Chapitre 18: Showtime!
La première chose que Yuna a faite a été de se balader, la tête haute, dans le Vieux Carré, non pas à mon bras mais juste à un pas derrière moi. Elle avait beau être jeune, elle irradiait la puissance et la hargne de sa mère, sans compter son regard d’or qui en clouait plus d’un. Les sorcières ne manquèrent pas d’en informer la Meute du Bayou, ce qui était le but de la manœuvre. Quant à Yuna, elle jubilait intérieurement de sa nouvelle puissance et en abusait un peu. Je la laissais faire avec un petit sourire parce que ça m’arrangeait et aussi parce qu’elle m’avait raconté son histoire. Bien qu’un bon inspecteur de police, à New York, qui plus est, son couple était un naufrage. La malheureuse Trish, qui était désormais dans l’estomac de la Bête, n’était que la dernière conquête d’un joli cœur, doublé d’un escroc. Yuna aurait pu divorcer si son mari n’avait pas suffisamment de magouilles pour totalement la dépouiller et en plus, la faire passer pour une ripoux. Je m’étais promis, sitôt que nous serions rentrés à New York, que nous réglerions le problème, quitte à ce que je mette Victor sur le cul de son mari.
Peut-être même que Victor apprécierait un peu de torturer mentalement un petit escroc.
Quoiqu’il en soit, notre petite ballade n’avait pas seulement pour but d’exposer mon nouveau jouet mais de parader un peu. Maintenant que je pensais savoir ce que les sorcières me voulaient, il était temps de leur faire, métaphoriquement, renifler mes jupes et faire grimper les enchères. Le but était de leur forcer la main pour avoir des informations. Je me rendais donc chez Annabelle et ce, sans rendez-vous. Mon père disait toujours qu’il fallait prendre au dépourvu une source d’informations, ça rapporte plus.
C’est donc une jeune fille, toute ensommeillée, qui m’ouvrit la porte de la maison Moreau. Ce devait être la nouvelle héritière du Cercle et rien que pour ça, je lui dédiais un sourire avec les crocs sortis.
- Ma… Ma mère n’est… pas là. Bafouilla t’elle en ouvrant de grands yeux apeurés.
- Alors, j’attendrais son retour. La dame derrière moi prendra un café avec un nuage de lait, quant à moi, je le prendrais noir.
Et j’entrais en décalant la demoiselle, le plus naturellement du monde pour m’installer dans un petit salon décoré à la chinoise. Si Yuna préféra rester debout, je m’installais sur un divan et posais les pieds sur l’accoudoir. Quand Jeannette revint avec les deux cafés, elle tenta vainement d’engager la conversation mais Yuna la découragea d’un froncement de sourcils. Je surenchéris :
- Faites en sorte que votre mère se dépêche et nous vous laisserons retourner à votre sommeil. Et éviter qu’il ne devienne éternel.
Elle s’est enfuie de la pièce en courant, sans doute pour téléphoner. Yuna se tourna vers moi avec un drôle de sourire.
- Je ne te savais pas comme ça…
- J’ai été élevé comme un sale gosse, ma belle. Et Moreau me sort par les yeux.
- De là à terroriser sa fille ?
- Bah… ça lui mettra un peu de plomb dans la tête et ça engagera Moreau à aller un peu plus vite. Ce qui la laissera avec un plan d’action encore plus imparfait.
- Comment tu as eu son adresse ?
- Al.
- Le gamin ?
- Il est plus vieux que toi. Et ne le sous-estime jamais.
- Oui, Alpha.
Je soupirais en calant ma tête avec un coussin bleu.
- Ça va tellement me saouler cette histoire…
- Seigneur… Tu te plains vraiment d’être Alpha ?
- Les Cœurs de Meute n’ont pas d’ambition. J’en avais déjà pas en tant que Cannibale et ça ne s’est pas amélioré.
- Pourquoi ? Pourquoi ça te pompe à ce point ?
- Ça me fait peur.
Avant que j’aie pu avoir le temps de lui expliquer ma peur de décevoir et de ne pas être à la hauteur, le bruit de la porte d’entrée et le claquement de talons hauts nous ont fait dresser l’oreille. Yuna reposa sa tasse de café, qu’elle avait bu d’un trait et se plaça à côté de moi.
- Méfies-toi d’elle. Elle est aussi prévisible qu’un serpent.
Moreau entra avec suffisamment de colère dans les yeux pour provoquer un incendie alors que je lui souriais avec impertinence et que Yuna affichait la morgue d’un officier de police en faction.
- Annabelle ! Pardon de m’introduire chez vous sans invitation mais j’ai eu une envie folle de vous voir. Et… j’avais cru comprendre que vous étiez toujours prête à me fournir assistance… Me serais-je trompé ?
Le petit sourire de sale gosse que j’arborais démentait mon apparente politesse. Moreau crispa les doigts et marmonna quelque chose d’inintelligible. Malgré le fait qu’elle se préparait à lancer un sort, je restais parfaitement calme, sans doute parce que Hunt se préparait à lancer un cri de loup en contre. Pas sûr que Moreau aurait apprécié de se retrouver ventre à terre… Fort heureusement pour elle, elle interrompit le sort avant qu’il ne soit trop tard et reprit une face plus avenante.
- Je suis toujours prête à vous recevoir mais un simple mot m’aurait permis de vous recevoir encore mieux. Susurra-t-elle avec un air de doux reproche.
- Certes. Mais ce dont je dois vous entretenir est à la fois assez urgent et trop court pour mériter un véritable dîner. Mais je vous en prie, asseyez-vous. Vous êtes chez vous.
Je pouvais presque entendre Yuna se fendre la poire intérieurement. Les jeux de pouvoir et de domination sont les jeux les plus appréciés des Loups qui peuvent rire pendant des mois d’un bon mot. J’avais fini par comprendre pourquoi Hunt appréciait tant mon père vampirique : pour sa repartie.
Moreau enleva son manteau d’un geste rageur et prit place sur une petite bergère en face de moi.
- Donc… Quelle est donc la raison qui ne pouvait pas attendre ?
- Avant toute chose, laissez-moi vous présenter le nouveau joyau de ma couronne. Yukiko est la petite dernière de la plus terrible des créatures sur cette terre. Et elle est mienne.
Malgré ses efforts, Moreau ne masqua pas totalement sa surprise, surtout aux yeux de deux loups qui lisaient les émotions sans problème.
- Oh… Avez-vous prévenu l’Alpha du Bayou de cette… Acquisition ?
- Pourquoi faire ? Mon… Frère n’a aucune incidence sur mes affaires. Par contre… Je risque d’en provoquer beaucoup sur les siennes… Bah, tant pis. Ce sont les risques du métier.
- Des… Incidences ?
- Ma très chère Yukiko m’a fait comprendre quelque chose par sa seule présence que… Comment dire… Nous sommes en présence d’un conflit d’intérêts. Les miens et ceux de mon frère.
- Euh mais… Vous êtes le Maitre de la Ville et Manahan, l’Alpha du Bayou. Vos intérêts sont parallèles et non convergents.
- C’est ce que j’ai cru. Mais… j’ai faim. Et j’ai un appétit démentiel. Mon avantage, l’avantage de tous, en fait, est que mon frère m’a fort bien préparé le terrain. Je me souviendrais de lui avec tendresse…
Pour le coup, Moreau n’essaya même pas de cacher ses émotions et l’horreur de la situation lui déforma les traits : Je venais tranquillement de déclarer une guerre, ou plutôt un défi à l’Alpha. Tout ce qu’elle avait prévu, tout ce qu’elle avait construit, je venais le balayer d’un coup de pied. Cela dit, j’étais très curieux de sa réaction : Allait-elle rester sous le choc ? Non, je ne la voyais pas se rouler en boule sous les coups. Peut-être allait-elle changer son alliance ou défendre Mark ? J’étais impatient de le savoir et c’est pour cela que j’assénais le coup de grâce.
- Il va sans dire que c’est la raison de ma venue. Je ne m’imaginais pas semer le chaos à vos portes sans vous laisser le temps de vous mettre à l’abri. Simple courtoisie entre voisins. Allons, j’ai déjà trop abusé de votre hospitalité.
Je me suis relevé d’un bond et je lui ais souri à nouveau.
- Oh, et mes félicitations pour votre fille, elle est tout à fait charmante… Il faudra que je songe à l’inviter à dîner… Avec votre permission, bien sur.
Et je suis sorti avec Yuna sur mes talons et un sourire insolent. Tellement insolent que notre jolie blonde m’a choppé par le bras, trois rues plus loin, pour me murmurer :
- Avoue que tu as joui dans ton pantalon.
- Oui, va falloir que je change de caleçon…
- Et après ça, tu n’aimes pas la politique…
- Le souci avec la politique, c’est que je ne suis pas encore assez bon pour faire ça à chaque fois. Et que le reste de la politique m’emmerde. A ton avis, combien de temps avant que les chiens du Bayou ne rappliquent ?
- Deux heures… Pas plus de trois.
- Alors… faisons en sorte de les accueillir dignement.
En toute honnêteté, tout ce plan avait été décidé en urgence et dans une fièvre étrange. Yuna nous avait suivis avec délectation dans les préparations de la défense de la Villa et nous avions prévenu le légitime propriétaire qu’il risquait d’y avoir de la casse. Charles m’a donc fait parvenir l’inventaire complet pour que je puisse remplacer, à mes frais, les dégâts. Mais tout ça avait un seul but. Je me fichais royalement de prendre possession de la Nouvelle- Orléans, tant sur le plan Vampire que sur le plan Garou. Cependant, si je pouvais forcer les sorcières et le Bayou à accélérer leur plan et, ainsi, le faire foirer, ça m’allait parfaitement. Je me doutais que Mark utiliserait ce qu’il avait volé pour attirer la Bête et la faire combattre. Je comptais un peu sur mon intuition magique selon laquelle les anciennes sorcières avaient érigé une barrière contre elle et que l’effet de surprise serait manqué. Sinon… Sinon, on ferait ça à l’ancienne et il faudrait que je la retourne contre le Bayou. Possible… Difficile, très difficile, mais possible…
Hunt était confiant. Je l’étais beaucoup moins, tout simplement parce que j’étais entrainé à combattre des vampires et non des garous et des sorcières. Sans oublier que ma réaction face à la Bête risquait de me reprendre au pire moment.
Nous rentrâmes à la villa aussi vite qu’il était possible sans avoir l’air d’être pressés. Je passais même chez Antoine pour lui indiquer qu’il valait mieux qu’il reste chez lui et bien planqué. Il me comprit sans problème et me souhaita bonne chance. Malgré toutes ses connaissances et sa longue expérience de la ville, il a été incapable de me dire où résidait Sokol. J’aurais voulu le prévenir et le mettre à l’abri mais j’espérais qu’il s’en soit rendu compte tout seul. Aussi fus-je particulièrement surpris de la voir m’attendre dans le petit salon avec Simon qui nettoyait ses trois fusils.
- Bonsoir, Excellence.
- Mais qu’est-ce que vous foutez là ?
- Oh, je sais que je n’ai pas été convoqué mais… S’il m’est permis d’assister à la petite fête de ce soir, je vous promets d’être aussi efficace et discret que vous pourriez le souhaiter.
Je suis resté… tout con pendant deux minutes. A l’intérieur de mon crâne, Hunt jappait et sautait partout.
- Comment…
- Je le sais ? Simple ! Votre petite déclaration de guerre a été relayée aussi vite qu’il était possible et je me trouvais à côté de Maria Sandovar Laveau, la spécialiste des funérailles magiques du cercle. (Il soupira) Ses pensées étaient tellement fortes que j’ai frôlé la migraine.
- Comment ça ?
- Elle était au téléphone avec Annabelle Moreau et essayait de rester la plus concise possible pour décourager les possibles espions mais en faisant ça, elle pensait très fort. D’où la migraine. Si vous vous posiez la question, Annabelle a battu le rappel. Mais… les troupes sont plus réticentes que prévu.
- C’était le but.
- Ça a marché. Les tièdes reculent et la moitié des convaincues négocient leur participation. Vu comment Maria pâlissait à vue d’œil, Moreau devait être en train de lui hurler les pires horreurs à l’oreille.
- Merci d’avoir illuminé ma soirée, Levant…
Je posais ma veste sur une chaise et levait les yeux vers Sokol qui avait le sourire d’un gamin offrant une fleur à sa mère. J’ai eu presque honte de lui casser la baraque.
- Mais vous ne pouvez pas rester. C’est trop dangereux.
Il ne s’est pas départi de son sourire.
- Je suis un soldat, vous savez. Enfin… J’en étais un. Et je sais me battre.
- Il va y avoir la Meute du Bayou…
- Justement ! Excellence… Je veux participer à la bataille… Ne me rejetez pas. S’il vous plait…
- Assis.
J’ai attendu qu’il prenne place dans le fauteuil le plus proche avant de m’adosser à la table.
- Sokol… Je ne peux pas vous demander de vous battre pour moi. Ce serait malhonnête de ma part.
- Parce que vous n’êtes pas réellement le Maitre de la Ville et que tout ça était une manœuvre pour attraper la Bête légendaire ?
Il y a des fois… Il y a des fois où j’ai envie de me taper la tête contre les murs. Sokol était un Ménorath liseur d’esprits, je l’avais engagé pour ça. J’aurais dû savoir que j’avais été la première personne qu’il avait scannée en profondeur.
- Oh non… Ne vous inquiétez pas. Je ne peux lire que vos pensées superficielles et… Comment expliquer ça… Disons que vos pensées profondes sont recouvertes par un sacré bruit. Votre Loup, je suppose.
- Quoi ?
- Je n’ai ce problème qu’avec les garous dissociés, l’esprit animal rentre en cacophonie et je n’entends rien d’autre qu’un grondement.
Je regrette qu’il ne m’entende pas…
- Vous saviez depuis le début.
- Non… Mais assez vite, j’ai recoupé les bribes éparses que le reste de la Cour a laissé échapper.
- On t’avait prévenu, Boss… Intervint Simon.
- Oui, oh, ça va…
- Ne vous en faites pas. J’ai aussi mes raisons de vous suivre.
C’est à ce moment-là que j’ai compris le troisième du triumvirat vampirique n’avait pas bougé pour une bonne raison. Il avait bougé et avait envoyé un observateur pour vérifier ce que nous faisions.
- Il en est content ?
- Il ne m’a pas demandé d’intervenir. Non que ça aurait servi à quelque chose puisque tous ici auraient pu m’en empêcher.
- Et l’agent d’Atra vous aurait tué.
Il a cillé un instant et à repris son sourire.
- Je vois… Je me demandais pourquoi il était si compliqué à lire.
- Quelle sera votre récompense pour ce… travail de vérification ?
- La paix et la liberté.
- Je vous demande pardon ?
- Puis-je m’asseoir ?
Je lui ai autorisé cette petite faveur d’un geste de la main. Il s’est assis juste à coté de Simon me laissant un peu perplexe mais je compris vite qu’il se mettait à sa merci pour me rassurer.
- La lignée de Ménorath est… Disons prisonnière d’une règle bien particulière. Deux cents années de service à nos plus vieux vampires pour prouver que nous pouvons survivre seuls. J’ai… La malchance ou la chance d’avoir été repéré par Ménorath lui-même.
- Vous lui avez servi d’Oracle.
- D’une certaine manière, oui. Les devoirs, sans avoir le titre ni même les droits. Quoiqu’il en soit, c’est ma dernière mission.
- Me surveiller.
- Non. Ménorath, comme tous les Grands, a une passion démesurée pour son fief même s’il n’y passe que très rarement. Or le nouveau Conclave des sorcières du Carré l’ennuie à un point difficilement atteignable. Ma mission est de changer les choses pour qu’elles deviennent plus conformes à ses attentes.
- Et je suis arrivé…
- Et ma mission s’en est trouvée tellement facilitée ! Soyons honnêtes, je sais me battre mais j’aurais été totalement incapable de faire moi-même le ménage. Toute votre équipe, par contre…
- Et… Je répète ma question, vous y gagnez quoi ?
- Je ne suivrais aucun ordre… A part ceux que je choisirais de suivre, bien sur.
- Et… moi ? Qu’est-ce que j’y gagne ?
Il accentua son sourire et se cala contre le canapé.
- Une sortie diplomatique de cette situation usurpée. Tout redeviendra à la normale et vous ne devrez rien à personne. Au contraire… Ménorath pourrait vous attribuer une faveur, ce qu’il ne fait pas souvent.
- Hum…
- A une seule condition. Que cette faveur ne soit pas transférée à Sigur.
J’ai souri à mon tour. Les Grands n’ont jamais supporté de se devoir des choses et je savais que Papa vampire aurait fait payer le prix fort rien que pour énerver son collègue. Est-ce que je pouvais vraiment prendre cette faveur à mon compte et faire en sorte que Ménorath ne se rende pas compte qu’il la faisait à mon père ? En toute honnêteté, je n’avais rien à demander puisque j’étais pleinement satisfait de ma condition. Mais je me doutais que le Pilleur d’esprits saurait que j’essayerai de le rouler. Et puis… Avoir une faveur en suspend pouvait m’être utile, surtout que je pourrais en avoir besoin au pire moment.
Je repris sur le sujet qui me préoccupait depuis le début :
- Vous savez que je ne pourrais pas vous protéger ? Ni même demander à ma meute de le faire ?
- Est-ce vraiment ce qui vous inquiète ? me demanda-t-il vraiment surpris.
- Oui.
Derrière lui, Simon a souri. Il savait parfaitement pourquoi le moindre mal fait à Sokol m’enrageait à l’avance : Je l’aimais bien et le Cœur de Meute que je suis a une tendance à faire dans la protection de trop, quitte à être pénible. Ceux qui sont sous ma charge doivent vivre heureux et en bonne santé. Je suppose que ça fait de moi un très mauvais Maitre de Ville.
- Et bien, je vous le répète, je sais me battre. Et la moindre des choses que je puisse faire est de vous assister dans cette bataille.
- Bon. (Je me tournais vers Simon.) On le met où ?
- Hum… Avec Ash, histoire qu’il nous fasse de la frappe de précision.
Je fis signe à Sokol de monter à l’étage, là ou Ash avait pris position pour initier les tirs de barrage. Je savais que Simon les rejoindrait sous peu pour éclaircir un peu les rangs des prétoriens et le reste devait rester au rez-de-chaussée pour les maintenir dans la zone de tir. Quant à moi… Et bien, en termes de jeu vidéo et particulièrement de FPS[1], j’étais le drapeau ou l’otage. Évidemment, je pouvais me cacher quelque part et attendre que ça se termine mais ça risquait de mettre en péril mon équipe plus que je ne pouvais l’admettre et peut-être même à amener la Meute du Bayou à aller me chercher ailleurs. Ce n’était pas mon but. J’avais besoin que l’attention soit focalisée sur moi afin qu’Allegro puisse les prendre à revers. Maintenant que je me retrouvais tout seul dans le salon, je voyais la faiblesse de notre plan. A notre avantage, Mark n’aurait pas eu le temps de placer une bombe sous nos pieds pour terminer la bataille en une seule action… Mais je ne suis toujours pas sûr que Mark fut assez intelligent pour y penser.
Dans le salon, donc, je prenais ma huitième tasse de café de la soirée, c’est-à-dire la huitième en environ trois heures. Je crois que c’est à ce moment-là que je me suis rendu compte que je développais une addiction à la caféine qui était pour le moins étonnante puisque, avant de devenir un surnaturel, j’étais un homme à thé. Thé vert à la menthe, pour être exact. Et bière, beaucoup de bière mais pas les bières américaines parce que je les trouvais très fades, plutôt les bières anglaises et évidemment, la Guinness. Maintenant, à chaque fois que je veux me faire un thé à la menthe, je me retrouve avec un cappuccino dans la main et la bière me pique tellement le nez que je repose la chope le plus loin possible de moi. Pour la bière, je me doute que c’est un problème fort naturel au final : mon nez étant devenu aussi sensible que celui d’un canidé, ce qui, autrefois, me chatouillait le nez de manière délicieuse me pique atrocement maintenant et AUCUN garou ne boit de bière. Sauf… Ouais, Sauf l’engeance du diable mais lui… Je l’aime, là n’est pas la question, mais il est aussi taré que moi et je ne suis pas une référence.
Une impression délétère m’a saisi à la gorge et je reposais ma tasse à moitié pleine. Je pensais que Mark n’enverrait pas d’envie de meurtre mais ça venait peut-être des prétoriens ? Aucune idée et au final, je m’en fichais un peu. Ça commençait.
- Show time…
Il y a une chose qui m’étonnera toujours à propos de la Nouvelle-Orléans : Son flegme. Elysian fields était devenu un champ de bataille pour surnaturels et pas une seule fois nous n’avons entendu de sirènes de police ou de cris d’humains innocents. Tout le monde s’était barricadé et restait parfaitement silencieux le temps que tout ce bazar se termine. J’ignore encore qui a installé ce climat étrange mais pour le coup, ça m’arrangeait bien. Je ne me voyais vraiment pas gérer les dommages collatéraux dans ce foutoir. Je m’explique.
De notre côté, nous avions un lance-flammes et une visée à esprits, soit Ash et Sokol. Nous avions un tireur d’élite en la personne de Simon qui malheureusement n’avait aucune protection et campait sur le toit. Nous avions un assassin qui, pour le moment, n’avait pas bougé et attendait l’ouverture qui serait la plus meurtrière. Nous avions Dom et Yuna qui tenait la porte, principalement notre officier de police qui faisait du tir de barrage. Nous avions un joker en la personne d’Azul qui, jusque-là, s’était contenté de protections nécromantiques et de quelques mines magiques mais qui semblait avoir envie de laisser sortir le dragon et de boulotter tout le monde. Et nous avions moi… Qui attendait le moment où je pourrais utiliser mes quelques capacités. En face, nous avions Mark et cinq prétoriens, et Moreau avec une vingtaine de sorcières. Le rappel des troupes avait été plus efficace que prévu mais je ne m’inquiétais pas trop puisque, peut-être pour la première fois, certaines sorcières verraient la meute du Bayou à l’œuvre. Pas dit que ça leur plaise beaucoup.
J’essayais de me concentrer sur les auras en oubliant les murs, ainsi qu’on l’avait enseigné au Cannibale que je suis. Néanmoins, tout était brouillé et je n’arrivais pas à savoir si c’était à cause de la couche de marbre qui me séparait de la bataille ou si c’était vraiment confus de l’autre coté. Peut-être les deux mais j’enrageais de ne pas mieux voir, surtout que la vision par aura est particulièrement chatoyante voire psychédélique quand la magie entre en jeu. Et je vous prie de me croire que personne ne se privait.
Je sais qu’il peut paraitre étrange que nous nous battions, entre surnaturels, en plein jour. Plutôt en pleine nuit mais vous voyez ce que je veux dire. Contrairement à ce que pensaient Sokol et Yuna, j’avais calculé cette attaque en prévision de ce que les humains en diraient : Nous étions en sous-nombre, nous étions les nouveaux arrivants et nous avions fait les efforts suffisants pour nous intégrer à la ville. Antoine pouvait l’attester et, alors que nous nous battions, toute la ville pourrait le faire. Si j’avais insisté sur la sape de la réputation de Moreau, on aurait pu penser que nous l’avions fait exprès et les théoriciens du complot auraient gagné. Là, nous leur donnions très peu de grains à moudre et sans doute se retourneraient-ils contre les méchantes sorcières xénophobes. Nous avions gagné, quelque soit l’issue de la bataille. Nous avions gagné dés le moment où elles s’étaient décidées à attaquer. Ceci étant dit, j’espérais quand même que nous survivions pour avoir les fruits de notre victoire médiatique.
Un gigantesque bruit, comme une grue qui tombe au sol dans un chantier de construction, nous a tous cueillis dans notre bataille. J’ai été incapable de maintenir ma vue de Cannibale, vu que j’avais fait un bond en arrière de trois mètres. Sur la table du salon. Qui fort heureusement tint le coup mais j’ai vraiment eu peur de devoir rembourser cette table à Charles… Le second coup de butoir nous fit tous trembler par son ampleur et reculer à nos positions initiales. Sauf Mark, comme me l’apprit Sokol qui descendit de son perchoir pour m’en informer : Il avait même l’air plutôt fier de lui et assuré de la victoire.
- Vous savez pourquoi ? me demanda Sokol avec une pointe de peur dans la voix.
- Il a convoqué la Bête. Et vu son triomphe, c’est l’une des premières fois où elle répond aussi vite.
- Mais pourquoi ce bruit ?
- Elle doit se heurter à la barrière de Marie Laveau. Je crains qu’elle n’arrive à la briser, cependant…
- Uniquement en fonçant dessus ?
- Laveau a dû faire une barrière uniquement pour elle mais la seule chose qui peut l’affecter, c’est la force brute : La peur, le dégoût n’ont aucune prise sur elle, donc Laveau a fait un mur de briques.
- La plupart du temps, ça l’aurait arrêté, n’est-ce pas ? Quand une proie devient trop compliquée à attraper, on en change.
- Exact. Sauf qu’elle ne chasse pas, cette fois-ci. Elle vient récupérer quelque chose.
- Quoi ?
- Bon Dieu, si je le savais ! Mark n’a rien dans la main ? ou à la ceinture ? Ou n’importe lequel de ses prétoriens ?
- Rien d’exceptionnel, Excellence. A moins que la Bête ne supporte pas qu’on lui ai piqué son smartphone ?
Je l’ai regardé. Avec une profonde lassitude dans le regard et peut-être même une toute petite envie de meurtre qui a percé au niveau de l’iris supérieur droit… Peut-être… Quoiqu’il en soit, il est remonté aussi sec sans attendre ma réponse, ce qui, je pense, était de la plus élémentaire prudence. Me retournant alors qu’un troisième coup de boulet de démolition nous est parvenu au loin, je me suis demandé comment je pouvais éviter le massacre qui allait suivre si la Bête entrait dans la ville, car massacre il y aurait. Contrairement aux autres surnaturels ici présents, le gigantesque Loup-garou ne respecterait pas que la population se soit mise en position latérale de sécurité et en faucherait certains au passage.
Alors, j’ai lissé mon T-shirt, passé la main dans mes cheveux, m’étonnant encore une fois de ne pas pouvoir les tirer un peu mais plus assez de longueur… et je suis sorti par la fenêtre en mettant mes mains en l’air. Dom et Yuna m’ont regardé avec autant d’horreur que de surprise mais j’ai réussi à leur faire comprendre d’un signe de la tête qu’ils devaient rentrer dans la villa et ne plus en bouger. En toute honnêteté, je me suis demandé comment j’arrivais à rester aussi calme alors que les dernières balles et les derniers sorts achevaient de mourir à mes pieds, suite aux ordres de Mark et de Moreau qui hurlaient pour le cessez-le-feu. Je savais que dés qu’ils pourraient ne plus trouver d’avantage à me garder en vie, ces deux là déchaineraient les feux de l’enfer pour me tuer mais je savais aussi qu’ils avaient des troupes à rassurer et à conforter dans leur puissance les tièdes. Ils allaient donc essayer de m’humilier et ma reddition les rendait extatiques.
Je baissais les mains et me redressais avec un petit sourire : Je ne me rendais pas, je faisais un pari. Très audacieux, il est vrai, mais… Victor m’a toujours dit que la victoire n’est rien sans panache et que la défaite n’est qu’une absence de personnalité de la part du vaincu. Alors que Mark allait prendre la parole, je l’ai pris de court.
- Il est quand même un peu insultant de commencer la bataille sans votre général en chef.
- De quoi tu parles ?
- La Bête. Votre chef, le véritable Alpha de la Meute de la Bête. Tu n’es que son descendant, Mark. Et tu le sais aussi bien que moi.
Des fois, je m’en veux atrocement d’être aussi lent dans mes réflexions et j’en veux atrocement à mes deux spécialistes du complot d’être aussi lent que moi. L’alliance entre Moreau et Mark, l’enterrement d’une sainte, le sacrifice d’une Mère… Et merde. Les sorcières avaient besoin de puissance magique brute qu’elles tiraient des morts du cimetière Lafayette, enterrés de telle manière que les tombes devenaient des sortes de piles magiques, des générateurs auxquels les sorcières du Carré se connectaient pour accroitre leur puissance. Mark avait besoin d’être totalement et définitivement la Bête et d’asseoir sa domination, d’abords sur le Bayou, puis sur les autres meutes de la Bête et enfin… Le Fenris. La Bête devait mourir pour contenter ces deux là et je n’étais, après tout, qu’un tout petit engrenage dans la machination : Juste une protection supplémentaire grâce à mon sang de vampire, pour la Tombe de la plus meurtrière des créatures.
Ils avaient pris mon arrivée pour l’arrivée providentielle de l’excuse pour la guerre totale : Les vampires attaqueraient les loups du Fenris pour ma mort et Mark pourrait se pointer comme l’Alpha des Alphas providentiel pour les meutes qui se désengageraient du conflit. Je décidais de devenir le pire grain de sable possible.
- En vertu de ma propre position d’Alpha de… New York et de Maitre de la Ville de la Nouvelle-Orléans, je défie l’Alpha de la meute de la Bête. Le véritable Alpha.
J’aurais du avoir peur quand Mark et les prétoriens se mirent à hurler de rage et à couvrir la zone d’envie de meurtre, j’aurais du… Mais le hurlement de joie de Hunt couvrit toute cette cacophonie.
Tu l’as fait ! Tu l’as fait !
- Fait quoi ? Marmonnais-je.
Nous sommes l’Alpha ! Nous sommes une Meute, une vraie meute avec des gens et tout ! Je suis le point focal de MA Meute !
Est-ce que vous savez à quel point il est perturbant de sentir, non pas d’entendre mais de sentir, un loup courir partout en jappant dans votre tête ? Non, vous ne pouvez pas le savoir. Et bien, sachez-le, c’est très perturbant surtout quand une envie de participer à la fête vous prend et que vous vous mettez à vous incliner pour accueillir la charmante bestiole. Et puis… Il y a le moment où votre tête explose et que vous commencez à voir tout en bleu-gris et que vous percevez la surprise des membres de votre Meute. La surprise, un peu de colère et une vague de bien-être. C’était la première fois que je sentais l’unité d’une meute autour de moi et je crois que j’en aurais pleuré de soulagement. C’était chaud et agréable et c’était juste.
- Tu ne peux défier personne, Vampire ! Tu n’es pas un loup. Glapit Mark.
Évidemment, il fallait que ce connard me tire de mon petit moment de bien-être. Nous l’avons regardé dans les yeux, Hunt et moi, et nous avons eu la même réaction au même moment :
- Tu veux parier, Ducon ?
Sans que je sache comment j’avais fait, la main que je lui présentais s’était doté de vraies griffes, pas mes simulacres de sang et mes canines de vampire avaient fait place à de véritables crocs de loup.
Ça s’appelle une transformation partielle et normalement c’est très douloureux. De nous tous, seul Dom y arrivait de temps en temps mais il ne comptait pas trop dessus.
Je l’avais réussi du premier coup.
[1] FPS : First Personnal Shooter, Type de jeu de tir à la première personne et très populaire en multi-joueurs et en jeu par équipe selon trois modes. La domination, qui consiste à tuer tous les membres de l’équipe adverse, le king of the hill, qui consiste à capturer une position et à la tenir le plus longtemps possible et enfin le Capture the flag qui consiste à capturer un objectif mobile de l’équipe adverse et de le ramener dans son propre camp.
Peut-être même que Victor apprécierait un peu de torturer mentalement un petit escroc.
Quoiqu’il en soit, notre petite ballade n’avait pas seulement pour but d’exposer mon nouveau jouet mais de parader un peu. Maintenant que je pensais savoir ce que les sorcières me voulaient, il était temps de leur faire, métaphoriquement, renifler mes jupes et faire grimper les enchères. Le but était de leur forcer la main pour avoir des informations. Je me rendais donc chez Annabelle et ce, sans rendez-vous. Mon père disait toujours qu’il fallait prendre au dépourvu une source d’informations, ça rapporte plus.
C’est donc une jeune fille, toute ensommeillée, qui m’ouvrit la porte de la maison Moreau. Ce devait être la nouvelle héritière du Cercle et rien que pour ça, je lui dédiais un sourire avec les crocs sortis.
- Ma… Ma mère n’est… pas là. Bafouilla t’elle en ouvrant de grands yeux apeurés.
- Alors, j’attendrais son retour. La dame derrière moi prendra un café avec un nuage de lait, quant à moi, je le prendrais noir.
Et j’entrais en décalant la demoiselle, le plus naturellement du monde pour m’installer dans un petit salon décoré à la chinoise. Si Yuna préféra rester debout, je m’installais sur un divan et posais les pieds sur l’accoudoir. Quand Jeannette revint avec les deux cafés, elle tenta vainement d’engager la conversation mais Yuna la découragea d’un froncement de sourcils. Je surenchéris :
- Faites en sorte que votre mère se dépêche et nous vous laisserons retourner à votre sommeil. Et éviter qu’il ne devienne éternel.
Elle s’est enfuie de la pièce en courant, sans doute pour téléphoner. Yuna se tourna vers moi avec un drôle de sourire.
- Je ne te savais pas comme ça…
- J’ai été élevé comme un sale gosse, ma belle. Et Moreau me sort par les yeux.
- De là à terroriser sa fille ?
- Bah… ça lui mettra un peu de plomb dans la tête et ça engagera Moreau à aller un peu plus vite. Ce qui la laissera avec un plan d’action encore plus imparfait.
- Comment tu as eu son adresse ?
- Al.
- Le gamin ?
- Il est plus vieux que toi. Et ne le sous-estime jamais.
- Oui, Alpha.
Je soupirais en calant ma tête avec un coussin bleu.
- Ça va tellement me saouler cette histoire…
- Seigneur… Tu te plains vraiment d’être Alpha ?
- Les Cœurs de Meute n’ont pas d’ambition. J’en avais déjà pas en tant que Cannibale et ça ne s’est pas amélioré.
- Pourquoi ? Pourquoi ça te pompe à ce point ?
- Ça me fait peur.
Avant que j’aie pu avoir le temps de lui expliquer ma peur de décevoir et de ne pas être à la hauteur, le bruit de la porte d’entrée et le claquement de talons hauts nous ont fait dresser l’oreille. Yuna reposa sa tasse de café, qu’elle avait bu d’un trait et se plaça à côté de moi.
- Méfies-toi d’elle. Elle est aussi prévisible qu’un serpent.
Moreau entra avec suffisamment de colère dans les yeux pour provoquer un incendie alors que je lui souriais avec impertinence et que Yuna affichait la morgue d’un officier de police en faction.
- Annabelle ! Pardon de m’introduire chez vous sans invitation mais j’ai eu une envie folle de vous voir. Et… j’avais cru comprendre que vous étiez toujours prête à me fournir assistance… Me serais-je trompé ?
Le petit sourire de sale gosse que j’arborais démentait mon apparente politesse. Moreau crispa les doigts et marmonna quelque chose d’inintelligible. Malgré le fait qu’elle se préparait à lancer un sort, je restais parfaitement calme, sans doute parce que Hunt se préparait à lancer un cri de loup en contre. Pas sûr que Moreau aurait apprécié de se retrouver ventre à terre… Fort heureusement pour elle, elle interrompit le sort avant qu’il ne soit trop tard et reprit une face plus avenante.
- Je suis toujours prête à vous recevoir mais un simple mot m’aurait permis de vous recevoir encore mieux. Susurra-t-elle avec un air de doux reproche.
- Certes. Mais ce dont je dois vous entretenir est à la fois assez urgent et trop court pour mériter un véritable dîner. Mais je vous en prie, asseyez-vous. Vous êtes chez vous.
Je pouvais presque entendre Yuna se fendre la poire intérieurement. Les jeux de pouvoir et de domination sont les jeux les plus appréciés des Loups qui peuvent rire pendant des mois d’un bon mot. J’avais fini par comprendre pourquoi Hunt appréciait tant mon père vampirique : pour sa repartie.
Moreau enleva son manteau d’un geste rageur et prit place sur une petite bergère en face de moi.
- Donc… Quelle est donc la raison qui ne pouvait pas attendre ?
- Avant toute chose, laissez-moi vous présenter le nouveau joyau de ma couronne. Yukiko est la petite dernière de la plus terrible des créatures sur cette terre. Et elle est mienne.
Malgré ses efforts, Moreau ne masqua pas totalement sa surprise, surtout aux yeux de deux loups qui lisaient les émotions sans problème.
- Oh… Avez-vous prévenu l’Alpha du Bayou de cette… Acquisition ?
- Pourquoi faire ? Mon… Frère n’a aucune incidence sur mes affaires. Par contre… Je risque d’en provoquer beaucoup sur les siennes… Bah, tant pis. Ce sont les risques du métier.
- Des… Incidences ?
- Ma très chère Yukiko m’a fait comprendre quelque chose par sa seule présence que… Comment dire… Nous sommes en présence d’un conflit d’intérêts. Les miens et ceux de mon frère.
- Euh mais… Vous êtes le Maitre de la Ville et Manahan, l’Alpha du Bayou. Vos intérêts sont parallèles et non convergents.
- C’est ce que j’ai cru. Mais… j’ai faim. Et j’ai un appétit démentiel. Mon avantage, l’avantage de tous, en fait, est que mon frère m’a fort bien préparé le terrain. Je me souviendrais de lui avec tendresse…
Pour le coup, Moreau n’essaya même pas de cacher ses émotions et l’horreur de la situation lui déforma les traits : Je venais tranquillement de déclarer une guerre, ou plutôt un défi à l’Alpha. Tout ce qu’elle avait prévu, tout ce qu’elle avait construit, je venais le balayer d’un coup de pied. Cela dit, j’étais très curieux de sa réaction : Allait-elle rester sous le choc ? Non, je ne la voyais pas se rouler en boule sous les coups. Peut-être allait-elle changer son alliance ou défendre Mark ? J’étais impatient de le savoir et c’est pour cela que j’assénais le coup de grâce.
- Il va sans dire que c’est la raison de ma venue. Je ne m’imaginais pas semer le chaos à vos portes sans vous laisser le temps de vous mettre à l’abri. Simple courtoisie entre voisins. Allons, j’ai déjà trop abusé de votre hospitalité.
Je me suis relevé d’un bond et je lui ais souri à nouveau.
- Oh, et mes félicitations pour votre fille, elle est tout à fait charmante… Il faudra que je songe à l’inviter à dîner… Avec votre permission, bien sur.
Et je suis sorti avec Yuna sur mes talons et un sourire insolent. Tellement insolent que notre jolie blonde m’a choppé par le bras, trois rues plus loin, pour me murmurer :
- Avoue que tu as joui dans ton pantalon.
- Oui, va falloir que je change de caleçon…
- Et après ça, tu n’aimes pas la politique…
- Le souci avec la politique, c’est que je ne suis pas encore assez bon pour faire ça à chaque fois. Et que le reste de la politique m’emmerde. A ton avis, combien de temps avant que les chiens du Bayou ne rappliquent ?
- Deux heures… Pas plus de trois.
- Alors… faisons en sorte de les accueillir dignement.
En toute honnêteté, tout ce plan avait été décidé en urgence et dans une fièvre étrange. Yuna nous avait suivis avec délectation dans les préparations de la défense de la Villa et nous avions prévenu le légitime propriétaire qu’il risquait d’y avoir de la casse. Charles m’a donc fait parvenir l’inventaire complet pour que je puisse remplacer, à mes frais, les dégâts. Mais tout ça avait un seul but. Je me fichais royalement de prendre possession de la Nouvelle- Orléans, tant sur le plan Vampire que sur le plan Garou. Cependant, si je pouvais forcer les sorcières et le Bayou à accélérer leur plan et, ainsi, le faire foirer, ça m’allait parfaitement. Je me doutais que Mark utiliserait ce qu’il avait volé pour attirer la Bête et la faire combattre. Je comptais un peu sur mon intuition magique selon laquelle les anciennes sorcières avaient érigé une barrière contre elle et que l’effet de surprise serait manqué. Sinon… Sinon, on ferait ça à l’ancienne et il faudrait que je la retourne contre le Bayou. Possible… Difficile, très difficile, mais possible…
Hunt était confiant. Je l’étais beaucoup moins, tout simplement parce que j’étais entrainé à combattre des vampires et non des garous et des sorcières. Sans oublier que ma réaction face à la Bête risquait de me reprendre au pire moment.
Nous rentrâmes à la villa aussi vite qu’il était possible sans avoir l’air d’être pressés. Je passais même chez Antoine pour lui indiquer qu’il valait mieux qu’il reste chez lui et bien planqué. Il me comprit sans problème et me souhaita bonne chance. Malgré toutes ses connaissances et sa longue expérience de la ville, il a été incapable de me dire où résidait Sokol. J’aurais voulu le prévenir et le mettre à l’abri mais j’espérais qu’il s’en soit rendu compte tout seul. Aussi fus-je particulièrement surpris de la voir m’attendre dans le petit salon avec Simon qui nettoyait ses trois fusils.
- Bonsoir, Excellence.
- Mais qu’est-ce que vous foutez là ?
- Oh, je sais que je n’ai pas été convoqué mais… S’il m’est permis d’assister à la petite fête de ce soir, je vous promets d’être aussi efficace et discret que vous pourriez le souhaiter.
Je suis resté… tout con pendant deux minutes. A l’intérieur de mon crâne, Hunt jappait et sautait partout.
- Comment…
- Je le sais ? Simple ! Votre petite déclaration de guerre a été relayée aussi vite qu’il était possible et je me trouvais à côté de Maria Sandovar Laveau, la spécialiste des funérailles magiques du cercle. (Il soupira) Ses pensées étaient tellement fortes que j’ai frôlé la migraine.
- Comment ça ?
- Elle était au téléphone avec Annabelle Moreau et essayait de rester la plus concise possible pour décourager les possibles espions mais en faisant ça, elle pensait très fort. D’où la migraine. Si vous vous posiez la question, Annabelle a battu le rappel. Mais… les troupes sont plus réticentes que prévu.
- C’était le but.
- Ça a marché. Les tièdes reculent et la moitié des convaincues négocient leur participation. Vu comment Maria pâlissait à vue d’œil, Moreau devait être en train de lui hurler les pires horreurs à l’oreille.
- Merci d’avoir illuminé ma soirée, Levant…
Je posais ma veste sur une chaise et levait les yeux vers Sokol qui avait le sourire d’un gamin offrant une fleur à sa mère. J’ai eu presque honte de lui casser la baraque.
- Mais vous ne pouvez pas rester. C’est trop dangereux.
Il ne s’est pas départi de son sourire.
- Je suis un soldat, vous savez. Enfin… J’en étais un. Et je sais me battre.
- Il va y avoir la Meute du Bayou…
- Justement ! Excellence… Je veux participer à la bataille… Ne me rejetez pas. S’il vous plait…
- Assis.
J’ai attendu qu’il prenne place dans le fauteuil le plus proche avant de m’adosser à la table.
- Sokol… Je ne peux pas vous demander de vous battre pour moi. Ce serait malhonnête de ma part.
- Parce que vous n’êtes pas réellement le Maitre de la Ville et que tout ça était une manœuvre pour attraper la Bête légendaire ?
Il y a des fois… Il y a des fois où j’ai envie de me taper la tête contre les murs. Sokol était un Ménorath liseur d’esprits, je l’avais engagé pour ça. J’aurais dû savoir que j’avais été la première personne qu’il avait scannée en profondeur.
- Oh non… Ne vous inquiétez pas. Je ne peux lire que vos pensées superficielles et… Comment expliquer ça… Disons que vos pensées profondes sont recouvertes par un sacré bruit. Votre Loup, je suppose.
- Quoi ?
- Je n’ai ce problème qu’avec les garous dissociés, l’esprit animal rentre en cacophonie et je n’entends rien d’autre qu’un grondement.
Je regrette qu’il ne m’entende pas…
- Vous saviez depuis le début.
- Non… Mais assez vite, j’ai recoupé les bribes éparses que le reste de la Cour a laissé échapper.
- On t’avait prévenu, Boss… Intervint Simon.
- Oui, oh, ça va…
- Ne vous en faites pas. J’ai aussi mes raisons de vous suivre.
C’est à ce moment-là que j’ai compris le troisième du triumvirat vampirique n’avait pas bougé pour une bonne raison. Il avait bougé et avait envoyé un observateur pour vérifier ce que nous faisions.
- Il en est content ?
- Il ne m’a pas demandé d’intervenir. Non que ça aurait servi à quelque chose puisque tous ici auraient pu m’en empêcher.
- Et l’agent d’Atra vous aurait tué.
Il a cillé un instant et à repris son sourire.
- Je vois… Je me demandais pourquoi il était si compliqué à lire.
- Quelle sera votre récompense pour ce… travail de vérification ?
- La paix et la liberté.
- Je vous demande pardon ?
- Puis-je m’asseoir ?
Je lui ai autorisé cette petite faveur d’un geste de la main. Il s’est assis juste à coté de Simon me laissant un peu perplexe mais je compris vite qu’il se mettait à sa merci pour me rassurer.
- La lignée de Ménorath est… Disons prisonnière d’une règle bien particulière. Deux cents années de service à nos plus vieux vampires pour prouver que nous pouvons survivre seuls. J’ai… La malchance ou la chance d’avoir été repéré par Ménorath lui-même.
- Vous lui avez servi d’Oracle.
- D’une certaine manière, oui. Les devoirs, sans avoir le titre ni même les droits. Quoiqu’il en soit, c’est ma dernière mission.
- Me surveiller.
- Non. Ménorath, comme tous les Grands, a une passion démesurée pour son fief même s’il n’y passe que très rarement. Or le nouveau Conclave des sorcières du Carré l’ennuie à un point difficilement atteignable. Ma mission est de changer les choses pour qu’elles deviennent plus conformes à ses attentes.
- Et je suis arrivé…
- Et ma mission s’en est trouvée tellement facilitée ! Soyons honnêtes, je sais me battre mais j’aurais été totalement incapable de faire moi-même le ménage. Toute votre équipe, par contre…
- Et… Je répète ma question, vous y gagnez quoi ?
- Je ne suivrais aucun ordre… A part ceux que je choisirais de suivre, bien sur.
- Et… moi ? Qu’est-ce que j’y gagne ?
Il accentua son sourire et se cala contre le canapé.
- Une sortie diplomatique de cette situation usurpée. Tout redeviendra à la normale et vous ne devrez rien à personne. Au contraire… Ménorath pourrait vous attribuer une faveur, ce qu’il ne fait pas souvent.
- Hum…
- A une seule condition. Que cette faveur ne soit pas transférée à Sigur.
J’ai souri à mon tour. Les Grands n’ont jamais supporté de se devoir des choses et je savais que Papa vampire aurait fait payer le prix fort rien que pour énerver son collègue. Est-ce que je pouvais vraiment prendre cette faveur à mon compte et faire en sorte que Ménorath ne se rende pas compte qu’il la faisait à mon père ? En toute honnêteté, je n’avais rien à demander puisque j’étais pleinement satisfait de ma condition. Mais je me doutais que le Pilleur d’esprits saurait que j’essayerai de le rouler. Et puis… Avoir une faveur en suspend pouvait m’être utile, surtout que je pourrais en avoir besoin au pire moment.
Je repris sur le sujet qui me préoccupait depuis le début :
- Vous savez que je ne pourrais pas vous protéger ? Ni même demander à ma meute de le faire ?
- Est-ce vraiment ce qui vous inquiète ? me demanda-t-il vraiment surpris.
- Oui.
Derrière lui, Simon a souri. Il savait parfaitement pourquoi le moindre mal fait à Sokol m’enrageait à l’avance : Je l’aimais bien et le Cœur de Meute que je suis a une tendance à faire dans la protection de trop, quitte à être pénible. Ceux qui sont sous ma charge doivent vivre heureux et en bonne santé. Je suppose que ça fait de moi un très mauvais Maitre de Ville.
- Et bien, je vous le répète, je sais me battre. Et la moindre des choses que je puisse faire est de vous assister dans cette bataille.
- Bon. (Je me tournais vers Simon.) On le met où ?
- Hum… Avec Ash, histoire qu’il nous fasse de la frappe de précision.
Je fis signe à Sokol de monter à l’étage, là ou Ash avait pris position pour initier les tirs de barrage. Je savais que Simon les rejoindrait sous peu pour éclaircir un peu les rangs des prétoriens et le reste devait rester au rez-de-chaussée pour les maintenir dans la zone de tir. Quant à moi… Et bien, en termes de jeu vidéo et particulièrement de FPS[1], j’étais le drapeau ou l’otage. Évidemment, je pouvais me cacher quelque part et attendre que ça se termine mais ça risquait de mettre en péril mon équipe plus que je ne pouvais l’admettre et peut-être même à amener la Meute du Bayou à aller me chercher ailleurs. Ce n’était pas mon but. J’avais besoin que l’attention soit focalisée sur moi afin qu’Allegro puisse les prendre à revers. Maintenant que je me retrouvais tout seul dans le salon, je voyais la faiblesse de notre plan. A notre avantage, Mark n’aurait pas eu le temps de placer une bombe sous nos pieds pour terminer la bataille en une seule action… Mais je ne suis toujours pas sûr que Mark fut assez intelligent pour y penser.
Dans le salon, donc, je prenais ma huitième tasse de café de la soirée, c’est-à-dire la huitième en environ trois heures. Je crois que c’est à ce moment-là que je me suis rendu compte que je développais une addiction à la caféine qui était pour le moins étonnante puisque, avant de devenir un surnaturel, j’étais un homme à thé. Thé vert à la menthe, pour être exact. Et bière, beaucoup de bière mais pas les bières américaines parce que je les trouvais très fades, plutôt les bières anglaises et évidemment, la Guinness. Maintenant, à chaque fois que je veux me faire un thé à la menthe, je me retrouve avec un cappuccino dans la main et la bière me pique tellement le nez que je repose la chope le plus loin possible de moi. Pour la bière, je me doute que c’est un problème fort naturel au final : mon nez étant devenu aussi sensible que celui d’un canidé, ce qui, autrefois, me chatouillait le nez de manière délicieuse me pique atrocement maintenant et AUCUN garou ne boit de bière. Sauf… Ouais, Sauf l’engeance du diable mais lui… Je l’aime, là n’est pas la question, mais il est aussi taré que moi et je ne suis pas une référence.
Une impression délétère m’a saisi à la gorge et je reposais ma tasse à moitié pleine. Je pensais que Mark n’enverrait pas d’envie de meurtre mais ça venait peut-être des prétoriens ? Aucune idée et au final, je m’en fichais un peu. Ça commençait.
- Show time…
Il y a une chose qui m’étonnera toujours à propos de la Nouvelle-Orléans : Son flegme. Elysian fields était devenu un champ de bataille pour surnaturels et pas une seule fois nous n’avons entendu de sirènes de police ou de cris d’humains innocents. Tout le monde s’était barricadé et restait parfaitement silencieux le temps que tout ce bazar se termine. J’ignore encore qui a installé ce climat étrange mais pour le coup, ça m’arrangeait bien. Je ne me voyais vraiment pas gérer les dommages collatéraux dans ce foutoir. Je m’explique.
De notre côté, nous avions un lance-flammes et une visée à esprits, soit Ash et Sokol. Nous avions un tireur d’élite en la personne de Simon qui malheureusement n’avait aucune protection et campait sur le toit. Nous avions un assassin qui, pour le moment, n’avait pas bougé et attendait l’ouverture qui serait la plus meurtrière. Nous avions Dom et Yuna qui tenait la porte, principalement notre officier de police qui faisait du tir de barrage. Nous avions un joker en la personne d’Azul qui, jusque-là, s’était contenté de protections nécromantiques et de quelques mines magiques mais qui semblait avoir envie de laisser sortir le dragon et de boulotter tout le monde. Et nous avions moi… Qui attendait le moment où je pourrais utiliser mes quelques capacités. En face, nous avions Mark et cinq prétoriens, et Moreau avec une vingtaine de sorcières. Le rappel des troupes avait été plus efficace que prévu mais je ne m’inquiétais pas trop puisque, peut-être pour la première fois, certaines sorcières verraient la meute du Bayou à l’œuvre. Pas dit que ça leur plaise beaucoup.
J’essayais de me concentrer sur les auras en oubliant les murs, ainsi qu’on l’avait enseigné au Cannibale que je suis. Néanmoins, tout était brouillé et je n’arrivais pas à savoir si c’était à cause de la couche de marbre qui me séparait de la bataille ou si c’était vraiment confus de l’autre coté. Peut-être les deux mais j’enrageais de ne pas mieux voir, surtout que la vision par aura est particulièrement chatoyante voire psychédélique quand la magie entre en jeu. Et je vous prie de me croire que personne ne se privait.
Je sais qu’il peut paraitre étrange que nous nous battions, entre surnaturels, en plein jour. Plutôt en pleine nuit mais vous voyez ce que je veux dire. Contrairement à ce que pensaient Sokol et Yuna, j’avais calculé cette attaque en prévision de ce que les humains en diraient : Nous étions en sous-nombre, nous étions les nouveaux arrivants et nous avions fait les efforts suffisants pour nous intégrer à la ville. Antoine pouvait l’attester et, alors que nous nous battions, toute la ville pourrait le faire. Si j’avais insisté sur la sape de la réputation de Moreau, on aurait pu penser que nous l’avions fait exprès et les théoriciens du complot auraient gagné. Là, nous leur donnions très peu de grains à moudre et sans doute se retourneraient-ils contre les méchantes sorcières xénophobes. Nous avions gagné, quelque soit l’issue de la bataille. Nous avions gagné dés le moment où elles s’étaient décidées à attaquer. Ceci étant dit, j’espérais quand même que nous survivions pour avoir les fruits de notre victoire médiatique.
Un gigantesque bruit, comme une grue qui tombe au sol dans un chantier de construction, nous a tous cueillis dans notre bataille. J’ai été incapable de maintenir ma vue de Cannibale, vu que j’avais fait un bond en arrière de trois mètres. Sur la table du salon. Qui fort heureusement tint le coup mais j’ai vraiment eu peur de devoir rembourser cette table à Charles… Le second coup de butoir nous fit tous trembler par son ampleur et reculer à nos positions initiales. Sauf Mark, comme me l’apprit Sokol qui descendit de son perchoir pour m’en informer : Il avait même l’air plutôt fier de lui et assuré de la victoire.
- Vous savez pourquoi ? me demanda Sokol avec une pointe de peur dans la voix.
- Il a convoqué la Bête. Et vu son triomphe, c’est l’une des premières fois où elle répond aussi vite.
- Mais pourquoi ce bruit ?
- Elle doit se heurter à la barrière de Marie Laveau. Je crains qu’elle n’arrive à la briser, cependant…
- Uniquement en fonçant dessus ?
- Laveau a dû faire une barrière uniquement pour elle mais la seule chose qui peut l’affecter, c’est la force brute : La peur, le dégoût n’ont aucune prise sur elle, donc Laveau a fait un mur de briques.
- La plupart du temps, ça l’aurait arrêté, n’est-ce pas ? Quand une proie devient trop compliquée à attraper, on en change.
- Exact. Sauf qu’elle ne chasse pas, cette fois-ci. Elle vient récupérer quelque chose.
- Quoi ?
- Bon Dieu, si je le savais ! Mark n’a rien dans la main ? ou à la ceinture ? Ou n’importe lequel de ses prétoriens ?
- Rien d’exceptionnel, Excellence. A moins que la Bête ne supporte pas qu’on lui ai piqué son smartphone ?
Je l’ai regardé. Avec une profonde lassitude dans le regard et peut-être même une toute petite envie de meurtre qui a percé au niveau de l’iris supérieur droit… Peut-être… Quoiqu’il en soit, il est remonté aussi sec sans attendre ma réponse, ce qui, je pense, était de la plus élémentaire prudence. Me retournant alors qu’un troisième coup de boulet de démolition nous est parvenu au loin, je me suis demandé comment je pouvais éviter le massacre qui allait suivre si la Bête entrait dans la ville, car massacre il y aurait. Contrairement aux autres surnaturels ici présents, le gigantesque Loup-garou ne respecterait pas que la population se soit mise en position latérale de sécurité et en faucherait certains au passage.
Alors, j’ai lissé mon T-shirt, passé la main dans mes cheveux, m’étonnant encore une fois de ne pas pouvoir les tirer un peu mais plus assez de longueur… et je suis sorti par la fenêtre en mettant mes mains en l’air. Dom et Yuna m’ont regardé avec autant d’horreur que de surprise mais j’ai réussi à leur faire comprendre d’un signe de la tête qu’ils devaient rentrer dans la villa et ne plus en bouger. En toute honnêteté, je me suis demandé comment j’arrivais à rester aussi calme alors que les dernières balles et les derniers sorts achevaient de mourir à mes pieds, suite aux ordres de Mark et de Moreau qui hurlaient pour le cessez-le-feu. Je savais que dés qu’ils pourraient ne plus trouver d’avantage à me garder en vie, ces deux là déchaineraient les feux de l’enfer pour me tuer mais je savais aussi qu’ils avaient des troupes à rassurer et à conforter dans leur puissance les tièdes. Ils allaient donc essayer de m’humilier et ma reddition les rendait extatiques.
Je baissais les mains et me redressais avec un petit sourire : Je ne me rendais pas, je faisais un pari. Très audacieux, il est vrai, mais… Victor m’a toujours dit que la victoire n’est rien sans panache et que la défaite n’est qu’une absence de personnalité de la part du vaincu. Alors que Mark allait prendre la parole, je l’ai pris de court.
- Il est quand même un peu insultant de commencer la bataille sans votre général en chef.
- De quoi tu parles ?
- La Bête. Votre chef, le véritable Alpha de la Meute de la Bête. Tu n’es que son descendant, Mark. Et tu le sais aussi bien que moi.
Des fois, je m’en veux atrocement d’être aussi lent dans mes réflexions et j’en veux atrocement à mes deux spécialistes du complot d’être aussi lent que moi. L’alliance entre Moreau et Mark, l’enterrement d’une sainte, le sacrifice d’une Mère… Et merde. Les sorcières avaient besoin de puissance magique brute qu’elles tiraient des morts du cimetière Lafayette, enterrés de telle manière que les tombes devenaient des sortes de piles magiques, des générateurs auxquels les sorcières du Carré se connectaient pour accroitre leur puissance. Mark avait besoin d’être totalement et définitivement la Bête et d’asseoir sa domination, d’abords sur le Bayou, puis sur les autres meutes de la Bête et enfin… Le Fenris. La Bête devait mourir pour contenter ces deux là et je n’étais, après tout, qu’un tout petit engrenage dans la machination : Juste une protection supplémentaire grâce à mon sang de vampire, pour la Tombe de la plus meurtrière des créatures.
Ils avaient pris mon arrivée pour l’arrivée providentielle de l’excuse pour la guerre totale : Les vampires attaqueraient les loups du Fenris pour ma mort et Mark pourrait se pointer comme l’Alpha des Alphas providentiel pour les meutes qui se désengageraient du conflit. Je décidais de devenir le pire grain de sable possible.
- En vertu de ma propre position d’Alpha de… New York et de Maitre de la Ville de la Nouvelle-Orléans, je défie l’Alpha de la meute de la Bête. Le véritable Alpha.
J’aurais du avoir peur quand Mark et les prétoriens se mirent à hurler de rage et à couvrir la zone d’envie de meurtre, j’aurais du… Mais le hurlement de joie de Hunt couvrit toute cette cacophonie.
Tu l’as fait ! Tu l’as fait !
- Fait quoi ? Marmonnais-je.
Nous sommes l’Alpha ! Nous sommes une Meute, une vraie meute avec des gens et tout ! Je suis le point focal de MA Meute !
Est-ce que vous savez à quel point il est perturbant de sentir, non pas d’entendre mais de sentir, un loup courir partout en jappant dans votre tête ? Non, vous ne pouvez pas le savoir. Et bien, sachez-le, c’est très perturbant surtout quand une envie de participer à la fête vous prend et que vous vous mettez à vous incliner pour accueillir la charmante bestiole. Et puis… Il y a le moment où votre tête explose et que vous commencez à voir tout en bleu-gris et que vous percevez la surprise des membres de votre Meute. La surprise, un peu de colère et une vague de bien-être. C’était la première fois que je sentais l’unité d’une meute autour de moi et je crois que j’en aurais pleuré de soulagement. C’était chaud et agréable et c’était juste.
- Tu ne peux défier personne, Vampire ! Tu n’es pas un loup. Glapit Mark.
Évidemment, il fallait que ce connard me tire de mon petit moment de bien-être. Nous l’avons regardé dans les yeux, Hunt et moi, et nous avons eu la même réaction au même moment :
- Tu veux parier, Ducon ?
Sans que je sache comment j’avais fait, la main que je lui présentais s’était doté de vraies griffes, pas mes simulacres de sang et mes canines de vampire avaient fait place à de véritables crocs de loup.
Ça s’appelle une transformation partielle et normalement c’est très douloureux. De nous tous, seul Dom y arrivait de temps en temps mais il ne comptait pas trop dessus.
Je l’avais réussi du premier coup.
[1] FPS : First Personnal Shooter, Type de jeu de tir à la première personne et très populaire en multi-joueurs et en jeu par équipe selon trois modes. La domination, qui consiste à tuer tous les membres de l’équipe adverse, le king of the hill, qui consiste à capturer une position et à la tenir le plus longtemps possible et enfin le Capture the flag qui consiste à capturer un objectif mobile de l’équipe adverse et de le ramener dans son propre camp.