire Signal + blancheur. Mais les autres anges qui constituaient son service de sécurité ne laissaient pas approcher les premiers et venir flairer les affaires de Clara manifestement puantes de fric. Car puante de fric elle était devenue. Quand Victor lui avait octroyé ses mille dollars pour diverses courses, elle en avait à peine utilisé deux-cents et caché le reste au cas où elle aurait du s’enfuir et recommencer une nouvelle vie. Ce n’est qu’en arrivant à Miami qu’elle avait compris que son pauvre pactole ne lui servirait pas beaucoup. Victor, le matin avant d'arriver à Miami avait passé une dizaine de coups de fils... la plupart dans une langue étrangère et lui avait donné une adresse ou se rendre... Qui n'était autre que le Carlton-Ritz de Miami Beach. Quand elle descendit de son Van, elle était prête à aller voir Victor à l'arrière pour lui demander si il s'était pas trompé, mais un groom s'était incliné devant elle avait demandé la confirmation de son nom et prit possession du Van pour le garer. Incompréhensible.
La suite fut encore plus déroutante. Le directeur en personne était venu la saluer en jurant ses grands dieux que jamais son hôtel ne fut plus honorée en ce jour où elle avait consenti à descendre ici. Elle se força à ne pas ouvrir de grands yeux devant cette marque inouïe de respect et se promit à ce moment-là de tirer les choses au clair avec Victor dés le soleil couché, car elle avait compris que son kidnappeur ne souhaitait vivre que la nuit. C’était son choix. Elle le respectait. Il était vrai que le monde est tout de suite moins laid quand la nuit tombe et cache de son ombre bienveillante les chausse-trappes et les cadavres en décomposition. On la conduisit à sa suite, oui, une suite… où une foule de cadeaux l’attendait. Des gerbes de fleurs mangeaient tout l’oxygène du salon et un monceau de cartes était disposé selon un dessin complexe et artistique. Elle en prit une et en fut sur les fesses.
A Madame la Duchesse du Suffolk, en espérant que votre séjour vous plaise.
En s’affalant sur le canapé de cuir blanc, elle resta un instant à réfléchir. Bien sur que c'était Victor le responsable de tout ça. Mais pourquoi? Pourquoi la faire passer pour une duchesse alors qu'elle aurait plus l'air d'une rock-star? Son coté aristocratique l'aurait emporté? Quoiqu'il en soit, il semblait que tout l'hôtel ait gobé l’affaire aussi facilement qu’une cerise. Par acquis de conscience, elle demanda au room-service qu’on lui apporte un ordinateur, une connexion internet et de quoi nourrir un régiment. Étrangement, depuis qu’elle était le porte-clefs de Victor, elle avait toujours faim. Diligemment, tout lui fut apporté dans le quart d’heure, ce qui la fit s’interroger encore plus sur cette Duchesse de Suffolk qu’elle était censée être.
Partant du postulat qu’on trouve tout sur internet et surtout ce qu’on ne voudrait pas y trouver, elle chercha et navigua entre les épopées héroïques de son supposé ancêtre, un cours sur le Comté puis Duché de Suffolk puis à nouveau comté et enfin les potins mondains. Et elle comprit. Elle comprit comment elle, Clara Howard avait eu ses entrées dans ce magnifique hôtel et qu’on l’avait parée du Titre de Duchesse.de Suffolk… Un peu avant l’aube une dépêche relayée par toutes les agences de journalistes du monde était tombée. Le Prince Harry du Royaume-Uni avait demandé, deux semaines auparavant la main d’une jeune femme de la noblesse anglaise, atypique malgré son titre de comtesse, depuis érigé en duché-pairie par la Reine Elizabeth II. Cette jeune femme au look de punk qui ne se laissait jamais prendre en photo s’appelait Clara Howard. On parlait de la Romance du siècle naissant et on promettait le mariage le plus extraordinaire depuis le Prince Charles et Lady Di.
Victor, évidement. Victor dans toute sa splendeur. Elle était tout de même effarée qu’il eut été capable de ça en si peu de temps. Néanmoins, dans son admiration, elle lui promettait malgré tout une volée de bois vert. Surtout que cette usurpation d’identité risquait de lui couter cher… Qu’à cela ne tienne, autant qu’elle en profite. Elle passa le reste de la journée à se refaire une garde-robe et à perfectionner son accent londonien.
Bien qu’il fût établi que Victor ne sortait que la nuit, il ne vint pas ce soir-là. Clara attendit en vain toute la nuit et s’assoupit sur le canapé en cuir blanc… D’où la présente séance de plage. Cela dit, elle se trouvait curieusement démuni sans la présence de Victor et malgré le déracinement intolérable qu’elle avait subi, elle ne lui en voulait pas. Elle voulait juste le revoir. Évidement, dans son esprit, une telle dépendance ne pouvait être que le fruit d’un syndrome de Stockholm naissant mais… elle ne pouvait s’en défaire.
Elle dormit sous l’œil protecteur de ses anges gardiens jusqu’au soir et rentra sans plus beaucoup d’entrain pour sa vie nouvelle. Preuve qu’elle était un peu déprimée, elle chipota dans son assiette. Elle eut naturellement une bouffée de plaisir quand elle rentra dans sa chambre et qu’elle le vit assis dans un fauteuil, les yeux rivés sur la porte. Plaisir proportionnel à l’inquiétude qui la saisit quand elle vit qu’il avait l’air concentré, ennuyé et dangereux. En aucun cas heureux.
Il avait refusé. Tout simplement. La moindre incursion dans son univers froid et sombre se traduisait par un mutisme hostile et presque palpable. Vince s’était assis dans un coin et dardait un regard assassin sur la porte qui refusait de s’ouvrir. Il ignorait depuis combien de temps, il était là, même depuis combien de temps, il était enfermé dans cette cave putride ou pourrissait le cadavre d’un bébé et celui d’une jeune femme qu’on avait lacérée sur tout le corps avant de l’envoyer mourante aux pieds de Vince. Avec un peu plus de réflexes, Vince aurait pu attraper la porte et le monstre derrière, mais empêtré dans le corps de cette ex-jolie blonde, il l’avait manqué de quelques centimètres. Il avait regardé la femme qui gémissait piteusement et avec une honte immense de ne pouvoir faire plus pour l’aider, Vince lui brisa la nuque pour qu’elle ne souffre plus. Il avait posé son corps qui devait être magnifique avant à coté de celui du bébé, dans une pose respectueuse. Encore une fois, pas une larme, malgré la douleur atroce qui lui vrillait la poitrine. Pas une larme, mais une haine farouche qui s’alimentait seule.
Maintenant, les deux corps diffusaient l’odeur écœurante des morgues, morgues dont les plombs auraient sauté et dont les frigos n’empêchaient plus la rapide diffusion des gaz de décomposition. Vince s’en fichait. Il ne voyait que cette porte avec la secrète ambition de la faire tomber rien qu’avec son regard. Il était à l’affut du moindre bruit et il en entendait souvent… pour un peu il aurait pu entendre la circulation au dehors, mais il ne percevait que les klaxons impatients des camions de livraison. Il y avait des voix aussi. Des voix de la rue. Mais malgré toute son attention, Vince ne put voir ou était la bouche d’aération qui lui permettait d’entendre le monde extérieur. Pas important. Rien n’est important sauf le moment où la porte s’ouvrirait et quand il sauterait à la gorge de ce monstre et où il le déchiquèterait avec les dents et les ongles.
Oui. Oui, il avait ce genre de pensées. Il n’en avait pas honte. Il régressait. C’est tout. Pourtant une part de lui-même continuait à penser et à réfléchir à sa situation. L’enfer. Oui, il était en enfer, tel qu’il se l’était toujours imaginé : un endroit clos ou il deviendrait fou selon ses pires craintes. Voir des gens mourir sous ses yeux sans pouvoir y faire quoique ce soit. Sans pouvoir les sauver. Le pire étant que, même en se forçant, il ne pouvait pas pleurer. Il y avait juste la mimique de désespoir mais pas une goutte d’eau. L’enfer. Oui, mais pourquoi ? Même en essayant de tirer par le bas toute sa vie, rien ne justifiait cette descente abominable. Rien. Oh, Vince n’était pas un ange ni un saint… Mais pas non plus un démon. Juste un homme normal qui avait eu le malheur de naître avec cette tournure sur qui on se retournait. Et au fond de lui-même une petite voix lui murmurait que cet enfer miniature d’ombre et de glace lui laissait bien trop le temps de réfléchir et de se complaire dans l’introspection. Son geôlier le savait-il ? Cette réclusion était en train d’aiguiser son instinct en le transformant en quelque chose d’autre. Quelque chose qui n’avait plus d’humain que l’apparence et qui se tapissait, prête à bondir. Un animal magnifique et dangereux. Un monstre.
Encore une fois, un regard sur les corps. Plus de tristesse en les regardant. Rien. Rien du tout. Même pas du dégout ou une sorte de malaise. Rien. Ils étaient là. Il était là. C’était tout. Même assis, le menton posé sur les genoux, il était aux aguets. Chose appréciable puisqu’il entendit le grincement d’un parquet suite à la lourdeur d’un pas… non de deux. Sauf que l’autre pas était plus léger et hésitant. Donc son geôlier lui amenait un nouveau cadavre en devenir. Vince se sentit bouillir de rage. Qui que ce soit, il l’aiderait. Cette fois-ci, il ne laisserait mourir personne. La serrure se mit à grincer sous l’influence de la clé rouillée qui tournait avec une lenteur exagérée. Il pouvait presque entendre les copeaux de fer oxydés gémir dans leur chute, arrachés par les dents acérés de la gâche. D’un mouvement fluide, Vince se déplia pour être prêt à bondir, il sentit son champ de vision s’étrécir et se réduire à cette porte qui avait refusé jusque là de se dégonder et qui portait encore la marque, sur le montant de métal, de ses poings.
De ses poings.
Toute sa concentration s’enfuit en une fois quand pour la première fois, il remarqua que ses coups répétés sur la porte avaient déformé le métal. Comment ? N’était-ce qu’une fine plaque d’aluminium pour se déformer à ce point et porter le dessin d’un poing fermé et vengeur ? Il suivit la porte s’ouvrir et se refermer brusquement. Le bruit le rappela à la réalité. Il avait manqué son assaut. Et une femme était rentrée dans son enfer. Elle ne semblait pas effrayée et malgré l’obscurité, il la voyait clairement dans sa robe blanche assez courte qui lui serait allé à merveille si elle n’avait pas été coiffée comme une punk.
- Quelqu’un est là ?
Elle avait une belle voix de petite fille mais aucune peur n’en transparaissait. Elle était calme, pas très sereine, mais calme. Elle s’attendait à la suite. Vince se leva le plus doucement possible et essaya de parler. Aucun son. Il reprit sa respiration, se rendant compte qu’il avait cessé depuis fort longtemps.
- Il y a moi et deux cadavres.
Elle se tourna vers lui, sans véritablement voir quoique ce soit. Vince avait dans les oreilles un battement de cœur et sur la peau un souffle chaud émanant de tout un corps féminin… Il avait envie de se blottir contre elle et de se réchauffer contre son sein. Elle farfouilla dans sa robe et lâcha un soupir exaspéré.
- Je suppose qu’il n’y pas de lumière ?
- Non… Ou je ne l’ai pas trouvé.
- Je pense que vous l’auriez trouvé. Ça fait combien de temps que vous êtes là ?
- Je ne sais pas… Au début… Je n’ai jamais su. Plusieurs semaines à vu de nez.
Vince avait l’impression de respirer comme s’il allait faire une crise d’angoisse. Trop. Il avait l’impression de ne pas avoir assez d’air.
- J’approche, hein… Ne me sautez pas dessus… Murmura la jeune femme sans peur.
- Je ne bougerais pas.
C’était étrange. Il se sentait curieusement apaisé et humain alors qu’elle avançait, les mains tendues et elle le toucha au niveau du torse. Elle avait les mains chaudes alors qu’elle les faisait glisser jusqu’à son visage.
- Vous êtes froid…
- Il fait pas chaud ici…
- Et votre cœur ne bat pas.
Elle avait les sourcils froncés et l’air inquiet. Elle leva les yeux sur lui.
- C’est vous qui les avez tué, les deux autres ?
- Euh… Oui… Ils… ne pouvaient pas survivre. Surtout le bébé. J’ai essayé de le réchauffer mais…
- Vous ne les avez pas mordus ?
- Pourquoi les aurais-je mordus ?
La jeune femme n’avait plus l’air inquiet mais furieux, ce qui se confirma quand elle se mit à cracher des insultes, au vu du ton, dans une langue musicale… Peut-être du Russe. Elle s’écarta de lui dans une marche de prussienne en invectivant toujours dans cette langue et semblant vouloir tout démolir autour d’elle. Dommage qu’elle soit parti dans sa colère, Vince sentait les endroits où ses mains étaient passées se refroidir inexorablement. Et c’était douloureux. Elle se retourna brusquement avec la fureur flamboyant dans ses yeux noirs.
- Cannibale…
Ce fut sa seule sentence.
Cannibale.
Dans la plupart des sociétés humaines, ce simple nom avait le don de remuer les esprits vers quelque chose de profondément interdit. Le tabou par excellence. Les rares histoires de cannibalisme fascinaient autant qu'elles dégoutaient. Qui n'avait pas entendu parler de ces passagers d'un avion crashé au milieu de nulle part et qui pour survivre avaient du surmonter l'un des tabous les plus forts et consommer la chair de ceux qui n'avaient pas survécu? Qui ne les avait pas plaints en jurant ses grands dieux qu'ils en auraient faits de même tout en espérant secrètement ne jamais avoir à le faire? Qui n'a pas frémit d'horreur devant les habitudes culinaires de certains tueurs en série, largement banalisées par le Silence des Agneaux? Qui..?
Parmi les vampires, le problème se posait autrement. Pour ceux qui se souvenaient avoir été humain et s'en souvenaient sans honte, le tabou était depuis déjà longtemps dépassé. Boire du sang ou manger de la chair... Après tout, il n'y avait guère de différence. Pour ceux qui ne se souvenaient pas ou faisaient mine de le problème n'en était pas un. A peine un peu de mépris pour les jeunes. Guère plus.
Non, le tabou vampirique se situait ailleurs. S'il n'était pas rare que deux amants à quenottes échangent un baiser sanglant, ce n'était rien comparé au plus ultime des tabous. Tuer un autre vampire pour s'en nourrir. Cela allait au delà de l'acte. Bien au delà des guerres de territoire, des duels d'honneur ou de ce que les plus blasés appelaient des concours de quéquettes, il s'agissait tout simplement de prendre un vampire comme proie et par là-même de lui dénier son statut. Les mortels nommaient la chose "crime contre l'humanité", les vampires nommaient cela "désacralisation" ou "martèlement" pour les puristes de l'Égypte ancienne qui connaissaient cette pratique visant à dénier un criminel de son immortalité au sens où personne n'est autorisé à se souvenir. Les plus jeunes vampires, qui au passage se nommaient les Dents de Lait par dérision, avaient trouvé un autre terme hérité des images de la chute du mur de Berlin. Ils parlaient de "déboulonner" quelqu'un comme on déboulonnerait une statue de Lénine. Les plus vieux appréciaient.
On pourrait se demander, dans une société telle que celle-ci, comment les cannibales ont pu être tolérés et même occuper la troisième marche de la pyramide du pouvoir vampirique avant les Maitres de Ville. Simple. Les Cannibales sont un mal nécessaire. Et pour bien faire comprendre l'ampleur de leur mission, l'horreur de leur charge et le tabou de leur seule punition, jamais il ne leur fut donné une litote en guise de présentation. Ils étaient les cannibales.
Le plus effrayant dans toute cette affaire est qu'un cannibale n'abuse jamais de sa situation. Même en cas de faim extrême. Cela vient de l'infini soin qui est porté à sa création. Selon ceux qui se pensaient parfaitement au courant, et Victor s'autorisait à penser qu'il en faisait partie, les cannibales sont régis par trois traits: une incapacité à se nourrir au cou d'un humain, une loyauté absolue aux lois des prédateurs ou un amour immodéré de l'humanité. S'y ajoutaient bien sur une très grande puissance et un sens de la traque exacerbé. Mais comme le disait Victor, ce sont plus des acquis que des dons de naissance. Ils comptent peu dans la création.
Il était évident que celui là était un cannibale humaniste et qu’il ne pourrait pas, du moins avant très longtemps se nourrir sur un humain, ou peut-être sur des criminels. Il serait dur à éduquer mais Victor appréciait son calme et ce coté tellement vulnérable. Un lapin à qui on avait collé des crocs de loup et à qui on avait dit de manger ses voisins… sans lui dire qu’il ne pourrait plus jamais vivre comme un lapin. Il maudit Chandra, son dernier infant qui avait eu la mauvaise idée d’infanter à son tour et de massacrer quelqu’un qui n’était pas prévu pour être un vampire. Une pierre de plus à rajouter au sac que Chandra s’était attaché au cou et que Victor devait subir. Il croisa ses bras autour de sa poitrine et fut surpris d’y retrouver la résistance de seins, même petits. Il avait oublié une seconde qu’il était dans le corps de Clara. Caché, mais sans armes. Heureusement que le vampire qui se confisait dans sa culpabilité devant lui était un cannibale qui ne pouvait pas le mordre, sinon il aurait perdu Clara. Il aurait regretté Clara. Vraiment. Il avait songé fugitivement à en faire sa fille dans le sang, enfin une fille selon son cœur, débrouillarde et intelligente… et surtout avec un caractère bien trempé. Il l’aurait aimé des siècles durant et nul doute qu’elle aussi l’aurait aimé. Si elle avait eu la moindre ambition, il lui aurait donné une ville ou deux, mais sa seule ambition ressemblait à la sienne : Être libre.
Mais l’arrivée de cet être perdu changeait tout. Oh, bien sur, Victor pouvait le tuer en même temps que Chandra mais… Cela froissait son sens de la justice. Il n’y était pour rien. Juste au mauvais endroit au mauvais moment. Victor se calma. Il regrettait de ne pas être dans son autre corps, car il était condamné à l’obscurité pour encore quelques heures et il ignorait ce que valait ce nouveau-venu dans la fraternité des prédateurs. Et s’il ne méritait pas son éducation ?
- Approchez.
Victor entendit les pas sur le gravier, plus fort que cela n’aurait du. Une tentative maladroite de ce nouveau compagnon de le rassurer en faisant plus de bruit que nécessaire. Il avait compris déjà qu’il n’était plus tout à fait humain. Cela devait le rendre triste et amer. Victor savait que les membres de sa fratrie appréciaient la chaleur, comme une nichée de serpents attendant le soleil pour paresser. Victor lui ouvrit les bras et le prit contre lui. Dieux qu’il était froid. Victor avait oublié combien un corps mort pouvait être glacé et, comme son nouveau chiot perdu l’avait dit… Il ne faisait pas chaud ici. Néanmoins, il le serra contre lui et sentit les muscles glacés de cet homme nu se détendre. Heureusement que Victor avait vécu quelques années dans le noir total, ça lui donnait de bons reflexes. En passant ses doigts sur le visage, il pouvait en deviner la structure générale. Oui, il était beau. Nul doute que Chandra l’eut choisi pour cette simple raison… et nul doute que Chandra l’ait infanté dans le simple but d’avoir une raison de survivre. On ne laisse pas un jeune prédateur tout seul, incapable de se contrôler. Chandra savait que Victor venait. La mort de Katrina et de Timothée lui était sans doute parvenue et il savait de qui ça venait. Chandra savait que son créateur ne pouvait pas laisser un tout jeune vampire sans maître. Fut-ce au prix de sa vengeance.
Bien joué. Vraiment. Mais c’était sans compter sans la capacité de réflexion de Victor et son aptitude à retourner la situation. La meute prévaut sur le moindre de ses membres. Le jeune vampire ne resterait pas seul, il serait à lui. C’était décidé. Il l’aimait déjà. Il lui appartenait, tout comme Clara…
- Quel est ton nom ?
- Vincent… Vincent Di Archangelo. Mais tout le monde m’appelle Vince.
- D’accord… Vince… Je sais ce que tu es. Je peux te sauver. Mais il faut que tu me fasses confiance. Déjà, ce n’est pas mon corps… Et je vais le quitter pour venir vous chercher. Cette femme m’est très chère… S’il y a la moindre blessure sur elle, je t’arrache la peau centimètre par centimètre. C’est clair ?
- Euh… Oui… Je ne suis pas en enfer ?
- Pauvre enfant… L’Enfer n’existe pas. J’arrive.
Victor lâcha prise sur le corps après avoir envoyé tout son amour à Clara, histoire qu’elle se réveille dans un sentiment de plénitude, et repartit dans le sien… qui ne bougerait pas avant quelques temps. Maintenant qu’il y pensait, il était étonnant que Vince soit réveillé et puisse bouger… Grand Dieu… Il ne s’était pas nourri depuis le début et ça durait depuis combien de temps ? Une, deux, trois semaines ? Plus ? Depuis combien de temps ce désir de mort ambulant marchait sur le territoire exigüe d’une cave ? Pourtant, il avait l’air relativement sain d’esprit. Victor fut tenté de repartir dans le corps de Clara, mais il ne pouvait pas la protéger. Il sortirait de son tombeau comme une furie et courrait vers ses deux amours. Pour la première fois depuis des années, Victor pria. Qui ? Aucune idée. Ce n’était pas important. Il priait pour que tout se passe bien. Pour une fois… que tout se passe bien et que Clara vive. Que SA Clara vive…
Soyons francs un instant. Depuis combien de temps Victor n’avait pas eu un tel souffle au cœur ? Difficile à dire. Difficile à dire pour un être qui ne respire que quand il a besoin de parler et dont le sang ne circule que quand il bouge violemment (La gravité…) ou quand il se nourrit. Une aubaine pour les médecins ou qui se croyaient tels d'avant le temps ou la médecine devint une science et non pas une tentative désespérée de comprendre une machine aussi complexe que le corps humain. Pourtant Victor paniquait. Même les moments où sa propre vie était menacé, Victor avait toujours eu ce détachement de boucher désossant un gigot. Sa propre vie, il savait la gérer. Celles des autres, mis à part pour les détruire...
Et puis quoi? Pour la première fois depuis des siècles, il trouvait une femme qui lui convenait, dont il avait eu le coup de foudre au premier regard. Tous ses précédents enfants lui avaient été conseillés par une caste de Hiérartes qui se croyaient au dessus de tout et gardaient leurs regards sur la mouvance de l'humanité pour en extraire ceux qui semblaient se tenir au dessus du lot et les proposaient comme nouveaux vampires à ceux qui avaient la chance d'avoir le droit d'en faire. D'où les trois cigales. De toute façon, Victor s'était juré de ne plus jamais avoir à faire avec ces entremetteurs de bas étage qui manifestement avaient décidés de l'enfoncer. Ces crétins n'avaient pas remarqué Clara. Preuve de leur totale incompétence...
Tout en expulsant un quidam de sa voiture, expulsion qui en passant avait couté la vie au malheureux, Victor contacta Julia pour organiser sa fuite vers Toulouse et reprendre le flambeau d'une ville. Adieu Liberté. Malgré l’état de panique totale, il réussit à garder une voix égale et affable pour poser des conditions qu’il savait déjà inacceptables. Mais toujours demander le plus pour avoir le moins. Il avait déjà imposé Clara comme une future et Julia qui avait vu le tapage sur la Duchesse Howard en avait ri. Normal. Tout de même, elle avait posé la question… Depuis combien de temps la prépares-tu, celle là ? C’est pour cela que vos trois cigales devaient périr ? N’est-ce pas ? Réponses évasives de bon aloi entre vampires qui parle d’amour et surtout de possession. Julia riait de son rire clair et discret avec une teinte de condescendance. Normal. Julia était une stérile, nom vulgaire donné à ceux qui n’avaient jamais donné l’étreinte. Non pour une vague question de moralité, il y avait longtemps que Julia avait perdu toute virginité à ce sujet… et aux autres… mais bien parce que Julia n’avait pas encore trouvé un compagnon de jeu à sa mesure. Et elle avait le temps… Croyait-elle. En raccrochant, Victor avait déjà décidé de la tuer. Sans méchanceté aucune. Elle était juste devenue une rivale. Il avait bien senti dans son exposé sur la situation politique du sud de la France que la Dame, malgré ses négations étaient fortement intéressée par le fait d’avoir un pied dans chaque continent. Toulouse, et avec à sa tête Victor, était une étape pour s’emparer de Marseille.
Et non, chère Julia… Vous avez très mal choisi. Vous avez forcé un vieux lion à la retraite à reprendre du service, croyant placer une jeune hyène… Mais dans toutes ses activités, Victor devait exceller. Le mettre à la tête d’une ville, c’était le mettre sur le chemin du pouvoir et du changement. Et oui… Après tout, le nouveau millénaire était bien entamé, il était temps de changer la donne et de mettre un bon coup de pied dans la fourmilière.
Réfléchir, tramer, comploter… Ça permettait à Victor d’oublier un peu qu’il était mort de peur et qu’il craignait par-dessus tout s’être trompé, que le cannibale n’en était pas un et de le trouver les babines ensanglantées au dessus du corps de poupée cassée de Clara.
Il appuya sur la pédale d’accélération à cette seule évocation, manquant écraser une femme en robe longue.
Comploter, oui… Repenser à des choses sans importance pour se meubler la tête… De toute façon, la secrétaire du Diable n’était qu’une étape. Elle n’était pas coupable. Pas plus que les autres… C’était le système qui voulait ça parce qu’aucun prédateur n’était assuré de l’emporter sur les autres, laissant le pouvoir et la marche du monde à la Hiérarte… Caste ô combien mouvante de ceux dont les canines rayaient le parquet et même creusaient les fondations. Des jaloux et des ambitieux dont le seul regret est de ne pas avoir été Grand Prédateur. Les fous. Fini, ça, FINI !
Et un feu de grillé. Le froissement de tôles retentissant derrière la voiture lui signifia qu’un autre avait eu la mauvaise idée de l’imiter mais que le destin n’avait pas voulu qu’il passe. Resquiecat In Pace.
Mais Diable… Diable ! Était-ce vraiment pour Clara, pour ce petit bout de femme qui était aussi charmante joyeuse que boudeuse, dans la richesse comme dans la pauvreté qu’il voulait reprendre le contrôle ? N’y avait-il pas aussi l’envie, le besoin même de gouter à cette liqueur enivrante qu’était le pouvoir ? Cette envie née du toucher d’un épiderme de glace qu’on prêtait au plus terrible des prédateurs, ceux qui ne s’embarrassaient pas de la morale de l’espèce, un cannibale ? Était-ce cela, Victor ? Une occasion prise et que ta culpabilité avait maquillé en coup de foudre ? Était-ce cela… ? Rien que cela… ? Non. La panique était réelle. Les images de Clara morte le remplissaient de terreur et de chagrin anticipé. Mais tout de même… Vu son âge… Sa première fois ? Très étonnant. Ça cachait quelque chose…
Il revit la boutique de Chandra, qu’il avait déjà vu par les yeux de Clara et pila juste devant. Ce n’était plus la peur qui l’animait mais une rage froide. Le Vieux Lion était prêt à tuer. Néanmoins il s’arrêta devant le pas de la porte. Vieux Lion… Surnom ridicule… Il faudrait songer à le changer.
Victor se força à se calmer tout en étudiant la devanture. Comme toujours, Chandra n’arrivait à se nourrir que sur de vieux antiquaires qui entretenaient la passion de leur époque tout en faisant croire qu’ils vendaient les ramasse-poussières qui constituaient leur fond de commerce. Pour Victor, c’était inconcevable. Il faisait partie de ces rares vampires qui n’attachaient aucune importance au passé et surtout à son passé. Pour lui, il fallait toujours aller de l’avant : L’humanité bougeait, aux vampires de bouger avec eux ou de rester sur le bord de la route. La porte du magasin n’était pas fermée et Victor entra dans un épais brouillard d’eau et de fumée de cigarette. Un instant, il crut que son odorat l’avait trompé et que le nuage qui l’environnait était le prémice d’un bel incendie. Mais non. Juste de la vapeur d’eau et les exhalations d’un havane.
- Chandra ?
- Si par Chandra tu veux dire le gros indien qui a cru faire de l’humour en m’envoyant dans sa cave, je crains que tu ne le trouve plus dans cette vie. La prochaine peut-être ?
Il la vit, les pieds sur une commode imitation Louis XV, un cigare à la bouche et plongée dans une édition originale du Faust de Goethe. Sa robe blanche ne l’était plus vraiment avec ses trainées de rouge qui viraient au brun, puis au gris de la cendre humaine. Un vampire était mort, mais l’odeur du havane ainsi qu’une sacré dose de patchouli empêchaient l’odorat de Victor de détecter la présence du sang. Du moins pas tout de suite. Clara était d’un calme olympien. Parfaitement elle-même et parfaitement maitresse femme. Elle n’avait même pas levé les yeux sur Victor, sans doute intéressée par le pacte diabolique. Au loin, de l’eau coulait… Et Chandra était mort. Et Victor un peu déçu, il lui fallait l’avouer.
- Que s’est-il passé ?
- Je t’avouerais que je n’ai pas tout compris… (Néanmoins, elle reposa le livre et le regarda à travers un épais nuage de tabac cubain.) Je me suis réveillé dans les bras d’un homme dont la température corporelle doit avoisiner celle du cercle polaire et qui m’a dit qu’il était désolé que je sois enfermée là avec lui. Il m’a même dit qu’il faudrait peut-être que je le lâche si je ne voulais pas congeler. Ce en quoi je n’ai pu qu’acquiescer. Puis… une sorte de… grondement s’est échappé de sa gorge… Tu sais, comme un chien qui se prépare à attaquer… et la porte a grincé.
Clara se tut pour profiter un long moment de son cigare tandis que Victor attendait la suite et espérait qu’elle en dirait plus sans qu’on lui demande. Peine perdue. Il se résolut à questionner :
- Et ensuite ?
- Ensuite… J’ai vu un homme à la peau aussi blanche que de la craie démembrer un gros type et boire son sang à même les veines des bras et des jambes. Le type, bien que déjà sérieusement entamé en appelait à l’amour filial que l’homme blanc aurait du lui porter jusqu’à ce que ce dernier lui arrache la tête, s’abreuve des quelques filets de sang qui coulaient de cette tête d’hindou qui a toute sa vie abusé du poulet au curry et laisse tomber le tout comme épuisé. Tu veux que je te dise ce qui m’a le plus effrayé dans tout ça ?
- Je t’écoute.
- Ses yeux. Il a les yeux d’un bleu presque blanc… et tu crois voir un prédateur tapi au fond. Pourtant il est totalement perdu. Et il a peur. Tu sais quoi ? J’en viens à me demander si je ne préfèrerais pas retourner faire la meringue dans une gargote pseudo romantique à servir du café infect.
C’est terrible à dire, mais Victor rit. La plaisanterie en elle-même n’était pas fameuse, mais elle avait atteint son but. Dédramatiser. Certes Chandra était mort. Après, tout rien qu’il n’aurait fait lui-même. Certes, Clara avait assisté une fois de plus à un massacre et en était ressortie sans la moindre égratignure. Chance insolente de sa future, après tout, elle en aurait bien besoin. Et puis… Il y avait le cannibale. Il était bien tel qu’il l’avait espéré. Affreusement humain, puissant et… Parachevant la redoutable ascension des gens de sa caste, il avait traité son propre père comme une proie. De cela, Victor lui en était reconnaissant. Il n’aurait pas à lui donner la becquée.
- Et ou est notre homme de glace ?
- Comme il avait froid et qu’il ne supportait plus ni d’avoir du sang sur lui, ni d’en sentir l’odeur, je lui ais dit de prendre une douche chaude et que ça le calmerait.
- Et ça l’a calmé ?
- Aucune idée… Ça fait deux heures, au moins, qu’il se fait cuire à la vapeur.
- C’est… pour l’odeur de sang que tu fumes et que tu as vidé un tonneau de patchouli ?
- Exact. Mais… ça n’a pas l’air de suffire.
Victor soupira et contourna la table pour se porter aux genoux de Clara. Malgré qu’elle avait dans le cœur une épée bien trempée, il ne fallait jamais négliger que les femmes aient besoin d’une attention toute particulière, même si elles vous soutiennent le contraire. Peut-être que cette fois-ci, elles ne craqueront pas et vous enverront royalement paître ou vous tourneront en dérision pour ce moment ou vous vous prendrez pour le Chevalier Blanc. Peut-être. Cela dit… En plus d’être affreusement complexes et d’une logique qui n’appartiennent qu’à elles, les femmes ont une mémoire quasi photographique de ce qui les arrange. Or… vous comporter comme un protecteur, ça elles s’en souviennent. Elles n’en abusent généralement pas, mais elles s’en souviennent. Et un jour… Elles auront besoin de ce fichu Chevalier en armure scintillante sur sa monture piaffante et vous prendront comme acteur pour ce joli rôle-là.
Et puis, Victor aimait bien ce rôle, même auprès d’une femme forte comme Clara mais qui, comme toutes les femmes, avait besoin que l’on comble les fissures que les événements traumatisants causaient dans leur carapace. Piètre emplâtre se dira t’on, en oubliant que comme tout animal social, la femme a besoin d’un endroit sur. Il lui prit la main et y déposa un délicat baiser.
- Clara… Je suis désolé. Mais c’est fini maintenant.
- Victor… Sans vouloir être désagréable, laisses à mon sixième sens dont vous autre hommes manquez cruellement te dire que ça ne fait que commencer.
- Comment ça ?
- Pour le peu que je connais de toi, je sens que tu m’as embrigadé dans quelque chose à grande échelle. Et que notre ami à la vapeur va nous compliquer ou nous simplifier la vie.
- Tu crois que je devrais l’abandonner ici ?
- Non… même si tu le voulais, tu ne pourrais pas.
- Pourquoi ?
- Va le voir, tu comprendras assez vite.
Et elle retira sa main pour reprendre sa lecture.
Tu sais que je pourrais te forcer à me dire ce qu’il y a…
- Tu ne le feras pas. De un, c’est un moyen de communication qui agace ton coté prédateur. De deux, je ne lui rendrais pas justice. Alors va le voir.
Soupirant, Victor sentit qu’il n’y aurait rien à tirer de plus de sa Muse.
Il suivit à l’oreille le bruit de la douche. Vu la vapeur et la chaleur qui devenait plus étouffante à mesure qu’on approchait, le cannibale avait du laisser le jet d’eau brûlant seul. Heureusement qu’il était vampire, sinon en effet, il aurait cuit. Même en entrant dans la salle de bain, Victor ne vit rien qu’un immense nuage de vapeur. Deux heures de douche brûlante tapissait le carrelage de gouttelettes et les seuls bruits qu’on entendait étaient le bruit ininterrompu du jet d’eau et un grondement sourd. Clara s’était trompée. Ce n’était pas celui d’un chien mais d’un félin qui accueillait à sa manière un intrus dans son territoire. Victor ne put qu’apprécier l’instinct de chasse déjà présent.
- Il faut qu’on parle. Je vais ouvrir la fenêtre, je déteste parler à de la vapeur.
Le grondement se tut.
Victor ouvrit ce qui tenait lieu de lucarne après avoir louvoyé entre ce qui jonchait le sol… Il n’était même plus étonné par la propension de Chandra à garder des choses inutiles et malodorantes. Mais après tout, Chandra était mort. Le vieux vampire sentit l’air un peu plus frais de la nuit s’engouffrer dans la salle de bains et chasser la vapeur d’eau. Les odeurs se firent plus présentes. Le sang, la cendre… et un parfum étrange et obsédant. Du savon bon marché aussi, mais cette odeur était bien ténue face au parfum d’un homme. Victor ajusta son col et se retourna.
Vince était là, nu évidement, le dos tourné et les mains sur le carrelage de la douche, regardant Victor par-dessus son épaule de ses yeux de glace polaire. L’eau dégoulinait sur son dos en dessinant les muscles impeccables avec les mèches de cheveux noirs. Il n’était plus aussi pâle qu’avant son repas car le sang d’un vampire pour un autre vampire était ce qu’il y avait de plus nourrissant. Oh, bien sur, il n’aurait plus ce hâle délicat mais il paraissait trompeusement humain. Le froid qu’il avait ressenti n’était qu’un effet pervers de sa nourriture. Un simple vampire se réchauffait au sang de ses victimes, mais la ponction devait, pour paraitre délicieusement vivant, avoir lieu au minimum toutes les trois nuits pour les plus jeunes. Pour les plus vieux, la ponction pouvait s’échelonner d’une semaine sur l’autre. Les cannibales avaient un cycle encore plus long, dû à leur si riche nourriture. Un mois sans ressentir la moindre gêne. Mais le sang les faisait chauffer affreusement dans les premières heures, tout en apportant une euphorie délirante. Mais pas pour celui-ci qui ne ressentait aucun bien être. Juste son décalage par rapport au monde extérieur.
Néanmoins… Néanmoins, comme tout être qui avait vu Vince, Victor ne put s’empêcher de laisser échapper un sifflement entre ses dents devant cet être qui était déjà beau avant mais que sa nature avait transformé en splendide machine de mort.
Déjà, pas d’anges. A moins que ceux-ci aient abandonné la plume pour la planche et arborent tous un sourire Signal + blancheur. Mais les autres anges qui constituaient son service de sécurité ne laissaient pas approcher les premiers et venir flairer les affaires de Clara manifestement puantes de fric. Car puante de fric elle était devenue. Quand Victor lui avait octroyé ses mille dollars pour diverses courses, elle en avait à peine utilisé deux-cents et caché le reste au cas où elle aurait du s’enfuir et recommencer une nouvelle vie. Ce n’est qu’en arrivant à Miami qu’elle avait compris que son pauvre pactole ne lui servirait pas beaucoup. Victor, le matin avant d'arriver à Miami avait passé une dizaine de coups de fils... la plupart dans une langue étrangère et lui avait donné une adresse ou se rendre... Qui n'était autre que le Carlton-Ritz de Miami Beach. Quand elle descendit de son Van, elle était prête à aller voir Victor à l'arrière pour lui demander si il s'était pas trompé, mais un groom s'était incliné devant elle avait demandé la confirmation de son nom et prit possession du Van pour le garer. Incompréhensible.
La suite fut encore plus déroutante. Le directeur en personne était venu la saluer en jurant ses grands dieux que jamais son hôtel ne fut plus honorée en ce jour où elle avait consenti à descendre ici. Elle se força à ne pas ouvrir de grands yeux devant cette marque inouïe de respect et se promit à ce moment-là de tirer les choses au clair avec Victor dés le soleil couché, car elle avait compris que son kidnappeur ne souhaitait vivre que la nuit. C’était son choix. Elle le respectait. Il était vrai que le monde est tout de suite moins laid quand la nuit tombe et cache de son ombre bienveillante les chausse-trappes et les cadavres en décomposition. On la conduisit à sa suite, oui, une suite… où une foule de cadeaux l’attendait. Des gerbes de fleurs mangeaient tout l’oxygène du salon et un monceau de cartes était disposé selon un dessin complexe et artistique. Elle en prit une et en fut sur les fesses.
A Madame la Duchesse du Suffolk, en espérant que votre séjour vous plaise.
En s’affalant sur le canapé de cuir blanc, elle resta un instant à réfléchir. Bien sur que c'était Victor le responsable de tout ça. Mais pourquoi? Pourquoi la faire passer pour une duchesse alors qu'elle aurait plus l'air d'une rock-star? Son coté aristocratique l'aurait emporté? Quoiqu'il en soit, il semblait que tout l'hôtel ait gobé l’affaire aussi facilement qu’une cerise. Par acquis de conscience, elle demanda au room-service qu’on lui apporte un ordinateur, une connexion internet et de quoi nourrir un régiment. Étrangement, depuis qu’elle était le porte-clefs de Victor, elle avait toujours faim. Diligemment, tout lui fut apporté dans le quart d’heure, ce qui la fit s’interroger encore plus sur cette Duchesse de Suffolk qu’elle était censée être.
Partant du postulat qu’on trouve tout sur internet et surtout ce qu’on ne voudrait pas y trouver, elle chercha et navigua entre les épopées héroïques de son supposé ancêtre, un cours sur le Comté puis Duché de Suffolk puis à nouveau comté et enfin les potins mondains. Et elle comprit. Elle comprit comment elle, Clara Howard avait eu ses entrées dans ce magnifique hôtel et qu’on l’avait parée du Titre de Duchesse.de Suffolk… Un peu avant l’aube une dépêche relayée par toutes les agences de journalistes du monde était tombée. Le Prince Harry du Royaume-Uni avait demandé, deux semaines auparavant la main d’une jeune femme de la noblesse anglaise, atypique malgré son titre de comtesse, depuis érigé en duché-pairie par la Reine Elizabeth II. Cette jeune femme au look de punk qui ne se laissait jamais prendre en photo s’appelait Clara Howard. On parlait de la Romance du siècle naissant et on promettait le mariage le plus extraordinaire depuis le Prince Charles et Lady Di.
Victor, évidement. Victor dans toute sa splendeur. Elle était tout de même effarée qu’il eut été capable de ça en si peu de temps. Néanmoins, dans son admiration, elle lui promettait malgré tout une volée de bois vert. Surtout que cette usurpation d’identité risquait de lui couter cher… Qu’à cela ne tienne, autant qu’elle en profite. Elle passa le reste de la journée à se refaire une garde-robe et à perfectionner son accent londonien.
Bien qu’il fût établi que Victor ne sortait que la nuit, il ne vint pas ce soir-là. Clara attendit en vain toute la nuit et s’assoupit sur le canapé en cuir blanc… D’où la présente séance de plage. Cela dit, elle se trouvait curieusement démuni sans la présence de Victor et malgré le déracinement intolérable qu’elle avait subi, elle ne lui en voulait pas. Elle voulait juste le revoir. Évidement, dans son esprit, une telle dépendance ne pouvait être que le fruit d’un syndrome de Stockholm naissant mais… elle ne pouvait s’en défaire.
Elle dormit sous l’œil protecteur de ses anges gardiens jusqu’au soir et rentra sans plus beaucoup d’entrain pour sa vie nouvelle. Preuve qu’elle était un peu déprimée, elle chipota dans son assiette. Elle eut naturellement une bouffée de plaisir quand elle rentra dans sa chambre et qu’elle le vit assis dans un fauteuil, les yeux rivés sur la porte. Plaisir proportionnel à l’inquiétude qui la saisit quand elle vit qu’il avait l’air concentré, ennuyé et dangereux. En aucun cas heureux.
Il avait refusé. Tout simplement. La moindre incursion dans son univers froid et sombre se traduisait par un mutisme hostile et presque palpable. Vince s’était assis dans un coin et dardait un regard assassin sur la porte qui refusait de s’ouvrir. Il ignorait depuis combien de temps, il était là, même depuis combien de temps, il était enfermé dans cette cave putride ou pourrissait le cadavre d’un bébé et celui d’une jeune femme qu’on avait lacérée sur tout le corps avant de l’envoyer mourante aux pieds de Vince. Avec un peu plus de réflexes, Vince aurait pu attraper la porte et le monstre derrière, mais empêtré dans le corps de cette ex-jolie blonde, il l’avait manqué de quelques centimètres. Il avait regardé la femme qui gémissait piteusement et avec une honte immense de ne pouvoir faire plus pour l’aider, Vince lui brisa la nuque pour qu’elle ne souffre plus. Il avait posé son corps qui devait être magnifique avant à coté de celui du bébé, dans une pose respectueuse. Encore une fois, pas une larme, malgré la douleur atroce qui lui vrillait la poitrine. Pas une larme, mais une haine farouche qui s’alimentait seule.
Maintenant, les deux corps diffusaient l’odeur écœurante des morgues, morgues dont les plombs auraient sauté et dont les frigos n’empêchaient plus la rapide diffusion des gaz de décomposition. Vince s’en fichait. Il ne voyait que cette porte avec la secrète ambition de la faire tomber rien qu’avec son regard. Il était à l’affut du moindre bruit et il en entendait souvent… pour un peu il aurait pu entendre la circulation au dehors, mais il ne percevait que les klaxons impatients des camions de livraison. Il y avait des voix aussi. Des voix de la rue. Mais malgré toute son attention, Vince ne put voir ou était la bouche d’aération qui lui permettait d’entendre le monde extérieur. Pas important. Rien n’est important sauf le moment où la porte s’ouvrirait et quand il sauterait à la gorge de ce monstre et où il le déchiquèterait avec les dents et les ongles.
Oui. Oui, il avait ce genre de pensées. Il n’en avait pas honte. Il régressait. C’est tout. Pourtant une part de lui-même continuait à penser et à réfléchir à sa situation. L’enfer. Oui, il était en enfer, tel qu’il se l’était toujours imaginé : un endroit clos ou il deviendrait fou selon ses pires craintes. Voir des gens mourir sous ses yeux sans pouvoir y faire quoique ce soit. Sans pouvoir les sauver. Le pire étant que, même en se forçant, il ne pouvait pas pleurer. Il y avait juste la mimique de désespoir mais pas une goutte d’eau. L’enfer. Oui, mais pourquoi ? Même en essayant de tirer par le bas toute sa vie, rien ne justifiait cette descente abominable. Rien. Oh, Vince n’était pas un ange ni un saint… Mais pas non plus un démon. Juste un homme normal qui avait eu le malheur de naître avec cette tournure sur qui on se retournait. Et au fond de lui-même une petite voix lui murmurait que cet enfer miniature d’ombre et de glace lui laissait bien trop le temps de réfléchir et de se complaire dans l’introspection. Son geôlier le savait-il ? Cette réclusion était en train d’aiguiser son instinct en le transformant en quelque chose d’autre. Quelque chose qui n’avait plus d’humain que l’apparence et qui se tapissait, prête à bondir. Un animal magnifique et dangereux. Un monstre.
Encore une fois, un regard sur les corps. Plus de tristesse en les regardant. Rien. Rien du tout. Même pas du dégout ou une sorte de malaise. Rien. Ils étaient là. Il était là. C’était tout. Même assis, le menton posé sur les genoux, il était aux aguets. Chose appréciable puisqu’il entendit le grincement d’un parquet suite à la lourdeur d’un pas… non de deux. Sauf que l’autre pas était plus léger et hésitant. Donc son geôlier lui amenait un nouveau cadavre en devenir. Vince se sentit bouillir de rage. Qui que ce soit, il l’aiderait. Cette fois-ci, il ne laisserait mourir personne. La serrure se mit à grincer sous l’influence de la clé rouillée qui tournait avec une lenteur exagérée. Il pouvait presque entendre les copeaux de fer oxydés gémir dans leur chute, arrachés par les dents acérés de la gâche. D’un mouvement fluide, Vince se déplia pour être prêt à bondir, il sentit son champ de vision s’étrécir et se réduire à cette porte qui avait refusé jusque là de se dégonder et qui portait encore la marque, sur le montant de métal, de ses poings.
De ses poings.
Toute sa concentration s’enfuit en une fois quand pour la première fois, il remarqua que ses coups répétés sur la porte avaient déformé le métal. Comment ? N’était-ce qu’une fine plaque d’aluminium pour se déformer à ce point et porter le dessin d’un poing fermé et vengeur ? Il suivit la porte s’ouvrir et se refermer brusquement. Le bruit le rappela à la réalité. Il avait manqué son assaut. Et une femme était rentrée dans son enfer. Elle ne semblait pas effrayée et malgré l’obscurité, il la voyait clairement dans sa robe blanche assez courte qui lui serait allé à merveille si elle n’avait pas été coiffée comme une punk.
- Quelqu’un est là ?
Elle avait une belle voix de petite fille mais aucune peur n’en transparaissait. Elle était calme, pas très sereine, mais calme. Elle s’attendait à la suite. Vince se leva le plus doucement possible et essaya de parler. Aucun son. Il reprit sa respiration, se rendant compte qu’il avait cessé depuis fort longtemps.
- Il y a moi et deux cadavres.
Elle se tourna vers lui, sans véritablement voir quoique ce soit. Vince avait dans les oreilles un battement de cœur et sur la peau un souffle chaud émanant de tout un corps féminin… Il avait envie de se blottir contre elle et de se réchauffer contre son sein. Elle farfouilla dans sa robe et lâcha un soupir exaspéré.
- Je suppose qu’il n’y pas de lumière ?
- Non… Ou je ne l’ai pas trouvé.
- Je pense que vous l’auriez trouvé. Ça fait combien de temps que vous êtes là ?
- Je ne sais pas… Au début… Je n’ai jamais su. Plusieurs semaines à vu de nez.
Vince avait l’impression de respirer comme s’il allait faire une crise d’angoisse. Trop. Il avait l’impression de ne pas avoir assez d’air.
- J’approche, hein… Ne me sautez pas dessus… Murmura la jeune femme sans peur.
- Je ne bougerais pas.
C’était étrange. Il se sentait curieusement apaisé et humain alors qu’elle avançait, les mains tendues et elle le toucha au niveau du torse. Elle avait les mains chaudes alors qu’elle les faisait glisser jusqu’à son visage.
- Vous êtes froid…
- Il fait pas chaud ici…
- Et votre cœur ne bat pas.
Elle avait les sourcils froncés et l’air inquiet. Elle leva les yeux sur lui.
- C’est vous qui les avez tué, les deux autres ?
- Euh… Oui… Ils… ne pouvaient pas survivre. Surtout le bébé. J’ai essayé de le réchauffer mais…
- Vous ne les avez pas mordus ?
- Pourquoi les aurais-je mordus ?
La jeune femme n’avait plus l’air inquiet mais furieux, ce qui se confirma quand elle se mit à cracher des insultes, au vu du ton, dans une langue musicale… Peut-être du Russe. Elle s’écarta de lui dans une marche de prussienne en invectivant toujours dans cette langue et semblant vouloir tout démolir autour d’elle. Dommage qu’elle soit parti dans sa colère, Vince sentait les endroits où ses mains étaient passées se refroidir inexorablement. Et c’était douloureux. Elle se retourna brusquement avec la fureur flamboyant dans ses yeux noirs.
- Cannibale…
Ce fut sa seule sentence.
Cannibale.
Dans la plupart des sociétés humaines, ce simple nom avait le don de remuer les esprits vers quelque chose de profondément interdit. Le tabou par excellence. Les rares histoires de cannibalisme fascinaient autant qu'elles dégoutaient. Qui n'avait pas entendu parler de ces passagers d'un avion crashé au milieu de nulle part et qui pour survivre avaient du surmonter l'un des tabous les plus forts et consommer la chair de ceux qui n'avaient pas survécu? Qui ne les avait pas plaints en jurant ses grands dieux qu'ils en auraient faits de même tout en espérant secrètement ne jamais avoir à le faire? Qui n'a pas frémit d'horreur devant les habitudes culinaires de certains tueurs en série, largement banalisées par le Silence des Agneaux? Qui..?
Parmi les vampires, le problème se posait autrement. Pour ceux qui se souvenaient avoir été humain et s'en souvenaient sans honte, le tabou était depuis déjà longtemps dépassé. Boire du sang ou manger de la chair... Après tout, il n'y avait guère de différence. Pour ceux qui ne se souvenaient pas ou faisaient mine de le problème n'en était pas un. A peine un peu de mépris pour les jeunes. Guère plus.
Non, le tabou vampirique se situait ailleurs. S'il n'était pas rare que deux amants à quenottes échangent un baiser sanglant, ce n'était rien comparé au plus ultime des tabous. Tuer un autre vampire pour s'en nourrir. Cela allait au delà de l'acte. Bien au delà des guerres de territoire, des duels d'honneur ou de ce que les plus blasés appelaient des concours de quéquettes, il s'agissait tout simplement de prendre un vampire comme proie et par là-même de lui dénier son statut. Les mortels nommaient la chose "crime contre l'humanité", les vampires nommaient cela "désacralisation" ou "martèlement" pour les puristes de l'Égypte ancienne qui connaissaient cette pratique visant à dénier un criminel de son immortalité au sens où personne n'est autorisé à se souvenir. Les plus jeunes vampires, qui au passage se nommaient les Dents de Lait par dérision, avaient trouvé un autre terme hérité des images de la chute du mur de Berlin. Ils parlaient de "déboulonner" quelqu'un comme on déboulonnerait une statue de Lénine. Les plus vieux appréciaient.
On pourrait se demander, dans une société telle que celle-ci, comment les cannibales ont pu être tolérés et même occuper la troisième marche de la pyramide du pouvoir vampirique avant les Maitres de Ville. Simple. Les Cannibales sont un mal nécessaire. Et pour bien faire comprendre l'ampleur de leur mission, l'horreur de leur charge et le tabou de leur seule punition, jamais il ne leur fut donné une litote en guise de présentation. Ils étaient les cannibales.
Le plus effrayant dans toute cette affaire est qu'un cannibale n'abuse jamais de sa situation. Même en cas de faim extrême. Cela vient de l'infini soin qui est porté à sa création. Selon ceux qui se pensaient parfaitement au courant, et Victor s'autorisait à penser qu'il en faisait partie, les cannibales sont régis par trois traits: une incapacité à se nourrir au cou d'un humain, une loyauté absolue aux lois des prédateurs ou un amour immodéré de l'humanité. S'y ajoutaient bien sur une très grande puissance et un sens de la traque exacerbé. Mais comme le disait Victor, ce sont plus des acquis que des dons de naissance. Ils comptent peu dans la création.
Il était évident que celui là était un cannibale humaniste et qu’il ne pourrait pas, du moins avant très longtemps se nourrir sur un humain, ou peut-être sur des criminels. Il serait dur à éduquer mais Victor appréciait son calme et ce coté tellement vulnérable. Un lapin à qui on avait collé des crocs de loup et à qui on avait dit de manger ses voisins… sans lui dire qu’il ne pourrait plus jamais vivre comme un lapin. Il maudit Chandra, son dernier infant qui avait eu la mauvaise idée d’infanter à son tour et de massacrer quelqu’un qui n’était pas prévu pour être un vampire. Une pierre de plus à rajouter au sac que Chandra s’était attaché au cou et que Victor devait subir. Il croisa ses bras autour de sa poitrine et fut surpris d’y retrouver la résistance de seins, même petits. Il avait oublié une seconde qu’il était dans le corps de Clara. Caché, mais sans armes. Heureusement que le vampire qui se confisait dans sa culpabilité devant lui était un cannibale qui ne pouvait pas le mordre, sinon il aurait perdu Clara. Il aurait regretté Clara. Vraiment. Il avait songé fugitivement à en faire sa fille dans le sang, enfin une fille selon son cœur, débrouillarde et intelligente… et surtout avec un caractère bien trempé. Il l’aurait aimé des siècles durant et nul doute qu’elle aussi l’aurait aimé. Si elle avait eu la moindre ambition, il lui aurait donné une ville ou deux, mais sa seule ambition ressemblait à la sienne : Être libre.
Mais l’arrivée de cet être perdu changeait tout. Oh, bien sur, Victor pouvait le tuer en même temps que Chandra mais… Cela froissait son sens de la justice. Il n’y était pour rien. Juste au mauvais endroit au mauvais moment. Victor se calma. Il regrettait de ne pas être dans son autre corps, car il était condamné à l’obscurité pour encore quelques heures et il ignorait ce que valait ce nouveau-venu dans la fraternité des prédateurs. Et s’il ne méritait pas son éducation ?
- Approchez.
Victor entendit les pas sur le gravier, plus fort que cela n’aurait du. Une tentative maladroite de ce nouveau compagnon de le rassurer en faisant plus de bruit que nécessaire. Il avait compris déjà qu’il n’était plus tout à fait humain. Cela devait le rendre triste et amer. Victor savait que les membres de sa fratrie appréciaient la chaleur, comme une nichée de serpents attendant le soleil pour paresser. Victor lui ouvrit les bras et le prit contre lui. Dieux qu’il était froid. Victor avait oublié combien un corps mort pouvait être glacé et, comme son nouveau chiot perdu l’avait dit… Il ne faisait pas chaud ici. Néanmoins, il le serra contre lui et sentit les muscles glacés de cet homme nu se détendre. Heureusement que Victor avait vécu quelques années dans le noir total, ça lui donnait de bons reflexes. En passant ses doigts sur le visage, il pouvait en deviner la structure générale. Oui, il était beau. Nul doute que Chandra l’eut choisi pour cette simple raison… et nul doute que Chandra l’ait infanté dans le simple but d’avoir une raison de survivre. On ne laisse pas un jeune prédateur tout seul, incapable de se contrôler. Chandra savait que Victor venait. La mort de Katrina et de Timothée lui était sans doute parvenue et il savait de qui ça venait. Chandra savait que son créateur ne pouvait pas laisser un tout jeune vampire sans maître. Fut-ce au prix de sa vengeance.
Bien joué. Vraiment. Mais c’était sans compter sans la capacité de réflexion de Victor et son aptitude à retourner la situation. La meute prévaut sur le moindre de ses membres. Le jeune vampire ne resterait pas seul, il serait à lui. C’était décidé. Il l’aimait déjà. Il lui appartenait, tout comme Clara…
- Quel est ton nom ?
- Vincent… Vincent Di Archangelo. Mais tout le monde m’appelle Vince.
- D’accord… Vince… Je sais ce que tu es. Je peux te sauver. Mais il faut que tu me fasses confiance. Déjà, ce n’est pas mon corps… Et je vais le quitter pour venir vous chercher. Cette femme m’est très chère… S’il y a la moindre blessure sur elle, je t’arrache la peau centimètre par centimètre. C’est clair ?
- Euh… Oui… Je ne suis pas en enfer ?
- Pauvre enfant… L’Enfer n’existe pas. J’arrive.
Victor lâcha prise sur le corps après avoir envoyé tout son amour à Clara, histoire qu’elle se réveille dans un sentiment de plénitude, et repartit dans le sien… qui ne bougerait pas avant quelques temps. Maintenant qu’il y pensait, il était étonnant que Vince soit réveillé et puisse bouger… Grand Dieu… Il ne s’était pas nourri depuis le début et ça durait depuis combien de temps ? Une, deux, trois semaines ? Plus ? Depuis combien de temps ce désir de mort ambulant marchait sur le territoire exigüe d’une cave ? Pourtant, il avait l’air relativement sain d’esprit. Victor fut tenté de repartir dans le corps de Clara, mais il ne pouvait pas la protéger. Il sortirait de son tombeau comme une furie et courrait vers ses deux amours. Pour la première fois depuis des années, Victor pria. Qui ? Aucune idée. Ce n’était pas important. Il priait pour que tout se passe bien. Pour une fois… que tout se passe bien et que Clara vive. Que SA Clara vive…
Soyons francs un instant. Depuis combien de temps Victor n’avait pas eu un tel souffle au cœur ? Difficile à dire. Difficile à dire pour un être qui ne respire que quand il a besoin de parler et dont le sang ne circule que quand il bouge violemment (La gravité…) ou quand il se nourrit. Une aubaine pour les médecins ou qui se croyaient tels d'avant le temps ou la médecine devint une science et non pas une tentative désespérée de comprendre une machine aussi complexe que le corps humain. Pourtant Victor paniquait. Même les moments où sa propre vie était menacé, Victor avait toujours eu ce détachement de boucher désossant un gigot. Sa propre vie, il savait la gérer. Celles des autres, mis à part pour les détruire...
Et puis quoi? Pour la première fois depuis des siècles, il trouvait une femme qui lui convenait, dont il avait eu le coup de foudre au premier regard. Tous ses précédents enfants lui avaient été conseillés par une caste de Hiérartes qui se croyaient au dessus de tout et gardaient leurs regards sur la mouvance de l'humanité pour en extraire ceux qui semblaient se tenir au dessus du lot et les proposaient comme nouveaux vampires à ceux qui avaient la chance d'avoir le droit d'en faire. D'où les trois cigales. De toute façon, Victor s'était juré de ne plus jamais avoir à faire avec ces entremetteurs de bas étage qui manifestement avaient décidés de l'enfoncer. Ces crétins n'avaient pas remarqué Clara. Preuve de leur totale incompétence...
Tout en expulsant un quidam de sa voiture, expulsion qui en passant avait couté la vie au malheureux, Victor contacta Julia pour organiser sa fuite vers Toulouse et reprendre le flambeau d'une ville. Adieu Liberté. Malgré l’état de panique totale, il réussit à garder une voix égale et affable pour poser des conditions qu’il savait déjà inacceptables. Mais toujours demander le plus pour avoir le moins. Il avait déjà imposé Clara comme une future et Julia qui avait vu le tapage sur la Duchesse Howard en avait ri. Normal. Tout de même, elle avait posé la question… Depuis combien de temps la prépares-tu, celle là ? C’est pour cela que vos trois cigales devaient périr ? N’est-ce pas ? Réponses évasives de bon aloi entre vampires qui parle d’amour et surtout de possession. Julia riait de son rire clair et discret avec une teinte de condescendance. Normal. Julia était une stérile, nom vulgaire donné à ceux qui n’avaient jamais donné l’étreinte. Non pour une vague question de moralité, il y avait longtemps que Julia avait perdu toute virginité à ce sujet… et aux autres… mais bien parce que Julia n’avait pas encore trouvé un compagnon de jeu à sa mesure. Et elle avait le temps… Croyait-elle. En raccrochant, Victor avait déjà décidé de la tuer. Sans méchanceté aucune. Elle était juste devenue une rivale. Il avait bien senti dans son exposé sur la situation politique du sud de la France que la Dame, malgré ses négations étaient fortement intéressée par le fait d’avoir un pied dans chaque continent. Toulouse, et avec à sa tête Victor, était une étape pour s’emparer de Marseille.
Et non, chère Julia… Vous avez très mal choisi. Vous avez forcé un vieux lion à la retraite à reprendre du service, croyant placer une jeune hyène… Mais dans toutes ses activités, Victor devait exceller. Le mettre à la tête d’une ville, c’était le mettre sur le chemin du pouvoir et du changement. Et oui… Après tout, le nouveau millénaire était bien entamé, il était temps de changer la donne et de mettre un bon coup de pied dans la fourmilière.
Réfléchir, tramer, comploter… Ça permettait à Victor d’oublier un peu qu’il était mort de peur et qu’il craignait par-dessus tout s’être trompé, que le cannibale n’en était pas un et de le trouver les babines ensanglantées au dessus du corps de poupée cassée de Clara.
Il appuya sur la pédale d’accélération à cette seule évocation, manquant écraser une femme en robe longue.
Comploter, oui… Repenser à des choses sans importance pour se meubler la tête… De toute façon, la secrétaire du Diable n’était qu’une étape. Elle n’était pas coupable. Pas plus que les autres… C’était le système qui voulait ça parce qu’aucun prédateur n’était assuré de l’emporter sur les autres, laissant le pouvoir et la marche du monde à la Hiérarte… Caste ô combien mouvante de ceux dont les canines rayaient le parquet et même creusaient les fondations. Des jaloux et des ambitieux dont le seul regret est de ne pas avoir été Grand Prédateur. Les fous. Fini, ça, FINI !
Et un feu de grillé. Le froissement de tôles retentissant derrière la voiture lui signifia qu’un autre avait eu la mauvaise idée de l’imiter mais que le destin n’avait pas voulu qu’il passe. Resquiecat In Pace.
Mais Diable… Diable ! Était-ce vraiment pour Clara, pour ce petit bout de femme qui était aussi charmante joyeuse que boudeuse, dans la richesse comme dans la pauvreté qu’il voulait reprendre le contrôle ? N’y avait-il pas aussi l’envie, le besoin même de gouter à cette liqueur enivrante qu’était le pouvoir ? Cette envie née du toucher d’un épiderme de glace qu’on prêtait au plus terrible des prédateurs, ceux qui ne s’embarrassaient pas de la morale de l’espèce, un cannibale ? Était-ce cela, Victor ? Une occasion prise et que ta culpabilité avait maquillé en coup de foudre ? Était-ce cela… ? Rien que cela… ? Non. La panique était réelle. Les images de Clara morte le remplissaient de terreur et de chagrin anticipé. Mais tout de même… Vu son âge… Sa première fois ? Très étonnant. Ça cachait quelque chose…
Il revit la boutique de Chandra, qu’il avait déjà vu par les yeux de Clara et pila juste devant. Ce n’était plus la peur qui l’animait mais une rage froide. Le Vieux Lion était prêt à tuer. Néanmoins il s’arrêta devant le pas de la porte. Vieux Lion… Surnom ridicule… Il faudrait songer à le changer.
Victor se força à se calmer tout en étudiant la devanture. Comme toujours, Chandra n’arrivait à se nourrir que sur de vieux antiquaires qui entretenaient la passion de leur époque tout en faisant croire qu’ils vendaient les ramasse-poussières qui constituaient leur fond de commerce. Pour Victor, c’était inconcevable. Il faisait partie de ces rares vampires qui n’attachaient aucune importance au passé et surtout à son passé. Pour lui, il fallait toujours aller de l’avant : L’humanité bougeait, aux vampires de bouger avec eux ou de rester sur le bord de la route. La porte du magasin n’était pas fermée et Victor entra dans un épais brouillard d’eau et de fumée de cigarette. Un instant, il crut que son odorat l’avait trompé et que le nuage qui l’environnait était le prémice d’un bel incendie. Mais non. Juste de la vapeur d’eau et les exhalations d’un havane.
- Chandra ?
- Si par Chandra tu veux dire le gros indien qui a cru faire de l’humour en m’envoyant dans sa cave, je crains que tu ne le trouve plus dans cette vie. La prochaine peut-être ?
Il la vit, les pieds sur une commode imitation Louis XV, un cigare à la bouche et plongée dans une édition originale du Faust de Goethe. Sa robe blanche ne l’était plus vraiment avec ses trainées de rouge qui viraient au brun, puis au gris de la cendre humaine. Un vampire était mort, mais l’odeur du havane ainsi qu’une sacré dose de patchouli empêchaient l’odorat de Victor de détecter la présence du sang. Du moins pas tout de suite. Clara était d’un calme olympien. Parfaitement elle-même et parfaitement maitresse femme. Elle n’avait même pas levé les yeux sur Victor, sans doute intéressée par le pacte diabolique. Au loin, de l’eau coulait… Et Chandra était mort. Et Victor un peu déçu, il lui fallait l’avouer.
- Que s’est-il passé ?
- Je t’avouerais que je n’ai pas tout compris… (Néanmoins, elle reposa le livre et le regarda à travers un épais nuage de tabac cubain.) Je me suis réveillé dans les bras d’un homme dont la température corporelle doit avoisiner celle du cercle polaire et qui m’a dit qu’il était désolé que je sois enfermée là avec lui. Il m’a même dit qu’il faudrait peut-être que je le lâche si je ne voulais pas congeler. Ce en quoi je n’ai pu qu’acquiescer. Puis… une sorte de… grondement s’est échappé de sa gorge… Tu sais, comme un chien qui se prépare à attaquer… et la porte a grincé.
Clara se tut pour profiter un long moment de son cigare tandis que Victor attendait la suite et espérait qu’elle en dirait plus sans qu’on lui demande. Peine perdue. Il se résolut à questionner :
- Et ensuite ?
- Ensuite… J’ai vu un homme à la peau aussi blanche que de la craie démembrer un gros type et boire son sang à même les veines des bras et des jambes. Le type, bien que déjà sérieusement entamé en appelait à l’amour filial que l’homme blanc aurait du lui porter jusqu’à ce que ce dernier lui arrache la tête, s’abreuve des quelques filets de sang qui coulaient de cette tête d’hindou qui a toute sa vie abusé du poulet au curry et laisse tomber le tout comme épuisé. Tu veux que je te dise ce qui m’a le plus effrayé dans tout ça ?
- Je t’écoute.
- Ses yeux. Il a les yeux d’un bleu presque blanc… et tu crois voir un prédateur tapi au fond. Pourtant il est totalement perdu. Et il a peur. Tu sais quoi ? J’en viens à me demander si je ne préfèrerais pas retourner faire la meringue dans une gargote pseudo romantique à servir du café infect.
C’est terrible à dire, mais Victor rit. La plaisanterie en elle-même n’était pas fameuse, mais elle avait atteint son but. Dédramatiser. Certes Chandra était mort. Après, tout rien qu’il n’aurait fait lui-même. Certes, Clara avait assisté une fois de plus à un massacre et en était ressortie sans la moindre égratignure. Chance insolente de sa future, après tout, elle en aurait bien besoin. Et puis… Il y avait le cannibale. Il était bien tel qu’il l’avait espéré. Affreusement humain, puissant et… Parachevant la redoutable ascension des gens de sa caste, il avait traité son propre père comme une proie. De cela, Victor lui en était reconnaissant. Il n’aurait pas à lui donner la becquée.
- Et ou est notre homme de glace ?
- Comme il avait froid et qu’il ne supportait plus ni d’avoir du sang sur lui, ni d’en sentir l’odeur, je lui ais dit de prendre une douche chaude et que ça le calmerait.
- Et ça l’a calmé ?
- Aucune idée… Ça fait deux heures, au moins, qu’il se fait cuire à la vapeur.
- C’est… pour l’odeur de sang que tu fumes et que tu as vidé un tonneau de patchouli ?
- Exact. Mais… ça n’a pas l’air de suffire.
Victor soupira et contourna la table pour se porter aux genoux de Clara. Malgré qu’elle avait dans le cœur une épée bien trempée, il ne fallait jamais négliger que les femmes aient besoin d’une attention toute particulière, même si elles vous soutiennent le contraire. Peut-être que cette fois-ci, elles ne craqueront pas et vous enverront royalement paître ou vous tourneront en dérision pour ce moment ou vous vous prendrez pour le Chevalier Blanc. Peut-être. Cela dit… En plus d’être affreusement complexes et d’une logique qui n’appartiennent qu’à elles, les femmes ont une mémoire quasi photographique de ce qui les arrange. Or… vous comporter comme un protecteur, ça elles s’en souviennent. Elles n’en abusent généralement pas, mais elles s’en souviennent. Et un jour… Elles auront besoin de ce fichu Chevalier en armure scintillante sur sa monture piaffante et vous prendront comme acteur pour ce joli rôle-là.
Et puis, Victor aimait bien ce rôle, même auprès d’une femme forte comme Clara mais qui, comme toutes les femmes, avait besoin que l’on comble les fissures que les événements traumatisants causaient dans leur carapace. Piètre emplâtre se dira t’on, en oubliant que comme tout animal social, la femme a besoin d’un endroit sur. Il lui prit la main et y déposa un délicat baiser.
- Clara… Je suis désolé. Mais c’est fini maintenant.
- Victor… Sans vouloir être désagréable, laisses à mon sixième sens dont vous autre hommes manquez cruellement te dire que ça ne fait que commencer.
- Comment ça ?
- Pour le peu que je connais de toi, je sens que tu m’as embrigadé dans quelque chose à grande échelle. Et que notre ami à la vapeur va nous compliquer ou nous simplifier la vie.
- Tu crois que je devrais l’abandonner ici ?
- Non… même si tu le voulais, tu ne pourrais pas.
- Pourquoi ?
- Va le voir, tu comprendras assez vite.
Et elle retira sa main pour reprendre sa lecture.
Tu sais que je pourrais te forcer à me dire ce qu’il y a…
- Tu ne le feras pas. De un, c’est un moyen de communication qui agace ton coté prédateur. De deux, je ne lui rendrais pas justice. Alors va le voir.
Soupirant, Victor sentit qu’il n’y aurait rien à tirer de plus de sa Muse.
Il suivit à l’oreille le bruit de la douche. Vu la vapeur et la chaleur qui devenait plus étouffante à mesure qu’on approchait, le cannibale avait du laisser le jet d’eau brûlant seul. Heureusement qu’il était vampire, sinon en effet, il aurait cuit. Même en entrant dans la salle de bain, Victor ne vit rien qu’un immense nuage de vapeur. Deux heures de douche brûlante tapissait le carrelage de gouttelettes et les seuls bruits qu’on entendait étaient le bruit ininterrompu du jet d’eau et un grondement sourd. Clara s’était trompée. Ce n’était pas celui d’un chien mais d’un félin qui accueillait à sa manière un intrus dans son territoire. Victor ne put qu’apprécier l’instinct de chasse déjà présent.
- Il faut qu’on parle. Je vais ouvrir la fenêtre, je déteste parler à de la vapeur.
Le grondement se tut.
Victor ouvrit ce qui tenait lieu de lucarne après avoir louvoyé entre ce qui jonchait le sol… Il n’était même plus étonné par la propension de Chandra à garder des choses inutiles et malodorantes. Mais après tout, Chandra était mort. Le vieux vampire sentit l’air un peu plus frais de la nuit s’engouffrer dans la salle de bains et chasser la vapeur d’eau. Les odeurs se firent plus présentes. Le sang, la cendre… et un parfum étrange et obsédant. Du savon bon marché aussi, mais cette odeur était bien ténue face au parfum d’un homme. Victor ajusta son col et se retourna.
Vince était là, nu évidement, le dos tourné et les mains sur le carrelage de la douche, regardant Victor par-dessus son épaule de ses yeux de glace polaire. L’eau dégoulinait sur son dos en dessinant les muscles impeccables avec les mèches de cheveux noirs. Il n’était plus aussi pâle qu’avant son repas car le sang d’un vampire pour un autre vampire était ce qu’il y avait de plus nourrissant. Oh, bien sur, il n’aurait plus ce hâle délicat mais il paraissait trompeusement humain. Le froid qu’il avait ressenti n’était qu’un effet pervers de sa nourriture. Un simple vampire se réchauffait au sang de ses victimes, mais la ponction devait, pour paraitre délicieusement vivant, avoir lieu au minimum toutes les trois nuits pour les plus jeunes. Pour les plus vieux, la ponction pouvait s’échelonner d’une semaine sur l’autre. Les cannibales avaient un cycle encore plus long, dû à leur si riche nourriture. Un mois sans ressentir la moindre gêne. Mais le sang les faisait chauffer affreusement dans les premières heures, tout en apportant une euphorie délirante. Mais pas pour celui-ci qui ne ressentait aucun bien être. Juste son décalage par rapport au monde extérieur.
Néanmoins… Néanmoins, comme tout être qui avait vu Vince, Victor ne put s’empêcher de laisser échapper un sifflement entre ses dents devant cet être qui était déjà beau avant mais que sa nature avait transformé en splendide machine de mort.