Chapitre 22 : Au boulot, bande de feignasses!
Malgré mon envie démentielle de rentrer à New York et de me terrer sous mon lit pendant deux ou trois nuits, je restais presque trois semaines à la Nouvelle-Orléans. D’une part, parce que j’avais presqu’en permanence un chat sur les genoux, d’autre part, parce qu’il fallait que je gère les conséquences de tout ce bordel. Je m’attendais à ce que les vampires viennent me voir en premier, peut-être même les loups-garous mais ce furent les forces de police et le FBI qui arrivèrent en premier. Simon et Dom étant repartis à New York sur mes ordres afin de préparer la suite, je n’avais plus aucun diplomate avec moi, sauf si on estimait qu’Allegro pouvait le faire sans finir par trancher la gorge de quelqu’un. Comme je n’étais pas sur qu’il en soit capable, je les ai reçu seul. Avec le chat sur les genoux.
On m’avait ordonné de me reposer et par « on », j’entends Azul et Yuna qui veillaient sur moi comme un œuf d’oiseau rare. Azul estimait, quand elle avait compris ce que j’avais fait et passé le moment d’horreur, que la colossale énergie que j’avais absorbé risquait de me tuer si je ne la digérais pas correctement. J’avais donc l’ordre de ne pas utiliser la moindre capacité, y compris ma propre régénération. Je portais donc un plâtre pour mon bras en attendant que mes pauvres capacités humaines ressoudent mon os brisé.
Je reçus donc deux lieutenants de police et deux agents du FBI dans le petit salon alors que j’essayais de jouer à l’ordinateur et que mon bras dans le plâtre me contraignait aux jeux de gestion, ce dont je n’étais pas particulièrement fan… C’est donc avec le sourire que j’abandonnais ma partie et que je consacrais aux forces de l’ordre toute mon attention. Le problème de notre petite démonstration de force était, en plus d’avoir été publique, car aucun membre de la Meute n’a été dans la capacité de couper les réseaux sociaux, particulièrement impressionnante. Et surtout terrifiante. Même si la qualité des vidéos diffusées était assez médiocre, je me reconnaissais au centre du chaos total. Evidemment, on me demanda ce qu’il s’était passé et je répondis du mieux que je pouvais, tout en omettant pas mal de détails. On oublia Alcibiade et son implication dans tout ça, on oublia l’homme à la voix changeante, sans doute parce que je n’avais pas grand-chose à dire et que, bizarrement, toutes les caméras de tous les Smartphones se sont tournées ailleurs. La Bête ne fut pas oubliée mais je tournais son intervention de manière à ce que Mark en fût le seul responsable et que la gigantesque créature qui était arrivée pour me détruire était une expérience magique qui avait mal tournée. Le fait que le Loup géant se fut d’abords attaqué à Annabelle Moreau prouvait, pour certains, qu’elle était responsable en partie de la mutation. Je l’appris plus tard mais Cassy avait fortement chargé la précédente Maitresse du Carré, appuyée par un nombre conséquent de sorcières qui se présentèrent comme des complices involontaires.
Avant de me quitter, les agents du FBI me demandèrent s’il existait des surnaturels dans leurs rangs. Je leur répondis que si j’étais sorti du placard, je ne pouvais pas forcer les autres à le faire. L’un des deux agents me regarda avec plus d’attention tandis que l’autre m’avoua que les problèmes de surnaturels risquaient d’avoir du mal à être gérés par des humains. Ce dont je convenais mais je n’avais, à ce moment-là, aucune idée de résoudre cette difficulté. Quand ils partirent, l’homme qui m’avait regardé avec un peu plus d’attention que nécessaire me tendit sa carte avec un clin d’œil suggestif.
J’ai hésité et j’ai préféré demander son avis à mon loup qui se dégagea totalement de l’affaire. Depuis ce jour et malgré quelques commentaires, Hunt ne me força plus à suivre ses inclinations en matière de relations sexuelles. Je dois avouer que, de temps en temps, j’aurais préféré qu’il s’exprime avant que je fasse mes conneries… Quoiqu’il en soit, à ce moment là, je lui en fus très reconnaissant.
Je tairais le nom de cet agent du FBI avec qui je faisais des galipettes pendant deux semaines. Contrairement à moi, il ne pouvait pas sortir du placard et que notre relation risquait de le mettre bien dans la merde puisque j’étais toujours le point focal d’une affaire louche. Néanmoins, cette histoire m’a fait du bien, sans doute parce que mon agent était un amant attentif mais un peu dominateur. J’avais besoin qu’on me prenne un peu en main et qu’on m’empêche de réfléchir pendant quelques heures. C’est ce qu’il m’a donné et je lui en serais toujours reconnaissant. Nous sommes toujours en contact, à l’heure actuelle et j’ose croire que nous sommes amis.
Mais plus que des bonnes parties de jambes en l’air, ce petit interlude m’apporta quelque chose que je ne pensais pas obtenir entre les draps… La compréhension du public. Je suppose que mon amant répéta, en gommant les circonstances évidemment, ce que je lui racontais affalé sur mon oreiller. Comme je ne pensais pas que ça me porterait préjudice et qu’après tout, il était temps de nous dévoiler un peu, je racontais à mon agent ce que j’étais et comment je me voyais. Je racontais aussi les politiques surnaturelles, dans une version simplifiée et telle qu’un humain un peu au courant aurait pu les comprendre. Ce fut répété, ce fut prouvé et on en a même écrit des livres. Bon, je ne connaissais pas du tout l’écrivain de l’Ordonnance des Eternels, qui fut le best-seller politique de 2017 et qui détaillait l’organisation des Cours Vampiriques mais je reconnus certaines de mes tournures de phrase au détour d’une page… J’imaginais un instant entamer une procédure pour plagiat mais je me suis retenu pour éviter que l’agent du FBI n’encourt de poursuites. Au final, rien ne se passa, sinon un intérêt accru pour les surnaturels.
Pendant mes trois semaines de convalescence, Cassy, mon adorable petite sorcière, passa pour reprendre son chat. Elle avait amené la caisse de voyage et la laisse mais elle posa le tout sur le sol quand elle vit que la boule de poils avait élu domicile sur mes genoux et qu’il n’avait aucune intention de les quitter dans l’immédiat. Elle s’assit sur le fauteuil en face de moi et me fit un sourire qu’on aurait fait à un bébé de huit mois qui câline sa peluche. Je ne crois pas avoir jamais été la cible d’un tel sourire.
- Il s’appelle Spinach[1].
- Dieu me garde de l’appeler comme ça. Marmonnais-je en fronçant les sourcils.
- Ce n’est pas moi qui l’aie trouvé, ce nom ! se récria-t-elle. C’est le nom qu’on lui a donné au refuge où je l’ai pris.
- Ce qui explique son caractère… Je serais aussi extrêmement vexé si on m’avait affublé du nom d’un légume.
- Il parait qu’on l’a trouvé, tout chaton, dans une boite de conserve. Quoiqu’il en soit, il aime beaucoup le saumon, il adore les crevettes et devient complètement barjo si vous sortez du bœuf séché au whisky. Par contre, il a horreur du poulet.
- Pourquoi vous me racontez ça…?
- Oh, il lui faut un carton. Un simple bout de carton et il se sent comme un roi.
- Encore une fois… Pourquoi me racontez-vous ça ?
Elle a souri à nouveau et s’est enfoncé dans son fauteuil.
- Autant on peut adopter un chien, autant dans le cas d’un chat, c’est lui qui vous adopte. Spinach a toujours été assez indépendant et je savais que je le perdrais au profit de l’un de mes patients.
De ce jour, je devins le légitime propriétaire de la boule de poils. Cependant, je refusais de lui donner son nom de légume et je le surnommais Hennessy ou NSI[2], parce qu’il faut vraiment ne pas avoir d’instinct de survie pour choisir comme colocataire un loup-garou.
Toujours le bras dans le plâtre, j’assistais à la réunion extraordinaire du Vieux Carré. Toutes les sorcières survivantes y étaient et devaient désigner leur nouvelle Maitresse, la nouvelle Madame Laveau. Si j’étais présent, c’était pour éviter toute résurgence du gouvernement Moreau et je suppose que l’odeur de peur qui planait dans le vieux théâtre qu’on avait loué pour l’occasion en était une bonne preuve. La seule qui ne tremblait pas, c’était ma chère petite Cassy. Je me suis installé au dernier rang et j’ai entamé un paquet de cigarettes, le paquet que je comptais me taper durant les débats. Du fait de mon « intervention », trois candidates, dont Jeannette Moreau, se désistèrent avant même d’être appelées à exposer leurs vues pour les années à venir. Quand ce fut le tour de Cassy, elles l’écoutèrent toutes avec une attention presque religieuse et, après un temps ridicule de réflexion, Cassandra Jones Laveau devint la Maitresse des sorcières de la Nouvelle- Orléans. Elle me fit un sourire pour me remercier de mon intervention et de mon soutien puis je sortis du théâtre sans me retourner. C’était la dernière fois que je voyais Cassy en personne. Nous n’avons jamais plus eu l’occasion de nous trouver au même endroit au même moment et, mis à part pour les grandes occasions, nous ne prenions pas de nouvelles. Je regrette un peu ma petite sorcière mais il m’avait semblé, alors, plus intelligent de montrer ma distance afin qu’on ne l’accuse pas d’être une potiche à ma solde. Elle le comprit aussi et limita nos contacts à ce que deux connaissances éloignées peuvent se permettre. Encore aujourd’hui, nous parlons beaucoup de chats et très peu de magie, malgré le fait que je sois devenu un sorcier d’assez bon niveau.
Antoine demanda à être reçu, ce que je lui accordais avec plaisir. La première chose qu’il m’expliqua fut le fait que tous les vampires de la Ville et même des alentours seraient ravis de me considérer comme leur maitre. Hennessy étant sur mes genoux et empêchant par la même tout débordement intempestif, je me contentais de faire remarquer à mon VRP à domicile :
- Vous vous souvenez que tout était faux depuis le début ? et que je vais bientôt retourner à New York ?
- Oui, bien sur mais mes vampires se sentiraient tellement plus en sécurité si leur Maitre était celui qui avait détruit la Bête.
- Je ne reste pas.
- Un gouvernement à distance serait parfaitement viable, vous savez.
Je le regardais dans les yeux et je vis son sourire s’épanouir alors qu’il comprenait que je comprenais très bien ce qu’il voulait faire.
- Vous savez que Ménorath n’acceptera jamais ? C’est son Fief…
- Encore mieux ! Personne n’aura l’idée de vous contester la primeur et Ménorath dormira sur ses deux oreilles sachant que son Fief est protégé par le tueur de la Bête.
Je crois qu’à ce moment-là, Hennessy et moi avons partagé la même expression, à savoir celle de l’ennui profond mâtiné d’un peu de « tu me fais chier », appuyé par le balancement quasi furieux d’une queue tigrée. Et je crois qu’Antoine l’a pris comme argent comptant.
- Enfin… Tout ça pour vous dire qu’aucun vampire ne vous suivra à New York. Nous avons nos petites habitudes et, depuis que vous avez rendu l’atmosphère de la Nouvelle Orléans un peu plus respirable, mes frères et sœurs comptent s’installer dans… une certaine torpeur estivale qui ne mettra personne en danger.
- Même Sokhol ?
* Vous n’êtes pas au courant ? Sokhol est parti et a laissé sa… son logement à un autre vampire. Mais il n’a jamais été vraiment des nôtres.
J’ai réfléchis un instant et j’ai pris le parti de penser que la situation était, au final, pour le mieux. Je savais qu’Antoine ferait un dirigeant acceptable et que le spectre de ma propre puissance arriverait à le maintenir en place assez longtemps. Du reste, mon seul but avait été d’assainir la faune surnaturelle de la Nouvelle-Orléans, pas de la changer. Je l’avais fait… le reste c’était leur problème.
- Et bien, Couchant, vous avez pas mal de boulot. Marmonnais-je avec une bonne dose d’ennui. Ne venez pas m’embêter avec vos considérations oiseuses de gouvernement... Vous êtes à la place que je vous ai octroyée pour ça, non ? Alors, faites votre boulot et ne venez plus m’ennuyer avec ça.
De ce jour, Antoine devint le N°2, ou plutôt le N°1.5, des vampires de la Nouvelle-Orléans. Il prenait les décisions et faisait en sorte qu’on croit que ça venait de moi. Quant à moi, je m’en lavais les mains, pour mon plus grand plaisir. Néanmoins, le soir même, j’envoyais une lettre à Ménorath pour lui expliquer la situation et exiger ma faveur. Oui, j’ai bien dit une lettre… Il parait que Menorath est technophobe et ne s’approche pas d’un ordinateur à moins de cinq mètres…
Alors que je me baladais dans le Vieux Carré, toujours le bras en écharpe, mais un peu mieux qu’au début du mois, ce furent trois loups-garous qui m’accostèrent et qui me remirent, sans un mot, une valise pleine. Puis, ils attendirent, la tête baissée et soumis, que je valide leurs offrandes ? Comme je n’avais qu’un bras, je ne pouvais décemment pas ouvrir la valise et j’en pris un au pif pour qu’il l’ouvre devant moi. Hunt commença à grogner devant leur soumission mais avant qu’il ait pu les traiter de Lapins, il commença à les plaindre. Quant à la valise, elle contenait une belle somme d’argent, en billets épars et froissés et même en menue monnaie.
- C’est quoi ce merdier ?
Si j’étais agressif, c’est parce que je sentais leur peur. Ils étaient terrifiés par ma présence alors que je pensais les avoir libérés d’un tyran mais leur attitude m’apprit que, pour eux, ils n’avaient fait que de passer d’un tyran à un autre.
- La Dîme, Monseigneur. Répondit celui qui tenait la valise et qui tremblait un peu.
D’ailleurs, pour autant que je puisse en juger, les trois loups n’attendaient qu’un seul mouvement de ma part pour fuir en courant. Jusque là, je ne m’étais pas trop attardé sur la meute du Bayou et surtout sur les pourvoyeurs de fonds de Mark, sans doute parce que j’aurais fini par massacrer quelqu’un gratuitement par pure fureur. Maintenant qu’ils étaient devant moi, du moins une partie, je pouvais sentir les années de sévices, d’humiliation et de terreur banale dont ils étaient couverts. La colère me remonta jusqu’à la gorge et je les vis faire un pas en arrière. Inspirant et soufflant pour tenter de me calmer, je fis les deux pas qui me séparaient de la valise et y prélevait une pièce de 25 cents. Puis, plus calmement, je me dirigeais vers un distributeur de boissons et m’y achetais un thé glacé, à peu prés la seule chose que je pouvais boire sans m’exploser les narines avec les bulles.
Les trois loups se regardaient et se demandaient ce que je faisais mais, à leur crédit, ils n’avaient pas fui malgré leurs furieuse envie de le faire.
- La meute a un comptable ? dis-je avant de prendre un gorgée de thé à la pèche.
Ils continuèrent à se taire et à paniquer pour rien, ce qui m’énerva prodigieusement.
- J’ai posé une question, simple en plus, et j’aimerais une réponse.
- P… Plus maintenant, Monseigneur…
- Parmi les survivants, quelqu’un aurait les compétences pour reprendre le poste ?
L’un des loups, celui qui avait une chemise à carreaux ridicule, leva une main tremblante. Ca devenait assez pénible.
- Euh… Je… je suis assistant comptable dans la boite au je travaille… A mi-temps. Ce n’est… ce n’est peut-être pas suffisant…P… Pour vous.
- Bon dieu, mais qu’est-ce qu’il vous a fait pour que vous deveniez aussi… Ne répondez pas. C’était une question stupide.
Je montrais la valise du bout de la canette pour leur intimer l’ordre de refermer la valise.
- Bon… Voilà mes ordres. La dîme est fixée, pour les dix prochaines années, au prix d’un thé glacé ou d’une tasse de café, à chaque fois que vous me croiserez. Le comptable de la meute, vous, va ouvrir un compte associatif où je déposerais de quoi développer la tanière. Vous ferez fructifier l’ensemble. Sur ce, messieurs… Merci pour le thé glacé.
Je me retournais mais avant que je puisse être hors de leur portée, l’un des trois retrouva suffisamment de couilles pour me poursuivre.
- Mais… Et pour le reste ?
- Oh… tous les contrats sont annulés, du moins, tout ceux qui vous porte préjudice. Soyez heureux et pensez un peu à vous. Ca ne fera de mal à personne.
- Vous… n’êtes pas notre Alpha ?
- Non. Juste le Gardien en attendant d’en trouver un valable. Et si un connard estime qu’il peut faire ce qu’il veut de vous, vous me l’envoyez.
Ce qu’ils firent à de très nombreuses reprises. Certains, comprenant qu’ils allaient affronter l’Alpha de New York, se retirèrent avant de commencer le duel. Les autres y virent l’opportunité de gagner deux meutes pour le prix d’une. Ce sont ceux-là qui repartaient avec leur ego en ruine et généralement la morsure humiliante aux fesses. Il va sans dire que la Dîme ne couta pratiquement rien à la Meute de la Nouvelle-Orléans puisque je n’y retournais pas. Cependant, le nouveau comptable tint à me présenter tous les six mois le bilan de la meute et, à chaque fois, il venait avec un grand verre de thé glacé, au grand dam de Hunt qui aurait préféré une tasse de café. La meute de la Nouvelle-Orléans se mit à vivre correctement et de manière presque autonome mais je n’arrivais pas à me décider à les doter d’un Alpha… Sans doute parce que je n’en trouvais aucun qui fut à mon gout.
Mon agent du FBI et moi mirent fin à notre relation. Lui était muté à Chicago et moi je retournais à New York. Même si nos départs effectifs n’étaient pas encore arrêtés, surtout pour moi, nous avons préféré mettre cette petite affaire au clair une bonne fois pour toutes. Nous n’étions pas vraiment amoureux mais plutôt reconnaissants l’un envers l’autre d’avoir été là pour le peu de temps que ça avait duré. Il m’avoua cependant qu’il ne se sentait pas prêt à être l’amant d’un Alpha ET d’un Maitre de Ville et que tout ça risquait d’être beaucoup trop à gérer pour lui, en plus de son travail. Quant à moi, je n’étais pas encore prêt à m’investir dans une relation à plein temps, sans doute parce que ça aurait été la première et que je n’avais pas la moindre idée de ce que c’était. Néanmoins, le fait de raconter ce que je ressentais de ma nuit à quelqu’un d’autre me manqua, ainsi que le simple fait d’avoir pris soin de quelqu’un.
Mes nuits m’appartenant entièrement à nouveau, je commençais à mettre tout à plat sur ma situation, sur celle de la Nouvelle-Orléans, sur ce monde dans lequel je vivais et que je subissais plus qu’autre chose. La première chose qui me frappa en plein visage était que la Grande Révélation n’était toujours pas finie. Les humains ignoraient des tas d’éléments sur les trois races de surnaturels et n’avaient même pas idée que d’autres races étaient là et ne consentaient pas à sortir du placard. Il y avait encore un océan entre la vérité et ce qu’ils savaient. Cependant, nous dévoiler entièrement était particulièrement dangereux et je n’ai jamais autant compris Victor quand il pestait sur la Grande Révélation alors qu’il n’avait pas vraiment pu la préparer. Mais, au final, personne n’était prêt pour ça : Ni les humains, ni les Faes qui avaient balancé la bombe en dépit du bon sens, ni les vampires qui avaient fait de la Nuit l’élément indispensable de leur garde-robe, ni les Métamorphes qui étaient plutôt contents qu’on leur foute la paix pour qu’ils puissent courir tout leur saoul.
A cette période-là, je suppose que le monde était partagé entre la stupeur et la curiosité. Comme les Surnats avaient fait exprès de paraitre aussi sans conséquence que possible, le pire avait été évité. Pour le moment. Je me doutais qu’un jour, tout allait finir dans le chaos le plus total et que les vainqueurs de tout ce bordel allaient modifier définitivement toutes les sociétés humaines. Je me rappelais de Jones et de son obsession pour l’égalité, quitte à jouer des griffes, je me souvenais que les vampires avaient majoritairement un certain dédain pour l’espèce humaine, au mieux une condescendance pour les petits cousins attardés, et l’isolationnisme des Faes, refusant que les humains ne posent un pied dans les royaumes intérieurs me glaça le sang. Ca, et le fait que l’humanité dans son ensemble avait tendance à n’attendre qu’une toute petite étincelle pour allumer les buchers de l’exclusion.
J’en étais là de mes réflexions alors que je regardais l’empire aztèque grignoter mes possessions chinoises et que je m’ennuyais depuis dix siècles à essayer de provoquer un casus belli, sans résultat. Voilà pourquoi je n’aime pas les jeux de gestion… Je finis toujours par m’enfermer dans mes plus noires pensées. Pendant ce temps, le reste de la meute jouait à défier les horreurs de la ville d’Arkham et ils s’amusaient comme des petits fous. Je les regardais et j’ai eu peur. Soyons clairs : Simon était un loup exceptionnel et une fine gâchette mais c’était aussi un père de famille. Yuna était une toute jeune louve et malgré sa puissance, elle restait encore fragile. Allegro était… En voie de rédemption, faute de mieux. J’avais détruit les fausses fondations de sa stabilité mais il lui restait encore à trouver un roc suffisamment solide pour appuyer sa main. Ash et Dom étaient un duo quasi imbattable, surtout depuis qu’ils étaient débarrassés de leur vengeance et donc moins aveuglés par la rage. Néanmoins, je les sentais tout deux en train de glisser sur la pente du monstre. Au final, j’étais juste une ficelle très fine qui les empêchait de tomber. Pour le moment. Il y avait Azul qui abritait un dragon mais qu’elle ne le contrôlait pas un seul instant.
Et il y avait moi, qui me faisais laminer par un ordinateur belliqueux.
Nous n’étions pas suffisants, pas un seul instant. Même en tant que Cannibale, j’étais à peine suffisant pour faire tout le boulot et Clara faisait le reste en sous-main… Et pourtant, il y avait tellement de possibles poudrières sur cette terre que l’une d’entre elles allait finir par tous nous emporter avant que je n’ai le temps de couper la mèche.
Il fallait que je fasse quelque chose, il fallait que je trouve un moyen de calmer le jeu et de permettre aux humains de pouvoir dormir, de permettre à mes propres enfants de ne pas avoir peur des monstres sous le lit et de ne pas avoir peur d’être pris pour des monstres.
J’ai coupé le jeu et j’ai regardé le plafond. Des solutions, j’en avais à foison, la première étant de ne pas m’en occuper et de faire confiance en l’humanité toute entière pour vivre ensemble et se prendre la main dans une unité remplie de petites fleurs et d’arc-en-ciel. Cependant, comme j’avais perdu toute innocence et tout optimisme béat, je rejetais assez facilement la solution de l’attentisme. Je rejetais aussi son contraire qui consistait à tout détruire pour accueillir le néant en laissant libre cours à la rage de la Bête. On nous avait appris que seuls les humains pouvaient tuer les monstres… Après tout, la myriade de contes pour enfants ne racontaient que ça mais j’avais appris qu’il existait des monstres pour les monstres, qui les terrifiaient et les faisaient tenir tranquilles, dans une certaine mesure.
Nous pouvions être ces monstres. Nous pouvions même être plus nombreux, plus organisés, plus mobiles. Nous aurions pu être tellement de choses mais je décidais que nous deviendrions un dernier recours.
A ce moment-là, j’ai eu l’idée de coucher tout ça sur l’ordinateur, tout ce que nous ferions, tout ce dont nous aurions besoin… Mais je me suis tourné vers la table de jeu et :
- Partie de Strip-poker, ça tente quelqu’un ?
[1] Spinach : En français, Epinard.
[2] NSI : Acronyme de No Survival Instinct, Aucun Instinct de Survie.