Chapitre 9: Instinct de survie.
J’ai dû foncer à Easton en voiture puisque Corey m’avait prévenu qu’un véhicule était nécessaire avant de se transformer et de partir à toutes jambes. J’ai donc piqué la voiture de Yuna et j’ai dû subir le sermon inévitable de la propriétaire qui tenait à ce que son véhicule revienne dans le même état qu’au début du prêt, compris ?
Résultat des courses, c’est à une vitesse parfaitement légale que j’ai fait les deux heures me séparant de la tanière de la Meute, tout en restant au téléphone avec Sokol qui me donnait les informations sur Columbia au fur et à mesure qu’il les recevait :
- C’est confirmé, cent-douze étudiants ont été payés par Astella depuis Mai 2017. Une fois par mois, la somme de deux mille trois cent cinquante dollars, par virement. Je n’ai pas encore réussi à avoir un responsable d’Astella sur ce sujet.
- Le profil des cobayes ?
- Étonnamment diversifié ! la moitié d’hommes et de femmes, un pourcentage exact des ethnies présentes aux Etats-Unis…
- Et ça en fait beaucoup.
- En effet. Les cobayes ont entre 19 et 26 ans, dix d’entre eux avaient des allergies et des intolérances sévères, trois avaient de l’asthme, une avait une insuffisance cardiaque…
J’ai froncé les sourcils en dépassant un camion et je me suis rabattu alors que le camionneur faisait une tête de trois pieds de long.
- Est-ce que les allergies, l’asthme et les autres maladies héréditaires ne sont pas un critère de rejet dans le cas de test de médicaments ? Lui ai-je demandé en montrant mon majeur au camionneur alors qu’il me klaxonnait dessus.
- Normalement, oui.
- Quel médicament était testé ?
- Aucune idée. La plupart des familles sont tombées des nues quand on leur a annoncé la nouvelle. Surtout la mère de la demoiselle à l’insuffisance cardiaque…
Pour le coup, ça m’a vraiment étonné. Oui, évidemment, les grandes firmes pharmaceutiques faisaient signer un contrat de confidentialité mais aucun cobaye au monde n’en dit rien à ses propres parents ! Quoique… Avec deux mille trois cents dollars par mois, on peut la faire fermer à pas mal d’étudiants en manque d’argent.
- Quelles sont les catégories socio-professionnelles de nos cobayes ?
- Moyen à pauvre.
- Combien voyaient un médecin régulièrement ? ou un psy ?
- Pour la visite au psy, aucun. Pour le médecin, ceux qui avaient de l’asthme et celle à l’insuffisance cardiaque voyaient leurs médecins traitants une fois tous les deux mois. Par acquis de conscience, nous les avons appelés et nous leur avons posé quelques questions. Dans les quatre cas, ils ont noté une nette amélioration de leurs patients. Surtout la Demoiselle Kincaid qui a eu un rythme cardiaque beaucoup plus calme et régulier. Elle avait rendez-vous pour un scan afin de vérifier ce qu’il se passait… Malheureusement, Mary Kincaid est allée à une fête étudiante et y est morte…
Une nette amélioration… ? Si ce médicament avait pour but une amélioration physique, il était normal qu’ils l’aient proposé à des malades chroniques, y compris souffrant de maladies génétiques… Bien que je trouvasse impossible qu’on puisse guérir une maladie génétique autrement que par une thérapie génique qui n’existait pas encore.
Et pourtant… Un médicament à large spectre ? capable de guérir aussi bien l’asthme qu’une insuffisance cardiaque ? je n’arrivais même pas à concevoir que ce soit possible. A moins, bien évidemment, de devenir vampire et d’oublier ne serait-ce que l’idée même de maladie.
- Si ce médicament est ce que je pense, à savoir une sorte de panacée, ça pourrait changer la face du monde…
- Je sais. Cela dit en passant, nos quelques chamans qui en sont arrivés à la même conclusion ont commencé à sortir les gongs et à prévenir tout le monde de « La Fin du Moooonde » !
- Merveilleux…
Il est vrai que la Panacée était un sujet qui inquiétait un nombre de philosophes de l’équilibre, dont moi. Un élément trop bon pour une partie de la Terre risquait d’entraîner une conséquence inverse et destructrice. J’avais du mal à imaginer une force inverse à la Panacée mais… ça risquait d’être violent.
- Bon… Continuez à glaner le plus d’informations et à émettre le plus de théories possibles : rien n’est stupide tant qu’on l’a pas prouvé. Compris ?
- Oui, Maître. Murmura Sokol en utilisant le titre qui me liait à lui.
- Le FBI est toujours content de nous ?
- Plutôt, oui. Ils sont toujours bloqués par la police de New York mais la Justice est en route. D’ici deux jours, ils seront dans l’obligation de remettre toutes les preuves à l’Agent Spécial Manfield.
- C’est déjà ça…
- Je vous recontacte dans une heure.
Après avoir raccroché, j’ai augmenté ma vitesse et au diable les recommandations de Yuna, je voulais en finir au plus vite.
A cinq kilomètres d’Easton, j’ai arrêté la voiture et j’ai continué à pied : On n’entre pas dans le territoire d’une Tanière en voiture, à moins qu’on ne veuille insulter la Meute. C’était une chose que je ne souhaitais pas faire… Déjà, j’arrivais sans cadeau, ce qui était un privilège d’Alpha de Tribu, et en plus la connerie avec Corey pouvait me coûter cher… Non, il valait mieux que je finisse à pied.
Au bout d’un kilomètre de course à travers les bois, je suis tombé sur le cœur névralgique de la tanière et j’eus la surprise de voir que pratiquement tous les félins d’Easton étaient présents. Quoi que fut ce qu’ils voulaient me montrer, ça les inquiétait. J’ai approché de Santana, l’une des rares Alphas féminines, et je me suis incliné en premier devant elle. Du coin de l’œil, j’ai pu voir que Corey appréciait. C’était une forme d’excuse pour mon comportement de tout à l’heure et il le savait.
- Merci d’avoir répondu à notre requête, Alpha. Me dit Santana en me prenant la main.
- Merci de m’avoir invité, Alpha d’Easton. Quel est votre souci ?
Avant de me montrer ce qu’elle avait à me montrer, elle me saisit par les épaules et me serra contre elle. De l’extérieur, on aurait pu croire que c’était un salut un peu plus chaleureux que nécessaire mais je sentais sa tension interne. Elle avait besoin du réconfort d’un Cœur de Meute et je lui offris sans restriction.
- C’est si grave que ça… ? lui murmurais-je à l’oreille.
- C’est très inattendu… Tu sais comme les Félins n’aiment pas l’inattendu… ?
- Pas plus que les Loups. Qu’est-ce qu’il y a ?
Elle soupira et s’écarta, m’invitant à la suivre. Au bout de quelques minutes, elle reprit la parole :
- Il y a un peu plus d’une semaine, nous avons traqué des intrus sur notre territoire, des intrus qui avaient été aperçus par la population humaine d’Easton.
- Je croyais qu’en cas de grands félins, c’était votre affaire avant d’appeler les services vétérinaires.
- C’est bien le cas. Nous ne nous occupons que des grands félins dont il a été prouvé que ce sont nos formes animales : Le lion, le tigre, tous les types de panthère, du puma à la panthère des neiges… Les autres sont à la charge des services vétérinaires du Zoo d’Easton.
- Les intrus ne sont pas des Félins ?
- Pour l’un des deux, si. L’autre est un canin.
- Un Loup ?
Santana secoua la tête et m’amena dans le cœur de la Tanière. Dans n’importe quelle meute d’animaux sauvages, c’est là que les jeunes et les membres les plus faibles se seraient trouvés. Pour les garous, c’était l’endroit où les soumis se réunissaient pour décider ce qui était le mieux pour le bien être de leur communauté. Autant dire que c’était un honneur d’avoir la permission d’aller aussi loin. Les cinq soumis d’Easton étaient là et semblaient ne pas être rentrés chez eux depuis plusieurs jours. Santana me montra le problème et pour le coup, j’ai vite compris que c’était vraiment trop gros pour Easton, quand bien même sa meute comptait une trentaine de métamorphes et une cinquantaine d’humains.
La première chose qui m’a frappé, c’est le monstrueux tas de poils beiges qui était étalé dans le fond de la caverne qui servait de Cœur de Tanière et qui, à mon arrivée, tenta sans succès de se recroqueviller. A force de devoir gérer une dizaine de meutes très différentes, j’avais appris à reconnaitre les métamorphes au premier coup d’œil. Là… Un animal très gros et très grand avec les poils longs et des rayures, le mufle épais et… Bon Dieu, si c’était un métamorphe, il serait le plus grand animal mis à part la Bête… A vue de nez, il faisait bien ses deux mètres au garrot.
Santana sentit ma confusion et me murmura à l’oreille.
- Un ligre. Hybride d’un lion et d’une tigresse… Réputé pour être le félin le plus grand au monde.
Oulah… Ça commençait à sévèrement puer.
- Evidemment, avec le Virus W, il a doublé sa taille.
- C’est un métamorphe ?
Je reniflais un peu pour deviner le parfum profond du grand félin mais avec les odeurs de Santana, des cinq soumis et d’à peu près toute la meute d’Easton me masquaient le moindre effluve. Ce qui m’étonna grandement puisque je m’étais entraîné à différencier toutes les odeurs et même à en oublier les plus violentes pour me concentrer pour les plus ténues. Je m’approchais pour enfin avoir une idée de son parfum quand un loup à la limite de l’anorexie sauta devant moi et montra les dents en grognant bizarrement. J’ai failli lui balancer une claque par surprise mais je me suis repris assez vite pour voir la créature : Une bête efflanquée aux oreilles plus grandes que celles d’un loup classique et au poil rouge. Ce qui n’est pas normal parce que les loups rouges n’existent pas. Mais pour le coup, je connaissais l’animal : un coywolf[1]. Il faisait à peine son mètre au garrot mais c’était bien plus que l’animal de base… Sans oublier qu’il me menaçait, ce qu’un véritable coyote n’aurait jamais fait.
En effet, ces deux créatures étaient bien plus grandes que leurs homologues et, de plus, plus je les regardais, plus je leur trouvais des comportements humains : le Coywolf ne grognait pas, il m’engueulait. Le Ligre essayait de se cacher et particulièrement ses parties génitales.
Je me tournais vers Santana :
- C’est pas possible… Les hybrides ne sont pas naturels et donc, ils ne peuvent pas être la base animale d’un garou.
L’enfant d’un lion et d’une tigresse n’est pas possible dans la nature : Déjà parce qu’ils vivent dans deux continents différents et ensuite parce que les lions sont des animaux sociaux alors que les tigres sont solitaires. Quant au Coywolf, même s’il est possible au vu de son habitat, il souffrira d’être un solitaire au sein d’une meute ou l’inverse. Mais ce qui est impossible dans le cas d’un garou, c’est que ces deux créatures ne sont pas connues en tant que animaux dangereux ou comme symbole d’une vertu ou d’un travers.
- Y’a aussi un gros problème… Reprit Santana alors que sa tentative d’intimidation d’Alpha sur le coywolf avait été inutile. Ça fait à peu près une semaine qu’ils sont avec nous mais ils ne sont pas retransformés. Et ce qui me choque le plus, c’est que je ne sens pas les esprits animaux.
- Ouais, en fait… Tu m’as fait venir en tant que Cœur de Meute, pas en tant qu’Alpha de Tribu…
Elle m’a souri avec un brin d’espièglerie ce qui fait que je ne lui en pas voulu plus de trois secondes. Les félins sont largement plus farceurs que les loups mais contrairement aux loups, les blagues des félins ne portent à aucune conséquence.
- Oui, mais pas seulement, Alpha. Ma meute est déjà très étendue pour son territoire et je ne peux pas garder un canin, même si j’avais de la place.
- Et donc, c’est à moi de leur trouver une place…
- Bah, tu peux même les garder.
Bon… Je ne peux pas lui en vouloir… Tous les garous me considèrent comme un hybride. Ce qui est mieux que l’alternative, hein… Le Monstre, l’Abomination, l’Aberration. Oui, finalement, Hybride, c’est très bien. Donc, deux hybrides de plus dans ma meute ne serait pas un problème, n’est-ce pas ?
Je me suis approché des deux hybrides et j’ai mis un genou à terre pour me mettre nez à museau avec le coywolf.
- Je suppose que tu ne sens pas l’animal ? Marmonnais-je à l’attention de Hunt.
En effet. Tu es seul sur ce coup-là…
Le coywolf continuait à me grogner dessus comme un roquet et ça continuait à ne rien vouloir dire. J’ai donc commencé à laisser couler mon pouvoir, sans toucher à celui de la Bête qui risquait de faire pas mal de dégâts. L’hybride était mort de trouille mais dans sa peur il préférait transformer ça en colère et agresser le plus grand nombre de personnes tout en protégeant le ligre derrière lui. Un dominant, donc, mais un dominant humain. Je sentais ses interrogations en pagaille, je sentais ses calculs pour tenter de s’en sortir mais je ne sentais pas la moindre étincelle d’instinct animal.
- Bonjour. Dis-je avec une voix douce. Je vous conseillerais d’arrêter de me grogner dessus sinon, je me verrais dans l’obligation de vous mordre.
Pour appuyer mon propos, j’ai dévoilé mes deux canines supérieures. L’effet a été à la mesure de mon attente puisqu’il arrêta tout de suite et recula un peu.
- Toujours rien ?
Aucune emprise, mis à part si tu veux perdre son attention. C’est un humain. Il n’y a aucun animal.
J’ai saisi la truffe du Coywolf entre mes deux mains et j’ai basculé sur mes pouvoirs de Cannibale. Si les humains ne nous voient jamais en tant que monstres sanguinaires, c’est parce que nous pouvons modifier leurs comportements et leur faire croire que nous ne sommes pas ce que nous paraissons. En forçant un peu, on pouvait même se faire passer pour leurs meilleurs amis. J’ai donc forcé tout en essayant de l’amener à reprendre forme humaine.
Le coywolf se calma et me regarda avec les yeux de l’amour. Cependant, il était toujours à quatre pattes et couvert de poils rouges.
- Bordel…
- Il y a une amélioration. Intervint Santana. Petite, mais c’est déjà ça.
- Il n’y pas d’animal en eux.
- Ce qui explique pourquoi ils me défient. Et pourquoi ils se comportent comme des agneaux de deux jours.
Normalement, même en cas de dissociation, un garou transformé sait se comporter comme l’animal à qui il emprunte son apparence. Il sait courir, communiquer et utiliser ses nouveaux sens pour chasser. En aucun cas il ne comporte comme un bébé. Ou comme à un humain piégé dans une fourrure qui ne lui appartient pas.
- Ça fait une semaine que tu les as ici, c’est ça ?
- Ouais. C’est un miracle qu’ils soient parvenus jusqu’à nous sans se faire voir et sans mourir. Ils étaient en sous-alimentation, déshydratés… Oh, et la viande crue leur pose problème.
- Comment vous les avez nourris, alors ?
- Ragoût de bœuf. Matin, midi et soir.
Soyons honnêtes, un prédateur ne dédaigne pas qu’on le nourrisse mais un ragoût de bœuf ? Par acquis de conscience, j’ai soulevé la babine de mon nouveau meilleur pote pour vérifier ses crocs et j’ai eu la surprise d’y voir deux couronnes sur les molaires. Bon, les couronnes étaient un peu défoncées suite au changement de dent mais… Normalement, on ne garde pas les couronnes, on les expulse en premier avec les piercings.
- Là, je comprends plus rien… J’ai l’impression d’être tombé sur une transformation incomplète. Et ce n’est pas possible.
- Sincèrement, je me suis posé la question s’ils n’allaient pas me claquer entre les doigts. Mais mis à part leur manque total d’instinct, ils vont bien. Enfin, presque…
- Comment ça ?
- Le Ligre a un souffle au cœur. Léger, mais un souffle au cœur quand même.
Pour le coup, j’ai regardé le ventre du Ligre et malgré le fait que l’animal me les planque, j’ai pu voir les mamelles d’une femelle. Et là, j’ai un frisson qui m’a bloqué pendant quelques secondes. J’ai sorti mon smartphone pour consulter la liste des victimes de Columbia que Sokol m’avait envoyé. A force de défiler, j’ai fini par trouver la demoiselle que je cherchais :
- Mary Kincaid ? Murmurais-je en direction de la Ligresse qui s’était tournée vers le mur.
Elle leva la tête et me regarda dans les yeux avant de hocher lentement le museau, le regard plein d’espoir. Le Coywolf, un mâle, posa sa patte sur mon bras pour regarder mon écran et essaya de le faire défiler pour arriver à son propre nom. Malheureusement, les écrans de smartphone ne sont pas faits pour les coussinets de coyote. Maintenant, vous le saurez. J’ai repris le contrôle de mon smartphone pour lire la liste des disparus masculins et nous nous sommes arrêtés au troisième, Charlie Astor, alors que le Coywolf exprimait sa joie d’être reconnu avec force cris qui ressemblaient de plus en plus à des cris de joie d’un joueur de foot en finale.
Je me tournais vers Santana et je lui souriais :
- Mary Kincaid et Charlie Astor étaient présents à Columbia.
- Putain… On a trouvé des survivants…
- Mieux. Vous avez trouvé des témoins.
L’armée avait déserté le Bronx. Seules les gigantesques barrières installées et les immeubles effondrés tout autour de la zone contaminée indiquaient que les soldats étaient toujours en charge mais plus aucune patrouille ne passait dans les rues. Résultat, la foule de new-yorkais bloqués dans le bronx étaient dehors et tentaient de trouver de la nourriture. Des zombies chassant le cerveau… Le docteur Taylor était le seul affamé qui se doutait que le comportement des autres n’était pas normal : Ils étaient tous blessés, des plaies ouvertes, des membres manquants et même des blessures qui leur aurait donné la mort en temps normal. Pourtant, aucun des affamés ne semblait s’en soucier, seul comptait leur faim.
Et pourtant, aucun des affamés n’attaquait les autres, pas même lui. Au contraire, quand il marchait dans l’une des rues qui l’amenait à l’appartement qu’il avait réquisitionné, les affamés s’écartaient sur son passage et même le fuyaient. Il ne pouvait pas leur en vouloir puisque dès qu’il avait trop faim, il en chopait un et le dévorait. Et, encore une fois, il ne comprenait pas le comportement : ses victimes ne se débattaient pas et se laisser bouffer sans un cri.
Son appartement puait, c’était une infection… Il faut dire qu’avec tout de coupé, il ne pouvait pas laver, il ne pouvait garder les victuailles dans le frigo et dans le congélateur… Il n’avait même pas envie de tout jeter par la fenêtre… Bon, la bonne nouvelle était qu’il avait réussi à changer de vêtements, ce qui avait été nécessaire puisqu’il avait changé de carrure. Il avait enfin perdu ses quelques kilos en trop, surtout son cul, et il avait gagné des muscles. Résultat, son pantalon lui avait glissé des hanches et sa chemise commençait à devenir gênante à cause de ses épaules.
Encore un truc qu’il ne comprenait pas : Il se nourrissait mal d’êtres humains, il vivait dans un environnement dégueulasse, parfois il ne bougeait pas pendant des jours entiers et il avait gagné une musculature somme toute très appréciable. Aucune maladie, aucune infection, pas même un peu de dégout ou de reflexe de rejet… rien. C’était presque déprimant. Il reprit les frusques qu’il avait réussi à trouver dans d’autres logements abandonnés, le jean noir, plus si noir, le sweat à capuche parce qu’il avait un peu froid et le manteau de cuir éraflé, et même complètement pourri, qui le protégeait de la pluie. La seule chose qu’il avait gardé, c’était sa casquette… Sa casquette qui puait presqu’autant que l’appartement où il se trouvait.
La nuit, il se mettait sur le toit et regardait la foule en dessous de lui. Avec le stylo et le carnet qu’il avait récupéré, il s’astreignait à décrire le comportement des affamés et à détailler ses théories. Il n’était même pas sûr que quelqu’un trouve ses pauvres notes mais le tout petit espoir qu’un scientifique puisse trouver un vaccin grâce à lui le maintenait debout.
Mais ce soir-là, ce petit espoir ne suffit pas. Les épaules basses, il barra ses dernières interventions sur la momification des plaies ouvertes des affamés et soupira avant d’écrire ses propres pensées :
J’en ai marre. Je peux plus. Ça fait deux ou trois semaines… Je sais même plus quel jour on est.
Je pensais que j’aimais pas les gens mais maintenant que ceux qui sont autour de moi ne font que grogner et marcher comme des zombis, je m’aperçois que les gens me manquent. Je me demande ce que devient Sonia, je me demande si le serveur du Starbucks qui sait écrire mon nom sait que ça fait deux trois semaines qu’il ne m’a pas croisé… Je me demande si ma mère s’inquiète pour moi. On s’est quittés en très mauvais termes mais je suis son ainé… Et ça fait bien un mois que je l’ai pas appelé.
Putain, je me force à tout écrire. A décrire ce que je vois, à essayer de comprendre ce qu’il m’est arrivé, ce qui est arrivé à ces pauvres couillons en bas et… merde, j’en ai marre. Je comprends rien.
Hier, j’ai croisé les deux gamins que j’ai aidé, y’a une éternité de ça. Ils sont tous les deux devenus des affamés, le regard mort et la peau grise. Ce sont les seuls qui ne me fuient pas, ce qui, je suppose, signifie qu’ils se souviennent de moi, quelque part. Mais ils ne parlent pas, ils ne réagissent pas, ils se contentent de s’asseoir à côté de moi, d’attendre et de repartir comme s’il ne s’était rien passé. J’aurais aimé les garder avec moi mais je n’arrive même pas à leur faire comprendre que je peux les aider à nouveau.
C’est faux. Je ne peux pas les aider. Je veux juste les garder à côté de moi pour ne plus parler tout seul…
J’en peux plus.
A ceux qui trouveront ce ramassis de conneries qui me sert de journal, je suis désolé de pas avoir réussi à faire plus. Je suis désolé de pas avoir compris ce qu’il nous était arrivés et je dis nous parce que moi aussi je suis contaminé. Je sais pas comment, je ne sais dans combien de temps je vais péter les plombs et devenir comme les zombis d’en bas… Je veux pas devenir comme eux.
Je suis désolé d’abandonner comme ça.
Pardon.
C’est au bord des larmes qu’il réunit les quelques cailloux et brindilles pour écrire « A lire » sur le toit et déposa le carnet à côté. L’immeuble faisait une dizaine d’étages et il s’avait qu’il n’avait aucune chance d’en réchapper. Alors qu’il montait sur le rebord, il pensa aux victimes du 11 Septembre qui s’étaient jetés par la fenêtre pour échapper aux flammes. Quand il avait vu ces images à la télévision, il avait été choqué, bien sûr, mais il n’avait pas compris pourquoi ils avaient fait ça. Et puis, l’incident du Bronx lui avait donné la réponse : C’était plus rapide, c’était sa propre décision et ça évitait de souffrir.
Le docteur Taylor enleva sa casquette pour se recoiffer puis la remit dans le même mouvement. Il inspira et regretta que tout le quartier pue la merde pour sa dernière respiration mais bon… On peut difficilement râler quand on pas le choix. Bizarrement, ça l’a fait sourire. Et puis ça l’a un peu déprimé. Il ne regardait pas en dessous de lui parce qu’il ne voulait pas voir les affamés lors de leur ballade, il ne voulait pas voir ce qu’il n’avait pas réussi à vaincre… Il voulait juste en finir et se reposer. Se reposer une bonne fois pour toutes…
Sans réfléchir d’avantage, il fit un pas en avant et se laissa tomber en fermant les yeux. Bien sur, son cœur s’accéléra sous la soudaine panique mais il refusa de regarder et se dit que de toute façon, ce serait bientôt fini. Il crut entendre une femme crier mais tout s’arrêta presqu’en même temps. Fin.
Yuna se demanda pendant quelques minutes pourquoi un zombie s’était jeté d’un immeuble juste devant elle. Ça, et le fait que les Zombies ne semblaient pas ne serait-ce que la voir, la perturbait grandement jusqu’à ce qu’elle se force à avancer vers le cratère que le zombie suicidaire avait causé dans une benne à ordures. Elle vit le zombie, dont les jambes dépassaient du trou, en vrac, comme toute personne ayant fait une chute d’une dizaine d’étages… Comment est-il monté là-haut, se demanda t’elle, comment n’a-t-il pas pu faire attention au rebord ? Peut-être que ses yeux étaient endommagés… Elle se pencha sur le trou et eut la désagréable surprise de voir que le zombie n’était pas mort, qu’il en semblait le premier surpris et que ses yeux rouges emplis de confusion étaient braqués sur elle. Elle envisagea de le chopper par le col pour lui enfoncer le crâne dans le mur, pour la terreur qu’il lui avait causé, mais le zombie la prit de court :
- Salut…
Sa voix était rauque et râpeuse, ce qui était sans doute causé par le fait que son cou s’était enfoncé dans son torse mais contrairement aux autres Zomb’, il la regardait bien en face, avait des expressions faciales et surtout, elle entendait les battements de son cœur. Yuna décida de ne prendre aucun risque et tourna la tête pour m’appeler :
- Vince ! J’ai un truc bizarre, là !
J’étais à deux rues de là mais vu le silence des rues des Bronx, je n’ai eu aucun mal à l’entendre. Je me suis précipité pour voir quel était le problème, ce qui me distrairait du dégoût qui me tordait l’estomac en voyant tellement de problèmes et de morts dans la population.
Le Sénat Américain nous a autorisé à rentrer dans la Zone Rouge deux heures auparavant. Nous n’attendions que ça…
[1] Coywolf : Hybride de loup et de coyote.