Chapitre 13: Extase mortelle.
A chaque fois que j’ai un problème, que je me sens mal à l’aise, en colère ou juste déprimé, je cours. Autant dire qu’un jour sur deux, je m’avale une vingtaine de kilomètres dans New-York. Mon seul regret est que je ne peux courir en loup que quand je sors de la ville, le maire ayant émis une ordonnance nous interdisant de nous transformer dans les limites de la ville, mis à part à Central Park. Et encore… Nous avions obtenu de garder Central Park suite à une pétition et de l’office du tourisme qui estimait que la Meute en liberté était une véritable valeur ajoutée. Charge à nous d’avoir un Loup transformé deux à trois heures par jour.
Pour ma part, je me transformais très peu à Central Park. Contrairement à mon prédécesseur, je n’étais pas un loup mince et agile mais plutôt une grosse bestiole de deux mètres au garrot, le poil noir, uniformément noir et les yeux glaciaux d’un Husky. Malgré l’aura de paix que je dégageais, je restais impressionnant. J’avais peur de me retrouver devant un gamin qui aurait hurlé de terreur et qui aurait peut-être déclenché la rage de la Bête. Autant dire que je me montrais rarement et de loin. Au grand Dam de Hunt qui aurait vraiment voulu pouvoir courir tout son saoul. Je profitais de mes incursions dans les meutes forestières ou dans à la Nouvelle-Orléans pour passer trois jours pleins sous forme lupine.
Et j’avoue sans honte que je me transforme au bureau.
Bref… Quand je ne vais pas bien, je cours. Comme je hais les shorts, je mets des caleçons longs et un T-shirt. Et je cours… Je crois que je dégoute pas mal de monde à courir comme ça mais c’est l’apanage des loups… Je cours vite, je ne ralentis pas et le pire, c’est que parfois je dors alors que j’enchaine les foulées. Je ne cours pas pour me muscler ou pour augmenter mon endurance, non… Je cours pour me vider l’esprit.
On aurait pu croire qu’avec l’invasion de Zomb’, l’effondrement de royaumes faes et notre réputation en berne, je me serais mis à me faire un marathon par jour… Mais en fait, je n’ai pas eu le temps. C’était la première fois depuis le début de la semaine que je pouvais chausser mes baskets et partir battre le bitume et la terre. Autant dire que j’ai prévenu tout le monde que j’étais injoignable, sauf en cas de fin du monde. Cela dit, avec ce qui nous tombait dessus depuis la fin de l’été, j’étais bien fichu de me faire interrompre tous les trois pas… Même si Yuna m’a promis qu’elle ferait écran autant qu’elle pourrait.
En prenant ma foulée, cette dernière remarque m’a quelque peu inquiété. Historiquement, Simon était mon second, mon béta de guerre. Ce qui signifiait que c’était lui qui prenait le relais si je ne pouvais pas le faire et même pouvait me remplacer dans les combats de dominance. Anna, son épouse, n’était pas des plus ravies à l’énoncé de la fiche de poste mais je lui avais juré que Simon en ferait le moins possible. De fait, j’en faisais neuf sur dix alors que Simon aurait préféré le rapport inverse. Cela dit, il bossait comme un dingue pour me préparer les dossiers et discuter en permanence avec tous les bétas de la Tribu Nord-américaine. Et ça faisait du monde.
D’un point de vue diplomatique, c’était Dom qui était en charge du reste du monde. Dans toutes les meutes qui étaient inféodés au Fenris, il y avait toujours un Loup ou tout autre métamorphe qui était à la complète disposition de la Meute du Fenris. C’était un rôle des plus difficiles et des plus stressants puisqu’il faut avoir la vue sur le monde entier et, en accord avec l’Alpha, donner la position de la meute sur les conflits en cours et à venir. Par exemple, la meute d’Ochoa et la meute de Tawantisuyu se cherchait des crosses pour une montagne depuis des années. Ochoa avait réussi à convaincre une meute russe de venir les aider et Tawantisuyu nous avait demandé de bloquer les Ours russes qui viendraient par chez nous. Le problème étant que nous étions alliés avec Moscou, qui était la Meute Mère de sa Vassale, Novosibirsk, qui envoyait ses ours faire les maquisards…Donc… On fait quoi ? Tawantisuyu pensait arriver à nous amener à leur dire oui en se proposant de changer leur vassalité et d’être la féale de la Nouvelle-Orléans. C’était fort bien joué et très courtisan. Mais Mexico, Tribu Sud-Américaine de coyotes était prête à rentrer en guerre avec nous si nous lui volions une vassale tout en étant prête à nous menacer si les ours n’étaient pas au Pérou dans le mois. Situation de merde… Se fâcher avec Moscou ou se fâcher avec Mexico ? Laisser une petite meute se faire bouffer ou engranger cette même meute dans la Tribu ?
Dom a réglé ça très simplement. Etant européen et parfaitement au courant des coutumes russes, mon diplomate est parti au Pérou et a planté trois bâtons avec un crâne de cervidé et dont les bois avec été noués de trois griffes de chat par des brins d’herbe. Puis il m’a gentiment dit de laisser passer les ours russes et peut-être même de les inviter, lors de leur passage à boire une bonne vodka. C’est ce que j’ai fait. Je n’étais pas très calme mais j’ai été un très bon hôte et les ours russes de joyeux invités.
Une semaine plus tard, les ours sont repartis par le même trajet et, se souvenant que la soirée que nous avions partagé, me remercièrent de mon hospitalité avec un cerf entier et repartirent sans le moindre souci. L’Alpha de Moscou m’a même appelé pour me marquer son amitié, ce qu’il ne faisait pas souvent… Tawantisuyu resta vassale de Mexico, Ochoa ne gagna pas la montagne et tout s’est fini sans effusion de sang.
Quand je lui ai demandé ce qu’il avait bien pu faire pour obtenir ce résultat, il me répondit qu’il avait planté trois bâtons de peste sur les flancs de la montagne. Aucun ours russe ne passe à côté d’un bâton de peste. C’était certes une superstition absurde mais les ours russes y sont sensibles et c’est une raison valable de ne pas remplir une mission. Les Jaguars de Tawantisuyu regardèrent ces étranges totems mais reconnaissant l’odeur d’un loup dessus, ils se dirent que c’était normal puisque tous les loups étaient un peu barrés… Et ils détruisirent les bâtons.
Yuna était ma troisième… Et malheureusement, mis à part les problèmes de sécurité que Simon ne pouvait pas gérer et discuter avec la police locale, ce qu’elle ne pouvait plus faire, elle était assez peu sollicitée. Je le regrettais sans pouvoir y faire grand-chose… Mais par sa promesse, elle venait de se positionner comme béta. C’était une situation plutôt explosive… Certes, elle se soumettait à l’Alpha, moi, mais elle remettait en cause la position du Béta de Guerre et du Béta de Paix. Techniquement, je ne pouvais pas intervenir… cette bataille de dominance ne me concernait pas. Et pourtant… En tant qu’Alpha, j’ai peu à intervenir, il me suffit d’une tape sur la main, d’un regard noir ou d’un nez mordu pour calmer quelqu’un mais quand deux métamorphes s’estiment du même niveau, ça peut finir en combat à mort.
J’aimais mes trois loups. Je ne voulais en perdre aucun et soit je leur faisais confiance pour régler le problème entre eux, soit je les prenais tous ensemble pour leur souffler dans les bronches.
J’en étais là de mes réflexions, à me demander si j’avais vraiment le droit de leur reprocher à tous l’inactivité d’une seule, surtout que cette inactivité n’était en rien sa faute, alors que j’avalais mes cinq premiers kilomètres dans Central Park, que je me suis fait chopper par les couilles par une apparition.
Avant que vous vous étonniez qu’on puisse m’approcher suffisamment pour m’attraper le service trois-pièces alors que je cours, je vais m’expliquer : Je suis personnellement conscient de mon apparence et de mon charme ; j’en ai joué pendant des années mais il y a des personnes dans ce monde qui peuvent vous stopper net rien qu’en étant là. Je suis, personnellement, assez content de ne pas être de ces personnes puisque ce doit être un fardeau très lourd à porter. Cependant, voir une de ces personnes m’a toujours estomaqué et, dans le bordel émotionnel dans lequel j’étais, cette beauté-là m’a envoyé en moins d’une seconde toutes les promesses de volupté dont j’étais affamé depuis toujours.
Un homme.
J’étais dans ma période hommes, ne cherchez pas…
Mais cet homme-là était magnifique, quand bien même il n’était pas mon type, et il m’a plongé la tête la première dans ses filets. Il était blond, mais d’un blond presque argenté, les yeux d’un bleu étrange, presque violet, musclé sans excès, en fait, une musculature fine de danseur de ballet ou d’un duelliste, les jambes longues et fines qui devaient s’enrouler autour de ma taille comme un lierre grimpant. Un nez droit et fin, une bouche aux lèvres ourlées comme par un orfèvre, invitant au baiser voire à plus…
Nous nous étions croisés l’espace de quelques instants, lors d’une course soutenue, et je l’avais déjà imaginé dans mon lit, dans toutes les positions possibles, avec les expressions de plaisir les plus intenses qui soient… Il me manquait juste le son de sa voix. Même si je m’étais arrêté, soufflé par le désir brûlant qui avait enflammé mes veines de haut en bas, je répugnais à me retourner et à admirer mon apparition de dos. Est-ce que ce fantasme était bien réel ? Pourtant, je me devais de regarder…
J’ignore pourquoi mes sens avaient décidé de ralentir le temps pour me permettre de l’admirer plus longtemps mais ça m’arrangeait. En temps normal, cette petite capacité se déclenche quand je suis en chasse et je n’arrête pas le temps, non… Je réfléchis juste plus vite. Je vis les mèches de ses cheveux voleter sur sa nuque et se tordre le long de son dos, comme un fouet de fils argentés qui captaient la lumière du soleil. Je vis les muscles se tendre et se relâcher dans un mouvement lent et lascif, comme caressés par la peau d’ivoire. Il roula un instant des épaules, sans doute pour se débarrasser d’une contracture et j’eus envie de mordre cette chair tendue et de laisser ma marque dessus, j’eus envie de saisir les hanches minces et d’y enfoncer mes doigts pour le maintenir au sol. J’humais l’air et je dissociais son parfum des autres pour le boire et m’enivrer avec : Le parfum d’un jardin en automne, les baies noires et juteuses et la terre ferreuse d’un lendemain de vendange… Il y avait aussi une odeur d’épices sombres comme du miel grillé mêlé à de la fumée de coriandre. J’avais envie de saisir son catogan, de l’enrouler autour de mon poing et de me perdre dans le parfum de sa chevelure pendant que je le clouais au matelas.
Puis, il tourna hors de mon regard et tout s’arrêta.
J’ignorais vraiment ce qui avait déclenché ce moment d’orgasme pur mais j’avais du mal à m’en remettre. Je me suis appuyé sur le premier banc que j’ai trouvé pour reprendre mon souffle et espérer que mon caleçon long en lycra n’était ni tendu comme une toile de tente ni affligé de tâches suspectes. Ni l’un ni l’autre, fort heureusement mais j’étais aussi claqué qu’après un marathon de sexe. Ce qui ne m’était pas arrivé depuis des années ! J’ignore vraiment quel visage je pouvais donner aux badauds alentour mais ce devait être particulier.
Un loup sombre à la croix blanche sur l’épaule me toucha le dos et me renifla longuement. Je savais que c’était la journée de Dom, celle où il restait loup du matin jusqu’au soir, tout autant pour les touristes que pour son équilibre émotionnel mais j’ignorais qu’il était aussi prêt de ma position… Alors que j’aurais dû le sentir ! Cette rencontre m’avait plus déstabilisé que je ne le pensais.
Il toucha mon front avec le sien, ce qui était la demande pour une connexion directe. Je lui accordais de bon cœur, encore électrisé par cette rencontre.
J’ignore ce qu’il t’est arrivé, Alpha, mais ça a débordé sur tout le monde.
- Désolé… (Je passais les mains sur mon visage en riant) Je ne sais pas non plus ce qu’il s’est passé… Mais Waouh !
Une extase ?
- Ce serait le meilleur terme pour le décrire. C’est normal ?
Jamais vécu avant que tu ne nous en fasses profiter. Quelqu’un t’a touché, lancé quelque chose ?
- Non, rien ni personne. Je courrais et j’ai… croisé ce type et… Waouh. Tu pourras demander à notre spécialiste du sexe et de la magie ?
Azul est aussi perdue que nous. Mais elle veut bien que tu recommences ou que tu lui donnes la recette.
- Tu m’étonnes… Peut-être un contrecoup de la Bête ?
Tu aurais détourné son Envie de Meurtre en Envie de Sexe ?
- Au moins, c’est plus facile à combler.
Mouais… J’ai un peu peur que tu prennes sans demander.
- Merci de ta confiance…
Plus prosaïquement, essayes de te protéger. Je vais assigner Yuna à ta surveillance.
D’un point de vue stratégique, c’était une solution excellente puisque Yuna retrouvait une utilité et même une responsabilité. Ça pouvait éviter que notre troisième dominante se sente pousser des crocs trop longs. D’un point de vue purement personnel, je ne tenais pas particulièrement à ce qu’on me suive quand je reverrais mon apparition et que je me noierais dans ses yeux. Je ne voulais pas qu’on m’empêche de me repaître de lui.
Alpha, nous sommes toujours connectés et je sens ta frustration grandir.
- Merde…
Oui, tu es déjà intoxiqué. Pour ta sécurité, et celle de la meute, Yuna te servira de garde du corps. Que tu le veuilles ou non.
Dans un coin de ma tête, Hunt, qui venait de se réveiller, grogna son approbation. Alors que Dom glissait hors de ma conscience, je le sentais s’ébrouer et pester contre ce qui l’avait sonné. En me perdant dans mon extase, je l’avais éjecté de notre tête, sans le vouloir, certes, mais ça restait inquiétant. Rationnellement, je savais que c’était une très mauvaise idée que de revoir mon apparition et pourtant, je ne pouvais pas m’en empêcher. J’espérais que Hunt me couperait les jambes avant que je ne craque.
Le lendemain, je bouillais de frustration à mon bureau et je me demandais si ronger les pieds du meuble pouvait m’aider à calmer mon envie d’aller courir. Punaise que c’était dur ! Le seul moyen pour moi d’évacuer ma colère et mes problèmes était aussi le seul moyen de me chopper, si tant est que ça avait été une attaque. De plus, Yuna restait avec moi en permanence, prenant son nouveau rôle de garde du corps un peu trop au sérieux puisqu’elle dormait même sur le canapé du bureau alors que je me retournais dans mon lit à rêver à cet inconnu. Et s’il y a bien quelque chose que je ne supporte pas, c’est qu’on me surprenne à me masturber.
Ce n’était facile ni pour elle, ni pour moi. Elle en faisait trop, certes, mais je suppose qu’elle le faisait afin de ne pas avoir de distraction, quand bien même Azul la priait de venir avec elle pour ses virées shopping et qu’Allegro ne suffisait plus. Elle regrettait ses mojitos, elle regrettait ses virées avec ses ex-collègues de la Police qui avaient reçu l’ordre de ne pas la contacter sans accord de leur supérieur. Autant dire, jamais. Et moi, je regrettais qu’elle n’ait pas mieux à faire pour retourner courir.
J’essayais de retourner courir avec mon binôme pour entrapercevoir mon fantasme et en priant pour qu’il soit là. J’avais fait exprès d’y retourner à la même heure et à faire le même parcours dans les mêmes temps. Yuna fut un peu surprise puisque je cours moins vite quand je réfléchis, pas de beaucoup mais c’est un rythme moins soutenu. Cependant, j’étais parfaitement concentré sur l’objectif et les yeux fixés sur la route. Yuna était obligée de ralentir et d’essayer de comprendre où je voulais en venir, ce qui était loin d’être évident. Elle sentait que j’étais prêt à bondir mais elle était incapable de repérer ma proie, si tant est qu’elle était parmi les passants et les joggeurs. Comme il s’agissait tous d’humains, elle avait peur que je pète les plombs et que j’en bouffe un. L’expression que j’avais la terrifiait…
Et puis, il passa à côté de moi et le temps ralentit pendant une dizaine de pas. Cette fois-ci, je le regardais et je vis un sourire détendre sa bouche et ses yeux pétiller en me regardant. Quelle meilleure invitation ? Pourtant, je n’aime pas les proies trop faciles… Laisse-moi te regarder, laisse-moi te détailler, laisse-moi te dévorer morceau par morceau… J’inspirais son parfum de prunes et de mûres et je me retins d’avancer la bouche pour gouter son cou long et fin : Sa peau devait avoir une saveur exceptionnelle ! Il fallait que je le touche, il fallait que je caresse la nuque de cet homme, il fallait…
Yuna m’attrapé par le bras et m’a tiré sur le côté. J’aurais pu la tuer pour m’avoir interrompu mais son visage était blanc et elle avait peur. Ça aurait pu passer mais je voyais qu’elle avait peur de moi et de ce que j’avais failli faire. La réaction de quelqu’un qui a vu un échafaudage s’écraser à une trentaine de centimètres de son bras. Ça m’a calmé immédiatement et j’ai commencé à avoir peur moi aussi. Elle a jeté ses bras autour de moi et s’est cassé le petit doigt. C’était une technique que Simon avait découvert par hasard pour que j’arrive à me soigner personnellement : Il fallait quoiqu’il arrive que je soigne quelqu’un d’autre avant mais mon patient devait avoir une blessure moins grave que moi afin que j’en fasse trop… Et puis, il fallait que je sois collé à mon patient des genoux aux épaules. J’ignore pourquoi… Et ne me demandez pas pourquoi je me suis retrouvé collé des genoux aux épaules à Simon.
Je sentis Hunt se réveiller avec une sorte de gueule de bois et lécher le doigt de Yuna pour lui redonner sa forme puis, avec un sursaut, il s’intéressa à nous.
Ce n’est pas toi qui m’a éjecté…
- Je suis désolé… Quoi ?
Suite à mon expérience de la veille, j’avais été persuadé que mon obsession pour mon apparition avait expulsé Hunt de ma conscience, laissant le champ libre à ma nature vampirique et ses capacités de chasseur urbain. Je n’imaginais pas qu’on puisse l’expulser à mon insu.
On m’a endormi… Tu étais sans défense.
Il y avait bien eu une attaque même si j’ignorais d’où elle venait. Yuna se détacha de moi alors que je regardais le coureur s’éloigner au loin, un joli garçon, oui mais pas quelqu’un que j’aurais voulu dévorer devant tout le monde. Il n’a pas ralenti ni même accéléré, il se contentait juste d’être en train d’enchainer ses foulées avec un rythme imperturbable. Il ne s’était rien passé d’exceptionnel pour lui, il avait juste croisé un joggeur brun qui l’avait regardé et c’était tout.
Yuna avait les larmes aux yeux.
- Tu m’as fait peur… Je ne t’ai jamais vu comme ça…
- Comme quoi ?
- Comme un prédateur sexuel prêt à attraper sa proie…
Sa voix tremblante a achevé de me convaincre que c’était grave et j’ai réuni la meute au plus vite
Dans la soirée, ils étaient tous là, n’ayant pas pu pour la plupart venir avant. Il faut dire que Ash avait été envoyé à la Cour de Chicago pour servir d’observateur à la passation de pouvoir et Simon devait assister la Meute de Montreal lors de sa translation à Québec. Rien de vraiment dur mais pas vraiment quelque chose qu’on pouvait finir en une nuit et basta. Cela faisait cinq jours qu’Ash était coincé à Chicago et me menaçait d’en faire une nouvelle Rome si ça n’allait pas plus vite. Quant à Simon, il adorait aider les translations de tanière et faire du lobbying pour New-York. De plus, il adorait les Loups et les Pumas canadiens et échangeaient des recettes d’alcool modifié, des rhums arrangés et des vins de noix ou de sauge. Il partait toujours avec une dizaine de bouteilles et revenait avec le même nombre mais pas les mêmes étiquettes. Il était revenu avec un rhum arrangé au sirop d’érable et à l’orange sanguine qu’il nous promettait de partager.
Azul et Yuna s’étaient installées l’une à côté de l’autre, sans doute pour rassurer la seconde, et Allegro les avaient rejointes. Depuis qu’elle m’avait vu traquer un humain, ma petite louve ne se sentait pas à l’aise en ma présence. Quant à Dom, il s’était un peu démarqué du groupe en étant tout seul à la fenêtre et en ne regardant personne. Ash semblait un peu perdu sans son petit frère qui avait refusé de lui parler à son retour. J’avais un peu honte d’avoir créé, involontairement, cette fêlure et j’espérais que mon lance-flammes n’en tiendrait pas longtemps rigueur à son frère. Il faut dire qu’avoir deux monstres à gérer, c’était peut-être un peu trop pour un saint.
La froideur de Dom augmenta quand le tout dernier membre de la Meute entra et je me rendis compte que je n’avais prévenu personne. En jean et T-shirt « Science is Bitch » propres, casquette des Red Sox bien fatiguée, les yeux entre le marron et le rouge et l’air désabusé, James Taylor entra et se posta devant la bibliothèque. J’étais plutôt content de le voir mieux et enfin propre, certes, il ne respirait pas la joie de vivre mais, au vu de mon expérience, un Cannibale est rarement le sourire aux lèvres et le bonheur dans le cœur dans ses premiers mois. Les autres membres de la Meute le dévisagèrent en silence, certains avec surprise, d’autres avec une pointe de colère.
Ce fut Ash qui brisa le silence avec une innocence dont il est assez peu coutumier :
- C’est qui ce type ?
Et pourtant, ils sentirent tous le lien de Meute qui le reliait aux autres et à moi.
- C’est… un… C’est le deuxième sujet de ce soir. Marmonnais-je.
- Oh, et… Excuses-moi de te le faire remarquer, Ô Noble Maitre, commença Ash avec une petite voix ironique, mais comment un nouveau membre peut-il être un deuxième sujet de fin de soirée ?
Je décidais de jouer franc-jeu. Après tout, ceux qui n’étaient pas des Loups, n’étaient pas non plus de prudes et blanches demoiselles.
- Parce que j’ai failli violer un homme dans le Park et que si Yuna n’avait pas été là, je me demande comment ça aurait fini.
Ash hocha la tête en faisant la moue et murmura :
- Non, bah, je dis plus rien sur le menu pour le coup…
- Comment ça, t’as failli violer un homme dans le Park ? S’exclama Azul. C’est quoi ce délire ?
- Tu te rappelles hier ? Demanda Dom.
- Il s’est passé beaucoup de choses hier, mon Cœur…
- L’extase.
- Ah ! Ah… Merde… C’est pas moi qui ai joui trop vite cet après-midi, c’est ça ?
Je m’empêchais de rire en me mordant la joue en imaginant ma belle Azul se faire doubler par mon extase alors qu’elle devait emmener un des comptables au septième ciel et qu’elle l’avait abandonné au premier étage. Ce n’était pas drôle… Ce n’était pas drôle du tout.
- Non, ça a recommencé.
Yuna semblait moins m’en vouloir, sans doute parce que j’avais précisé que sans elle, le joggeur y passait. Elle se décida à être parfaitement honnête et à revoir son propre point de vue.
- A ta décharge, Alpha, tu n’étais pas toi-même. Je ne t’ais jamais vu comme ça.
- Même pas quand je mange un vampire ?
- Oh non, loin de là.
Taylor avait tiqué quand je parlais de manger un vampire mais il dut comprendre que ce n’était pas le moment d’interrompre l’assemblée pour ses considérations scientifiques. Il se contenta de noter la question sur son carnet.
- C’est comme si tu étais possédé. Continua Yuna en se servant sa sixième tasse de café de la soirée.
- Ce qui n’est pas possible, on est d’accord ? Intervint Simon.
- Même si les Démons pouvaient transférer leurs consciences dans le corps d’un métamorphe, ce qui est loin d’être le cas, j’aurais Hunt qui hurlerait au démon que c’est occupé, t’as qu’à prendre ton ticket, connard.
Hunt rigola et se frotta à moi pour me marquer son assentiment.
- Peut-être pas par un démon, alors.
- Occupé, ticket, connard. Cela dit, les deux fois, Hunt a été expulsé de la surface de notre conscience. Il m’a dit que j’étais sans défense.
- Qui est Hunt ?
Chaque membre de la Meute sursauta quand ils s’aperçurent tous que Taylor s’était approché de moi et s’était penché sur mon fauteuil pour me poser la question.
- Euh… C’est mon Loup intérieur. Ma conscience lupine, ma partie animale.
- Les métamorphes ne sont pas censés absorber leur partie animale dans un temps assez court pour éviter de devenir fou ?
- Oui… Enfin, fusionner avec elle. Mais pas moi.
- Et vous êtes Alpha ?
- Oui…
- Fascinant.
Puis, il recula jusqu’à la bibliothèque comme si l’interruption n’avait pas eu lieu.
- Euh… Et est-ce que de ton ressenti, ça ressemblait à ton boulot de Cannibale ? Demanda Ash en essayant de se remettre de l’intervention de Taylor.
- Pas… Vraiment. Quand je traque un vampire, je ressens de la rage, de la colère et une envie de détruire. Par contre, l’extase pure, l’orgasme se passe après. Et encore, ce n’est pas vraiment agréable.
- Ah ? comment ça ? demanda Azul.
- Et bien, c’est comme si…
Je fus interrompu par Dom :
- Tabou.
Ce petit mot signifiait qu’il ne voulait pas en savoir plus et Azul me regarda avec un petit signe de la main, m’indiquant qu’elle écouterait la comparaison en privé.
- Enfin, ça reste bizarre… Qui t’attaquerait avec un … sort ? qui te prive de tes inhibitions et te forcerait à attaquer un type que tu connais pas ? demanda Simon
- Je vais me balader sur la zone pour avoir une trace magique. On sait jamais.
- Peut-être pour nous plonger dans la merde ? La réputation de la Meute a survécu au massacre de Columbia, c’est peut-être pour nous mettre sur la touche ?
- Par un viol ?
- Un viol qui aurait pu salement dégénérer.
- Et aussi tôt après notre entrée dans la Zone Rouge ? Si c’est l’armée, pourquoi juste attaquer l’Alpha ? C’est chiant mais pas encore handicapant.
Taylor se racla la gorge bruyamment et attendit que tout le monde se taise et le regarde. Il rangea son carnet dans sa poche, reposa le stylo qu’il avait piqué sur mon bureau et nous regarda :
- Et si c’était pas l’Alpha, la cible ? Si c’était ce pauvre type qu’aucun de vous ne connait ?