Chapitre 4: Within Us.
Dans le monde vampirique, il n’y a qu’une seule catégorie qui peut se permettre de convoquer un Cannibale sans que celui ne décide de faire un carnage sur la personne qui a osé faire ça. Il faut cependant préciser que votre serviteur, moi, a fait une énorme connerie peu de temps après avoir accepté le Louveteau dans ma tête. Durant la période où je n’étais qu’un Cannibale, j’avais croisé les autres de loin et j’en avais conçu une terreur bien légitime. Vous voulez savoir pourquoi Victor était si heureux de m’avoir comme Cannibale ? Oh, c’est simple. Sa lignée était en perdition à cause de la partie inconnue dont je suis l’héritier. Si Sigur avait menti pendant des siècles sur cette partie, c’était simplement pour éviter son éradication. Tant que les Cannibales étaient communs à tous, tout allait bien. Mais Sigur savait qu’à un moment, ça allait lui exploser à la figure. Par contre, la bombe en elle-même, il ne l’avait pas vu venir. A la merci des Oracles, les Cannibales avaient perdu au fil des années ce qui faisait d’eux des vampires d’exception pour ne plus être que les monstres sous le lit qu’on lâchait sur les ennemis qu’on avait. De la chair à canon de luxe. Sigur ne m’a pas envoyé vers les autres pour une très bonne raison, je devais être le premier de la nouvelle lignée de Cannibales, une lignée qui n’était qu’exclusivement aux ordres des Grands. Résultat… En deux ans, j’ai… bouffé l’intégralité de la lignée précédente… à une seule exception, Clara, qui se cachait derrière son statut de Maitresse de Ville.
Voilà. Je suis le seul Cannibale encore en activité. Donc, quand un Grand me convoque, je suis dans l’obligation de faire diligence. Jusqu’ici, seul Victor avait usé de cette prérogative, parfois juste pour le plaisir de m’emmerder. Et je dois avouer que ça ne m’emmerde pas tant que ça, c’est juste notre manière de communiquer : Je râle, il fait en sorte de me faire râler, on se dispute et on repart chacun avec le sourire. Ne cherchez pas… Oui, notre santé mentale est en vacances perpétuelles mais c’est comme ça qu’on fonctionne et j’interdis à quiconque d’y trouver à redire.
Mais cette fois-ci, ce n’était pas Sigur qui m’avait appelé et c’était bien dommage… Que dire sur le Grand qui m’avait convoqué… Et bien, à l’époque, je ne l’avais jamais rencontré et les rumeurs sur son compte étaient étonnamment peu nombreuses. Sigur et Menorath étaient les plus connus parce qu’ils avaient fait en sorte de se faire connaitre très vite, Papa en premier, bien sur. Pour Atra, c’était totalement différent. Plus ce Grand Prédateur restait dans l’ombre, plus elle en était heureuse. Je dis « elle » mais à l’époque, j’étais persuadé que c’était un homme. C’est donc autant par obligation que par pure curiosité que j’ai pris mon billet pour Sapporo au Japon. J’ignore comment la répartition s’était faite mais chaque Grand avait son continent. Sigur en Europe, Menorath aux Amériques et Atra en Asie.
Normalement, et si j’en avais eu le temps, j’aurais affrété un avion pour moi tout seul. Même si l’humanité avait plus ou moins admis notre existence, notre présence demeurait problématique surtout dans l’espace clos d’un avion. Pourtant, jusqu’ici, il n’y avait eu aucun incident qui aurait justifié cette méfiance mais l’humanité étant ce qu’elle était, nous nous pliions à leur peur. Cette fois-ci, je n’avais pas le temps de faire le diplomate et d’être aimable. De plus, il aurait fallu que je demande à Victor de mettre en branle ses contacts. Or, pour éviter les guerres entre Grands, il faut parfois les prendre au dépourvu. C’est donc alors que j’attendais mon avion à JFK, que je l’ai appelé pour lui transmettre la nouvelle par téléphone:
- J’ai été convoqué.
J’adore provoquer un blanc même si Victor s’est repris plutôt vite.
- Lequel des deux ? A-t-il grogné.
- Tu sais très bien que je n’ai pas le droit de te le dire…
- Alors, où tu vas ?
- Ca non plus, j’ai pas le droit de te le dire… Écoutes, je voulais juste te prévenir pour que tu t’inquiètes pas.
- C’est complètement raté ! Bon, écoutes, voilà ce qu’on va faire…
- Navré de te couper, Papounet, mais j’embarque dans cinq minutes et tu sais combien ils sont pénibles à JFK. Tu feras une bise à Clara de ma part !
Et j’ai raccroché. Voilà comment je fais pour tout dévoiler sans dire la vérité. Méthode Faë testée et approuvée ! Pour savoir où j’allais et donc connaître la personne que j’allais rencontrer, il lui suffisait de rechercher l’avion dont l’embarquement allait avoir lieu à JFK dans cinq minutes. Je faisais confiance à Victor pour trouver. Nul doute que j’allais recevoir un message assez salé de sa part au palais d’Atra.
Ah oui… Le terme de Palais pour un Grand… Un bien vaste terme pour l’habitation d’un vampire. Le palais se déplaçait avec eux où qu’ils aillent. J’ignorais ce qu’il en était pour Menorath mais Papounet d’amour faisait exprès de toujours terminer sa nuit dans un endroit somptueux. Quant à Atra, elle ne se déplaçait pas de son lieu d’élection. En l’occurrence, son palais souterrain était magnifique si on aimait le style japonais. J’ignorais comment Atra faisait pour entretenir autant de vampires dans son palais, surtout sans que les autorités du coin soient au courant, mais leur nombre était tout aussi impressionnant que les cavernes aménagées en château Japonais du XVI éme siècle. Les serviteurs, puisque telle était leur seule fonction manifestement, ne semblaient éprouver aucune crainte en ma présence, ce qui était en soi assez perturbant. La plupart des cours qui m’accueillaient avaient ce petit frisson d’inconfort en me voyant arriver. Trois guides me menèrent auprès de la Très Grande Atra dans un petit salon où elle était étendue sur une ottomane tendue de soie rouge.
Que dire d’Atra, une seconde fois ? C’est une femme absolument magnifique. En tout points. La première chose qui vous frappait était l’éclat de ses yeux. Si les miens étaient devenus presque blancs suite à ma transformation, les siens étaient un kaléidoscope de bleus tournoyant autour de la pupille et comme éclairés de l’intérieur. Un tourbillon qui vous emportait l’âme si on n’y prenait pas garde. Elle devait connaître le pouvoir de ses yeux car une très grande partie de sa communication ne se passait que par le regard. Au moment où je suis entrée dans son salon de réception, elle m’étudia comme un insecte sous le microscope mais un insecte particulièrement venimeux. L’examen dut être à mon avantage puisqu’elle baissa les yeux sur un fauteuil qui avait disposé à sa gauche, m’invitant ainsi à prendre place. Si ç’avait été Victor qui m’avait accueilli de cette manière, j’aurais interprété son silence comme un ordre à faire de même. Avec Atra, mystère… Voulait-elle une courbette protocolaire ? Un compliment en bonne et due forme que Charles m’avait appris à moduler à volonté pour impressionner les Maitres de Ville avant de leur trancher la gorge ? Aucune idée. Aussi me suis-je contenté de prendre place et de dire :
- B’jour, M’dame.
Elle a eu un sourire qui aurait absolument charmant si la lueur glacée de ses yeux n’avait pas quelque peu démenti l’amusement.
- Il m’avait prévenu que tu serais insolent.
- Et encore… Je peux faire bien pire.
- Je sais.
Elle se tut à nouveau pour m’observer et j’avoue avoir commencé à trouver ça gênant. Est-ce que c’était une manie spécifique aux Grands de m’amener à avoir envie de me trancher les veines. Ce qui, en passant, est parfaitement inutile, vu à la vitesse où mes plaies se referment.
- Vous savez qu’un jour ça va me prendre de charger l’un d’entre vous pour lui arracher la gorge ?
- Oh, je n’en doute pas. Peut-être même que tu réussiras à tuer l’un de nous trois et à prendre sa place. Et à ce moment-là, que feras-tu de notre pouvoir ?
- Touché… ais-je marmonné en me rendant compte que ce serait encore pire avec moi à la tête d’une lignée.
- Bien. Maintenant que ce fait est établi, porte-moi. J’ai quelque chose à te montrer.
- Vous… porter…
- Oui, me porter. Allez ! Contrairement à moi, tu n’as pas toute la nuit.
J’ai soupiré en levant les yeux au ciel mais la cour d’Atra n’étant pas habituée à mes marques d’exaspération avant massacre, ça n’a pas provoqué le frisson généralisé que j’attendais. Preuve s’il en fallait encore que j’avais du Lobbying à faire ici. La question était : Qui tuer pour en éparpiller les morceaux sur les estampes pour qu’on comprenne que je n’aimais pas qu’on se foute de ma gueule ? Cependant, vu l’apathie généralisée de la cour en question, je pense que j’aurais pu remplir de sang la fontaine que j’entendais trois salles plus loin sans que les servants d’Atra ne bougent un cil. Je l’ai donc prise dans mes bras et je n’ai pu m’empêcher d’admirer ses jambes.
- Nous allons à l’étage. Je te guiderais.
- Je pourrais savoir le pourquoi de cette demande ? Enfin, vous savez marcher quand même !
- Laisse à une vieille femme le plaisir d’être traitée comme une princesse par un jeune homme…
Devais-je préciser que son apparence était à peine adulte ? Sans doute pas.
- Bon dieu, qu’est-ce qu’il faut pas entendre…
Ceci étant dit, je suis sur qu’à une époque, j’aurais tué pour tenir une telle femme dans mes bras et provoquer la jalousie de tous ceux qui m’auraient regardé. Elle voulait être une Princesse ? Elle l’était déjà. De ses cheveux longs et bruns aux reflets roux, de sa taille fine jusqu’à ses jambes qui auraient fait crever de jalousie n’importe quelle femme, mais le plus important, elle était royale jusqu’au bout des ongles.
Au bout d’une dizaine de minutes où elle me guidait de la main, tout en ayant posé la tête contre ma poitrine, nous arrivâmes trois niveaux plus haut et l’odeur m’incommodait de plus en plus. Comprenez-moi bien. Ou plutôt, comprenez-nous. Les Loups, en fait, tous les métamorphes canins, sont dotés d’un odorat qui défie toute concurrence. Une des louves de la meute du Fenris fait d’ailleurs office de Nez pour une grande boite de parfumerie. Maintenant, souvenez-vous que les vampires sentent le sang, ou plutôt un effluve métallique, et que, en bon carnivore de la famille de l’Homo Lupus, le sang a tendance à me donner faim. Sauf dans un cas : Un prédateur bien nourri ne se contente pas de charogne, surtout quand il peut avoir de la viande fraiche à volonté. Donc, l’odeur de la pourriture me donnait la nausée. La salle, qu’un des servants zombies de la Grande Atra ouvrit pour nous, était remplie de cadavres qui avaient une bonne semaine de décomposition dans les dents. Il était cependant évident qu’aucun des humains n’avait été tué ici.
Atra descendit de mes bras et releva sa jupe pour marcher pieds nus parmi la mort et le sang, sans éprouver autre chose que la crainte de tacher l’ourlet de sa robe.
- Je n’ai pas besoin de te dire de quoi il s’agit.
- Non, en effet… ais-je marmonné en plaquant ma manche contre mon nez. Qui sont-ils ?
- Les derniers survivants du village à qui j’avais donné ma protection. En deux jours, le village a été totalement vidé de ses habitants. Pas un seul rescapé, ni femme ni enfant ni personne. C’étaient des gens simples, à l’écart du monde… Ils me prenaient pour une déesse et de ce fait, je faisais en sorte qu’il ne leur arrive rien.
- Un peu raté.
- Je n’avais pas eu de nouvelles depuis environ une semaine et j’ai donc dépêché l’un mes servants de chasse. Celui-ci avait de la famille dans ce village et… Il est actuellement en deuil. Donc inutile pour le moment.
J’ignorais totalement si c’était à cause de la perte de ses villageois ou l’indisponibilité de son servant de chasse qui la contrariait.
- Maintenant, réponds, Cannibale. Des métamorphes sont-ils venus dans mon domaine pour me prendre ce qui est à moi ?
Épineuse question… J’ai avancé parmi les corps en morceaux d’une trentaine d’indiens en morceaux pour regarder les blessures. Des traces d’animaux, c’était évident. Les parties les plus tendres et les plus comestibles manquaient et… Mis à part s’il y avait des grizzly en inde, les animaux qui les avaient tués étaient trop gros pour certains coups de griffes à la tête.
- Oui.
- De quelle famille ?
- Vu la prédominance des nuques brisées et des morsures par rapport aux coups de griffes et aux éventrations, métamorphes canins. Je dirais… Loup ou Chien.
Elle soupira, visiblement agacée par la situation. Elle était une Grande et elle avait ratifié l’accord de paix entre les métamorphes et les vampires, cependant, en tant que Grande, il était logique qu’elle veuille protéger son territoire. Même si elle ne désirait pas relancer une guerre, elle était obligée de maintenir son rang et son pouvoir. De plus, elle était l’agressée. Ne pas répondre à la provocation l’affaiblirait, politiquement parlant et elle serait attaquée en permanence. J’avais dit la vérité parce que j’étais sur que le Fenris n’appréciait pas non plus qu’on attaque une Grande et qu’on ravive la flamme.
- Les meutes d’Inde ne me combattent pas, un loup solitaire ?
C’était le point qui m’embêtait le plus. Un loup solitaire n’aurait pas pu faire autant de dégâts en si peu de temps et surtout sans laisser de survivants. Par l’odeur, je savais que l’attaque n’avait pas été en deux temps mais à peine en une heure ou deux. Personne n’avait eu le temps de fuir.
Puis-je être désagréable et te dire que toute cette histoire pue ?
- Tu l’as dit, bouffi…
- Je te demande pardon ?
- Euh… Ce n’était pas à vous que je parlais… Désolé.
- Tu n’as pas répondu à ma question…
Je me suis tu et je me suis enfin convaincu d’utiliser mon odorat à pleine puissance, enlevant la manche de dessus mon nez. La mort et la pourriture étaient omniprésentes et couvraient les odeurs plus subtiles des gens autour de moi. J’occultais sciemment le parfum d’Atra, un mélange d’herbes aromatiques fraiches, de sang, bien évidement et d’un soupçon d’épices orientales, pour me concentrer sur les hommes, les femmes et les enfants qui gisaient à mes pieds. J’ai enlevé mon manteau pour ne pas qu’il trempe dans les fluides pourris d’après la mort et je me suis penché sur la première pile de cadavres.
- Quel dommage que je ne sois pas sur le lieu de l’attaque… J’aurais pu traquer le fautif directement depuis là-bas.
Elle écarta l’accusation sous-jacente d’un geste de la main et expliqua :
- Si j’avais laissé le village en l’état, la police indienne s’en serait mêlée.
- Nous vivons dans leur monde, vous savez.
- La Grande Révélation n’a pas tout révélé. Nous devons garder pour nous beaucoup de mystères et ne pas les laisser trop s’immiscer dans nos affaires.
- Ouais… Ce n’est pas constructif… ais-je marmonné en imitant Victor.
Elle m’a regardé du coin de l’œil avec un petit sourire.
- Ton père pense ainsi mais pas toi. Les humains ne sont pas encore prêts à nous voir totalement tels que nous sommes… De plus, je n’aime pas que les humains soient entre moi et mes combats. Ca me déconcentre. Et tu n’as toujours pas répondu, Cannibale. C’est un loup solitaire ?
- Ca y ressemble mais… Je ne comprends pas comment il a pu faire autant de dégâts sans aucun survivant s’il était seul.
- Il a pu être accompagné d’un autre loup solitaire… J’ai entendu parler de trois loups solitaires qui vivaient ensemble et qui… comment dit-on ? Ah oui ! envoient chier les meutes officielles ?
Elle parlait évidemment de Dom, Simon et moi-même, ce qui me faisait me demander si Victor lui avait parlé ou si c’était son propre réseau d’espions qui lui avait donné toutes ces informations. Elle a du voir mon trouble à ce sujet puisque son sourire s’est agrandi et qu’elle a attaché sa jupe à sa ceinture avant de s’approcher de moi et de se pencher.
- La réponse à la question qui voile ton regard est simple. Ton père contrôle le sang, je préfère les ombres… et les miens projettent toujours une ombre, qu’ils le veuillent ou non.
- Allegro… ais-je grogné.
- Ne lui en veux pas. Il n’a même pas conscience que j’entends ce qu’il entend. De plus, de tous mes enfants, c’est peut-être l’un des rares pour qui j’ai un peu de compassion. C’est grâce à lui que je sais où se trouve le dernier Firenze… Une information des plus inestimables, du moins parmi la foule de secrets inavouables dont je suis la gardienne. Je te demande comme un service de ne pas le gronder.
- Et qu’aurais-je en échange de ma compassion ?
- Ce que tu as toujours eu, Cannibale. Une vie que tu n’auras pas à prendre.
- Merveilleux…
Une odeur ténue et cachée sous une autre d’épices me parvint enfin alors que je continuais à renifler le charnier, celle du lait maternel.
- Il… y avait des enfants non sevrés parmi les victimes ?
- Deux. Aucun n’a été retrouvé. Ce salopard de Loup a du les gober d’un seul coup.
- Les loups solitaires ne tuent pas les bébés. Le cri d’un nouveau-né nous terrifie… A moins que…
- A moins que quoi ?
- La folie de la vieillesse. C’était peut-être un vieux loup qu’une meute a abandonné mais… En règle générale, les meutes préfèrent les achever… Non, ce n’est pas logique du tout.
J’ai senti mon cœur s’arrêter. Ce n’est pas vraiment dangereux pour moi… Du moins, pas à long terme mais ça signifiait que Louveteau n’allait pas bien du tout. Je me suis permis de lui envoyer mon étonnement.
Elle les aime comme ça… Tendres, doux, vulnérables… Elle nous aime comme ça…
Je n’aime pas quand le Louveteau est suffisamment choqué pour radoter en boucle.
- Qui nous aime comme ça ?
Celle qui sème le massacre sur son passage. Elle ne sait rien faire d’autre.
Et là, j’ai compris. Si les autres Loups-garous vivaient leur transformation comme une naissance et qu’il était déjà assez éprouvant de naitre à nouveau, les enfants de la Bête devaient, métaphoriquement parlant, s’arracher du ventre de leur mère morte avant qu’elle n’ait pu leur donner le jour. Tous ces enfants, Louveteau compris, devaient avoir une peur panique de la créature qui les avait créés et en reconnaissaient les tactiques de chasse.
Mon cœur a recommencé à battre à un rythme lent.
Désolé, Petit Singe… Un simple moment de panique…
- Pas de souci… Tu as déjà du subir mes propres crises…
Je me suis relevé pour reprendre mon manteau et en sortir mes cigarettes.
- Très mauvaise nouvelle. C’est bien un loup solitaire mais pas n’importe lequel : la Bête.
Alors que j’allumais une cigarette, je regardais Atra qui prit une tête de femme parmi le monceau de corps en décomposition et qui la porta à la hauteur de ses yeux.
- Je connaissais cette jeune fille. Elle avait demandé à me voir pour obtenir ma bénédiction. Dans deux semaines, elle devait se marier et souhaitait que la journée qui devait être la plus belle de sa vie…
Elle laissa tomber la tête par terre qui atterrit dans un bruit spongieux. J’ignorais si elle essayait de m’apitoyer en prétendant connaitre la morte ou si elle pensait véritablement ce qu’elle disait. Quoiqu’il en soit, je n’arrivais pas à me départir d’une sourde colère qui me nouait les trippes.
- Je serais en droit de déclencher une guerre avec le Fenris. Après tout, un Loup m’a volé tout un village.
C’était ce que je craignais. Comme tout seigneur du Monde de la Nuit, la Grande Atra avait sous sa responsabilité des terres et des gens. Quiconque venait sur son territoire devait soit garder profil bas, soit respecter les règles. Manifestement, elle n’avait pas donné l’autorisation de détruire un village de pauvres gens à qui que ce soit, encore moins à la Bête. Si je comprenais sa position, je ne pouvais néanmoins la laisser relancer la guerre, surtout avec l’humanité qui nous regardait.
Elle me prit de vitesse :
- La guerre contre les métamorphes ne m’apportera rien et Sigur ne me suivra pas dans cette folie… Peut-être Menorath… Et encore, seulement si cela peut lui permettre de récupérer certains territoires, particulièrement ceux du Fenris.
Elle me prit à partie tout en marchant parmi la mort.
- Avouons-le : Chasser le Fenris de sa tanière est une gageure.
- Je ne vais certainement pas vous contredire sur ce point.
- Tu as déjà visité son fief ?
Je me suis crispé instantanément alors que Louveteau grondait un avertissement qu’elle ne pouvait entendre.
- Vous savez que je ne peux rien vous en dire… Sinon, je me verrais contraint de lui préciser que votre… « palais » comporte dix-neuf niveaux en sous-sol et qu’une rivière sous-terraine passe en dessous des appartements des servants de traque.
Je me préparais à une réplique de style physique quand elle éclata de rire et dut se retenir au mur pour contenir son hilarité. Bon… Voilà ce qu’il se passe quand j’essaye de faire peur… C’est… rageant.
- Oh… ne t’inquiètes pas, je ne cherchais pas à te soutirer les informations que tu ne souhaites pas me donner… Et je comprends pourquoi Sigur t’aime autant.
- Vraiment ?
- Tu es passionné mais tu n’oublie pas d’émailler tes menaces de réalité très concrète. J’aurais du me douter que tu avais déjà analysé ma résidence dans ses moindres détails.
- Je suis un Cannibale. Contrairement à ceux de l’ancienne génération, je préfère avoir une porte de sortie.
- Cannibale ou loup-garou ?
- Y’a-t-il vraiment une différence en ce qui nous concerne ?
- Pas vraiment. Mais je ne doute pas un seul instant que le Loup qui t’accompagne te donne pléthore d’avantages.
Évidement, et à chaque fois qu’on le complimente, Louveteau a dressé l’oreille avec une attention toute sympathique… Ce loup a vraiment manqué d’attention dans sa vie.
- Je ne vais certainement pas renier son influence. Donc… pas de guerre ?
- Pas pour le moment. Cependant… Il va falloir que le Fenris solutionne tout ça. Et je lui apporterais mon soutien, cela va sans dire.
- Hum… De manière à supplanter Sigur dans les amitiés métamorphes, je suppose ?
- C’est vil de m’accuser de manœuvres politiques de cette sorte… Fit-elle en esquissant une moue boudeuse des plus charmantes.
- Mais c’est vrai.
- Évidement ! Pourquoi se lancer dans une telle opération si je n’en récupère pas les avantages ?
Avouons-le une bonne fois pour toutes, j’aimais Atra. Je pensais alors qu’elle était aussi tordue que pouvait l’être Victor, ce qui est un compliment, mais elle avait aussi parfois cette spontanéité de petite fille et ce grain de folie qui manquait parfois cruellement à mon papa vampire. Sachant qu’elle était plus de la génération de Sigur que de la mienne (et de très loin !), Je n’ai pas pu m’empêcher de lui poser LA question.
- Je me demandais pourquoi vous n’étiez pas en couple avec Sigur…
Oui, je sais, je suis un indiscret.
- Et bien… J’aurais pu être sa concubine… J’ai préféré être son égale.
Bien répondu. Il n’est pas dit que Sigur ait apprécié le refus même dûment motivé de l’un des ses premiers amours vampiriques. Cela dit, à cette époque, elle pouvait déjà avoir eu les moyens de lui tenir tête.
- Au fait… a-t-elle susurrée avec une expression de sollicitude tellement bien imitée qu’on aurait pu y croire. Comment se porte la Petite Grue ?
- Clara va bien et elle vous emmerde. Ais-je répondu avec un petit sourire.